mercredi 9 février 2011

Urbanisme Les caravanes sont-elles compatibles avec l’agriculture ?



Focus Habitat février 2011

Les refus de permis de construire essuyés depuis 2007, par un voyageur devenu agriculteur à Frouzins (Haute Garonne), sont en passe de devenir un cas emblématique des polémiques autour de l’urbanisme de l’habitat caravane. Dans un contexte où l’article 32terA de la Loppsi2 qui préconise une procédure administrative de destruction des installations sur terrains privés, soulève des débats, le sort de cette famille du voyage très insérée dans le tissu associatif, sportif et politique local suscite les passions jusque dans les instances Européennes.   




« Quel sera l’avenir des six enfants de Frédéric Lievy, si leur père doit abandonner l’élevage de poule qu’il développe avec succès depuis 2007 et se retrouve condamné à résider sur des aires d’accueil en dépendant des aides sociale ? », questionne Catherine Grèze, députée européenne du sud ouest. Elle  ne ménage pas ses efforts pour mobiliser les soutiens autour de cette famille menacée d’être expulsée de son terrain familial où elle développe un élevage de poulets. « A l’heure où l’Europe se penche sur l’insertion des tsiganes tous les efforts d’intégration de cette famille sédentarisée de manière exemplaire, risquent d’être détruits », insiste l’élue, qui argumente sur la qualité de l’exploitation agricole qui à ses yeux, répond aux critères du développement durable. De son côté, Frédéric Lièvy, qui ne considère pas son histoire comme étant exceptionnelle parmi les Gens du voyage, nombreux à être économiquement indépendants en exerçant des métiers très divers, assume la dimension politique de la bataille qu’il mène sur le terrain de l’urbanisme.  Ancré à Frouzins où il s’est engagé dans des associations et mouvements politiques et où ses enfants scolarisés contribuent activement à la vie du club de Rugby, Frédéric Lièvy revendique la reconnaissance de son habitat constitué de caravanes et la liberté de poursuivre dans de bonnes conditions son activité d’agriculteur. L’activité de cet éleveur, cotisant à la MSA, agréé par les services vétérinaires et fiscaux n’est contestée par personne. Mais, l’exploitation, de petite taille, ne générant qu’un revenu d’appoint à l’intéressé, qui par ailleurs travail à temps partiel comme salarié dans une entreprise voisine, ne justifie pas, pour la Chambre d’agriculture, un avis favorable à la demande d’un permis d’aménager un logement de fonction. Pour les services de l’Etat et de la commune, l’existence d’un terrain familial sur une zone agricole est incompatible avec le droit de l’urbanisme.


La légalité des documents d’urbanisme en question 


« Nous ne demandons pas que  monsieur Liévy, abandonne son activité, il pourrait rejoindre l’aire d’accueil des gens du voyage ou demander un logement social », affirme Céline Boleat, directrice générale adjointe en charge des services juridiques de la commune de Frouzins qui précise que l’initiative des procédures engagées relève de la préfecture qui instruit les demandes d’urbanisme pour la commune. En attendant l’audience du 2 février prochain au TGI de Toulouse, elle refuse de s’exprimer, ni sur l’avenir d’un tel élevage, sans présence humaine, ni sur le volet politique de l’affaire. Néanmoins, elle reconnaît que ce cas particulier pourrait avoir des conséquences non négligeables si il aboutissait à une remise en cause des la légalité des documents d’urbanisme de la commune. Elle se défend d’une interdiction de l’habitat caravane sur la commune en argumentant sur la distinction entre les habitations légères de loisirs (HLL) et les résidences mobiles terrestres utilisées comme habitations principales (RMT). « Notre POS permet sous certaines conditions qu’un propriétaire puisse garer sa HLL à côté de sa résidence principale, mais elle ne doit pas être habité en permanence. Nous sommes aussi en règle avec la loi car notre intercommunalité a réalisé un aire d’accueil pour les RMT », insiste la DGA, qui considère que Frédéric Lièvy a illégalement installé des HLL sur une parcelle agricole. L’intéressé rétorque qu’il a légitimement installé sa RMT en tant que logement de fonction sur son lieu de travail. « Monsieur Lievy est sans doute victime d’être trop respectueux de la loi, car sa première demande n’ayant pas été instruite dans les délais, il se trouvait en situation d’autorisation de faite. Mais voulant être reconnu, il a déposé de nouvelles demandes qui ont toutes été systématiquement rejetées depuis », remarque l’architecte Luc Monnin qui déplore une situation bloquée.  « Le PLU de Frouzins est sans doute entaché d’irrégularité car il ne permet pas la diversité des types d’habitats. Du point de vu du confort, de l’hygiène, du respect l’environnement et du paysage un terrain familial aménagé comme celui-ci ne pose aucun problèmes technique particulier », précise l’architecte. 


L’Europe observe Frouzins à la loupe


« On me refuse le droit de travailler et d’habiter là où j’ai mes amis et mes activités, par ce que je ne suis  gens du voyage. Mais comme je ne pratique pas l’itinérance, je n’ai rien à faire sur une aire d’accueil », martèle Frédéric Lièvy, qui craint que la soudaine accélération des procédures à son encontre ne soit une anticipation de l’article 32terA de la Loppsi2. Ce texte prévoit des procédures administratives d’expulsion éventuellement accompagnée de destruction des installations sur terrains privées. Les associations d’habitants de logements éphémères et de Gens du voyage qui s’unissent pour militer contre ce texte qui doit passé en seconde lecture, fin janvier au sénat janvier, constatent que plusieurs procédures visant des installations de yourtes* ou des terrains familiaux liés a des micros exploitations agricoles se sont accélérées ses dernières semaines pour aboutir devant les tribunaux en février. « Nos permis d’urbanismes étant instruits par les services de l’Etat, nous n’avons pris aucune initiative dans ce domaine et nous nous plierons à la décision du juge », précise la commune qui déplore la médiatisation de ce cas particulier devenu occasion de mobilisation pour les opposants à la LOPPSI2. Les développements de cette affaire sont observés avec attention par la task force de la commission européenne en charge du dossier de l’inclusion des Roms et gens du  voyage.
O B


Références juridiques et techniques


Habitations légères de loisirs : Article R 111 du code de l’urbanisme

Résidences mobiles terrestres occupées à titre d’habitat principal : Loi du 5 juillet 2000, article 1013 du code des impôts modifié par la loi de finance rectificative de décembre 2010.
La loi du 5 juillet 2000, distingue entre le stationnement des résidences mobiles des gens du voyage sur le domaine public dans le cadre de terrains spécialement aménagés, et l’installation sur des terrains privés soumises à autorisation d’urbanisme. La circulaire du 17 décembre 2003 précise la définition d’un terrain familial. « Mais cette circulaire ne mentionne que les terrains familiaux aménagés dans le cadre de l’habitat adapté pour les personnes défavorisées. Rien n’est véritablement précisé pour les familles économiquement indépendantes, propriétaires de leurs propres terrains. Il est en général possible de trouver des solutions dans le cadre de permis de construire considérant la caravane comme étant un habitat adapté à la manière dont les habitants utilisent l’espace dans leur vie quotidienne et pas uniquement comme un moyen de mobilité », explique l’architecte Luc Monnin.    



Eléments de politique locale
Responsable de l’association de Gens du voyage  Goute d’eau, et militant écologiste, Frédéric Liévy est engagé dans des polémiques portant sur  l’application du schéma départemental d’accueil des gens du voyage, la conception et la gestion des aires d’accueil. Dans ce cadre il se trouve en opposition avec des élus qui exercent aussi des responsabilités à la chambre d’agriculture. Impliqué dans la vie associative et sportive de Frouzins, il se trouve aussi en désaccord sur de nombreux sujets avec le maire de la commune et les politiques menées par les services de l’Etat.
A son initiative et celle du Maire, deux tentatives de conciliation ont été effectuées. Elles ont échoué, chacun des protagonistes refusant de se rendre au rendez-vous demandé par l’autre. La municipalité, la chambre d’agriculture et la préfecture affirment que ce dossier est géré de manière impartiale sans considérations pour la personnalité, les opinions et les origines ethniques de l’intéressé.  

Cet article est la version Dépêches tsiganes d’un papier publié par la Gazette des communes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire