lundi 14 février 2011

hors d'ici l'antitsiganisme en france p 132/202


6.1 Les aires d’accueil officielles : ségrégation et conditions de vie misérables
Une circulaire du 5 juillet 2001 relative à l’application de la loi Besson (dite cir­culaire du 5 juillet 2001) précise que la localisation des aires d’accueil :
…doit garantir le respect des règles d’hygiène et de sécurité des voy­ageurs et éviter les effets de relégation. Ayant une vocation d’habitat, les aires d’accueil sont situées au sein de zones adaptées à cette vocation, c’est-à-dire de zones urbaines ou à proximité de celles-ci afin de permet­tre un accès aisé aux différents services urbains (équipements scolaires, différents services spécialisés)… Est donc naturellement à proscrire tout terrain jugé incompatible avec une fonction d’habitat. P. 19.230
Les aires d’accueil existantes visitées par l’ERRC sont presque toujours en deçà des standards de décence. Elles violent des éléments centraux du droit au logement décent, notamment en matière de proximité des services, des équipements et des in­frastructures, de localisation et d’habitabilité.231
Alors que l’approvisionnement en eau et en électricité est généralement assuré dans les lieux officiels, les douches chaudes et les toilettes sont la plupart du temps en nombre insuffisant pour l’ensemble des résidents. Dans certains lieux, les toi­lettes et les douches sont très sales et délabrées. De plus, certains endroits ne sont
230 Circulaire UHC/IUH1/12 no 2001-49 du 5 juillet 2001 relative à l’application de la loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage Titre IV.1.
231 En plus des obligations découlant d’un certain nombre de traités de l’ONU obligeant l’Etat français à assurer l’accès au logement adéquat sans discrimination, le Comité des Ministres du Conseil de l’Eu­rope a récemment émis une recommandation relative à « l’amélioration des conditions de logement des Roms et gens du voyage » et a souligné que les Etats membres devraient : « éviter, interdire ou, le cas échéant, arrêter toute politique ou initiative à l’échelon national, régional ou local visant à faire en sorte que les Roms s’installent ou se réinstallent dans des sites inadaptés et des zones dangereuses, ou visant à les repousser dans de tels sites en raison de leur appartenance ethnique. » Par ailleurs, ces re­commandations préconisent que « les Etats membres devraient faire en sorte qu’un nombre suffisant de sites de transit/de halte soient mis à la disposition des Roms itinérants et semi-itinérants. Ces sites temporaires/de halte devraient être convenablement équipés des installations nécessaires, notamment en ce qui concerne l’alimentation en eau et en électricité, l’assainissement et la collecte des ordures. Les barrières physiques ou les clôtures ne devraient pas porter atteinte à la dignité des personnes ni à leur liberté de mouvement. »139
Vue aérienne de caravanes stationnées sur l’aire d’accueil officielle de Lognes, près de Paris. Ce site, sous une autoroute, est le lieu de résidence permanent de 120 à 150 personnes qui partagent une unique douche et 3 WC à la turque.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO140 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
que de simples dalles de béton, similaires à des aires de parking et pour lesquelles aucun aménagement en matière de drainage n’a été fait. Le problème est aggravé ça et là par des trous ou des bosses, le tout créant une surface irrégulière facilitant l’accumulation des eaux de pluie.
En dépit de la circulaire du 5 juillet 2001 et en dépit d’une législation nationale française concernant les standards en matière de logement, la plupart des aires d’accueil sont situées en des lieux impropres à l’habitation humaine. Nombre d’entre elles sont dans des zones présentant des problèmes environnementaux importants ainsi que des ris­ques sanitaires majeurs pour les tsiganes et voyageurs. Elles sont en effet systématique­ment situées près de décharges publiques, de stations d’épuration, d’industries à haut risque ou polluantes, d’autoroutes ou de lignes de chemin de fer, de lignes à haute ten­sion. De plus, elles sont souvent aussi loin que possible des zones résidentielles, souvent situés aux extrêmes limites des communes. Ceci signifie que ces aires d’accueil sont aussi extrêmement éloignées des différents services urbains, tous situés dans les centre villes et les zones résidentielles. Nombre de voyageurs et de tsiganes ont souligné ce problème auprès de l’ERRC, surtout en ce qui concerne l’éducation des enfants.232
232 Les conditions de ségrégation dans lesquelles de nombreux voyageurs et tsiganes sont forcés de vivre sont en violation de l’interdiction de la ségrégation raciale par les lois internationales de droits de l’homme. Conformément à l’article 3 du CIEDR, l’Etat français s’est engagé à prévenir, interdire et éradiquer toute forme de ségrégation raciale.
Le contenu normatif de l’Article 3 a été precisé par le Comité des Nations-Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR), dans Recommandation générale 19 « sur la discrimination raciale et l’apartheid (Article 3 de la Convention) ». Le Comité en a appelé à l’attention des États parties sur l’article 3, selon lequel les États parties s’engagent à « prévenir, à interdire et à éliminer toutes les pratiques de ségrégation raciale » (Paragraphe 1) Le Comité a également considéré que « l’obligation d’éliminer toutes les pratiques de cette nature inclut l’obligation d’éliminer les con­séquences des pratiques adoptées ou tolérées par des gouvernements précédents de l’État partie, ou imposées par des forces extérieures à l’État partie » (Paragraphe 2).
Par ailleurs, le Comité à clairement souligné que « si une situation de ségrégation raciale complète ou partielle peut, dans certains pays, avoir été créée par les politiques gouvernementales, une situa­tion de ségrégation partielle peut également être le résultat non intentionnel d’actions de personnes privées. Dans de nombreuses villes, les différences de revenu entre les groupes sociaux influent sur la répartition des habitants par quartiers et ces différences se conjuguent parfois aux différences de race, de couleur, d’ascendance et d’origine nationale ou ethnique, de sorte que les habitants peuvent être victimes d’un certain ostracisme et que les personnes subissent une forme de discrimination dans laquelle les motifs raciaux se combinent à d’autres motifs. » (Paragraphe 3).141 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Dans certains lieux, la séparation physique des voyageurs et des tsiganes se con­crétise au travers de monticules de boue encerclant les aires d’accueil, les coupant physiquement de leur environnement. Ces remblais sont censés « protéger les tsi­ganes et les gens du voyage » du bruit, toutefois ils constituent de fait une barrière physique dissimulant les voyageurs et tsiganes aux yeux des autres habitants. Les caravanes et leurs résidents sont ainsi cachées des voisins ou des passants.
Voici le témoignage de Mme Joséphine Capello, une personne âgée issue des voyageurs et rencontrée par l’ERRC sur l’aire d’accueil officielle du « Realtor » à Aix-en-Provence : « Il faut voir les places qu’ils nous font…. Si ce n’est pas sur un ancien dépôt d’ordures, c’est a côté de l’endroit ou vont les eaux usées. Pas à prox­imité d’une école. Ca [elle est sur le terrain de Realtor], c’est la limite d’Aix. Aussi loin que possible. Presque Vitrolles. Nous, vivre en caravane c’est notre forme de vie. Maison on ne peut pas. Si vous nous mettez là, c’est comme si on est dans une cage. On aime aussi les arbres, ruisseaux, etc. »233
L’aire du Réaltor, qui compte 40 places, n’est pas loin de la gare TGV d’Aix-en-Provence.234 Pour pouvoir y accéder, il faut passer un portail métallique. Toutefois, le 4 mai 2004, lorsque l’ERRC a visité les lieux, le portail était assez ouvert pour laisser passer une voiture. C’est en fait une aire de parking. Les résidents font remarquer que le sol n’est pas nivelé, ce qui rend la propreté difficile à maintenir et crée des flaques d’eau dès qu’il pleut. Le lieu est approvisionné en eau et électricité, mais il n’y a que quatre douches et quatre toilettes pour l’ensemble de l’aire d’accueil (quand le site est plein, on y compte entre 160 et 200 résidents). La zone est à l’extrême limite d’Aix-en-Provence, à environ sept kilomètres de la ville de Callas et à environ six
Le Comité a ensuite conclu qu’« une situation de ségrégation raciale peut également survenir sans que les autorités en aient pris l’initiative ou y contribuent directement. Il invite les États parties à contrôler toutes les tendances susceptibles de provoquer la ségrégation raciale, à oeuvrer pour éliminer toutes les conséquences négatives qui en découlent, et à décrire toute action de ce type dans leurs rapports périodiques. » (Paragraphe 4). Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR). « Re­commandation générale No XIX concernant l’article 3 de la Convention. » 18/08/95, dans « Récapitula­tion des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme », HRI/GEN/1/Rev.5, 26 avril 2001, p. 193, sur le site : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf.
233 Entretien de l’ERRC avec Mme Joséphine Capello, le 04 mai 2004, à Aix-en-Provence.
234 Train à grande vitesse. 142 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
kilomètres de Vitrolles. Les résidents ont également fait part à l’ERRC de leur dif­ficulté à bien dormir, du fait de la proximité d’un refuge pour chiens abandonnés qui aboient la nuit, ainsi que des poids lourds qui commencent à passer sur l’autoroute voisine vers 4 h du matin. La décharge publique n’est qu’à un kilomètre, et de ce fait, en été, le Réaltor est envahi par des milliers de mouches.235
Une autre aire d’accueil typique est celle de Lognes, ville de Seine-et-Marne d’environ 15 000 habitants, près de Paris. Elle abrite une trentaine de caravanes. Com­me beaucoup de lieux, cette aire d’accueil n’est en général pas utilisée pour de courts séjours, mais plutôt comme un lieu de long séjour, certains de ses résidents ayant vécu ici de nombreuses années. Le site se trouve exactement sous l’autoroute. Au bruit en­gendré par la circulation s’ajoute le fait que si une voiture tombe de l’autoroute, elle tombera directement sur les caravanes : les conséquences seront bien sûr terribles... Paradoxalement, bien que l’aire d’accueil de Lognes soit visible de l’autoroute, elle est très difficile à trouver depuis la ville. L’ERRC a demandé à un certain nombre de locaux comment rejoindre les lieux, mais personne ne semblait le savoir. Finalement, un chauffeur de taxi pu indiquer la route. Une étroite route passant au travers d’un bois clairsemé conduit au camp. La route est bordée de monceaux d’ordures. Une trentaine de caravanes stationnent sur l’espace bétonné (abritant de 120 à 150 per­sonnes), les distances séparant chaque caravane n’étant pas supérieures à 10 mètres. Chaque espace peut être loué pour 150€ par mois, eau et électricité comprises. Il n’y a toutefois qu’une seule douche pour l’ensemble du site et le petit réservoir d’eau ne contient que 50 à 100 litres d’eau, juste assez pour deux à trois douches. Les résidents ont dit à l’ERRC que lorsque le réservoir est vide, il faut des heures pour qu’il se remplisse à nouveau. Il y a trois toilettes à la turque dans le camp. Toutefois, l’une d’elles ne fonctionnait pas lors de la visite de l’ERRC le 15 février 2004. Les habitants doivent nettoyer les lieux et toutes les infrastructures eux-mêmes.236
Dans la ville de Saint-Priest (Rhône), on trouve une autre aire d’accueil typique. Elle date de la fin des années 70. Certains résidents ont dit à l’ERRC qu’ils y vi­vent depuis 30 ans. L’ERRC a pu trouver l’aire d’accueil en suivant des panneaux conduisant à une zone industrielle à cheval entre Saint-Priest et la ville voisine de Chassieu. Les caravanes sont entassées entre deux usines – dont apparemment, une
235 Visite du Réaltor par l’ERRC, le 4 mai 2004.
236 Visite de Lognes par l’ERRC, le 16 février 2004.143 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
usine chimique et une usine pétrochimique. Il y a également tout près une voie ferrée et une route sur laquelle circulent des poids lourds. M. Henri Lacroix, fonctionnaire de la Communauté urbaine du Grand Lyon, nous a dit que « cette aire d’accueil est à la limite d’une zone Seveso.237 Si une explosion se produit dans l’une des usines, les résidents de l’aire d’accueil seront pris dans le souffle de l’explosion. Et ceci est bien plus dangereux lorsque l’on est dans une caravane que lorsque l’on est dans un habitat ordinaire. » M. Lacroix pense que ce site ne devrait pas être rénové et que l’on devrait plutôt déménager ceux qui y vivent. Les résidents ont appris à l’ERRC que l’aire d’accueil est sur le site d’une ancienne décharge publique infestée de rats. « On en trouve parfois dans les moteurs des voitures, ils vont là où il fait chaud », nous a dit M. M.B.238 Les résidents doivent payer leur approvisionnement en eau et en électricité. Mais ils ne paient pas pour les emplacements eux-mêmes, l’aire d’accueil étant trop sale. L’aire d’accueil compte six toilettes, mais trois d’entre elles étaient bloquées lors de la visite de l’ERRC le 24 mars 2004.239
Parmi les nombreux départements qu’a visité l’ERRC,240 celui ayant les meilleures aires d’accueil est la Haute-Garonne.241 Toutefois, en dépit d’équipement réellement améliorés, un nombre regrettable de ces aires d’accueil sont entourées de remblais de boue séparant physiquement les résidents du reste de la population locale.
Par exemple, l’aire d’accueil de Saint-Jean se trouve dans la ville elle-même, au sein d’un quartier résidentiel ordinaire. 16 caravanes environ y étaient garées
237 Ces zones sont des zones classées à haut risque selon les normes européennes, en ce qui concerne les accidents industriels (directive Seveso).
238 Entretien de l’ERRC avec M. M.B., le 24 mars 2004 à Saint-Priest.
239 Visite de l’ERRC à Saint-Priest, le 24 mars 2004.
240 Seine-Saint-Denis, Seine-et-Marne, Essonne, Gironde, Dordogne, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Rhône, Isère.
241 Il reste aussi quelques zones en Haute-Garonne qui sont en très mauvais état ou situées dans des zones inacceptables. Par exemple : Portet-sur-Garonne se trouve à environ 500 mètres de la piste d’atterrissage d’une base militaire et juste à côté d’une route sur laquelle il y a toujours des embou­teillages – les habitants inhalent donc continuellement des gaz d’échappement ; Beauzelle/Seilh se trouve près d’une station d’épuration et sous des lignes à haute tension – il semblerait que les habi­tants soient souvent malades et en été, l’odeur est si forte qu’il devient difficile de manger dehors ; Fonsorbes se trouve également près d’une station d’épuration ; Saint-Orens se trouve au milieu de la verdure, mais est loin de la ville et des services publics élémentaires.144 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
lors de la visite de l’ERRC le 7 mars 2004. Les résidents avec lesquels a discuté l’ERRC vivent là depuis quatre à cinq ans. Ils disent payer 150 euros par mois, eau et électricité comprises. Tous les deux emplacements, il y a une cabane abritant une douche, un lavoir à linge et à vaisselle ainsi que des toilettes. Cette aire d’accueil, comme tant d’autres, ressemble à une aire de parking et est dépourvu d’espaces verts. Mais ce qui est particulièrement frappant, c’est que le lieu est complètement ceinturé de remblais de terre, dissimulé aux yeux des passants et du voisinage. M. Frédéric Lievy, de l’ONG Goutte d’Eau, qui accompagnait l ERRC sur les lieux, a commenté : « Regardez, ils sont comme des taupes ; c’est contre la « pollution visuelle ». L’une des résidentes, Mme Reinhardt a expliqué à l’ERRC que les autorités avaient installé ces remblais de terre de manière à les dissimuler à la vue des locaux.242 Un autre des résidents, M. Coussentien, a expliqué que lorsque les enfants se réveillent le matin, tout ce qu’ils voient, ce sont ces remblais : « Ils pourraient au moins mettre quelque chose de joli, des rosiers par exemple. Mais certainement pas ça, juste de la terre », a-t-il dit.243 D’après Frédéric Lievy, Goutte d’Eau a réussi à prévenir ce qui aurait été bien pire, la plantation de buissons de ronce sur les remblais.244
Ces remblais, qui existent dans d’autres départements, ne sont pas seulement des restes d’anciennes aires d’accueils, mais sont aussi érigés autour des nouvelles aires. Par exemple, des remblais ont été érigés autour de quatre aires d’accueil récem­ment créées dans le département de la Haute-Garonne : la Mounède à Toulouse, St. Orens, Balma, et Saint-Alban. M. Jean-Marc Huyghe, président du S.I.E.N.A.T.,245 expliqua que les remblais peuvent être perçus de manière contradictoire – ils peu­vent être perçus comme un enfermement ou bien comme une protection vis-à-vis de l’environnement. Il pense qu’ils devraient être conservés, mais sous une autre forme : plus bas et ornés de plantes.246 Aucun des tsiganes ou voyageurs interrogés ne per­cevait le moindre aspect positif dans ces remblais. Tous estiment que leur but pre­mier est de dissimuler. L’ERRC a également retrouvé les mêmes remblais, mais bien plus élevés, autour de logements sociaux abritant un fort pourcentage de tsiganes et
242 Entretien de l’ERRC avec Mme Reinhardt, le 7 mars 2004, à Saint-Jean.
243 Entretien de l’ERRC avec M. Coussentien, le 7 mars 2004, à Saint-Jean.
244 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Lievy, le 7 mars 2004, à Saint-Jean.
245 Syndicat intercommunal d’Etudes pour l’Accueil des nomades dans l’Agglomération Toulousaine.
246 Entretien de l’ERRC avec M. Jean-Marc Huyghe, le 9 mars 2004. 145 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
voyageurs à Saint-Martin-du-Touche. Là, non seulement les habitants sont relégués aux confins de la ville mais ils sont aussi coupés du reste de la population par ces remblais – bien plus haut que les toits des maisons – qui font en sorte de les cacher totalement à la vue le voisinage.
Bien trop souvent, ces aires d’accueil rappellent plus un centre de détention qu’une zone résidentielle. Cet effet est créé par l’apparence physique des lieux ainsi que par les infrastructures visant à contrôler les résidents. Les barrières ceinturant ces lieux, tels que les remblais en anneaux ou les barrières de fils de fer barbelés évoquent une zone de détention. Sur les lieux où il y a beaucoup d’allées et venues de résidents, une barre de métal ou un portail ferme généralement l’entrée. Pour pouvoir entrer avec leurs caravanes, les voyageurs doivent être contrôlés par la per­sonne en charge des lieux et présenter des pièces d’identité. L’ERRC a visité l’aire d’accueil Saint-Menet à Marseille : le bâtiment abritant la personne en charge des lieux est une tour de béton armé surplombant le site, équipé sur son toit d’une caméra de surveillance.247 Nombre d’aires d’accueil parmi les plus anciennes auraient ainsi adopté un mode de gestion de type policier. Mme Claire Auzias, ancienne directrice de l’UNISAT,248 et ayant co-géré dans le passé des aires d’accueil, explique les choses : « Au fil de l’histoire des aires d’accueil, le seul objectif visé par les communes était en général la paix publique… Nombre d’associations gérant des aires d’accueil se sont retrouvées exerçant donc un rôle de police et de supervision. »249
Dans certaines aires d’accueil, cette atmosphère de contrôle et de surveillance va du simple désagrément à l’ingérence grave dans la vie privée des voyageurs et tsiganes.
M. Nounoune A., un jeune voyageur de l’ouest de la France, a par exemple raconté que près de Rennes et de Nantes, un certain nombre de sites sont gérés par la police municipale. Ceux qui veulent y résider doivent déposer les papiers de leur caravane ainsi qu’une caution à la mairie. « On ne nous donne pas les clés des lieux » dit-il « Au lieu de ça la police ouvre et ferme l’aire d’accueil comme si nous étions des porcs. » Il y a juste assez de place pour laisser passer une voiture, mais pour pouvoir sortir
247 Visite de l’ERRC à Saint-Menet, le 5 mai 2004, à Marseille. On ignore si les caméras étaient opéra­tionnelles ou non.
248 Union nationale des institutions sociales d’action pour les Tsiganes.
249 Entretien de l’ERRC avec Mme Claire Auzias, le 7 mai 2004 à Marseille. 146 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
leur caravane, les résidents du site doivent aller à la mairie et payer. Les papiers de la caravane et leur caution leur sont alors retournés et la police municipale vient ouvrir les portes pour qu’ils puissent sortir. Les gens du voyage ne peuvent entrer ou sortir qu’aux heures d’ouverture de la mairie. Ce qui signifie que du vendredi après-midi au lundi matin, ils ne peuvent ni entrer ni sortir, quelle que soit la raison.250
6.2 Dans la continuité des aires d’accueil offrant des conditions de vie misérables :les nouvelles propositions
La majorité des communes ne procède tout simplement pas à la construction d’aires d’accueil sur leur territoire, et ce en dépit des obligations imposées par la loi Besson. Le délai additionnel de deux ans qui a récemment été accordé aux communes pour se mettre en règle a salué leur inaction.251 Le manque de propositions renforce inévitablement le statu quo et, de ce fait, de nombreux tsiganes et voyageurs ne peu­vent trouver d’endroit où s’arrêter. De plus, leur situation promet de devenir encore plus précaire, alors que se maintiennent les tensions entre les tsiganes et les autres résidents des communes, ces dernières appliquant la loi pour la Sécurité intérieure.
Certaines communes ont proposé des aires d’accueil. Mais pour la plupart, elles semblent vouloir continuer à renforcer la ségrégation des tsiganes et voyageurs, en les parquant dans des lieux impropres à l’habitation, isolés du reste de la population. Ainsi les sites proposés sont donc : pollués ; sur les lieux d’une ancienne décharge publique ou des lieux où ont été enterrés des produits nocifs ; près de décharges pub­liques, de stations d’épuration ou d’industries dangereuses. Ces sites sont également systématiquement placés loin des centre villes, parfois dans le but que les résidents de l’aire d’accueil utilisent les services de la commune voisine plutôt que ceux de celle où ils résident effectivement.
Dans les Bouches-du-Rhône, le schéma départemental signé le 1er mars 2002 prévoyait que les communes aient deux ans pour mettre en place des aires d’accueil (donc
250 Entretien de l’ERRC ivec M. Nounoune A., le 6 novembre 2004, à Orsay. De telles pratiques empiè­tent de manière disproportionnée sur le droit des tsiganes à la non -ingérence dans leur vie privée et familiale, ainsi qu’il est garanti par l’article 8 de l’ECHR.
251 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 Relative aux Libertés et responsabilités locales J.O n° 190 du 17 août 2004, Article 201. 147 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
jusqu’au 1er mars 2004). Lorsque, en mai 2004, l’ ERRC a visité le département, aucune nouvelle aire d’accueil n’avait encore été établie. En fait, des problèmes rencontrés avec des aires d’accueil plus anciennes et toujours en activité ont réduit les places disponi­bles.252 Le sous-préfet des Bouches-du-Rhône, M. Gérard Péhaut, a expliqué à l’ERRC :
… il y a 150 places dans le département,253 en fait 140, quasiment occu­pées à 100% du temps par semi-sédentaires... Aujourd’hui les gens n’ont pas d’aires de stationnement. Le vrai sujet c’est la volonté des communes à s’engager dans ces projets. Elles attendent qu’on impose. Les maires ne veulent pas assumer la responsabilité politique de la construction de l’aire. Il y a aussi un vrai problème foncier. Les quelques terrains qui sont dis­ponibles sont en zone inondable, zone Seveso ou inaccessibles. La plupart des communes n’ont même pas fait de propositions… J’ai demandé à la DDE de faire des recherches, je demande aux maires de venir et je leur montre : là, là, là… et il a toujours des raisons pour ne pas faire.
Dans les Bouches-du-Rhône, je ne vais pas refuser la proposition d’un maire… Le maire est élu – les gens du voyage ne sont pas électeurs. Tous les autres voteront contre le maire... Ici c’est difficile de refuser un projet. J’en ai refusé plein – soit en zone inondable ; soit en zone Seveso, soit entre déchetterie et lignes SNCF.254
M. Péhaut a reçu une proposition de la station balnéaire de La Ciotat, qu’il a acceptée. Il a expliqué à l’ERRC qu’il souhaitait qu’elle serve d’exemple. Mais il a expliqué que le site présentait trois handicaps : il était occupé par une casse, et de ce fait des milliers de carcasses de voiture encombraient le site ; le site avait précé­demment été une carrière et de ce fait, était pollué ; enfin, il se trouve dans un virage serré ce qui le rend dangereux. « Voilà le site qui m’a été soumis », a expliqué M. Péhaut, « Mais c’est à La Ciotat, où la pression immobilière est considérable... Aussi ai-je dit : c’est d’accord monsieur le maire, mais vous devez nettoyer le site et faire d’importants travaux de manière à améliorer l’accès au lieu par la route. »
252 Association Rencontres Tsiganes. Dossier Presse. 16 mars 2004.
253 Il faut noter que selon le plan départemental des Bouches-du-Rhône du 1er mars 2002, entre 1070 et 1470 places sont requisees dans le département.
254 Entretien de l’ERRC avec M. Gérard Pehaut, le 7 mai 2004, à Marseille. 148 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Avec le report de deux années supplémentaires de la date limite, il est peu probable que la moindre aire d’accueil ne voie le jour prochainement dans les Bouches du Rhône.
De même, au moment où nous écrivons, dans les huit départements d’Ile-de-France (Paris et départements avoisinants), les aires d’accueil ayant été créées depuis la loi Besson se comptent sur les doigts d’une main. On ne totalise que 126 places : Osny et Jouy-le-Moutier255 (Val d’Oise) offrent 26 places, Les Ulis et Montgeron (Essonne) respectivement 40 et 20 places, Lieusaint256 (Seine-et-Marne) offrant 40 places. D’après les différents schémas départementaux, l’Ile-de-France aurait besoin d’un total de 5 721 places. Or, parmi ces schémas départementaux, certains (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val d’Oise), ont déjà réduit le nombre de places néces­saires évaluées, de manière à ne pas trop mécontenter les électeurs. De fait, dès le début, ces départements ont eu l’intention de créer moins de places que nécessaire, ce qui laissera un certain nombre de gens sans lieu où s’arrêter.
L’aire d’accueil créée aux Ulis est aussi loin que possible du centre de la com­mune. Elle est séparée de la ville par le périphérique, bordée par des champs et le cimetière. Les cendres du crématorium retombent sur les caravanes lorsque le vent souffle dans leur direction. L’aire d’accueil ressemble à une grande aire de parking sans arbres ni verdure. Il y a des toilettes individuelles, mais les douches, disposées à l’entrée des lieux sont collectives. M. François Lacroix, directeur de l’AGDV, nous a dit : « Comment est-il possible de faire mieux pour les morts que pour les vivants ? » Comparativement, le cimetière proche, aux espaces verts soigneusement aménagés, et bien plus engageant que l’aire d’accueil des voyageurs. De même, la seconde aire d’accueil, créée par l’Essonne à Montgeron, se trouve également aux confins de la commune. Cette aire d’accueil se trouve derrière un collège et un complexe sportif, isolée des autres habitants de la commune. Elle ressemble elle aussi à une aire de parking. Toutefois, les toilettes comme les douches y sont individuelles. Un groupe de familles installées par ici depuis plus de trente ans vivaient là en octobre 2004.257
255 Cette aire d’accueil avait été prévue bien avant l’entrée en vigueur de la loi Besson.
256 Elle a été réservée par le préfet pour les migrants roms arrivés d’Europe de l’Est ces dix ou quinze der­nières années, et ayant besoin de logements étant donné qu’ils vivent dans des conditions indécentes et dans des campements improvisés et illégaux. De telles personnes, qui recherchent un logement perma­nent plutôt que temporaire, n’étaient pas incluses dans l’évaluation des besoins sur laquelle se fonde le plan départemental. Cette situation a causé des frictions entre les roms nouvellement arrivés et les autres tsiganes qui sont citoyens français et qui pensaient que cette aire d’accueil leur serait ouverte.
257 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Francois Lacroix, le 13 octobre 2004 à Paris.149 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Quant à Jouy-le-Moutier, l’aire d’accueil se trouve apparemment entre le bois du Merisier et la brigade de gendarmerie. Le temps de séjour maximum autorisé sur cette aire est de 2 mois. Les lieux sont circonscrits par du fil de fer barbelé et des remblais de terre. Enfin, l’aire d’Osny se trouve entre une prison et un centre commercial.
Dans le Rhône cette fois, le schéma départemental approuvé le 22 avril 2003 prévoyait la création de 705 places réparties sur 41 aires d’accueil. Les communes étaient censées avoir créé ces aires d’accueil d’ici avril 2005. Toutefois, avec les extensions accordées par la loi relative aux Libertés et responsabilités locales, elles bénéficient d’un délai jusqu’en avril 2007. 390 de ces places doivent être créées dans le Grand Lyon, reparties sur 23 aires d’accueil.258 En janvier 2005, une seule aire d’accueil avait été créée : à Givors.259 Les aires d’accueil qui existaient déjà sont à Saint-Priest, Pierre Bénite, Chassieux, Feyzin/Saint-Fons, Vénissieux, Meyzieu, Lyon, Villeurbanne, Saint-Genis-Laval, Brignais et Rillieux-la-Pape. Toutefois, ceux qui résident dans ces lieux sont sédentarisés et ces lieux ne sont de toute façon pas aux normes . Ces aires d’accueil, anciennes, ne suffisent plus…
Cela étant, d’après M. Henri Lacroix, de la Communauté urbaine du Grand Lyon,260 les choses se sont incroyablement améliorées depuis le printemps 2004. Les communes émettent aujourd’hui des propositions acceptables.261 D’après d’autres sources officielles,262 fin janvier 2005, 13 communes avaient soumis des propositions jugées acceptables. Néanmoins, tous les sites proposés isolaient les futurs résidents des autres habitants de la commune. Les rares sites ayant des services urbains à prox­imité sont proches de ceux de communes voisines de celle créant l’aire d’accueil.263 M. Lacroix a également appris à l’ERRC que la commune de Feyzin négociait avec la ville voisine de Saint-Fons afin d’installer une aire d’accueil de 15 places sur le
258 Préfecture du Rhône. Schéma Départemental d’Accueil des Gens du Voyage du Rhône. Avril 2003, p. 10.
259 Les communes de Rilleux-la-Pape et Chaponnost ont mis à disposition des lieux d’accueil temporai­res pour que les voyageurs puissent faire halte durant les périodes intérimaires.
260 M. Lacroix est attaché à la Délégation Générale du Développement Urbain.
261 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Henri Lacroix, le 25 janvier 2005, à Paris.
262 L’identité de cette source n’est pas révélée du fait de son désir d’anonymat.
263 Entretien téléphonique de l’ERRC avec une source anonyme, le 25 janvier 2005, à Paris.150 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
territoire de cette dernière. Au titre de la loi Borloo, Saint-Fons est déchargée de l’obligation de créer une aire d’accueil de 15 places.264
Ce manque d’aires d’accueil appropriées crée une situation intolérable pour les tsiga­nes et voyageurs vivant aujourd’hui en France. Ils se retrouvent pourchassés de commune en commune, ne pouvant faire halte nulle part, a fortiori dans des conditions décentes. Dans le même temps, l’opinion publique devient de plus en plus raciste, encouragée en cela par les autorités locales qui ne veulent pas des tsiganes et voyageurs sur le territoire de leur commune, donc pas d’aire d’accueil. De plus, l’opinion a en général l’impression que ces « endroits sont créés pour les gens du voyage » et que, du coup, les caravanes « envahissent illégalement » leur ville…
Même si – ce qui est peu probable – une majorité de communes en France créai­ent les aires d’accueil requises selon le schéma départemental, les voyageurs et tsi­ganes feraient toujours l’objet de graves violations des droits de l’homme relatives à leur liberté de circulation et leur conditions de vie.
Outre le fait d’être forcés de résider dans des espaces qui leurs sont désignés, sou­vent dans des conditions indécentes, les voyageurs ont peur qu’il y ait au final trop peu d’aires d’accueil. Les schémas départementaux sous-estiment en effet le nombre de places nécessaires. De fait, à tout moment, un certain nombre de tsiganes et de voyageurs risquent de ne pouvoir trouver de places où stationner légalement, car toutes les aires d’accueil seront pleines. L’association non gouvernementale Goutte d’Eau a informé l’ERRC du fait que de nombreuses associations qui ont analysé l’ensemble des schémas départementaux estiment que le nombre de places projetées ne représente que 60 à 80 % des besoins réels.265 Ceci signifie qu’il y aura toujours de 20 à 40% des gens du voyage qui seront dans l’incapacité de trouver une place dans une aire d’accueil officielle.
Les implications de ce manque de places sont dramatiques en raison des mesures draconiennes mises en place par la loi pour la Sécurité intérieure en cas de « stationne­ment illégal ». Ainsi, en plus d’être sujets à des expulsions forcées, ces personnes ne pouvant trouver de places dans les aires d’accueil officielles sont passible de sanctions pénales importantes : six mois de prison, une amende de 3 750 euros, la suspension du
264 Entretien de l’ERRC avec M. Henri Lacroix, le 23 mars 2004, à Lyon.
265 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Lievy, le 7 mars 2004, à Toulouse. 151 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
permis de conduire et la confiscation des véhicules utilisés dans le cadre du station­nement illégal.266
De plus, étant donné que tsiganes et voyageurs sont peu consultés au sujet de leurs besoins, la plupart des aires d’accueil ne pourront répondre de manière appro­priée aux attentes des familles en matière de droits et de logement.267
Trop souvent, les besoins des tsiganes et voyageurs sont abordés au travers des stéréo­types de nomade et de sédentaire, ce qui ne reflète pas la réalité : en fait, de nombreuses familles alternent entre des périodes de nomadisme et des périodes sédentaires en fonc­tion de facteurs familiaux, religieux et économiques. Ceci signifie que pour beaucoup, les aires d’accueil de courts séjours sont une réponse ni suffisante ni appropriée. D’autres op­tions, telles que la possibilité d’acquérir des terrains familiaux, doivent être envisagées.268
266 Article 53(1) et Article 53(2), de la loi pour la Sécurité intérieure.
267 Le Chapitre III de ce rapport détaille de manière précise le manque de consultation et de participa­tion des tsiganes et des voyageurs dans le cadre des évaluations de besoins qui sont à la source des schémas départementaux, ainsi que leurs voix marginales dans le cadre de la Commission Départe­mentale Consultative des Gens du Voyage établie dans chaque département et impliquée dans la mise en oeuvre des schémas départementaux. La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe prévoit que : « Les Etats membres devraient, s’il y a lieu, donner aux communautés et aux organisations Roms les moyens de participer au processus de conception, d’élaboration, de mise en oeuvre et de suivi des politiques et des programmes visant à améliorer leur situation en matière de logement. » (paragraphe 6). Elle recommande ensuite que les Etats membres « devraient encourager et promouvoir plus largement la responsabilisation et le développement des capacités au sein des communautés roms en encourageant les partenariats à tous les niveaux – local, régional et national, selon les cas – dans le cadre de leurs politiques visant à régler les problèmes de logement rencontrés par les Roms ». (paragraphe 7) De plus la recommandation stipule que « les Etats membres devraient veiller à ce qu’une bonne coordination soit assurée dans le domaine du logement entre, d’une part, les autorités nationales, régionales et locales compétentes et, d’autre part, les populations et organisations roms majoritaires et actives dans ce secteur. » (paragraphe 8) Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe.
268 Ce sont des sites sur lesquels les familles ont la possibilité d’acheter ou de louer une parcelle de terrain pour y vivre avec d’autres membres de leur famille ou des personnes de leur choix aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Ce qui signifie que si toutes les personnes vivant sur ce site familial décident de partir pour un certain temps, d’autres personnes ne viendront pas occuper les lieux à leur place comme c’est le cas pour d’autres personnes vivant dans des appartements qu’ils louent ou dont ils sont propriétaires. 152 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Ceci est vrai aussi pour les tsiganes et voyageurs qui séjournent pendant de longues péri­odes dans une aire géographique spécifique et souhaitent avoir un site familial leur serv­ant de base, plutôt que de devoir se déplacer constamment d’une aire d’accueil officielle à une autre. Un grand nombre de tsiganes et voyageurs ont fait part à l’ERRC de leur désir d’avoir de tels sites familiaux. Comme tous les autres citoyens, ils désirent avoir un endroit à eux, ainsi que la liberté d’entrer et sortir de ce lieu comme bon leur semble sans s’inquiéter de retrouver un autre lieu où séjourner, une fois cet endroit délaissé. Ils ont également souligné qu’ils ne voulaient pas être cantonnés aux aires d’accueil officielles. Même si celles-ci répondent aux besoins d’un certain nombre de tsiganes et voyageurs, elles ne sont qu’une réponse partielle.
De plus, les règlements et le design des aires d’accueil ont en général très peu pris en compte les besoins des familles.
Par exemple, les besoins des familles varient en fonction du temps. Celles-ci doivent rester en un endroit précis du fait de la scolarisation des enfants, d’un emploi ou pour des raisons médicales, par exemple… Toutefois les aires d’accueil tendent à avoir des durées de séjour (plus ou moins longues selon les aires d’accueil) aussi fixes qu’inflexibles. Au bout d’un temps donné, les familles sont mises dehors. Du coup, celles-ci peuvent par exemple être expulsées au bout de deux mois de séjour alors même que les enfants ont commencé à aller dans une école où ils se plaisent… Ou alors, ils courent le risque d’être expulsés avant la fin de leur contrat de travail qu’ils honorent dans le voisinage de l’aire d’accueil en question. De même, ils peuvent être mis à la porte d’un lieu où ils désirent rester car il est à proximité de l’hôpital ou de la clinique dans lequel un membre de la famille est pris en charge pour des soins de longue durée.
Une autre de ses situations non prise en compte est celle des tsiganes et voy­ageurs qui vivent de la récupération des métaux. Un grand nombre d’aires d’accueil interdit tout simplement ce genre d’activités pour des raisons de santé. Toutefois, aucune alternative satisfaisante comme l’installation d’ateliers et d’aires de stockage à proximité des aires d’accueil n’a été mise en place. Ceci place les familles devant un choix cornélien pour éviter les sanctions : ne pas résider dans ces aires d’accueil (et donc être sujets à des amendes) ou abandonner leur source de revenus.
La majorité des tsiganes et voyageurs avec lesquels l’ERRC a eu l’occasion de discuter a expliqué avec angoisse qu’ils allaient être obligés d’arrêter quasi-totale­ment de voyager (que ce soit pour de courtes ou de longues périodes). Le manque de 153 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
lieux où stationner, les règlements et les conditions sur les aires d’accueil et la crainte de ne pas trouver de places disponibles dès qu’ils prennent la route sont trois facteurs qui menacent leur mode de vie nomade.
Le voyageur Alexis Mignot a ainsi résumé la situation : « Le manque de places entraîne une interdiction du voyage. Lorsque nous ne sommes pas sûr de trouver un endroit où garer notre caravane, on ne voyage plus du tout. »269
6.3 Les tsiganes et les gens du voyage se voient refuser l’approvisionnement en eau et électricité, le raccordement au tout-à-l’égout ainsi que l’accès à d’autres infrastructures de base, même sur les terrains dont ils sont propriétaires
Au fil de ses recherches, l’ERRC a rencontré des familles vivant sur des ter­rains sans eau, électricité ni raccordement à l’égout, et ce dans plus de 25 villes dif­férentes. L’ERRC a été également informé de bien d’autres cas similaires. Il s’agit là, à l’évidence, d’un problème très répandu affectant sans doute plusieurs milliers de familles de tsiganes et voyageurs à travers le pays.270
Dans les cas sur lesquels l’ERRC a enquêté, les familles se voyaient générale­ment refuser l’accès au réseau d’eau ou d’électricité local du fait que le terrain qu’ils occupent n’est pas en zone constructible. Il semble que les familles vivant dans leurs caravanes sur des zones non constructibles soient à la merci du bon vouloir des au­torités locales. Dans certaines communes, les familles n’ont connu aucune difficulté pour accéder à ces infrastructures élémentaires. Toutefois, dans d’autres cas, l’accès
269 Entretien de l’ERRC avec M. Alexis Mignot le 6 novembre 2004 à Orsay.
270 Le refus intentionnel d’accorder l’accès à l’eau potable et au réseau électrique constitue, inter alia, une infraction au droit à un logement suffisant et au droit à la santé tels que définis respectivement par les articles 11 et 12 du CIDESC. Considérant que l’accès à l’eau potable et au réseau électrique (utilisé pour des besoins élémentaires tels que le chauffage, l’éclairage, la cuisine et la conservation des aliments) est internationalement reconnu comme étant une composante nécessaire du droit à un logement suffisant, un refus intentionnel constitue une violation de l’article 11 et par conséquent de l’article 12. Cf. Comité pour les Droits Économiques, Sociaux et Culturels, Général Recommandation 4, Droit à un Logement Suffisant, (Sixième session, 1991), dans « Récapitulation des observations générales ou recommanda­tions générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme », HRI/GEN/1/Rev.5, 26 avril 2001, p. 20, sur le site : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf.154 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
à ces infrastructures leur est refusé même lorsqu’il s’agit de familles avec enfants ou avec des personnes gravement malades dont le traitement médical nécessite un ap­provisionnement en eau et électricité.271
La Recommandation Générale no. 15 va plus loin et définit expressément l’accès à l’eau potable comme l’un des droits de l’homme, obligeant ainsi les signataires à ne pas bloquer directement ou indirectement l’accès à l’eau potable. Il est clairement indiqué que : « L’eau, les installations et les services doivent être accessibles à tous, en particulier aux couches de la population les plus vulnérables ou marginal­isées, en droit et en fait, sans discrimination fondée sur l’un quelconque des motifs proscrits. » D’après le principe de non-discrimination, le Comité a déclaré que : « même si chacun a droit à l’eau, les États parties devraient prêter une attention spéciale aux particuliers et aux groupes qui ont traditionnellement des difficultés à exercer ce droit, notamment les femmes, les enfants, les groupes minoritaires, (…). » Le comité a finalement souligné que : « l’eau est nécessaire à des fins diverses, outre les usages person­nels et domestiques, pour la réalisation de nombreux droits énoncés dans le Pacte, par exemple, pour la production alimentaire (droit à une nourriture suffisante) et pour l’hygiène du milieu (droit à la santé) ; elle est essentielle pour obtenir des moyens de subsistance (droit de gagner sa vie par le travail) et pour exercer certaines pratiques culturelles (droit de participer à la vie culturelle) ; néanmoins, les ressources en eau doivent être affectées en priorité aux usages personnels et domestiques. »
Cf. Comité pour les Droits Économiques, Sociaux et Culturels, Général Recommandation 4, Droit à un Logement Suffisant, [ibid.].
271 Les maires s’appuient souvent sur l’article L 111-6 du Code de l’urbanisme ou sur leurs pouvoirs de police. Qu’ils aient le droit de le faire quand les familles vivent dans des caravanes ou sur des terrains non constructibles, cela semble peu clair juridiquement au niveau des tribunaux de première instance. Par exemple, Mme Karine Moreau, directrice de l’ASNIT (association nationale et internationale so­ciale tsigane) Bouches-du-Rhône a dit à l’ERRC qu’au vu de l’expérience de l’ASNIT, le tribunal ad­ministratif de Marseille accorde presque toujours le droit à l’eau et à l’électricité, alors que non loin, dans l’Hérault, le tribunal administratif de Montpellier le refuse quasi systématiquement. Cependant, dans un jugement du 6 septembre 2002, le Conseil d’Etat a rappelé que les maires n’ont pas le droit de dénier aux familles une connexion provisoire au réseau d’électricité, même quand celles-ci vivent sur un terrain non-constructible (commune de Marignane, n°243333, 6 septembre 2002, Conseil d’Etat). Dans une décision suivante du 12 décembre 2003, le Conseil d’Etat a confirmé cette jurisprudence en soulignant qu’un maire ne peut refuser une connexion provisoire, que ce soit en vertu de ses pouvoirs de police (selon l’article L 2212-6 du Code général des collectivités territoriales) ou en vertu de l’ar­ticle L 111-6 du Code de l’urbanisme (Tino Cancy, n°257794, Conseil d’Etat, 12 décembre 2003).
Une connexion provisoire implique ce que l’on définit en France comme un « branchement de chan­tier ». Cela implique une installation électrique temporaire, fréquemment définir comme un « comp­teur forain » plutôt qu’une installation à plus long terme, dans un mur par exemple.
D’un autre côté, une autre décision récente du Conseil d’Etat a bien spécifié que les maires peuvent re­fuser une connexion permanente au réseau d’électricité quand les caravanes sont stationnées de manière illégale. Le même raisonnement semble s’appliquer aux connexions à l’eau, au gaz et au téléphone. Voir jurisprudence du Conseil d’Etat, n°266478, 7 juillet 2004.155 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Le cas de la famille Bayer illustre bien la situation. Sandra et Titus Bayer se sont battus pour être raccordés à l’eau et à l’électricité depuis leur installation sur un ter­rain dans la commune de Gouvernes (Seine-et-Marne) en novembre 2000.272
Leur terrain faisait auparavant office de décharge publique locale. La famille a mis quatre mois à le nettoyer et à se débarrasser de piles de sacs poubelles qui l’encombraient. Puis elle y a emménagé avec ses cinq enfants, dans deux caravanes.
Par un décret du 2 février 2001, le maire de Gouvernes, M. Toni Vincent, a rejeté la demande de Mme Sandra Bayer de pouvoir continuer à stationner sur le terrain avec deux caravanes au-delà trois mois. Le maire a fondé son refus sur le fait que la zone en question est une zone protégée (du fait de la présence d’un ruisseau voisin) et que le plan d’occupation des sols ne permettait pas le stationnement de caravanes au-delà de trois mois. Le maire a fait également usage de ses pouvoirs administratifs en ordonnant à la compagnie d’électricité EDF-GDF Services de couper la connexion temporaire existante. Il a également interdit à la Société Française pour la Distribu­tion de l’Eau (SFDE) de connecter ce terrain au réseau d’eau.
En fait, les Bayer ne sont en aucun cas les seuls habitants de cette zone protégée. Gouvernes est petit et leur propriété est au bord du village, à moins de cinq minutes de marche de mairie et de l’école. Il y a des maisons dans le voisinage, dont une a été construite très récemment – avec l’autorisation de la commune – bien plus près du ruisseau que ne l’est le terrain des Bayer.273
M. Vincent a fini par autoriser une connexion provisoire au réseau électrique, de décembre 2001 au 31 mars 2002. Toutefois, il n’a pas voulu que la famille bénéficie de la connexion plus longtemps. Sandra Bayer s’est pourvue en justice devant le Tribunal de grande instance de Meaux, demandant à ce que la connexion au réseau électrique soit maintenue et que son terrain soit raccordé au réseau d’eau courante. Par une déci­sion du 24 avril 2002, le tribunal a ordonné à EDF de maintenir la connexion provisoire jusqu’au 31 juillet 2002. Il a ordonné également à SFDE (Société Française de Distri­bution d’Eau) de raccorder les lieux au réseau d’eau potable dans les 48 heures suivant
272 Ils reçurent ce terrain en avril 1998 via une donation, aussi la commune n’eut pas l’occasion d’utiliser son pouvoir de préemption.
273 Visite de l’ERRC à Gouvernes, le 10 février 2004. 156 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
la publication du jugement. Le tribunal a ordonné que la famille soit approvisionnée en eau jusqu’au 31 juillet 2002.
Dans son ordonnance, la Cour a déclaré :
Il convient de faire droit à ces demandes puisqu’elles ne sont que l’expression du droit inaliénable de la dignité de la personne humaine qui doit pouvoir, quelle que soit sa situation, même illégitime au regard des lois de police, bénéficier à titre provisoire, des commodités et des bienfaits des services publics essentiels à la vie.
Il convient donc d’ordonner à EDF de maintenir le raccordement provisoire réalisé à la suite de l’autorisation de M. le Maire de Gouvernes jusqu’à la fin du mois de juillet 2002, date permettant aux enfants de terminer l’année scolaire et à la demanderesse d’envisager d’autres solutions de logement…
M. Vincent a fait appel de ce jugement, demandant même à ce que Mme Bayer soit condamnée à une amende de 2 000 euros pour procédure abusive. La compag­nie d’électricité EDF-GDF Services, la Compagnie Générale des Eaux et la So­ciété Française pour la Distribution de l’Eau ont fait également appel, demandant l’annulation du jugement.
Le maire a refusé de se soumettre aux décisions du tribunal. Il a pris un nouveau décret le 11 juin 2002, réitérant l’ordre donné à la compagnie d’électricité de couper la connexion provisoire ainsi que celui fait à la compagnie des eaux de ne pas assurer de connexion au réseau d’eau.
En juin 2002, la famille Bayer a manifesté sur l’aire de parking face à la mairie de la ville pour protester contre le refus du maire de se plier aux décisions du tribu­nal. Cette manifestation s’est soldée par un échec. D’après les Bayer, une trentaine d’officiers de police ont été envoyés par ordre du tribunal demandant qu’on les fasse sortir de l’aire de parking. Les Bayer ont alors mis une pancarte sur leur terrain, sig­nifiant que le maire refusait de fournir l’eau et l’électricité à cinq enfants. La famille a reçu un courrier du Service départemental de l’Architecture et du patrimoine de Seine-et-Marne leur ordonnant de retirer cette pancarte pour disharmonie avec l’environnement et nuisant à la qualité de la zone classée.274
274 Lettre du 13 Novembre 2001. 157 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
L’affaire est passée en appel devant la Cour d’appel de Paris le 30 octobre 2002. La commune et les compagnies des eaux et de l’électricité ont gagné l’appel. La Cour a jugé que les connexions aux réseaux d’eau et d’électricité tombaient sous le coup de l’article L. 111-6 du Code de l’Urbanisme, lequel interdit ces connexions lorsque les constructions ou les habitants ne sont pas en règle. En plus de se voir refusé l’approvisionnement en eau et en électricité, Mme. Bayer a été condamnée à payer 300 euros à ses contradicteurs et les dépenses afférentes aux procédures devant le Tribunal de grande instance et devant la Cour d’appel.275
En même temps qu’elle refusait d’accorder le raccordement à l’eau et à l’électricité aux Bayer, la commune de Gouvernes a dénié aux Bayer un certain nombre d’autres droits et engagé des procédures afin de les chasser de leur terrain. Les Bayer ont dû se battre pour pouvoir inscrire leurs enfants à l’école et ont dû aller devant les tribunaux pour pouvoir être inscrits sur les listes électorales. La commune a également engagé des procédures pénales contre Sandra Bayer pour infraction à la réglementation rela­tive à l’urbanisme. Celle-ci a été accusée de stationner deux caravanes pendant plus de trois mois par an sur son terrain, ce qui constitue une infraction au plan d’occupation des sols. La commune a engagé aussi une procédure pénale contre les voisins immédi­ats des Bayer, les seuls autres tsiganes de la ville vivant dans une caravane… et vivant sur leur terrain depuis 1945. En juillet 2003, les Bayer ont perdu ce nouveau procès devant le Tribunal de grande instance et ont été condamnés à une amende de 1 500 eu­ros avec sursis. Ils se sont vu sommer de retirer leurs caravanes des lieux et de remettre les lieux dans leur état initial ; les Bayer avaient en effet couvert une partie du terrain avec des graviers. La décision du tribunal a prévu également que si, 45 jours après la publication de l’ordonnance, les Bayer ne se sont pas pliés aux décisions du tribunal, ils doivent payer une amende de 50 euros par jour à la commune pour chaque jour où il restent sur le terrain. Si, 30 jours plus tard, ils ne se sont toujours pas pliés aux décisions du tribunal l’amende passe à 100 euros par jour. Les Bayer ont fait appel.276
Lorsque l’ERRC a rencontré pour la première fois les Bayer en février 2004, ils étaient extrêmement anxieux. Ils étaient restés sur leur terrain étant donné que c’était là leur foyer, qu’ils n’avaient aucun autre endroit où aller et que leurs enfants allaient à l’école locale. Ils attendaient que leur affaire passe en appel. Toutefois, pendant ce
275 Décision de la Cour d’Appel de Paris, Commune de Gouvernes contre Bayer, 14ème chambre, section A, 30 octobre 2002.
276 Décision du Tribunal de Grande Instance de Meaux, 3ème chambre, 11 juillet 2003. 158 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
temps, chaque jour passé sur leur terrain signifiait une amende de 100€/jour. Ils ont dit à l’ERRC que si leur affaire était perdue en appel, ils savaient qu’ils ne pourraient pas payer et n’avaient aucune idée de ce qu’ils feraient dans ce cas. Titus ne pouvait plus ni manger ni dormir. Sandra était allée plusieurs fois à l’hôpital pour des douleurs au ven­tre, mais les docteurs n’ont rien trouvé de précis. Des calmants lui ont été prescrits.277
Le 26 avril 2004, la Cour d’Appel de Paris a déclaré Sandra coupable des charges retenues contre elle mais a estimé que l’amende de 1 500 euros avec sursis constit­uait une sanction suffisante compte tenu de la situation personnelle de Sandra Bayer. Les Bayer ont donc pu rester sur leur terrain.278
Toutefois cette décision n’a pas mis un point final à la longue bataille que les Bayer avaient engagé afin de pouvoir être raccordés aux réseaux d’eau. Etant donné que le tribunal leur donne le droit de continuer à vivre sur leur terrain, leur avocat a continué à demander à la commune d’autoriser leur raccordement aux réseaux d’eau. L’avocat de la ville n’a pas répondu à ce courrier...
Les Bayer ont dû alors engager une procédure afin d’essayer, une fois encore, d’obtenir l’eau. Lors d’un entretien le 14 septembre 2004, Sandra Bayer a dit à l’ERRC : « Nous devons encore trouver 1 500 euros pour aller au tribunal. Je ne sais pas où on va les pêcher – dans la rivière peut-être ? Nous avons déjà dû emprunter de l’argent aux membres de notre famille afin de pouvoir payer les différents procès. Ça fait quatre ans que ça dure. Nous ne sommes pas des mendiants. Si nous n’avions pas ça sur le dos, nous pourrions vivre normalement. »279
Lors d’une procédure en référé,280 les Bayer demandèrent que le tribunal or­donne au maire de Gouvernes de donner les autorisations nécessaires afin d’être approvisionnés en eau potable dans les cinq jours.281 Le Tribunal administratif de
277 Entretien de l’ERRC avec Sandra et Titus Bayer, le 10 février 2004, à Gouvernes.
278 Décision de la Cour d’Appel de Paris, 13ème chambre, section A, 26 avril 2004.
279 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Sandra et Titus Bayer, le 14 septembre 2004 à Paris.
280 Une procédure rapide devant les tribunaux fondée sur l’urgence de la question.
281 L’avocat des Bayer, Maître Henri Gerphagnon, a plaidé le fait que le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 257794 du 12 décembre 2003 avait statué que le Maire d’une commune n’avait pas le pouvoir de s’opposer à une connexion provisoire au réseau électrique, que ceci soit fondé sur ses pouvoirs de police159 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Melun n’a pas tranché en leur faveur, rejetant la requête au motif que les conditions d’urgence requises pour un jugement en référé n’étaient pas réunies. Dans sa déci­sion, le Tribunal a estimé qu’étant donné la décision de la Cour d’appel du 26 avril 2004, Mme Bayer était coupable d’infraction aux réglementations urbaines. Pour le tribunal, « elle n’est pas fondée à soutenir que l’intérêt qui s’attache au raccorde­ment au réseau d’eau potable l’emporte sur la défense des règles d’urbanisme et des considérations liées à la protection de l’environnement ; que, par suite, la condition d’urgence prévue par les dispositions susmentionnées n’étant pas remplie... » Le Tri­bunal a condamné les Bayer à payer 1 000 euros à la commune de Gouvernes en paie­ment des frais engagés pour la procédure. Le tribunal administratif de Melun continue à être saisi d’une plainte qu’il devrait examiner mi 2005. Toutefois les Bayer ont expliqué à l’ERRC qu’ils n’étaient pas certains de pouvoir continuer la procédure engagée faute de fonds nécessaires pour payer les coûts engendrés par les diverses affaires.282
Les Bayer ont été raccordés à l’électricité début 2003. Le maire de Gouvernes a apparemment été d’accord pour les raccorder, pourvu qu’ils renoncent à la publica­tion d’un article dans la presse locale décrivant leurs inhumaines conditions de vie et l’effet sérieux de celles-ci sur la santé de leur fille. Cependant, dans le même temps, les Bayer ont continué à vivre sans eau potable.
Titus Bayer a témoigné ainsi devant l’ERRC : « Nous devons partir avec le camion chercher de l’eau que nous prenons des bornes incendies de la place du marché afin de pouvoir nous doucher, comme des voleurs. Tous les jours je dois aller chercher de l’eau. Et ils nous disent : vous volez de l’eau… » On ne demande que le minimum vital. Nous vivons dans 10 à 15 mètres carrés. Tout ce qu’on veut, c’est pouvoir vivre sur notre propre terrain dans des conditions de vie décentes. »283
généraux ou sur ceux prévus par l’article L111-6 du Code de l’urbanisme. Il a noté que bien que cette décision concerne une connexion provisoire au réseau électrique, elle pouvait être transposée dans le cadre du litige concernant le raccord au réseau d’eau potable. Il a aussi plaidé que l’opposition du maire au raccord de la famille au réseau d’eau potable constituait une infraction à l’article 8 de la CEDH, le droit à la non-ingérence dans la vie privée et familiale. De plus, il a plaidé que le Code français de l’environnement stipulait dans son article L210-1 que l’utilisation de l’eau appartenait à tous.
282 Mi-août 2005, l’affaire n’était pas encore entendu. Entretien téléphonique de l’ERRC avec Sandra et Titus Bayer, le 19 décembre 2004, à Paris.
283 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Titus Bayer, le 14 septembre 2004, à Paris.160 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
L’ERRC a fait plusieurs tentatives afin d’obtenir un entretien avec M. Toni Vincent, le maire de Gouvernes, afin de discuter avec lui de la situation des Bayer. Sans succès…
Une autre affaire illustre bien ces problèmes. Mme J. Winterstein a acheté un ter­rain en 1990 dans la commune d’Isle- Saint-Georges, une petite ville près de Bordeaux. Elle y vit avec son mari dans une caravane. Le couple a également bâti un petit bun­galow qui leur sert de cuisine et de salon. Durant leur première année de résidence, les Winterstein étaient connectés au réseau électrique. Toutefois ceci leur fut par la suite refusé au motif qu’ils se trouvaient en zone inondable. Ils vivent désormais sur le ter­rain depuis 13 ans, sans eau ni électricité. Aujourd’hui, la situation est devenue critique étant donné que M. Winterstein est gravement malade. Il a besoin d’électricité pour sa chimiothérapie. Les Winterstein ont expliqué à l’ERRC qu’ils avaient tenté d’obtenir un rendez-vous avec le maire mais que celui-ci refusait de les recevoir.284
Les Winterstein ne sont pas la seule famille de la ville d’ Isle Saint-Georges vivant en zone inondable. En fait, d’après M. Jean-André Lemire, le maire de la ville, l’ensemble du village se trouve en zone inondable. Toutefois, les autres villageois vivent dans des maisons raccordées à l’eau courante et l’électricité. M. Lemire a ex­pliqué à l’ERRC : « Le problème est pour moi le suivant : si j’accepte qu’ils soient connectés au réseau électrique, cela veut dire que j’accepte qu’ils vivent là. Mais, étant donné qu’il s’agit d’une zone inondable, on considère qu’ils ne peuvent pas vivre là. » En ce qui concerne les autres maisons du village, le maire a expliqué que leurs habitants pouvaient monter à l’étage en cas d’inondations. Il a ajouté qu’il « ne pouvait rien faire à propos de ce qui avait été fait avant qu’il ne devienne maire. »285 Sept nouvelles maisons ont été récemment construites dans le village. Toutefois le Maire a expliqué qu’il s’agissait des seules nouvelles constructions en huit ans et que, de plus, elles étaient construites sur pilotis : ainsi, l’eau peut passer sous elles en cas d’inondation. M. M. Winterstein a dit à l’ERRC qu’il avait proposé de surélever sa caravane de 3 mètres, lui aussi, mais que sa proposition n’avait pas été acceptée.
Quant à l’urgence de la situation vu l’état de santé de M. Winterstein, M. Lemire a déclaré à l’ERRC : « Ils ont une belle voiture. Il y a d’autres lieux dans le département où ils pourraient acheter un terrain. Toutefois ils sont connectés au réseau électrique de leurs voisins. J’en suis sûr. Lors de la dernière coupure de courant, je me suis retrouvé
284 Entretien de l’ERRC avec Mme J. Winterstein and M. M. Winterstein le 04 mars 2004.
285 M. Lemire est maire de d’Isle-Saint-Georges depuis juin 1995. 161 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
par hasard, marchant dans la rue, passer devant la maison. J’ai regardé et j’ai vu toutes les caravanes s’allumer puis s’éteindre. J’ai alors réalisé qu’ils avaient réussi à se connecter au réseau électrique. Aussi, d’un point de vue humain, je sais qu’ils ont de l’électricité. »286 Le Maire a répondu de manière similaire à une lettre d’un collectif d’associations travail­lant à améliorer les conditions de vie des tsiganes287 et demandant à ce que, par compas­sion, les Winterstein soient connectés aux infrastructures locales.
L’ERRC a également discuté du cas des Winterstein à l’Isle Saint-Georges avec M. Paul Buchou, Directeur du développement des projets gouvernementaux de la Préfecture de Gironde. Il a commenté : « On ne peut pas accorder aux gens du voyage ce que l’on n’accorde pas aux gens normaux. La loi doit être la même pour tous… Il y a des règles. Si quelqu’un achète un terrain donné, il ne peut pas en faire ce qu’il veut. Au nom de quoi autoriserions-nous aux gens du voyage ce que nous n’autorisons à personne d’autre ? Il y a le principe d’égalité devant la loi. Ils ont un problème d’incompréhension des lois. Dans leur culture, quand ils achètent quelque chose, ils croient qu’ils peuvent garer leur caravane et faire comme bon leur sem­ble. Mais il y a le plan d’occupation des sols. Ils ne reconnaissent pas ça. »288 Cette réponse est un cas typique de la position de nombre d’autorités concernant leur refus d’accorder l’accès aux infrastructures élémentaires aux voyageurs installés sur des terrains sur lesquels les constructions résidentielles ne sont pas autorisées.289
286 Entretien de l’ERRC avec M. Lemire, le 4 mars 2004, à Isle Saint-Georges.
287 Ceci est un collectif d’associations tsiganes ou d’organisations travaillant avec les tsiganes qui visent à contribuer à l’amélioration des conditions de vie des tsiganes.
288 Entretien de l’ERRC avec M. Paul Buchou, le 4 mars 2004, à Bordeaux.
289 Dans son opinion dissidente dans l’affaire Buckley contre le Royaume, le Juge Lohmus s’est directement attaqué à un argument présenté par les autorités britanniques dans cette affaire impliquant également une famille tsigane. Il a déclaré que : « la vie en caravanes et le voyage sont des composantes essentielles de l’héritage culturel des tsiganes et de leur mode de vie traditionnel. Il importe selon moi de tenir compte de ce facteur pour déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre les droits d’une famille tsigane et l’in­térêt de la communauté. Dans sa résolution (75) 13, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a fait état de la nécessité de sauvegarder l’héritage culturel et l’identité des nomades. On a dit que la requérante, en tant que tsigane, a les mêmes droits et devoirs que tous les autres membres de la communauté. Je pense qu’il s’agit d’une simplification excessive de la question des droits des minorités. Pour empêcher toute discrimination à l’égard des membres d’une minorité, il peut être insuffisant de leur assurer l’égalité devant la loi. Pour qu’il y ait égalité en pratique, il peut se révéler nécessaire de leur réserver un traitement différent afin de protéger leur héritage culturel spécifique. » Buckley c.Royaume-Uni, Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 26 août 1996, numéro de requête 23/1995/529/615. 162
Caravane garée près d’une clôture de tôle ondulée bricolée, au « Clos de la Pionne » à Avignon. Les résidents de ce bidonville ont érigé cette clôture pour empêcher les enfants de tomber des berges escarpées dans un courant où passent les eaux d’épuration.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO163 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Ce que ces réponses ignorent, toutefois, c’est que bien souvent, le fait que tsiganes ou voyageurs achètent des terrains non constructibles n’est en grande partie qu’une conséquence du racisme et des discriminations dont ils sont systématiquement les victimes en France. Ces réponses ignorent le fait qu’il n’y a quasiment aucun endroit sur le territoire français où des zones soient prévues pour que des individus puissent y résider dans des caravanes. Ces réponses ignorent les réelles difficultés rencontrées par les voyageurs et tsiganes lorsqu’ils tentent de trouver le moindre terrain à acheter du fait des préemptions. Elles ignorent le fait qu’il est quasiment impossible pour les voyageurs d’obtenir des prêts et qu’ils doivent donc payer cash ce qu’ils achètent. Elles ignorent les difficultés croissantes rencontrées par les tsiganes pour trouver du travail, du fait des problèmes pour trouver des lieux où stationner et du fait de régle­mentations portant sur le type de commerce que nombre d’entre eux pratique. Elles ignorant aussi que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres segments de la société, tsiganes et voyageurs sont systématiquement mis à l’écart du large spectre de mesures gouvernementales censées assister les plus pauvres et les plus marginalisés en les aid­ant à acquérir un logement décent. Enfin, elles ignorent le fait que pour les tsiganes et voyageurs, il n’y a généralement pas d’autre choix que circuler, stationner sur des aires spéciales ou acheter un terrain. La location n’est par exemple pas possible…
L’ERRC a demandé aux familles qu’elle a rencontré pourquoi elles avaient acheté des terrains non constructibles. Mme Sandra Bayer a répété à l’ERRC ce que d’autres avaient déjà dit : « Nous n’avons tout simplement pas les moyens d’acheter un terrain en zone constructible. Si nous en avions les moyens nous n’achèterions sû­rement pas un terrain aux limites du village, aux limites de la société. Nous n’avons pas de propriété – nous avons une caravane. Et nous galérons déjà pour rembourser le crédit de cette caravane. »290 La question des ressources se pose avec bien plus d’acuité pour les voyageurs que pour d’autres citoyens dans une situation socio-économique comparable du fait des difficultés spécifiques que connaissent les voya­geurs pour obtenir un prêt et du fait de leur exclusion des différentes formes d’aides au logement qui pourraient leur faciliter l’achat d’un terrain en zone constructible.
Un autre voyageur, M. Albert Winterstein-Benony, qui, lui aussi n’a pu obtenir son approvisionnement en eau potable sur son terrain d’Hérieux (Isère) du fait d’un refus du maire, a souligné les faits suivants :
290 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Sandra Bayer, le 14 septembre 2004, à Paris. 164 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Bien que le prix soit évidemment un facteur, une autre difficulté réside dans le fait que sur un terrain constructible, vous devez construire. Vous disposez d’une période de cinq ans pour construire. Nous ne savons pas où aller. Si on va sur un terrain constructible, on doit construire et ce n’est pas ce que nous souhaitons. Mais nous n’avons pas le droit d’être sur des terrains non con­structibles non plus. Ils veulent que nous vivions dans les aires qui nous sont réservées. Mais ma famille ne peut pas vivre comme ça, en communauté et dans ces conditions. Nous avons essayé de le faire durant quelque temps à Saint-Priest. Nous y sommes restés trois mois. C’était invivable, être entassé les uns sur les autres, partager les toilettes, la saleté. La douche ne fonction­nait pas… Alors, où pouvons-nous aller ? Nous ne pouvons légalement vivre ni sur un terrain constructible ni sur un terrain non constructible.291
6.4 Conditions de vie en deçà des normes dans les aires de campement permanent
Nombre de tsiganes et de voyageurs pauvres et marginalisés, ceux qui ne peuvent s’offrir leur propre terrain, s’installent dans les seuls endroits où ils peuvent rester sans être chassé par les autorités municipales. Cachés du reste de la population, ces personnes ont vécu pendant des décennies dans des conditions dignes de bidonvilles que l’ERRC a été choqué de découvrir en France. En entrant dans ces lieux, on a l’impression d’entrer dans un autre pays. On a l’impression de pénétrer dans des lieux ayant des standards de vie et des possibilités de développement complètement différents de la normale. C’est comme passer du monde développé au tiers-monde en quelques minutes…
291 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Albert Winterstein-Benony, le 14 septembre, 2004 à Pa­ris. En mars 2003, Mme Winterstein et M. Benony ont demandé à la compagnie locale de fournir leur résidence en eau potable. Ils ont appris que la compagnie devait avoir l’autorisation du maire, M. Gé­rard Thollot pour le faire. Ils ont proposé de payer la procédure eux-mêmes et ont soumis une requête écrite au bureau du maire le 12 mars 2003 afin de demander son autorisation. Le 12 avril 2003, M. Winterstein et Mme Benony ont reçu un rejet écrit du bureau du maire disant que : « le règlement de la zone NC [non-constructible] du Plan d’Occupation des Sols (P.O.S.) dans laquelle est située cette parcelle n’interdit pas le stationnement de caravanes ; il le soumet toutefois à conditions en matière d’équipements publics. » La lettre stipule plus loin que : « compte tenu du caractère agricole de ce secteur et de la capacité d’infrastructures existantes, la commune n’envisage pas d’y développer les réseaux publics en eau, assainissement et électricité. » Cependant, quand il a rendu visité à la famille Winterstein-Benony, le 25 mars 2004, l’ERRC a noté que des maisons et des fermes ayant accès à l’eau potable étaient construites sur la plupart des parcelles entourant la résidence des Winterstein-Benony. Du coup, la résidence de ces derniers semble la seule à ne pas avoir accès à l’eau potable.165 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Dans la petite ville de Saint-Médard-d’Eyrans, à dix-huit kilomètres de Bordeaux, un groupe de familles vivait depuis au moins 40 ans le long du chemin de Bédard, une petite piste s’enfonçant dans les bois. Le docteur Marion, un médecin local, qui s’est occupé des familles pendant 12 ou 13 ans a expliqué à l’ERRC qu’il y avait environ 20 caravanes garées le long de la piste. Ils restent généralement là durant l’hiver et certains s’en vont à l’été. Le terrain a été vendu à un entrepreneur, qui a commencé à préparer le terrain pour y construire une usine. On a alors demandé aux familles de partir.292
D’après l’association non gouvernementale Médecins Du Monde (MDM) le maire de Saint-Médard-d’Eyrans a écrit un article de journal dans lequel il dit que ces familles font partie du village. Mais maintenant, la ville dit qu’elle ne peut rien faire pour ces familles. La commune affirme que ces familles ont été jusqu’à présent « tolérées » mais qu’elles occupent illégalement un terrain, lequel a été vendu, et que les familles doivent donc partir.293
L’ERRC a visité les lieux durant l’après-midi du 4 mars 2004. Il y avait seulement trois caravanes cassées et un bulldozer retournant la terre d’un terrain proche. Les ordures débordaient d’un trou à ciel ouvert juste derrière les caravanes et quelques rats couraient là. Les habitants ont dit à l’ERRC qu’il y avait auparavant bien plus d’ordures – le bulldozer en a recouvert une partie selon eux. D’après les habitants et le docteur Marion, un certain nombre de villageois ont considéré pendant des années cet endroit comme un dépôt d’ordures.
Mme Duprun, une résidente des lieux, a dit à l’ERRC : « Nous vivons là depuis des générations. On connaît tout le monde au village. La sage-femme qui a aidé ma mère à ac­coucher à ma naissance, les maîtres d’école. On lave notre linge dans les rivières au milieu des rats. Il y a des milliers de rats. Les rats infestent ces lieux comme du sable et ils sont tous chauves… La nuit, si nous devons aller aux toilettes, c’est atroce. On ne sait pas où marcher. Le docteur dit que nous risquons d’attraper le typhus. Il va faire chaud en juin et juillet et il y aura sûrement beaucoup de rats. » Pendant des années, les égouts se sont déversés dans la rivière voisine que les familles utilisent pour se laver et laver leur linge.294
292 Entretien téléphonique de l’ERRC avec le Dr Marion, le 18 juin 2004 à Paris.
293 Participation de l’ERRC à une réunion du collectif d’associations tsiganes et d’associations travail­lant avec des tsiganes le 1er mars 2004 à Bordeaux.
294 Entretien de l’ERRC avec Mme. Duprun le 4 mars 2004 à Saint-Médard-d’Eyrans. Une station d’épuration récemment construite traite une partie de ces déchets, mais il y en a toujours une partie qui est déversée dans la rivière.166 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Les familles se ravitaillent en eau potable au cimetière municipal et utilisent des bougies pour s’éclairer. D’après le docteur Marion, ils ont bien sûr des problèmes de santé liés à leurs conditions de vie. Il y a de nombreux cas de gastro-entérite et il y a eu aussi des cas de tuberculose. Une des plus vieilles femmes a récemment déclaré une tuberculose.295
Les nombreuses familles qui vivaient le long de ce chemin n’ont nulle part où aller. Certaines vivent entre Saint-Médard-d’Eyrans et des villages voisins, stationnant briève­ment dans chaque village avant d’en être expulsés. D’autres vivent maintenant au fond des bois. Mme Sorbier-Duprun retournait chez elle dans les bois avec d’autres membres de sa famille quand l’ERRC les a rencontrés. Elle a expliqué à l’ERRC que sa famille vi­vait dans les bois depuis 15 jours. « La nuit, vous ne pouvez même pas voir votre propre main devant votre visage. On fait quinze kilomètres de marche juste pour aller chercher de l’eau. Les enfants ne vont plus à l’école. Nous sommes trop loin et nos conditions de vie trop misérables pour que l’on continue à envoyer les enfants à l’école. »296
Mme. Duprun a expliqué à l’ERRC que sa famille a tenté de partir. Mais dés qu’ils stationnent quelque part, on les chasse. Elle a dit qu’ils n’avaient pas réussi à rester plus de quinze jours quelque part. Aussi restent-ils là où ils sont. Elle a aussi souligné qu’elle était prête à payer pour s’installer sur un terrain. La ville a construit un ensemble de logements sociaux il y a deux ans. Les logements sociaux furent cependant refusés à la famille Duprun au motif qu’aucun des logements disponibles n’était assez grand pour héberger toute la famille.297
Un autre campement/bidonville, « Clos de la pionne », en Avignon, peut être rejoint uniquement en faisant un dangereux virage à environ 230 degrés pour sortir d’une autoroute à gros trafic et prendre une petite piste. Environ 50 caravanes s’alignent le long de la route, groupées sur de petites parcelles, chacune comprenant jusqu’à 5 caravanes. En se fondant sur le nombre moyen de gens par caravanes, on compte entre 200 et 300 personnes vivant là.
Le « Clos de la pionne » se trouve entre deux stations d’épuration, une autoroute et la voie ferrée. Lors d’une visite de ce site par l’ ERRC le 7 mai 2004, l’air était
295 Entretien de l’ERRC avec le Dr. Marion, le 18 juin 2004, à Paris.
296 Entretien de l’ERRC avec Mme Sorbier-Duprun, le 4 mars 2004 à Saint-Médard-d’Eyrans.
297 Entretien de l’ERRC avec Mme Duprun, le 4 mars 2004, à Saint-Médard-d’Eyrans. 167 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
imprégné d’une odeur forte et nauséabonde. Cette odeur venait d’un ruisseau quasi stagnant s’écoulant près du site et dont les berges abruptes n’étaient qu’à quelques mètres des caravanes les plus proches. Les déchets d’une des stations d’épuration, l’« Usine de traitement des eaux usées la Courtine », se déversent dans ce ruisseau. Certaines familles emmenèrent l’ERRC sur leur parcelle près du ruisseau où l’odeur, ressemblant à celles de toilettes qui n’auraient pas été nettoyées depuis plusieurs mois, était à la limite du supportable. Les familles ont dit à l’ERRC qu’en été, l’odeur devenait encore plus prégnante.
Les membres des familles Vigoureux, Hindercheid et Dubois avec qui l’ERRC discuta sur ces lieux étaient là depuis 15 à 20 ans. L’usine de retraitement des eaux usées aurait été construite vers la fin des années 80, sans tenir compte des familles vivant là. M. Antoine Vigoureux a dit à l’ERRC : « Avant, c’était bien ici. C’était un bois. Mais ils ont coupé les arbres et on a construit la station d’épuration. »298
A l’origine, ce site avait été mis à disposition des familles de voyageurs et tsi­ganes par la ville d’Avignon vers 1986. D’après une source anonyme et digne de confiance, la ville savait déjà qu’il y aurait une station d’épuration dans le voisinage quand les familles se sont installées dans les lieux.299 Les habitants payent un loyer à la ville d’Avignon pour pouvoir vivre là. Mme Hindercheid a expliqué à l’ERRC que sa famille payait 2 000 francs par an (soit environ 305€) pour leur parcelle.300
Le jour de la visite de l’ERRC, le 7 mai 2004, les habitants étaient très inquiets de l’état de santé de leurs enfants. De nombreuses personnes ont dit à l’ERRC que leurs enfants étaient sans cesse malades. L’un des hommes a expliqué à l’ERRC que son bébé d’un mois venait de passer 5 jours à l’hôpital avec une éruption cutanée sur le visage et une infection microbienne. Une autre femme ajouta que son fils venait de passer lui aussi 15 jours à l’hôpital pour un problème similaire. L’odeur des eaux sales mises à part, les familles sont également la proie d’une in­vasion de rats, particulièrement la nuit. Les familles vivent sans eau chaude. Elles lavent le linge et la vaisselle dans une bassine. La fourniture d’électricité, quant à elle, est bien en deçà des besoins.
298 Entretien de l’ERRC avec M. Antoine Vigoureux, le 7 mai 2004 en Avignon.
299 Entretien téléphonique de l’ERRC avec une personne souhaitant garder l’anonymat, le 17 mars 2005.
300 Entretien de l’ERRC avec Mme Hindercheid, le 7 mai 2004 en Avignon. 168 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Tous les habitants avec lesquels l’ERRC a parlé ont exprimé leur désir de partir pour un autre endroit. Les autorités municipales leur ont, semble-t-il, promis de les déménager dans trois ans. La ville a commencé à construire une autoroute à quatre voies qui devrait traverser leur site. Les habitants espèrent donc être bientôt déménagés.301 En mars 2005, toutefois, les familles étaient toujours là et n’avaient aucune nouvelle de leur hypothétique relogement.
Quelques kilomètres plus loin, il y a un autre bidonville connu sous le nom de « Terminus Montclar », situé juste sous l’autoroute (rocade Charles-De-Gaulle). Le bidonville peuplé presque entièrement de tsiganes s’atteint en suivant le panneau de sortie indiquant « la Déchetterie ». Les associations non gouvernementales locales estiment qu’environ 500 personnes vivent là, y compris plus de 200 jeunes enfants. La route principale est bordée de caravanes et de maisons faites de matériaux de récupération avec des toits de tôle. Après la dernière cabane, la route se termine en cul-de-sac dans le dépôt d’ordures.
Lors de la visite de l’ ERRC le 07 mai 2004, il n’y avait là ni eau potable ni tout-à-l’égout. Seuls la moitié des habitants avaient l’électricité, mais elle était souvent coupée.302 Les conditions sont telles qu’un récent article de journal a désigné ce lieu sous le nom de « Tiers-monde avignonnais. »303 Les habitants ont dit à l’ERRC qu’ils avaient des problèmes avec les rats du fait de la décharge publique avoisinante. L’une des habitantes, Mme. G. Riviera, nous a dit que sa belle-mère avait vécu là pendant 45 ans. De nombreuses autres personnes étaient là depuis au moins aussi longtemps. Elle a dit qu’ils avaient demandé l’eau, l’électricité et des toilettes depuis des années, mais que la commune ne leur avait toujours pas fourni ces équipements de base.304
En décembre 2004, la ville connecta les lieux au réseau électrique et, en mars 2005, était en train de mettre en place l’approvisionnement en eau potable. Toutefois, aucun système d’égout n’était prévu à cette date.
301 Entretien de l’ERRC avec les familles Dubois, Hindercheid et Vigoureux.
302 Visite de l’ERRC au Clos de la Pionne, le 7 mai 2004.
303 Jaureguy, Tristan. « Les habitants du ‘Terminus’ lancent un appel a l’aide », La Provence, lundi 26 avril 2004.
304 Entretien de l’ERRC avec Mme Riviera, le 7 mai 2004 en Avignon. 169 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
M. Alain Fourest, président de l’association non gouvernementale Rencontres Tsi­ganes305 et consultant en planification urbaine a dit plus tard à l’ERRC qu’« il y avait autrefois un quartier gitan306 dans le centre historique d’Avignon, aux pieds du Palais des Papes. Evidemment, une telle chose était inacceptable. Ainsi ils ont détruit ce quartier et ont déménagé les gitans ailleurs, loin du centre-ville. On les a déménagés à Montclar… Là où vous les avez vus. »307 Certains des tsiganes qui habitaient autrefois le quartier du Palais des papes avaient d’abord été déménagés dans un autre lieu du centre historique d’Avignon. Toutefois, du fait de récentes rénovations, ces familles ont été forcées de quitter le centre historique, et, pour la plupart, sont allées au Terminus Montclar.308
Un autre bidonville se trouve à Picarel, un lieu situé dans la zone industrielle de Toulouse. L’ERRC a dû suivre un travailleur social d’une association non gou­vernementale locale309 pour trouver le quartier, peuplé majoritairement de familles tsiganes, tant il est isolé du reste de la ville. De petites maisons, construites il y a 18 ans par la ville pour les gens qui vivaient au fameux Camp de Ginestous,310 occupent une partie des lieux. Toutefois, près des maisons, il y a un campement de fortune. Là, environ 20 familles, comptant au moins 55 enfants, vivent dans des caravanes déla­brées (la plupart n’étant plus en état de rouler) ou dans les parties arrières de poids lourds, converties en maisons. Il y a un approvisionnement provisoire en électricité et des robinets raccordés à l’eau courante, mais ni douches, ni égouts ni toilettes.
305 Rencontres Tsiganes est une association non gouvernementale de la région Provence Alpes Cote d’Azur.
306 Gitan/Kale fait référence aux populations tsiganes venues en France de la péninsule ibérique (de la Catalogne à l’Andalousie).
307 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest le 7 mai 2005, à Marseille.
308 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 15 octobre 2004, à Paris.
309 Comité de Coordination pour la Promotion et en Solidarité des Communautés en Difficulté : mi­grants-tsiganes (C.C.P.S.).
310 En 1951, afin de débarrasser Toulouse de ses taudis, la Ville a créé le camp « provisoire » de Ginestous pour y loger les tsiganes, les travailleurs immigrés et les familles immigrées chassées de leurs logis.
En 1964 la commune a construit des murs autour du camp et a placé un poste de police à son entrée. Au bout de quelques années, la population du camp était majoritairement composée de gitans. Située dans une zone inondable, le camp a été plusieurs fois inondé et en 2000 une inondation a provoqué la fermeture définitive du camp. 170
Décharge à ciel ouvert derrière les caravanes garées au Chemin de Bédard à Saint-Médard-d’Eyrans, une route non goudronnée menant aux bois où des tsiganes vivent depuis 40 ans. Les habitants racontent que le site sert de décharge depuis longtemps.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO171 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Mme. Ginette Mencarelli, l’une des deux représentantes choisies par les habitants du camp, vit dans un espace d’environ 10 m2 à l’arrière de ce qui fut un camion avec son mari et deux jeunes enfants. Elle a expliqué que les habitants de ce camp étai­ent pour la plupart les enfants des gens vivant dans les maisons, qui se sont mariés. « La ville ne veut pas de nous ici ». « S’ils nous construisaient des maisons, ou nous fournissaient une « aire d’accueil » nous irions y habiter. Nous n’avons pas le droit de construire ici – y compris des douches ou des toilettes. Mais ça fait des années que nous vivons sur cette aire de parking. Aussi, je me suis moi-même construit une douche. Le député-maire et le fonctionnaire municipal en charge de ce quartier nous ont dit que nous n’avions pas le droit de construire quoi que ce soit et qu’ils détru­iraient cette douche. »311 En janvier 2005, la douche n’avait pas encore été détruite, Toutefois, Mme Mencarelli craignait toujours son imminente destruction.312
Mme Michèle Benete est la deuxième représentante des habitants de ce camp. Elle y vit depuis environ cinq ans. Elle a expliqué à l’ERRC que les habitants se battent pour avoir des douches et des toilettes. Elle a montré à l’ERRC des lettres qu’ils ont écrites depuis 2001 à des responsables gouvernementaux de tous niveaux, du président de la République au maire, et les réponses qu’ils ont reçues. Chaque niveau délègue le problème au niveau qui lui est inférieur. Mme Benete a raconté qu’à la suite de ces lettres, des agents du bureau local de la PMI313 sont venus au camp pour proposer des cours d’ « hygiène ». « Nous leur avons fait visiter le camp et ils sont restés bouche bée. Ils ne savaient plus quoi dire. Nous leur avons dit : « commencez par nous donner des douches et des toilettes et venez ensuite nous parler d’hygiène. »314
L’ERRC a constaté des situations similaires dans le quartier du Ruisseau Mira­beau, à Marseille. Sur la route principale allant de Marseille à l’Estaque, dans une zone industrielle, des logements sociaux consistant en de petites maisons ont été con­struits il y a vingt ans pour des familles de tsiganes qui vivaient dans un quartier de taudis. Toutefois, leurs enfants et leurs proches vivent plus haut sur la colline, leurs
311 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Ginette Mencarelli, le 9 mars 2004 à Toulouse.
312 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Ginette Mencarelli le 12 janvier 2005 à Paris.
313 Les bureaux de la Protection Maternelle et Infantile s’occupent des familles, des femmes enceintes et des enfants de moins de six ans. Ils proposent une assistance médicale préventive, ainsi que des services éducatifs, d’aide psychologique ou sociale, pour les futurs parents et les enfants.
314 Entretien de l’ERRC avec Mme Michèle Benete, le 10 mars 2004 à Toulouse. 172
L’ancien camion qui sert de résidence à Ginette Mencarelli, son mari et ses deux enfants dans les taudis de Picarel près de Toulouse.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO 173
Mme Flore Crystal, son mari et ses deux enfants dorment dans cette caravane de 7 m2. Ses trois autres enfants dorment côte à côté dans le camion. Elle demande un logement social depuis 10 ans mais n’obtient jamais satisfaction car il n’y « rien d’assez grand ».
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO174 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
caravanes tassées les unes contre les autres dans une petite parcelle entourée de hauts murs de béton. Il n’y a ni toilettes, ni douches, ni tout-à-l’égout sur cette parcelle. Les familles vivent là depuis au moins dix ans. Il y a deux ans, deux caravanes ont brûlé. Du coup, les autorités municipales ont promis de reloger les habitants.315 D’après M. Fourest, toutefois, ces promesses ne sont pas susceptibles de se matérialiser sous forme de projets concrets avant au moins deux ou trois ans.316
Dans certains endroits où tsiganes et voyageurs sont tolérés depuis des décen­nies, les familles sont parvenues à créer un environnement relativement confortable. Toutefois, même dans ces endroits, ils continuent de se voir refuser les infrastruc­tures de base et vivent dans la peur de l’expulsion, n’ayant pas l’assurance de pouvoir rester où ils sont.317
Par exemple, un important groupe de tsiganes vit près de « Rue de Corse » dans une zone agricole près d’Argenteuil (Val d’Oise). Il y a là de 500 à 700 personnes, dont au moins 300 enfants. Certains sont propriétaires, d’autres locataires, d’autres des squatteurs. De nombreux adultes vivent dans le quartier depuis 20 à 25 ans et les enfants vont à l’école locale. En plus des 4 à 5 caravanes par parcelle, les habitants se sont également construits des bungalows ou des maisons. Les propriétaires rencontrés par l’ERRC ont l’eau et l’électricité. Toutefois, ces infrastructures de base sont re­fusées par les autorités municipales à ceux qui n’ont pas de titre de propriété. Il n’y a pas de tout-à-l’égout dans cette zone, aussi les habitants se sont-ils faits leurs propres fosses septiques. La route principale est cahoteuse et faite de sable et de graviers. Un certain nombre de propriétaires a dit à l’ERRC que la ville n’avait toujours pas pavé
315 Visite de l’ERRC le 5 mai 2005 à Marseille.
316 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 15 octobre 2004.
317 La sécurité du bail est une des composantes du logement adéquat (cf. Recommandation générale 4 du Comité des Nations-Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels à la note n° XXX plus haut.) L’incapacité des autorités à assurer la sécurité du bail implique une violation du droit à un logement décent prévu dans l’article 11(1) du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). C’est aussi contraire à la récente recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur « l’amélioration des conditions de vie des Roms et des voyageurs Eu­rope », qui dit que : « les Etats membres, compte tenu du fait que le droit au logement est un droit de l’homme fondamental, devraient veiller à protéger les Roms contre les évictions forcées contraires à la loi, le harcèlement et tout autre menace, où qu’ils résident. » Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. « Recommandation aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de loge­ment des Roms et des Gens du voyage. » Rec (2005)4, paragraphe 23. 175 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
la route principale traversant le quartier, et ce en dépit de leurs demandes répétées et du fait qu’ils paient leurs taxes locales comme tout habitant de la commune.
Lorsque l’ERRC a visité le quartier le 13 octobre 2004, les familles non propriétaires étaient très inquiètes de la précarité de leur situation et craignaient d’être bientôt expul­sées. Leurs peurs venaient d’une pile de lettres données à l’un des habitants à l’entrée du quartier en mai 2003. Ecrites sur du papier à en-tête de la commune d’Argenteuil, et signées du député-maire Georges Mothron, la lettre indiquait que la zone agricole dans laquelle se trouve le quartier doit être « nettoyée » afin qu’elle soit protégée et retourne à sa vocation primaire de terre agricole. Ceci, disait la lettre, permettra le développement d’installations à ciel ouvert et de projets divers sur ce terrain de plus de 40 hectares. Elle soulignait qu’à court terme, il y aurait un nettoyage général afin de retirer les débris de carcasses de voitures, les graviers et autres débris. Tout cela serait suivi ensuite de plus gros travaux, tels le labourage des parcelles, afin de mettre un terme aux occupations illé­gales. La lettre invitait les propriétaires ou ayant droits à se faire connaître de la mairie.318 Les habitants ont dit à l’ERRC qu’ils craignaient d’être expulsés au printemps 2005, après la trêve hivernale. En août 2005, ils n’avaient pas encore été expulsés. Cependant, des représentants de la mairie se sont apparemment rendus sur le site pendant l’été. Ils ont informé verbalement les habitants qu’ils seraient expulsés au printemps 2006.319
Le jour de sa visite, l’ERRC a été présenté à Mme. M. Winterstein, qui a expli­qué que sa famille, ainsi que huit autres familles vivant sur deux autres parcelles, devait être expulsée le lendemain. Le groupe comprenait 14 à 15 enfants fréquent­ant l’école locale. En mars 2004, les familles avaient été convoquées au tribunal par les propriétaires qui avaient vendu leurs terrains à la commune mais ne pouvaient recevoir leur paiement que si les personnes occupant le terrain étaient expulsées.320
318 Mothron, George. Lettre aux Riverains, May 28, 2003, Argenteuil.
319 Entretien de l’ERRC avec Mme. Winterstein, le 15 août 2005, Paris..
320 Le 14 octobre, le propriétaire a dit à l’ONG Association nationale catholique des voyageurs (ANGVC) qu’il avait voulu vendre sa terre aux occupants en 1995, mais que la mairie avait fait préemption. La même chose s’est produite en 1999. Il a dit qu’il avait besoin d’argent et que la mairie avait proposé un prix décent pour la terre s’il en expulsait les occupants. Une mairie ne peut préempter un terrain que s’il y a un projet d’utilité publique clair sur le lieu. Dans ce cas, le propriétaire a dit à l’ANGVC que la raison donnée était que cette terre était agricole. Cela n’est pas une raison légale pour une préemption. Apparemment, la municipalité n’a pas développé un projet d’utilité public clair sur ce terrain. Entretien de l’ERRC avec Mme Anne-Marie Auger, ANGVC, 15 octobre 2004, Paris.176 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Les familles avaient perdu leur procès. Mme Winterstein a dit à l’ERRC qu’elle et les autres n’avaient pas les moyens de faire appel de cette décision. Les familles vi­vaient là depuis au moins 20 ans. Fin juin 2004, ils reçurent une lettre les informant que leur expulsion avait été décidée et qu’ils devaient libérer les lieux et retirer leur mobilier. Les propriétaires et un huissier sont venus plus tard avertir les familles que la police et les bulldozers viendraient le 14 octobre 2004 pour nettoyer les lieux et procéder à l’expulsion. Afin de récupérer au moins quelques matériaux de construc­tion et du mobilier, les familles démontèrent elles-mêmes leurs cinq chalets (utilisés comme cuisine et salle de séjour) avant la date fatidique du 14 octobre 2004. Quand les représentants de l’ERRC ont visité le site, il ne restait que les sols des chalets ainsi que 11 caravanes et toilettes.
Le 14 octobre, les bulldozers sont arrivés dans la matinée. Mais les familles sont restées sur le terrain avec leurs caravanes. Les bulldozers ont alors fait demi-tour et les familles ont été averties qu’ils reviendraient à 14h00 comme prévu. Un peu avant 14h00, les bulldozers sont réapparus, escortés des propriétaires, d’un représen­tant de la commune et de la police. Une seule caravane a bougé et un bulldozer a creusé une tranchée autour de la parcelle pour s’assurer qu’elle ne puisse pas revenir. Puis des journalistes et un certain nombre de représentants d’associations non gou­vernementales ainsi que des membres du parti des Verts sont arrivés. Il devint clair que le préfet n’avait approuvé aucune expulsion officielle, ce qui est normalement la règle. Les bulldozers n’ont rien fait de plus et les familles sont restées sur le ter­rain tout l’hiver. Les familles, cependant, ont été expulsées au printemps 2005 quand les médias se sont désintéressées de leur situation. En août 2005, elles vivaient avec d’autres membres de leur famille sur un terrain avoisinant. Mme Winterstein a dit à l’ERRC que les fonctionnaires de mairie sont venus les avertir de leur expulsion de ce terrain en mars 2006.321
6.5 Les tsiganes et les voyageurs sont victimes de discriminations en ce qui concerne l’accès aux logements sociaux
Les phénomènes de discrimination et de ségrégation à l’encontre des tsiganes et des voyageurs sont très répandus dans le cadre de la location de HLM (logements
321 Entretien de l’ERRC avec Mme M. Winterstein, le 13 octobre 2004 à Argenteuil et le 15 août 2005 à Paris. 177 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
sociaux pour les personnes à faibles revenus),322 et ce en dépit des lois nationales interdisant explicitement une telle discrimination.323
Les tsiganes et les voyageurs rencontrent souvent de grandes difficultés d’accès aux HLM, même lorsqu’ils satisfont aux critères de ressources et qu’ils vivent dans des con­ditions misérables (ce qui, d’après les lois en vigueur, devrait leur donner un accès priori­taire). Souvent, obtenir un logement HLM leur est même totalement impossible.324
Par exemple, Mme. Flore Crystal demande un logement en HLM depuis 10 ans. Elle a expliqué à l’ERRC que tous les ans elle remplit une demande mais qu’elle ne reçoit jamais de réponse positive. L’explication donnée à chaque fois pour motiver ce refus est qu’il n’y a pas d’appartements assez grands pour elle et sa famille.325
Mme Crystal vit avec son mari et cinq enfants dans une petite caravane hors d’usage d’environ 7 m2 et dans un camion. L’ERRC l’a rencontrée sur une parcelle vide que la ville permet temporairement aux voyageurs d’utiliser. Dans la caravane, il y a un petit lit, un banc, une étroite couchette et un coin lavabo de moins d’1 m2. M. et Mme Crystal
322 On doit souligner que d’autres catégories, telles que les migrants récents ou les personnes « d’origine immigrée » connaissent aussi des discriminations en ce qui concerne l’accès aux logements sociaux. Voir à ce sujet S.O.S. Racisme. Bilan et perspectives des politiques publiques de lutte contre les discriminations raciales et ethniques dans l’accès au logement. 21 mars 2002, disponible à l’adresse suivante : http://www.millenaire3.com/contenus/rapports/sos_racisme.pdf.
323 L’article 158 de la Loi de Modernisation Sociale du 17 janvier 2002 prévoit qu’ « aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement en raison de son origine, son patronyme, son ap­parence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses moeurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Un changement de procédure important prévu par cette loi est que : «… la personne s’étant vu refuser la location d’un logement présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimina­tion directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
324 Voir, par exemple la Loi n° 90-449 du 31 mai 1990, «loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement».
325 L’association non gouvernementale française S.O.S. Racisme, dans une étude détaillée consacrée à l’accès des personnes d’origines migrantes aux logements sociaux, a fait remarquer que la taille insuffisante des logements disponibles est un argument fréquemment utilisé par les agences immobi­lières pour justifier de pratiques discriminatoires. Voir S.O.S. Racisme, Bilan, p. 9.178 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
dorment dans la caravane avec deux enfants et les trois autres enfants tête-bêche dans le camion. La famille a passé l’hiver sur cette parcelle vide, sans chauffage.
Mme Crystal a souligné le fait que sa famille a toujours vécu dans la ville de Per­tuis (Vaucluse) et qu’elle souhaite rester là. Ses enfants vont à l’école locale et elle espère qu’ils pourront continuer à y aller.326
Mme Karine Moreau, Directeur de l’ASNIT327 des Bouches du Rhône, a informé l’ERRC que le temps normal d’attente dans la région pour bénéficier d’un logement social est de trois ans.328
Une autre voyageuse très malade, rencontrée par l’ERRC sur l’aire d’accueil of­ficielle de Lognes ‘(Seine-et-Marne) en février 2004 n’a jamais eu de réponse à sa demande de logement social dont la première datait de novembre 2002, et ce malgré caractère d’urgence de la situation du fait de ses problèmes de santé actuels. Ella a joint à sa demande une lettre de son médecin expliquant ses problèmes de santé.329 Souf­frant de problèmes cardiaques, respiratoires et thyroïdiens, Mme. L. Falck a expliqué à l’ERRC qu’il lui était très difficile de vivre dans les conditions qui sont celles de l’aire d’accueil de Lognes. Elle ne savait pas si elle pourrait survivre à un autre hiver… 330
M. A.B., un travailleur social qui s’est occupé des tsiganes de 1995 à 2000 à Bègles, au sud de Bordeaux, a expliqué à l’ERRC que durant cette période il n’avait réussi à obtenir que trois logements en HLM pour des voyageurs. Il a essayé de le faire pour au moins 15 familles. Il a dit qu’il était bien connu par ceux travaillant dans ce secteur qu’il y avait un quota officieux fixant à un maximum de 10% le nombre de voyageurs dans les HLM de Bègles.331 D’autres associations non gouvernementales
326 Entretien de l’ERRC avec Mme. Flore Crystal, le 6 mai 2004, à Pertuis.
327 Association Sociale Nationale Internationale Tsigane.
328 Entretien de l’ERRC avec Mme Karine Moreau, le 4 mai 2004, à Marseille.
329 Entretien de l’ERRC avec Mme L. Falck, le 16 février 2004, à Lognes.
330 Le site est essentiellement un parking, où les caravanes peuvent se raccorder à des points d’alimenta­tion en électricité et en eau avec un tuyau en caoutchouc. Ce site n’est équipé que d’une seule douche qui est en grande partie insuffisante pour les quelque 30 caravanes sur ce site et les 3 WC dits à la turque (dont un ne fonctionnait pas au moment de la visite de l’ERRC le 16 février 2004.)
331 Entretien de l’ERRC avec M. A.B., le 02 mars 2004 à Gradignan. 179 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
travaillant avec les voyageurs et les tsiganes en d’autres régions du pays ont égale­ment soulevé ce problème.332
Lorsqu’ils sont acceptés en HLM, les tsiganes sont souvent relégués dans des HLM de moindre qualité, lesquels sont en deçà des normes internationales de dé­cence, hygiène et sécurité.333
La ville de Marseille, qui compte 3 000 à 3 200 familles tsiganes (soit environ 20 000 personnes,334 la plupart vivant en HLM) constitue un exemple instructif. Les familles tsiganes sont concentrées de manière disproportionnée dans les quelques HLM ayant la plus mauvaise réputation en termes de qualité de vie et de sécurité tels que : Les Cèdres, Saint Paul, La Renaude, Saint-Joseph et Petit Séminaire.
D’après M. Alain Fourest,335 chargé il y a quelques années d’une étude sur la situa­tion d’un certain nombre de HLM de Marseille à forte population tsigane, « obtenir un logement HLM lorsque l’on est tsigane est pratiquement impossible, à moins d’aller là où personne d’autre ne veut aller parce que les bâtiments sont délabrés ou mal situés. Par exemple, l’une des familles que je connaissais souhaitais quitter Les Cèdres et aller dans un autre HLM. On les refusait systématiquement partout ailleurs. La raison était certainement celle-ci : on pensait que si des tsiganes venaient, les autres allaient partir. » Il expliqua à l’ERRC que dans ces HLM où vivaient des familles tsiganes, lorsqu’il
332 Le docteur Jean-Claude Giraud, président de l’Association non gouvernementale Comité de Coordina­tion pour la Promotion et en Solidarité des communautés en difficulté : Migrants et Tsiganes (C.C.P.S.), a fait remarquer que ces personnes « sédentarisées », ou en « voie de sédentarisation » rencontrent des difficultés à accéder aux logements sociaux du fait qu’il leur est difficile de justifier de leurs revenus.
333 Le même problème concernant les personnes d’origine immigrée est décrit dans S.O.S. Racisme, Bilan, particulièrement : p. 7-9.
334 Ces chiffres viennent d’une étude réalisée en mars 2001 par l’association non gouvernementale Asso­ciation Régionale d’Etudes et d’Actions auprès des Tsiganes (AREAT), laquelle a également réalisé des évaluations pour le schéma départemental des Bouches-du-Rhône. Un certain nombre de ces chiffres ont sensiblement augmenté depuis lors. D’après cette étude, un grand nombre de ses familles ont été ra­patriées d’Afrique du Nord et ont vécu pendant plusieurs générations à Marseille. Elles vivent principa­lement dans les 11ème, 13ème, 14ème, 15ème et 16ème arrondissements de Marseille. AREAT. Etat quantitatif concernant la population marseillaise d’origine tsigane. Marseille, le 27 mars 2001. On doit noter qu’il doit y avoir beaucoup d’autres familles tsiganes dans la ville de Marseille qui ne sont pas incluses dans ces chiffres car elle ne vivent pas dans des logements sociaux ou n’ont pas de contacts avec l’AREAT.
335 M. Fourest a été l’ancien directeur national de la Commission Nationale sur les Quartiers.180 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
y avait des appartements vides, les gestionnaires les laissaient vides ; ils savaient que d’autres tsiganes viendraient, et ils faisaient semblant de ne rien savoir. C’est ce qui s’est passé dans des HLM tels que Les Cèdres, Saint-Paul, et Petit Séminaire.336
L’ERRC a visité Les Cèdres (construit en 1965) et Saint-Paul (construit en 1962) en mai 2004. Dans ces bâtiments comprenant un fort pourcentage de familles tsiganes, la peinture s’écaille, des portes manquent dans les halls d’entrée, des volets sont manquants et un certain nombre d’appartements sont murés. Les immeubles ont l’air d’avoir été complètement laissés à l’abandon et semblent même prêt à être démolis. A l’intérieur, le système de chauffage était bien en deçà des standards. A Saint-Paul, certains appar­tements sont toujours chauffés au charbon. Aux Cèdres, le chauffage au charbon a été remplacé par un chauffage au gaz individuel mais installé de telle manière que, semble-t-il, de graves problèmes de sécurité en découlent. Aux Cèdres, il y a aussi des problèmes avec le système d’écoulement des eaux, ce qui fait que l’eau de pluie et les eaux usées envahissent les fondations et les cours intérieures. Les appartements ont également bien besoin d’être rénovés, ayant un équipement vétuste et en mauvais état.337
6.6 Les voyageurs qui achètent des terrains constructibles sont victimes de harcèlement
Les autorités locales sont bien placées pour faire obstruction aux tsiganes et aux voyageurs qui souhaitent vivre dans leur ville, quel que soit le mode de vie que ces familles choisissent. Même lorsque tsiganes et voyageurs achètent un terrain sur lequel ils désirent construire en conformité avec les règles d’urbanisme, les fonction­naires locaux peuvent leur rendre la tâche très difficile.
Par exemple, M. P. D., un voyageur, a acheté en 2000 un terrain constructible d’environ 5000m2 dans la commune de Mérignac (Gironde). Toutefois, il a connu
336 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le5 mai 2004 à Marseille.
337 Visite de l’ERRC aux HLM Les Cèdres et Saint Paul le 5 mai 2004 à Marseille. Voir aussi Alain Fourest, Reconstruction Démolition DDE 13 Habitat-Marseille-Provence : Les Cèdres. 29 septembre 1998. Alain Fourest, Reconstruction Démolition DDE 13 Habitat Marseille Provence : Saint Paul, 29 septembre 1998. Lorsque l’ERRC a visité Saint Paul, il sembla qu’il restait relativement peu de familles dans les bâtiments où il y avait eu beaucoup de tsiganes. Il semble que ces bâtiments aient été sélectionnés pour être démolis ou rénovés selon la loi Borloo. Par conséquent, un certain nombre de familles avaient été mises dehors. L’ERRC n’a pu déterminer ce qui était arrivé aux familles. 181 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
des difficultés avec la commune depuis qu’il s’y est installé avec sa famille.338 M. P.D. a essayé de construire deux maisons afin que sa famille puisse vivre sur ce terrain. Mais lorsqu’il a présenté sa demande de permis de construire à la commune (ainsi qu’il est légalement requis lorsque l’on souhaite construire une maison), le maire a refusé, indiquant que le terrain pouvait être reclassé en zone non constructible et faire l’objet d’un projet d’intérêt général.339 La commune a souligné que le terrain se trouvait dans le périmètre d’un espace vert récréatif où la ville souhaite aménager un domaine du cheval, des boisements publics et une vigne citadine. Le terrain de M. P.D. se trouve pourtant près d’autres parcelles sur lesquelles il y a déjà des maisons. Notant ceci, le Tribunal administratif de Bordeaux a tranché le 5 mars 2004, disant qu’ « il n’apparaît pas, compte tenu de la configuration des lieux, que la construction de deux maisons d’habitation sur ce terrain serait de nature… à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan ». Le tribunal a également déclaré qu’il n’est pas établi que les projets de construction de la ville aient atteint un état d’avancement propre à permettre l’opposition à la délivrance d’un permis de con­struire.340 Le tribunal a donc demandé à la ville de revenir sur sa décision.
En dépit de cette décision, au 17 septembre 2004, la commune n’a toujours pas approuvé la demande de M. P.D. Le père de M. P.D. (M. D.) a expliqué à l’ ERRC que la ville crée toujours des obstacles, tels que la demande de nouveaux plans pour lesquels M. P.D. doit payer à chaque fois. De plus, la commune continue de pré­tendre qu’elle souhaite installer un espace vert à cet endroit. La famille s’en est de nouveau plaint au Tribunal administratif de Bordeaux, qui a tranché en sa faveur. Le tribunal a ordonné à la mairie de délivrer le permis de construire, cette fois sous la menace d’une amende journalière de 500 €. Suite à cette décision, la commune a délivré le permis de construire début octobre 2004.
6.7 Les effets délétères sur la santé des mauvaises conditions de logement
Les conditions de vie indécentes dans lesquelles tsiganes et voyageurs sont bien souvent obligés de vivre ont un effet délétère, persistent et très sérieux sur la santé.
338 Entretien de l’ERRC avec M. D., le 28 septembre 2004.
339 La commune a fondé son refus sur l’ article L123-6 du Code de l’urbanisme.
340 Tribunal Administratif de Bordeaux, M. P.D vs. Commune de Mérignac, décision du 05 mars 2004. 182 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Ceux qui sont cardiaques, cancéreux, ou atteints d’une autre maladie sont particulière­ment touchés par le manque d’infrastructures de base telles que l’eau et l’électricité. Cela rend souvent leur traitement impossible et met leur vie en danger. Vivre près de lieux présentant de hauts risques environnementaux tels que des usines polluantes, des décharges publiques, des usines de retraitement des déchets, des autoroutes, des usines de recyclage ou des stations d’épuration a bien sûr un impact sur la santé des individus. Les personnes sujettes aux allergies ou à l’asthme sont également particulièrement touchées par les émissions polluantes d’un tel voisinage. La situation est aggravée pour ceux qui subissent des expulsions répétées, ce qui crée des maladies liées au stress.341
341 Cette situation constitue une considérable violation des droits à la santé des tsiganes et des voyageurs. Le droit à la santé est un droit fondamental reconnu par nombre d’organismes internationaux. L’article 25.1 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme affirme : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) contient l’article le plus complet sur le droit à la santé dans le cadre du droit international relatif aux droits de l’homme. Conformément à l’article 12.1 du Pacte, les Etats membres reconnaissent : « le droit qu’a toute per­sonne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. » De plus, le droit à la santé est reconnu, inter alia, dans l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, dans les articles 11.1 (f) et 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 et par l’article 24 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989.
Dans son Observation générale No. 14 sur « le droit au meilleur état de santé susceptible d’être at­teint (art. 12 du Pacte) » le CDESC estime que : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint, lui permettant de vivre dans la dignité. … Le droit à la santé est étroitement lié à d’autres droits de l’homme et dépend de leur réalisation. » Le CDESC souligne que le processus d’élaboration et le libellé spécifique de l’article 12, paragraphe 2 spécifie que « le droit à la santé englobe une grande diversité de facteurs socioéconomiques de nature à promouvoir des conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine et s’étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’alimentation et la nutrition, le logement, l’accès à l’eau salubre et potable et à un système adéquat d’assainissement, des conditions de travail sûres et hygiéniques et un environnement sain. »
Voir CDESC, Observation générale No. 14 sur « le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte) » dans « Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme », HRI/GEN/1/Rev.5, 26 avril 2001, p. 91, sur le site : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf. 183 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Reflétant ce contexte particulièrement critique, des études ont montré que l’espérance de vie des tsiganes et des voyageurs est de 20 ans inférieure à la moyenne nationale.342
Le schéma départemental de la Gironde commente ces faits de la manière suivante : « Cet écart très important traduit essentiellement un problème de santé publique lequel révèle, lors d’études comportementales et environnementales, la multiplication de pathol­ogies liées aux conditions de vie et d’accès aux services. »343 Autrement dit, les études révèlent que la plus faible espérance de vie des tsiganes et des voyageurs est directement liée aux problèmes de santé induits par le fait que l’Etat ne leur fournit pas des conditions de vie décentes, ni les infrastructures de base telles que l’eau et l’électricité. Le schéma départemental de la Gironde indique également que des études détaillées des situa­tions de santé des voyageurs en Gironde révèlent que leurs conditions de vie créaient et stimulaient un large spectre de maladies, tant physiques que psychologiques, dont certaines ont pratiquement disparu de la population française. Celles-ci incluent le saturnisme, la tuberculose, des parasitoses, des allergies respiratoires, le stress, des désordres alimentaires et des maladies cardio-vasculaires…344
Une étude scientifique commandée par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (D.D.A.S.S.) de la Haute-Garonne a examiné l’impact sur la santé de la vie en aire d’accueil à proximité d’une zone industrielle. L’aire d’accueil étudiée, à Villeneuve-Tolosane, dans la banlieue de Toulouse, se trouve entre trois usines : une usine de traitement des déchets, une usine de recyclage des déchets et un aéroport militaire. L’étude concluait que : « Ce site choisi pour installer dans la durée un camp de nomades a la particularité de cumuler potentiellement des nui­sances chimiques, biologiques et auditives... Sortir le camp de nomades de cette zone industrielle, de cet environnement peu propice au développement de leurs enfants et permettre à la zone industrielle de se développer paraît le plus raisonnable. »345 Cette conclusion s’applique bien entendu à d’autres aires d’accueil en France.
342 Préfecture de la Gironde and Conseil Général de la Gironde. Schéma Départemental d’Accueil des Gens du Voyage. February 2003, p. 31.
343 Préfecture de la Gironde et Conseil Général de la Gironde. Ibid., p. 31.
344 Préfecture de la Gironde et Conseil Général de la Gironde. Ibid., p. 31.
345 Duchen, C. Nuisances Atmosphériques d’Un Centre De Compostage De Déchets Verts. Etude par la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (D.D.A.S.S.) «Cellule Inter-régionale d’Epidmiologie d’Intervention « (CIREI), établie en liaison avec la Direction régionale des Affaires Sanitaires et Sociales(DRASS), le 14 décembre 1998, p. 14.185 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
7. TSIGANES ET VOYAGEURS SONT VICTIMES DE CONDUITES ABUSIVES ET DE TRAITEMENTS DISCRIMINATOIRES DE LA PART DES AUTORITÉS JUDICIAIRES ET CRIMINELLES
Le comportement de la police envers les tsiganes et les voyageurs est caractérisé par le racisme et les mauvais traitements. Depuis l’enfance, tsiganes et voyageurs font l’expérience de fréquentes descentes de police dans les lieux où ils résident. Ces descentes se produisent le plus souvent lors des expulsions ou lors des contrôles, perquisitions et arrestations au cours desquels l’ensemble de la population tsigane résidante est collectivement visée. Les conduites policières abusives lors de ces de­scentes prennent souvent la forme d’insultes (y compris à caractère raciste), de traite­ments dégradants et de dommages aux biens. Elle inclut parfois l’usage de menaces sous l’effet d’une arme et de mauvais traitements infligés aux personnes.
L’ERRC est persuadée que ces cas documentés ne sont pas isolés et ne représen­tent qu’une petite partie de ce qui se passe lors des descentes de police en France. L’ERRC est également certain qu’entre le moment où nous écrivons ces lignes et le moment où sera publié ce rapport, un grand nombre d’autres descentes de police abusives se seront produites.
Les recherches de l’ERRC ont également révélé une nette tendance au ciblage ethnique, dans le cadre duquel tsiganes et voyageurs sont perçus comme ayant une inclination naturelle au crime et à la délinquance. De ce fait, ils sont traités collec­tivement comme suspects et dangereux. Les mêmes stéréotypes influencent égale­ment les autorités judiciaires qui traitent bien trop souvent tsiganes et voyageurs d’une manière discriminatoire.
7.1 Abus et mauvais traitements subis par les tsiganes et les voyageurs lors des expulsions forcées
Tsiganes et voyageurs sont souvent les victimes d’expulsions forcées conduites par la police de manière violente et abusive. Ces descentes se font presque toujours sur le même modèle à travers le pays. Des officiers de police armés arrivent sans prévenir tôt le matin (normalement vers 5h ou 6h). Ils réveillent les habitants en tapant sur les
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
186
caravanes avec leurs poings, leurs matraques ou leurs lampes torches. On ordonne aux habitants (hommes, femmes, enfants) de sortir immédiatement des caravanes, que ce soit l’été ou l’hiver. On ne leur laisse pas le temps de s’habiller : les habitants doivent sortir tels qu’ils sont. On leur demande de quitter les lieux qu’on les accuse d’occuper « illégalement ». Traités comme des criminels, voyageurs et tsiganes sont considérés comme coupables de stationner leurs caravanes en des lieux non « prévus à cet effet ». Durant ces descentes, tsiganes et voyageurs font souvent l’objet de traitements dé­gradants, d’agressions verbales, de propos racistes et de violences physiques.
Mme. Nathalie Gaubert, une tsigane qui fait souvent halte dans les environs de Bordeaux, nous a dit que :
Chaque fois qu’ils viennent, ils viennent à quinze, vingt. Des fois sept ou huit. Pour un meurtre, ils n’en feraient pas tant. Nous, on dit, on n’est pas de meurtriers… Qu’est ce qu’on fait de mal ? On prend un bout de place. On dirait qu’on mange la terre. On nous traite comme si on est des meurtriers. Ils pensent qu’on casse tout, vole tout. Ils ont peur de nous.346
M. Ivan Cause, un yéniche vivant près de Lyon, a dit à l’ERRC :
Plusieurs fois on se lève le matin avec les tortues ninjas347 autour de nous – mitraillettes, cagoules.348
Ces descentes sont souvent la source de dégâts causés aux caravanes et autres propriétés des tsiganes et voyageurs.
Le jeudi 12 février 2004, vers 6h du matin, la police a fait une descente près du chemin de l’Ange Chave (commune de Vitrolles). Un groupe de voyageurs stationnait
346 Entretien de l’ERRC avec Mme. Nathalie Gaubert, le 02 mars 2004, à Bordeaux.
347 Il se réfère aux CRS dans leur tenue de combat. Les CRS (Compagnie républicaine de sécurité) sont des unités de police mobile réservistes de la police nationale. Elles sont sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur. Les CRS ont beaucoup de responsabilités comme : rétablir et maintenir l’ordre, combattre la délinquance petite et moyenne, surveiller les ports, les aéroports, les frontières et autres liens avec les territoires étrangers.
348 Entretien de l’ERRC avec M. Ivan Cause, le 22 mars 2004, à Givors. 187 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
là avec leurs caravanes. Les familles349 ayant subis cette descente ont écrit au Ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Sarkozy. En voici le texte :
…Nous avons été réveillés hier, vers 6h du matin, à coups de matraques frappés sur nos caravanes. Celles-ci en portent encore les traces. Nous avions négocié avec le maire de Vitrolles la possibilité de rester quelque temps encore sur un terrain vague, en bordure d’autoroute, faute de mieux, la ville de Vitrolles n’ayant pas crée l’aire de stationnement que la loi impose. Cette autorisation nous avait été accordée oralement. L’intervention policière a mis fin à toute illusion.
Nous avons été traités avec brutalité et grossièreté, nos lignes électriques nous reliant à notre propre groupe électrogène ayant été arrachées, nos tuyaux d’eau tranchés. Les enfants ont été sommés, comme leurs parents, de sortir immédiatement des caravanes, malgré froid, nuit et brouillard. Ils étaient grelottants de peur. Nous avons demandé aux poli­ciers s’ils avaient des enfants. Il nous a été répondu que les leurs étaient au chaud, mais que les nôtres étaient habitués au froid et ne craignaient rien. Et que de tout façon, ils allaient nous chasser comme des rats.
La lettre raconte aussi que les policiers auraient dit à une jeune femme enceinte, dont la grossesse était difficile et qui protestait contre la brutalité de la police : « Tu vas fermer ta gueule autrement on va employer les grands moyens. » Une femme en robe de nuit voulait s’habiller avant de quitter la caravane et une femme officier de police (qu’on pense être le commissaire de Vitrolles) lui a dit : « Descends de ta caravane ou je monte t’habiller. »
Les familles soulignèrent qu’elles n’avaient opposé aucune résistance. Elles ont dit aux policiers qu’elles étaient prêtes à partir et leur ont demandé de ne pas abîmer leurs caravanes, car c’étaient là leurs maisons pour lesquelles elles remboursent des crédits en travaillant sur les marchés ou comme artisans. Ils ont aussi rappelés à la police la loi Besson et la loi pour la Sécurité intérieure, étant donné que la ville de Vitrolles ne s’est pas acquittée de son obligation légale d’installer une aire d’accueil. Les policiers auraient répondu : « Rien à foutre de Sarkozy. »350
349 Families Azais, Beautour, Benoni, Dumail, Garcy, Lecocq, Nami, Nasset, Vieira, Voisin.
350 Familles Azais, Beautour, Benoni, Dumail, Garcy, Lococq, Nami, Nasset, Vieira, Voisin. Lettre à Monsieur Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, le 14 février 2004, Aix en Provence. 188 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Dans un communiqué de presse, l’organisation non gouvernementale la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)351 ont expliqué qu’ils avaient eu la promesse du cabinet du maire de Vitrolles que le groupe ne serait pas expulsé et que le préfet n’autoriserait pas le recours à la force publique (c’est-à-dire la police). Ils disent plus loin qu’« au-delà du reniement de la parole municipale, cette mairie toujours dans l’illégalité (pas d’aire de stationnement comme l’y oblige la loi Besson) expulse en même temps que des adultes, des enfants scolarisés à Vitrolles ». Ces organisations ont également confirmé les dom­mages causés aux biens : les câbles du groupe électrogène propriété des voyageurs, ont été coupés ; leurs canalisations d’eau ont été endommagées ; et les caravanes ont été cabossées. Ils ont aussi souligné la violence verbale des officiers de police.352
En mars 2005, les autorités françaises n’avaient toujours pas entrepris d’enquête ni de sanctions disciplinaires à propos de ces allégations de conduite policière abusive.
M. Christophe Daumasse a dit à l’ERRC : « Ce qui s’est passé a Vitrolles – c’est d’une banalité pour nous. On sait qu’en stationnant on s’expose à être traité plus bas qu’un chien. A être insulté… Peut-être on incite l’affrontement… Ca se passe très bien des fois, mais des fois très très mal.353
Le 4 mai 2004, Mme. M.J. Daumasse a décrit à l’ERRC une expulsion qu’elle venait de subir le matin précédent à Aix-en-Provence :
Hier, on s’était arrêtés près de la rivière et les gendarmes sont venus tôt le matin. Ils ont commencé à tambouriner sur les caravanes… Ils ont tam­bouriné sur toutes les caravanes. Certains policiers utilisaient leurs poings et d’autres les culs de leurs lampes torches. Ils ont tapé jusqu’à ce que l’on ouvre les portes. Ils n’ont pas essayé de savoir quoi que ce soit. Ils étaient juste venus avec des camions de remorquage et des grues. C’était les CRS. Il y avait un huissier avec les policiers. J’ai demandé pourquoi ils n’avaient
351 Deux importantes associations non gouvernementales..
352 MRAP et LDH. « Expulsion de Gens du Voyage à Vitrolles – La Mairie revient sur sa parole », Com­muniqué de Presse, le 12 février 2004, Vitrolles, cité dans Dossier de Presse, Rencontres Tsiganes, 16 mars 2004.
353 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Christophe Daumasse, le 21 octobre 2004 à Paris. 189 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
pas d’arrêté d’expulsion. L’huissier a répondu : « Nous n’en avons plus besoin » Il a dit à mon frère : « Vous vous croyez juriste ? » Mon frère a répondu « Je ne suis pas juriste mais je connais certaines lois. » Ma soeur de deux ans et demi a été réveillée en sursaut. Elle a pleuré toute la matinée, elle avait reçu un gros choc.354
Mme. G. F. a ajouté : « C’est la même chose avec ma petite fille. Elle a pleuré toute la matinée. Et il y a des bosses sur la porte de notre caravane. C’est tout ce que nous avons. Hier, la police a fait 14 bosses sur une autre caravane. Ces caravanes sont chères, on a pris un crédit. »355 L’ERRC n’a pu établir le nombre exact de CRS ayant procédé à cette descente. Toutefois, il y en avait au moins vingt et sans doute plus, étant donné qu’ils seraient venus dans un bus, à plusieurs camions et aussi deux motos.
Parfois, les policiers exercent des violences physiques sur les tsiganes et les voyageurs durant les expulsions. L’ERRC a réuni des informations sur un certain nombre de cas dans lesquels la police a fait preuve de violences physiques sur les tsiganes et les voyageurs et également de cas dans lesquels les policiers ont menacé tsiganes et voyageurs de leurs armes.
A environ 7h30, un matin de janvier 2003, la police a fait une descente à Saint-Ouen-l’Aumône (Val d’Oise), là où un groupe d’environ 70 caravanes stationnent. D’après M. N.C. qui était éveillé à ce moment-là, les CRS (une centaine) sont venus dans des camions, ont entouré les lieux et ont allumé des projecteurs. Il a dit que les CRS portaient leur équipement complet : casque, boucliers, matraques et armes à feu. D’autres voyageurs ont également dit qu’ils avaient vu des canons à eau derrière certains des camions. Les policiers auraient braqué les projecteurs sur les caravanes et auraient tapé dessus avec leurs matraques. Les policiers ont demandé aux voy­ageurs de quitter les lieux sur lesquels ils étaient depuis plusieurs semaines. N.C. a dit à l’ERRC que les voyageurs n’avaient pas été avertis de cette expulsion forcée.
N.C. a expliqué qu’il avait tenté de négocier avec la police. Il a également essayé d’envoyer deux fax à la Préfecture. L’une des femmes du groupe venait de subir une opération et il y avait aussi 5 personnes handicapées. Il y avait aussi un certain nombre
354 Entretien de l’ERRC avec Mme. M.J Daumasse, le 04 mai 2004, à Aix-en-Provence.
355 Entretien de l’ERRC avec Mme. G.F., le 04 mai 2004, à Aix-en-Provence.190 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
de véhicules qui ne fonctionnaient plus. Peu après 9h, N.C. a demandé à la police quelle était la réponse de la Préfecture. D’après N.C. un officier de police a répondu : « La réponse, c’est une remorqueuse ». N.C. est monté dans son camion pour se rapprocher de sa caravane. Il pense qu’il n’a dû avancer que d’un mètre. Les policiers ont apparem­ment cru qu’il voulait leur rentrer dedans. Un policier a frappé sur le camion et un autre a ouvert la porte côté passager. N.C. a dit à l’ERRC qu’il était descendu du camion et qu’il se rappelle avoir entendu crier le policier qui avait ouvert le camion : « Attrapez le ! ». Il a alors été jeté à terre battu par cinq ou six policiers. D’autres policiers ont formé une ligne afin d’empêcher les autres voyageurs d’intervenir.356
M. Joseph Charpentier, Président de l’association non gouvernementale As­sociation Nationale et Européenne S.O.S. Gens du Voyage357 a dit à l’ERRC « Les policiers l’ont jeté à terre... Son camion a été très abîmé – les vitres ont été cassées et la carrosserie cabossée. »358
Les policiers ont menotté N.C. et l’ont emmené au poste de police. N.C. pense avoir été détenu de 9h30 environ à 17h00 environ. La partie droite de son visage saignait et ses bras et son cou étaient douloureux. Un médecin, qui n’a été autorisé à le voir que plus tard dans la journée, a constaté une estafilade sur sa tempe et de multiples hématomes sur les bras.
Durant sa détention N.C. a été interrogé. N.C. a expliqué à l’ERRC qu’il était menotté pendant l’interrogatoire. Un policier assis en face de lui le tenait en joue avec son pistolet, un autre à côté de lui tenait également un pistolet et jouait avec la gâchette. Un troisième policier était aussi présent et tapait à la machine ce qu’il disait. D’après N.C., le policier en face de lui lui a dit : « Tu as voulu faire le malin » N.C. a répondu « Je suis un pasteur » Le policier lui a alors répondu : « En tant que pasteur vous auriez dû être le premier à quitter les lieux ». Un autre policier a dit « c’est vous le » nouche,359 le chauffeur-tueur. » Un des policiers a dit : « Moi quand je pars en vacances, je cherche si il y a de la place. » On a fait signer à N.C. pendant son interrogatoire un document où il avouait avoir com­
356 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. N.C., le 25 janvier 2005 à Paris.
357 Association Nationale et Européenne S.O.S. Gens du Voyage.
358 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 19 octobre 2004, à Bobigny.
359 Il semblerait que le policier aie raccourci le terme « manouche » en un diminutif péjoratif. 191 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
mis un acte de « rébellion avec arme ». Lorsqu’il a dit aux policiers qu’il n’avait pas d’armes, ils lui ont répondu : « En France, un chien est une arme ».
N.C. a déposé une plainte auprès du procureur de la République pour abus de pouvoir. L’association non gouvernementale Association Nationale et Européenne S.O.S. Gens du Voyage a également envoyé une plainte écrite au Ministre de l’Intérieur, M. Sarkozy.360 En mars 2005, S.O.S. Gens du Voyage n’a eu vent d’aucune sanction disciplinaire à l’encontre des policiers impliqués dans cette histoire. Quant à N.C. il n’a aucune nouvelle de sa plainte auprès du procureur de la République.361
Par ailleurs, la police a maintenu les charges contre N.C. pour « rébellion avec violence » et l’a traduit en justice en janvier 2004. N.C. a dit à l’ ERRC que les policiers avaient transformé les charges de « rébellion armée » pesant contre lui en « rébellion avec violence » juste avant le procès. Les policiers ont dit qu’il avait es­sayé de les écraser avec son camion. Un des policiers a dit que N.C. l’avait coincé entre son camion et sa caravane. N.C. a été déclaré coupable des charges retenues contre lui. Toutefois, rien n’a été écrit dans son casier judiciaire et il n’a été con­damné qu’à 300€ de dommages et intérêts.362
Le 21 octobre 2004, une autre expulsion avec abus a eu lieu à Trappes (Yvelines). Un groupe d’à peu près 15 caravanes stationnait dans un champ vide près de la route. Ils étaient arrivés là le 8 octobre. Comme de coutume, une patrouille de police est arrivée sur les lieux. Les policiers ont noté les plaques d’immatriculation des véhicules. Un des policiers aurait dit : « Au moins ici, ils n’embêtent personne ». Sans aucun avertisse­ment, les policiers sont revenus le 21 octobre et ont informé les habitants qu’ils devaient quitter les lieux immédiatement, sous peine de quoi leurs véhicules seraient saisis et ils devraient payer une amende. Une remorqueuse serait arrivée peu après. Les voyageurs ont essayé de négocier avec les policiers, expliquant qu’ils n’étaient pas prêts à partir et que si on saisissait leurs véhicules, ils ne pourraient plus remorquer leurs caravanes. La seule réponse qu’auraient fait les policiers aurait été : « Maintenant, c’est comme ça ». Lorsqu’une mère de famille a tenté de discuter avec la personne qui semblait être le chef
360 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. N.C., le 25 janvier 2005, à Paris.
361 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 16 mars 2005, à Paris. Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. N.C., le 20 mars 2005, à Paris.
362 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. N.C., le 25 janvier 2004 à Paris.192 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
du groupe, celui-ci a répondu : « Je ne parle pas avec les femmes comme vous. » Il a alors ordonné aux policiers de se retirer. Puis, celui-ci a lancé une bombe lacrymogène au mi­lieu du campement, suivi d’autres salves. De nombreux habitants ont été blessés. Lorsque les gaz se sont dissipés, le chef des policiers leur a ordonné de dresser des contraventions pour stationnement illégal sur la voie publique et ce bien qu’il n’y ait eu aucun véhicule sur la route. Sept contraventions ont été dressées.
Les fondements juridiques de l’action des policiers (si tant est qu’il y en ait eus) ne sont pas clairs, étant donné que la mairie n’avait pas rempli ses obligations vis à vis de la loi Besson et que les policiers n’a produit aucune décision de justice, arrêté d’expulsion ou quelque autre document que ce soit. L’association non gouvernementale S.O.S. Gens du Voyage a envoyé une plainte au Ministre de l’Intérieur de l’époque, Dominique de Villepin, ainsi qu’au procureur de la République et au préfet du département.363 En janvi­er 2005, S.O.S. Gens du Voyage a reçu une lettre de la préfecture des Yvelines expliquant qu’enquête avait été faite sur le sujet. D’après la préfecture, « la police s’était comportée conformément à son devoir ». La seule enquête ayant eu lieu semble avoir été interne à la police et s’être limitée seulement à la version des faits des policiers.364
M. M. C. a décrit une autre descente de Police abusive ayant eu lieu à Marne-la-Vallée, près d’Eurodisney en banlieue de Paris, au printemps 2004. M. M. C. voy­ageait avec 20 à 30 personnes et souhaitait rejoindre des membres de sa famille qui stationnaient sur un terrain vide. Avant même que le groupe n’ait pu sortir des cara­vanes, neuf ou dix voitures de police sont arrivées. M. M.C. a dit à l’ERRC qu’« ils ont sorti leurs armes et nous ont menacé avec des gaz lacrymogènes. Ils ont vu mon fils âgé de cinq mois qui dormait dans son berceau. L’un des policiers a dit à sa col­lègue de venir et lui a dit : « C’est à cette âge qu’on doit leur mettre une balle » et il a éclaté de rire. J’ai demandé à un autre policier s’il avait entendu et il m’a répondu : « Il n’a pas dit ce que vous avez entendu ». Les policiers nous ont escortés en dehors de la commune. Ils nous ont suivi pour être sûr que nous étions bien partis. »365
363 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 27 octobre 2004, à Paris. Joseph Charpentier, lettre à M. de Villepin. Le 27 octobre 2004, à Drancy.
364 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 15 mars 2005, à Paris.
365 Entretien de l’ERRC avec M. M.C., le 6 avril 2004, à Marne-la-Vallée. 193 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
Voici un autre exemple. Une femme de 73 ans a été maltraitée durant une de­scente à Casteljean près de Bordeaux, en 2002. Un petit groupe de caravanes station­nait derrière un supermarché. Les voyageuses Nathalie Gaubert et Dolores Azais, qui ont été témoins des faits, ont dit à l’ERRC : « La police est arrivée et ils ont trouvé les caravanes garées là et illégalement raccordées au réseau électrique. Comme il n’y avait pas d’hommes aux alentours, les policiers se sont saisis de la vielle dame. Ils l’ont brutalement tirée par la main. Elle avait besoin de ses médicaments mais les policiers ne l’ont pas laissé les prendre. Elle a dû dormir au commissariat. Imaginez une vielle dame. Ella a été très secouée par les évènements. »366
Un jour, tôt le matin, peu avant Pâques 2001, des policiers ont fait une descente dans un terrain industriel de Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), où vivaient environ 150 tsiganes et voyageurs. Mme C.A., une voyageuse qui s’était arrêtée dans ce lieu à ce moment-là, a dit à l’ERRC : « On dormait. Ils sont venus et ont commencé à tirer sur les câbles électriques et à taper sur les caravanes. Ap­paremment, nous avions provoqué un court circuit et privé une entreprise voisine d’électricité. On est obligés de voler l’électricité, vous savez. On n’a rien contre le fait de payer, mais lorsqu’on le demande, on nous le refuse. Ils ont utilisé des bombes lacrymogènes, même sur les enfants, et ont dit : « C’est dommage qu’Hitler n’ait pas fini son travail. » Un policier a frappé un vieil homme de 60 ans, qui est tombé sur une pierre. Après ça on a aussi commencé à les insulter et à lancer des pierres sur les policiers. La Ligue des Droits de l’Homme est arrivée. Les policiers ont commencé à être inquiets. Finalement, les policiers nous ont laissé rester là où on était. »367
M. Alain Fourest, de l’association non gouvernementale Rencontres, arrive sur les lieux aux environs de 11h00, après avoir été appelé par l’un des résidents. Il a dit à l’ERRC : « Les policiers avaient tout cassé. Il y avait des biens cassés appartenant aux voyageurs – leurs tuyaux, leurs câbles et du matériel. Les policiers sont aussi entrés dans la caravane. Les voyageurs m’ont dit que les policiers avaient fouillé les caravanes. C’est alors qu’une femme a bloqué l’entrée de sa caravane et a dit : « Vous n’en avez pas le droit ». Elle a été emmenée au poste de police. On l’a ramenée le soir même. La police a aussi arrêté un jeune garçon qui aurait jeté des pierres. Il a été emmené au poste de police. J’ai réussi à négocier que la police se retire des lieux. Cette femme fut poursuivie pour
366 Entretien de l’ERRC avec Mmes Nathalie Gaubert et Dolores Azais, le 2 mars 2004, à Bordeaux.
367 Entretien de l’ERRC avec Mme. C.A., le 4 mai 2004, à Aix-en-Provence. 194 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
outrage à agent de police dans l’exercice de ses fonctions. Elle s’est trouvée un avocat et a été assignée à comparaître, mais je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite. »368 M. Fourest a aussi confirmé que de nombreux voyageurs lui ont dit que les policiers avaient dit : « C’est dommage qu’Hitler n’ait pas fini son travail. »
Les policiers ont agi sans aucune décision de justice. De plus, ils n’avaient aucun mandat de perquisition les autorisant à entrer dans des lieux privés tels que les cara­vanes. D’après M. Fourest, la Ligue des Droits de l’Homme a été informée que les policiers ont agi par suite d’une plainte que le maire aurait reçu d’une société voisine des lieux, alléguant une « détérioration de biens publics », de « vol d’électricité », etc. Il a été supposé que les caravanes s’étaient branchées sur le boîtier électrique à l’entrée du terrain et que ceci avait causé des problèmes techniques dans l’usine. Toutefois, aucune preuve matérielle du bien-fondé de la plainte n’a été fournie, ni de preuve quant aux dégâts subis par l’entreprise. Il semble que le maire de la ville ait simplement demandé à la police de faire une descente.
M. Fourest a dit à l’ERRC que finalement, la commune a réinstallé l’eau et l’électricité dans les lieux en fin de journée et que les voyageurs ont été autorisés à rester sur le terrain industriel quelques jours de plus. La commune de Chateauneuf-les-Martigues, quant à elle, est en infraction avec la loi Besson étant donné qu’elle n’a pas mis à disposition d’aire d’accueil ainsi que le requiert cette loi.369
Aucune plainte n’a été déposée concernant l’attitude abusive des policiers. M. Fourest a commenté ceci en expliquant qu’il était très rare que les victimes de mal­traitance policière portent plainte car, en représailles, des plaintes pour « outrage à agent » ou autres sont alors déposées contre les plaignants.370
M. Daniel Winterstein, un voyageur rencontré à Bordeaux par l’ERRC en mars 2004, a décrit une autre expulsion qui a eu lieu il y a quelques années sur un terrain en friche à Bordeaux. Durant celle-ci, un policier a menacé son père d’une arme à feu. « Les policiers sont venus un matin vers 8h et lui ont dit de partir. Il a répondu
368 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 25 octobre 2004, à Paris.
369 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 25 octobre 2004, à Paris.
370 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 17 mars 2005, à Paris. 195 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
« Attendez, on boit le café avec les enfants. On partira dès qu’on aura fini. Il a alors pointé l’arme sur sa poitrine. »371
A Cannes, la Police a utilisé une tactique abusive originale : elle a retenu les voy­ageurs prisonniers jusqu’à ce qu’ils partent tous. Un matin de janvier 2004, une quar­antaine de caravanes sont arrivées à Cannes. Comme il n’y a pas d’aire d’accueil dans cette ville, les voyageurs sont allés s’installer dans un champ vide où ils avaient déjà été auparavant, mais la commune avait fait creuser une tranchée autour de celui-ci. Ils ont fini par trouver un terrain vide au bout d’une voie sans issue de la zone indus­trielle de Cannes. Peu de temps après leur arrivée, environ 80 voitures de police ont débarqué. Les policiers étaient armés de pistolets et accompagnés de chiens. La police a bloqué l’entrée du camp de manière à ce qu’il soit impossible de partir. On a donné alors le choix aux voyageurs : soit tout le monde partait, soit personne ne partait.
Les voyageurs sont restés 4 ou 5 jours sur le terrain face à face avec la Police. Ils n’avaient accès ni à l’eau, ni à l’électricité ni à tout autre infrastructure et ne pouvai­ent sortir, ne serait-ce que pour acheter de la nourriture ou envoyer leurs enfants à l’école. Quand ils se sont décidés finalement à partir, ils ont été escortés par environ 250 policiers, non seulement hors de la commune, mais aussi hors du département des Alpes-Maritimes.372
Les voyageurs de ce groupe étaient des commerçants. Ils étaient venus à Cannes pour travailler. Ils avaient envoyé une lettre recommandée à la commune avant leur ar­rivée pour demander un endroit où stationner mais n’avaient reçu aucune réponse.373
Ces descentes ont des effets délétères importants sur la santé psychique des tsi­ganes et voyageurs en France, du fait du choc et du stress qu’ils induisent. En persé­cutant les familles qui s’arrêtent avec leurs caravanes, les descentes de police servent également a décourager l’adoption du mode de vie lié au voyage.
M. Christophe Daumasse, un voyageur de 36 ans, a dit à l’ERRC : « Je connais quinze personnes en traitement psychologique à cause de ce genre d’évènement. Lorsque
371 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mr. Daniel Winterstein, le 2 mars 2004, à Pessac.
372 Le département est une division administrative du territoire français. Chaque département est consti­tué de plusieurs communes. Le pays est divisé en quatre-vingt quinze départements.
373 Entretien de l’ERRC avec Ms. James Dubois et Franck Couchevellou, le 14 novembre 2004, à Paris.196 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
la police arrive sur un terrain à 6h du matin, c’est choquant – vous n’avez plus votre intég­rité. Je connais des gens qui ne peuvent plus le supporter, psychologiquement parlant. Ils ont peur de voyager. Ils souffrent de stress intense et ont peur de tout. Stationner avec nos caravanes est très stressant, sachant que l’on risque à tout moment une expulsion abusive. C’est vraiment épuisant. »374
Mr. José Raymond, un autre voyageur, qui maintenant voyage rarement, a dit à l’ERRC : « Maintenant j’ai peur de prendre ma caravane et de voyager. Il y a un truc qui s’est passé vis-à-vis de l’Etat – il nous harcèle constamment – on n’est même pas arrivés à un endroit et on a les gendarmes dessus. Maintenant, si je dois voyager, j’ai peur… »375
Bien que moins fréquemment, les expulsions abusives visent aussi les voyageurs qui vivent dans des maisons. Par exemple, au matin du 28 septembre 2004, une famille de voyageurs vivant dans une maison à Niévroz (Ain) ont été expulsés de manière très agressive et abusive.
Marguerite et George Scheid ont été réveillés à 06h du matin par l’arrivée chez eux de 120 policiers en tenue de combat et soutenus par un hélicoptère. Mme Scheid a dit à l’ERRC :
Ils étaient partout. Ils ont tapé à la porte et ont dit : « Ouvrez ou on enfonce la porte. » On ne savait pas ce qu’il se passait. Mon mari s’est tourné vers mon fils et lui a demandé s’il avait fait quelque chose. Il a répondu : « Non ». On a demandé aux policiers de nous laisser au moins nous habiller. Ils ont dit : « Non, ouvrez la porte, ouvrez la porte. », vraiment de manière agressive. On a ouvert. Les policiers sont entrés. Ils ont sorti les enfants de leurs chambres. Ils nous ont demandé si on savait pourquoi ils étaient là. On a dit « Non », ils ont dit qu’ils étaient venus pour la démolition de notre maison.376
374 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Christophe Daumasse, le 21 octobre 2004 à Paris.
375 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Raymond Jose, le 22 octobre 2004, à Paris.
376 Les Scheid ont été accusés d’avoir illégalement construit leur maison et ont été condamnés à la dé­molir par le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse le 04 juillet 2001. Cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel de Lyon le 20 février 2002 et par la Cour de Cassation le 21 janvier 2003. Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. B. Genaudy, le 22 mars 2005, à Paris. 197 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
D’après Mme Scheid, les policiers ont alors dit qu’ils allaient les emmener à la mairie où ils pourraient discuter du problème avec le préfet. Marguerite et George Scheid ont été autorisés à conduire leurs propres voitures, escortés par deux motards devant et deux derrière, ainsi qu’un grand nombre de voitures de police tant devant que derrière eux. Mme Scheid a estimé le nombre de voitures à vingt.
Mme Scheid a décrit à l’ERRC les évènements suivants :
Bien sûr il n’y avait personne à la mairie. On nous a dit d’aller dans la salle des fêtes. J’ai appelé toutes sortes de gens avec mon téléphone mobile – des amis, des associations non gouvernementales, etc. On nous a gardés là toute la matinée. C’était plein de policiers qui nous gardaient. Ils ne nous ont rien donné à manger. Ils nous ont juste don­né une bouteille d’eau minérale dans laquelle ils avaient mis du café. C’était horrible.
Peu après que Marguerite et George Scheid aient été escortés par la police dans la salle des fêtes, les policiers ont amené aussi la petite-fille de Mme Scheid, âgée de 8 mois, Manine Scheid, leur fils âgé de 23 ans, Cédric Scheid, la belle-fille âgée de 20 ans, Laetitia Scheid, le fils de 14 ans, Michael Scheid, la nièce, Madeleine Scheid, qui vit dans la propriété mitoyenne de celle de Marguerite et George Scheid et enfin les enfants de leur nièce, Lorema Scheid, 6 ans et Jeferson Scheid, 3 ans.
Aux environs de 13h les policiers dirent à Marguerite et Georges Scheid qu’ils pouvaient rentrer chez eux pour « déménager ». Marguerite a dit à l’ERRC :
Nous sommes rentrés à la maison où on a trouvé un camion de déménagement et tout mis dans des cartons, tout était mélangé – médi­caments, vêtements, chaussures, vaisselle sale, etc. Aujourd’hui encore il y a des choses que l’on ne retrouve toujours pas. Les policiers nous ont permis de prendre avec nous des affaires personnelles pour la nuit. J’ai pris une bouteille de lait pour le bébé. J’avais deux frigos avec de la nourriture dedans. Mon mari a demandé aux policiers de simplement les laisser au milieu du terrain, qu’on allait en faire quelque chose. On avait aussi un garage d’environ 10 mètres de long. Mon mari a demandé aux policiers de ne pas mettre les cartons dans le camion mais de les mettre plutôt dans le garage. 198 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Tant bien que mal, mon mari a réussi à rester rationnel. J’étais hys­térique. Je criais et je pleurais. Après qu’on eut pris nos affaires, les policiers m’ont traînée de force dans notre voiture, je hurlais. Ils nous ont dit de partir, que sinon ils nous emmèneraient de force. Nous avons passé l’après-midi chez des membres de notre famille qui vivent au bout de la route. Nous n’avions plus le droit d’aller près de la maison.
Pendant ce temps-là, durant l’après-midi, les bulldozers ont détruit notre maison – la maison où nous vivions depuis 1992.
Les enfants ont été détenus la journée entière dans la salle des fêtes, on ne leur a donné rien à manger ni à boire, excepté de l’eau minérale avec du café. Deux motards ont autorisé Laeticia à sortir avec son bébé de 8 mois. Elle a passé l’après-midi dans la rue. Vers 18h00, la police a quitté la propriété. On est allé la voir vers 18h30, une fois qu’ils étaient parties. Il n’y avait plus que de la terre là où se trouvait notre maison. L’eau et l’électricité avaient aussi été coupés.
La Police nous a proposé un hébergement dans un hôtel pour la première nuit, à environ 50 km de chez nous. A lieu de cela on a dormi dans notre voiture. Mon mari a beaucoup de cholestérol et du diabète. Il doit pren­dre un médicament deux fois par jour. Il n’a pas pu le prendre jusqu’au lendemain quand on l’a trouvé dans les cartons.
En réponse aux appels téléphoniques de Mme Scheid le matin, quelques centaines de voyageurs et de tsiganes auraient essayer de protester contre la démolition de la maison pendant la journée. Toutefois, les lieux avaient été complètement verrouillés par la Police. Les policiers avaient déjà barré la route cinq kilomètres en amont.
Les voisins des Scheid,377 dont la maison se trouve à environ 200 mètres de la leur, se virent interdits de sortir de leur maison de toute la journée.
Marguerite et George Scheid, avec leurs deux enfants, leur belle-fille et leur petite fille, vivent maintenant sur leur terrain dans une caravane de 8 mètres de long sur trois
377 Ces voisins se trouvent à côté de la propriété de Marguerite et Georges Scheid, du côté opposé à celui de leur nièce.199 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
mètres de large. L’électricité a été rétablie à partir d’une connexion avec le terrain de Laeticia Scheid, laquelle a demandé à ce qu’elle soit reconnectée. Toutefois, les Scheid demeurent sans eau ni tout-à-l’égout. Le 29 novembre 2004, ils ont reçu une lettre du maire de la ville leur donnant deux mois pour démolir ou quitter la « construction » se trouvant sur leur terrain. La « construction » en question n’est autre que leur caravane. L’avocat des Scheid a déposé une plainte contre cette demande municipale. A la date où nous écrivons, le jugement n’a pas été rendu.378 Début mars 2005, les Scheid ont également reçu une facture d’environ 10 000€ de la préfecture de l’Ain pour couvrir les frais de démolition.379
Le tribunal a ordonné à la mairie de délivrer le permis de construire, cette fois sous la menace d’une amende journalière de 500 €. Suite à cette décision, la com­mune a délivré le permis de construire début octobre 2004.380
L’ERRC n’est pas au courant de la moindre action disciplinaire prise à l’encontre des policiers dans aucun de ces cas. Il semble que, lorsqu’elles sont déposées, les plaintes ne sont pas sérieusement instruites par la police ou quelque autre corps que ce soit. Lorsque les voyageurs portent plainte contre des actions abusives de la part des autorités, des con­tre-plaintes sont déposées par la police contre les plaignants. Bien souvent les victimes de ces incidents ne portent pas plainte car elles ne croient absolument pas en l’efficacité d’une telle chose et craignent des plaintes contre eux en représailles.
7.2 Les arrestations, contrôles et perquisitions donnent lieu à des descentes de police abusive là où vivent tsiganes et voyageurs
Lorsque la police procède à des perquisitions, des contrôles ou des arrestations impliquant des tsiganes ou des voyageurs, le groupe entier vivant dans les lieux est traité comme si tous étaient suspects. Les recherches de l’ERRC indiquent une tend­ance systématique de la police à procéder à des descentes abusives fondées sur des stéréotypes racistes selon lesquels toutes les personnes habitant ensemble en un lieu donné sont visées collectivement.
378 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. B. Genaudy, le 22 mars 2005 à Paris.
379 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Marguerite Scheid, le 20 mars 2005 à Paris.
380 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Marguerite Scheid, le 20 mars 2005 à Paris.200 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
M. Frédéric Lievy, représentant de Goutte d’Eau, a dit à l’ERRC :
…quand on contrôle un nomade sur l’aire d’accueil, on ne contrôle pas ‘le’ nomade, mais la totalité de l’aire d’accueil .. on fouille dans la ma­chine à laver ; dans les niches de chiens.. On encercle le terrain avec des hélicoptères en soutien… très fréquemment. C’est systématique quand on perquisitionne sur le terrain. Quand ils recherchent un voyageur, ils vont dans toutes les caravanes, sous les lits, renversent le linge. Ils sont menaçants…. Ils sont agressifs à Bordeaux, Paris, Lyon, partout.381
Voici un cas significatif. Le 4 avril 2004, les policiers ont fait une descente à Sestasse, Pessac où plusieurs familles vivent dans 4 caravanes. A ce moment-là, il y avait environ 25 personnes dans ce lieu, parmi elles au moins 15 enfants.
M. José Raymond, représentant informel de ce groupe, a dit à l’ERRC :
..vers le coup de 6h30, 7h du matin, j’ai entendu des portes des véhicules claquer, ce qui chez nous n’est pas habituel… je me suis douté un peu… on n’a pas l’habitude de portes qui claquent comme ça, des voitures qui arrivent à 100 à l’heure. C’était les gendarmes qui arrivaient comme des cow-boys… Je me suis levé… J’ai entendu frapper fort à la porte de ma caravane... J’ai ouvert la porte, j’ai vu la police et j’ai dit : « Qu’est ce qui se passe ? » Ils ont dit descendez de la caravane. » J’ai dit : « Qu’est ce qui se passe ? » Ils n’avaient aucun papier pour justifier quoi que ce soit. Le policier a dit « c’est un contrôle de routine.
Les policiers barraient l’accès de notre terrain avec des mitraillettes. Ils avaient mis leurs véhicules en travers et avaient des hommes devant avec des mitraillettes chargées. Ils ne nous visaient pas mais les tenaient dans les mains. Ils étaient près de 4-5 hommes… Le temps qu’on descende de nos caravanes, d’autres policiers avaient couru derrière elles…
J’ai demandé encore : « Qu’est ce qui se passe ? » Ils ont dit : « C’est un contrôle de routine ». J’ai dit : « Vous allez chez des gens avec des mi­traillettes pour des contrôles de routine ? Vous ne nous connaissez pas
381 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Lievy, le 7 mars 2004 à Toulouse. 201 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
et vous vous permettez de venir avec mitraillettes pour nous demander des pièces d’identité ? J’ai pris un gendarme à part que je connais : Vous vous rendez compte du manque de respect ? Que pensent les gens qui passent de nous ? Qu’est ce que pensent nos enfants ?
Finalement, ils n’ont pas perquisitionné ni rien. Leur but c’était sim­plement de venir nous embêter avec des mitraillettes. Au point de vue moral, c’est inhumain.
Un policier aurait dit à M. José Raymond : « Maintenant la loi Sarkozy382 en­tre en application. Nous sommes obligés de venir en nombre et de procéder à des contrôles. Ça arrivera régulièrement. » Lorsque M. Raymond lui a demandé de lui présenter un texte officiel disant cela, le policier ne lui montra rien. Après quoi, les policiers sont repartis.
Avant de venir chez M. Raymond, la police aurait fait une descente du même genre, plus bas sur la route, à un endroit où résident d’autres voyageurs.383
Il est quasiment impensable qu’en France la police débarque pour « un contrôle d’identité de routine » dans un quartier non-tsigane, tôt le matin, l’arme au poing.
Un groupe d’hommes de l’aire d’accueil de Saint-Priest a dit à l’ ERRC que de nombreuses descentes de police y ont eu lieu. Ils ont expliqué qu’à chaque fois la police encercle les lieux, fait sortir tous les habitants de leurs caravanes et fouille partout. Parfois ils les tiennent en joue avec des armes à feu, d’autres fois non. La descente la plus récente dont ils nous ont parlé a eu lieu en 2002 quand la police est venue chercher une seule personne parmi les 14 familles qui vivent là. D’après l’un des habitants, M. Buche : « Les policiers ont fait sortir tout le monde des caravanes et ont pointé des mitraillettes sur eux. Ils ont cherché partout. »384 Un autre habitant, M. L.B, a dit à l’ERRC : « Ils ont même fouillé les paniers des chiens. »385
382 Il faisait référence à la loi du 18 mars 2003, loi pour la Sécurité intérieure.
383 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. José Raymond, le 22 octobre 2004 à Paris.
384 Entretien de l’ERRC avec M. Buche, le 24 mars 2004 à Saint-Priest.
385 Entretien de l’ERRC avec M. L.B., le 24 mars 2004 à Saint-Priest.202 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Cette fois encore, la police française ne se comporterait sûrement pas ainsi dans un quartier non tsigane. Ils ne feraient pas sortir tous les habitants d’une rue don­née de leurs maisons simplement parce qu’ils ont des informations sur un suspect habitant cette rue.
Soulignant l’aspect raciste de ces pratiques, Mme Claire Bertollotti, une voyageuse, a fait remarquer : « Dans un HLM si quelqu’un cause des problèmes ou enfreint la loi, la police ne va pas faire sortir tous les habitants du HLM. Mais dans un camp de caravanes, lorsque la police arrive, tout le monde doit sortir. Quand c’est de nous qu’il s’agit, on est suspectés collectivement. Ils mettent tout le monde dans le même panier. »386
Mme. Lolita K. a décrit une descente de police de mars 1998, à Nantes, lorsque les policiers sont venus chercher des voleurs dans l’aire d’accueil où elle se trouvait :
Des voleurs s’étaient garés près de nous et on ne le savait pas. La police est arrivée vers 8h du matin. Ils portaient des cagoules et étaient armés de mitraillettes. Ils les ont pointées sur nous. Ils sautaient partout. Le genre de choses qu’on voit dans les films. Ils venaient vers nous de tous les côtés. Ma mère a eu si peur qu’elle est morte d’une attaque cardiaque. Elle avait 68 ans. elle était cardiaque, mais ça allait. Les journaux ont dit qu’elle avait été vue par des médecins juste avant l’incident, mais ce n’est pas vrai. Les médecins sont venus voir les enfants. Un des poli­ciers a vu qu’on avait peur et ça l’a fait rire. Ma soeur est malade depuis ce jour, à cause de ce qui est arrivé. A ce moment là, je n’ai pas été au­torisée à aller m’occuper de ma mère… Les policiers me tenaient et ne voulaient pas que je bouge. Ils ont fouillé la caravane. Ils ont emmené ma soeur et l’ont gardé toute la nuit, ils ont gardé son téléphone mobile pendant des mois. On aurait dit les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. On ne peut oublier ce qui s’est passé ce matin là.387
La presse locale a parlé d’une descente de police particulièrement violente qui au­rait eu lieu le mercredi 5 février 2003 au matin. La police a fait une descente sur l’aire de parking du parc floral de la ville d’Orléans où un groupe de voyageurs (environ 50
386 Entretien de l’ERRC avec Mme. Claire Bertollotti, le 25 mars 2004 à Chassieux.
387 Entretien de l’ERRC avec Mme. Lolita K, le 09 mars 2004 à Toulouse. 203 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
caravanes) s’était arrêté pour la nuit.388 D’après les sources, le jour précédent, après avoir été rejetés de l’aire d’accueil officielle car il n’y avait pas assez de place et parce qu’ils ne trouvaient aucun autre endroit où aller, le groupe avait fait une manifestation pacifique sur un rond point, bloquant temporairement la circulation. Ensuite ils étai­ent allés sur l’aire de parking du parc floral. Les sources indiquent que le directeur de cabinet du Préfet avait estimé que le fait que les caravanes fassent halte à cet endroit ne posait pas de problèmes. Toutefois, tôt le matin, la police y fit une descente afin d’arrêter les personnes responsables des « troubles de la veille ».
Les policiers sont arrivés en tenue de combat, accompagnés de chiens et ont frappé sur les caravanes avec leurs matraques. Ils ont battu un certain nombre d’habitants. Un homme appelé Henri aurait dit : « Je suis sorti torse nu, j’ai couru vers eux, « Qu’est-ce que vous faites ? », j’ai demandé. Je me suis retrouvé par terre, avec des coups de matraque sur le corps. J’ai eu le tort de dire qu’ils se comportaient comme des nazis. Il y en a un qui m’a serré la gorge, un autre me frappait la tête. » Quelqu’un qui était dans une caravane a filmé la scène avec une caméra. Sur la vidéo, on pouvait entendre un policier dire « Ceux qui bougent, vous les butez ! »389 Les policiers ont emmené quatre personnes au poste de police et les ont gardées jusqu’en fin d’après-midi.
Parfois les policiers font des descentes sans présenter la moindre raison à leur action.
Aux alentours de 1h du matin, mi décembre 2003, la police a fait une descente à Mirapolis, près de Pontoise, là où un groupe de voyageurs résidaient temporaire­ment. M ; Jacques Lambergier, 63 ans, nous a décrit la scène :
On s’amusait, on célébrait l’anniversaire de ma fille. D’abord, une voiture de police est arrivée. On a eu une brève discussion avec les policiers qui étaient dans la voiture. Ils sont vites repartis. Mais alors, 10 minutes après, ils sont revenus avec plus de voitures. Ils ont fait rugir les moteurs de leurs voitures. Ensuite ils ont tapé sur nos caravanes. Puis ils ont commence à tirer tous azimuts des balles caoutchouc. Ils ont brisé la vitre d’une
388 Apparemment les voyageurs avaient été refuses à l’aire d’accueil officielle car il n’y avait plus de place là-bas à ce moment là. Le directeur de l’aire d’accueil officielle a téléphoné aux autres aires d’accueil mais il n’y avait de places disponibles nulle part dans les environs.
389 Marc Pivois « A Orléans, des CRS pour toute réponse ». Libération, 11 février 2003. 204 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
caravane. Ils ont causé pour 10,000 francs (soit environ 1540 €) de dégâts matériels. Ma fille est tombée. Elle était alors enceinte de six à sept mois. Ils l’ont battue avec leurs matraques. Peu après, le bébé est né prématuré­ment, je pense à cause de tout ça. Les policiers ont aussi lâchés des chiens sur nous durant cette descente. On n’avait jamais vu ça avant. Personne n’a été mordu car on a pu rentrer à temps dans nos caravanes. Plus tard on s’est plaint à la gendarmerie,390 mais rien ne s’est passé…
En mars 2005, la famille n’avait été informée d’aucune suite, que ce soit sous forme d’enquêtes ou de sanctions décidées par les autorités françaises, de leur dépôt de plainte.391
Le simple fait que presque tous les voyageurs et tsiganes rencontrés par l’ERRC aient estimé que les descentes de police abusives sont un évènement de la vie de tous les jours indique la nature raciste de ces descentes et constitue un exemple supplémen­taire de l’inégalité dont souffrent tsiganes et voyageurs dans la société française. Peu – ou pas – de segments de la population française estiment qu’être encerclé de policiers armés et être maltraités par eux constitue un évènement banal de la vie. Au moins une douzaine de voyageurs et de tsiganes avec lesquels l’ERRC a parlé ont répété la même expression « On est nés avec la police et on mourra avec la police. »
M. Christophe Daumasse a dit à l’ERRC qu’il pensait qu’à 36 ans il avait déjà subi dix à quinze descentes de police abusives : « Là, nous sommes vraiment dans le domaine du banal. »392
Ces descentes, souvent fondé sur le ciblage ethnique, sont le produit de préjugés racistes prévalant dans la société française. Ces préjugés apposent les étiquettes délinquant et criminel sur tous les voyageurs et tsiganes. Ils découlent aussi de lois et politiques racistes excluant tsiganes et voyageurs de larges portions du territoire français, ce qui criminalise les voyageurs et tsiganes qui arrêtent leurs caravanes.
390 Ils sont allés déposer leur plainte à la gendarmerie de Jouy-le-Moutier.
391 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Jacques Lambergier, le 17 mars 2005 à Paris.
392 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Christophe Daumasse, le 21 octobre 2004 à Paris. 205 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
7.3 Les voyageurs et les tsiganes victimes du ciblage ethnique – ou délit de faciès
Le stéréotype de leur criminalité colle à la peau des voyageurs et des tsiganes, faisant d’eux des suspects a priori pour toutes sortes de crimes, ainsi que les cibles privilégiées du harcèlement et des conduites policières abusives. Les recherches de l’ERRC indiquent que la police française fait usage du ciblage ethnique et isole ainsi tsiganes et voyageurs.393
Nombre de voyageurs et de tsiganes ont dit avoir été spécifiquement visés par des contrôles de police visant à vérifier qu’ils étaient en possession de papiers en règle pour leurs véhicules. Parfois, un groupe de voyageurs est arrêté plusieurs fois durant un seul voyage. En d’autres occasions la police procède à des contrôles juste à la sortie des lieux ou tsiganes et voyageurs résident.
M. R.S., qui vit dans un quartier de voyageurs à Rosny-sous-Bois près de Paris, a dit à l’ERRC en avril 2004 : « Récemment, j’avais un camion en bon état. La police a dit : « C’est pas normal – votre camion doit être volé – votre véhicule ne doit pas être en règle. » Ils ont tout vérifié. Quand ils ont vu que tout allait bien, je me suis engueulé avec eux. Ils m’ont contrôlé parce qu’ils m’ont vu vivre ici, ça arrive fréquemment. »394 Quand l’ERRC a quitté les lieux, il a vu une voiture de police qui attendait en haut de la colline à la sortie du site.
L’ERRC a été informée par de nombreuses personnes, tsiganes ou non, que c’est une pratique courante de la police que de faire une descente là où se trouve le groupe
393 La pratique du délit de faciès implique une violation d’un certain nombre de droits garantis par le droit international. En particulier, l’Article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD) lequel exhorte les gouvernements : « à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
a) Droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ;
b) Droit à la sûreté de la personne et à la protection de l’Etat contre les voies de fait ou les sévices de la part soit de fonctionnaires du gouvernement, soit de tout individu, groupe ou institution ; »
La jouissance sans discrimination de race ou d’origine ethnique du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le droit à l’égalité devant les cours et tribunaux, et le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi sont aussi garanties par le PIDCP (articles 9(1), 14(1) et 26 respectivement)
394 Entretien de l’ERRC avec M. R.S., le 13 avril 2004, à Rosny-sous-Bois. 206 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
de tsiganes le plus proche lorsque des vols ont été rapportés dans le voisinage. Plus­ieurs personnes ont également dit que la police choisit souvent un tsigane au hasard et l’accuse du crime.
Le 24 mars 2004, M. Jacob Benony a raconté à l’ERRC l’une de ces descentes qui avait eu lieu chez lui quelque temps plus tôt. Apparemment, un scooter avait été volé dans le coin. « Les policiers sont venus dans mon quartier pour chercher le scooter volé. Ils sont allés dans chaque parcelle, ont pointé des armes à feu sur les habitants et sont ensuite partis, comme si se comporter comme ça était normal. » a-t-il dit.395 M. Benony vit dans une caravane avec sa famille sur une parcelle située dans une aire d’accueil officielle dite de long séjour à Vénissieux (Rhône). Ce lieu est fait de parcelles individuelles disposées le long d’une étroite route. Chacune d’elle est habitée par une famille différente.
Un groupe de cinq voyageurs à Rosny-sous-Bois a raconté à l’ERRC que les poli­ciers venaient dans leur quartier chaque fois qu’un vol de voiture avait lieu dans le coin.
M. David C. a décrit une descente de police abusive au printemps 2002 en une telle occasion :
Un jeune du coin conduisait sa voiture. Les policiers l’ont arrêté et ont commencé à le battre puis sont partis. Mais le lendemain, ils sont revenus ici avec des mitraillettes et ont arbitrairement arrêté deux jeunes, puis les ont emmené au poste de police. Cette nuit, ils ont aussi gazé tout le monde avec des gaz lacrymogènes. La nuit suivante ils sont venus pour faire la même chose, pour prendre un autre jeune. On a essayé de les en empêcher. Ils ont pointé leurs pistolets sur nous.
M. David C. a dit qu’en au moins deux occasions différentes, la police est venue sur le site et a arrêté deux ou trois personnes au hasard puis les a gardés prisonniers.396 Un autre voyageur d’une quarantaine d’années, M. P.S. a dit : « Chaque fois qu’un vol a lieu quelque part dans la région, et qu’ils n’ont pas de suspects, ils viennent ici et arrêtent un jeune. »397
395 Entretien de l’ERRC avec M. Jacob Benony, le 24 mars 2004 à Vénissieux.
396 Entretien de l’ERRC avec M. David C., le 13 avril 2004, à Rosny-sous-Bois.
397 Entretien de l’ERRC avec M. P.S., le 13 avril 2004 à Rosny-sous-Bois. 207 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
Les tsiganes et les voyageurs sont considérés avec une telle suspicion que même un enfant de dix ans peut subir une fouille corporelle s’il se trouve accuse d’avoir volé un stylo dans un magasin. Dans un cas rapporté par l’association non gouvernemen­tale USETA, une voyageuse âgée de 10 ans a été accusée d’avoir volé un stylo dans un magasin de Sainte-Foy-la Grande (Gironde) où elle se trouvait avec ses parents en octobre 2004. Le propriétaire du magasin a appelé la police. Les policiers sont venus et ont emmené la petite fille dans un bureau. On a fait attendre les parents dehors. L’enfant pleurait. En entendant ça, son père, M. E.Z. a ouvert la porte du bureau pour être sûr que tout allait bien. Un autre policier a pulvérisé des gaz lacrymogènes de derrière la porte, directement dans les yeux de M. E.Z. On l’a alors plaqué au sol et menotté. Il n’a pas été autorisé à rincer ou laver son visage. Il a dû ensuite aller à l’hôpital pour faire soigner ses brûlures.398 D’après le médiateur local, M. Pierre Delsuc, la famille est ensuite allée au commissariat de Sainte-Foy-la-Grande pour y déposer une plainte, toutefois, la police a refusé d’enregistrer la plainte.399
7.4 Tsiganes et voyageurs subissent des discriminations de la part des autorités judiciaires
Les stéréotypes racistes selon lesquels tsiganes et voyageurs seraient des délin­quants se traduisent également par un traitement discriminatoire de la part des autorités judiciaires.400 Lorsqu’ils sont déclarés coupables d’un crime, on leur inflige des sen­tences disproportionnellement plus longues. Mme Martine Sciarli-Valazza, directrice de l’ONG Association Départementale pour la Promotion des Tsiganes (ADEPT)401 a dit à l’ERRC : « En se fondant sur mon expérience, ayant assisté à de nombreux procès, je puis assurer qu’en pratique les peines prononcées sont souvent bien plus lourdes que celles qui seraient infligées à des non tsiganes pour des crimes comparables. On voit bien qu’il y a deux poids deux mesures. »402 M. A.B., un travailleur social qui a travaillé
398 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Danielle Mercier, le 23 octobre 2004 à Paris. Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Pierre Delsuc, le 25 octobre 2004 à Paris.
399 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Pierre Delsuc, le 22 mars 2005 à Paris .
400 Le traitement discriminatoire subi par tsiganes et voyageurs dans le système judiciaire constitue une violation des articles 14 et 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
401 Association Départementale pour la Promotion des Tsiganes.
402 Entretien de l’ERRC avec Mme. Martine Sciarli-Valazza le 23 janvier 2004 à Bobigny.208 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
avec des parents incarcérés, a également dit à l’ERRC : « Les voyageurs reconnus coupables de crimes reçoivent des peines plus lourdes. Assistez à un procès pénal et vous verrez que les juges traitent les voyageurs comme des sous-humains. »403
Lorsque les voyageurs et les tsiganes sont suspectés d’un crime, ils sont régulièrement gardés en détention provisoire plutôt que laissés libre en attendant l’enquête et le procès.
Dans la commune d’Ambarès-et-Lagrave dans le département de la Gironde, durant l’hiver 2003, une femme d’une quarantaine d’années s’est arrêtée au bord de la route pour mettre du sable dans un seau. Mme W.M. a raconté son expérience à l’ERRC :
Un homme est venu vers elle en vociférant, la traitant comme si elle était une voleuse, etc. Mais tout ceux qui voient du sable au bord de la route et en ont besoin peuvent en prendre sans problème. Mais là, comme il s’agissait d’une voyageuse, cet homme est venu vers elle en criant. Puis il est rentré chez lui et a eu une crise cardiaque. Les habitants de la rue ont dit à la police qu’une voyageuse l’avait battu à coups de pelle. Il y a même eu un faux té­moignage d’une personne prétendant l’avoir vu faire. En un rien de temps, des hélicoptères survolaient le terrain des voyageurs et les gendarmes étai­ent chez tous les voyageurs d’Ambarès. Ils sont allés dans la maison de cette dame et l’ont arrêtée comme si elle avait été la pire des délinquantes. Elle a été détenue et rapidement mise en prison pour 20 jours. Ils l’ont gardée en prison en attendant les résultats de l’autopsie. Ensuite ils l’ont libérée.404
La mère de cette femme était avec elle durant les évènements en question. Elle au­rait essayé de donner sa version des faits à la police. Toutefois, les policiers ne l’ont pas crue. Mme. W.M., qui est mariée à un voyageur depuis vingt ans, a dit à l’ERRC : «Je n’ai jamais vu un voyageur qui ait pu rester libre avant son jugement. »405
M. P.S., un voyageur que l’ERRC a rencontré chez lui dans un quartier de voy­ageurs à Rosny-sous-Bois, a dit à l’ERRC qu’il avait passé sept mois et demi en détention préventive pour un crime qu’il n’a pas commis. Il a raconté :
403 Entretien de l’ERRC avec M. A.B., le 2 mars 2004 à Gradignan.
404 Entretien téléphonique de l’ERRC avec W.M., le 20 novembre 2004 à Paris.
405 Entretien téléphonique de l’ERRC avec W.M., le 20 novembre 2004 à Paris.209 Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires
Les policiers suivaient une voiture avec deux adolescents. Les adoles­cents ont abandonné leurs voitures et ont couru entre les caravanes. Les policiers m’ont dit : « Nous savons que vous n’êtes pas coupables mais vous connaissez sûrement l’auteur du délit. » Ils ont fait une fausse déclaration disant que c’était moi qui conduisait. Les juges m’ont laissé libre, mais j’ai passé sept mois et demi en prison tout de même. Le juge a bien vu que tout ça était ridicule.406
D’après M. P.S., ce genre de situation arrive assez souvent : « Les voyageurs pas­sent 6 mois, voire même un an en prison à attendre un jugement. »
406 Entretien de l’ERRC avec M. P.S., le 13 avril 2004 à Rosny-sous-Bois. 211 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics

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