lundi 14 février 2011

Hors d'ici anti tsiganisme en France novembre 2005 p1/131



 Le Centre Européen pour les Droits des Roms
HORS D’ICI !
Anti-tsiganisme en France
Série des rapports pays, N° 15
Novembre 2005
Copyright : © European Roma Rights Centre, Novembre 2005
Tous droits réservés.
ISBN 963 86955 1 X
ISSN 1416-7409
Mise en page : Dzavit Berisa
Imprimé à Budapest, Hongrie
Cette traduction française du rapport national du Centre Européen pour les Droits des Roms (European Roma Rights Centre – ERRC) intitulé : « Always Somewhere Else : Anti-Gypsyism in France » vous est offerte gracieusement par l’ERRC. La version originale du rapport est la version anglaise. Pour toute information sur les éventuelles rééditions, veuillez contacter l’ERRC.5 Table of Contents
SOMMAIRE
Remerciements9...........................................................................................................
Note de l’éditeur sur la terminologie 11 .......................................................................
1. Résumé général13..................................................................................................
2. Introduction : un climat de racisme rampant à l’égard des tsiganes et voyageurs 33.......................................................................................................
3. Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression.49.....
4. Citoyens de deuxième catégorie : inégalité des voyageurs et tsiganes dans l’exercice de leurs droits civils et politiques fondamentaux63 ..............................
4.1 Le contrôle discriminatoire des mouvements des voyageurs et tsiganes : les documents de circulation65 ......................................................................
4.2 Discriminations subies dans le cadre de l’obtention de la Carte nationale d’identité (CNI) 69 .........................................................................................
4.3 Les obstacles rencontrés par les tsiganes et voyageurs dans le cadre de leur participation à la vie politique 72 .......................................................
4.3.1 Les entraves au droit de vote des tsiganes et voyageurs72 .......................
4.3.2 Les obstacles rencontrés par les tsiganes dans le cadre de leur participation aux prises de décision 76 ......................................................
4.3.3 L’absence de participation des tsiganes et voyageurs dans la mise en oeuvre de la loi Besson 80....................................................................
5. Un mode de vie menacé : lois, politiques et pratiques relatives aux modalités de voyage et de stationnement des tsiganes et voyageurs 85 .................................
5.1 La majorité du territoire français est interdite aux voyageurs et aux tsiganes88 ................................................................................................
5.1.1 Territoires dont l’accès est interdit par la loi aux tsiganes et voyageurs 90 ..........................................................................................
5.1.2 Des zones interdites de facto aux tsiganes104 ..........................................
5.2 L’incapacité des tribunaux français à soutenir les droits des voyageurs et tsiganes119 .................................................................................................
5.3 Discriminations et expulsions des tsiganes qui achètent des terrains124 ......
5.3.1 Les obstacles rencontrés dans le cadre de l’achat de biens immobiliers 126 .........................................................................................
5.3.2 Les expulsions par la force de terrains possédés par des voyageurs ou des tsiganes 127....................................................................................
6. Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent 135..............
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
6
6.1 Les aires d’accueil officielles : ségrégation et conditions de vie misérables 138 ..........................................................................................
6.2 Dans la continuité des aires d’accueil offrant des conditions de vie misérables : les nouvelles propositions146 ....................................................
6.3 Les tsiganes et les gens du voyage se voient refuser l’approvisionnement en eau et électricité, le raccordement au tout-à-l’égout ainsi que l’accès à d’autres infrastructures de base, même sur les terrains dont ils sont propriétaires 153 .............................................................................................
6.4 Conditions de vie misérables dans les aires de campement permanent.164 ..
6.5 Les tsiganes et les voyageurs sont victimes de discriminations en ce qui concerne l’accès aux logements sociaux 176 ...........................................
6.6 Les tsiganes et voyageurs qui achètent des terrains constructibles sont victimes de harcèlement 180 ..........................................................................
6.7 Les effets délétères sur la santé des mauvaises conditions de logement 181.
7. Tsiganes et voyageurs sont victimes de conduites abusives et de traitements discriminatoires de la part des autorités judiciaires et criminelles 185 ..................
7.1 Abus et mauvais traitements subis par les tsiganes et les voyageurs lors des expulsions forcées 185 .............................................................................
7.2 Les arrestations, contrôles et perquisitions donnent lieu à des descentes
de police abusives là où vivent tsiganes et voyageurs 199 .............................
7.3 Les voyageurs et les tsiganes victimes de délits de faciès205 .......................
7.4 Tsiganes et voyageurs subissent des discriminations de la part des autorités judiciaires 207 ..................................................................................
8. Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics et aux services sociaux 211 ........................................................
8.1 Voyageurs et tsiganes sont victimes de discriminations relatives à leur accès à l’aide sociale211 ................................................................................
8.1.1 Les discriminations subies dans le cadre de l’aide au logement212 .........
8.1.2 Des services sociaux ségrégationnistes215 ...............................................
8.2 Les tsiganes et voyageurs victimes de traitement discriminatoires relatifs à leur accès aux services ouverts au public 218 .............................................
8.2.1 La discrimination dans le cadre des polices d’assurance219 ....................
8.2.2 Les discriminations subies dans les établissements publics 220 ...............
9. Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail 223 ..........................................................................................................
9.1 Les restrictions concernant le stationnement : une obstruction à la capacité des voyageurs et tsiganes à travailler 225 ........................................7
9.2 Les lois nuisant aux opportunités des tsiganes et voyageurs de travailler à leur compte 226 ..............................................................................................
9.3 Les discriminations subies dans le cadre des emplois salariés 229 ................
9.4 Une main d’oeuvre employée de préférence pour les travaux dangereux232 .................................................................................................
9.5 Le racisme – une ombre pesant constamment sur les possibilités économiques des tsiganes et des voyageurs 233 ............................................
10. Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes235 .............................................................................................................
10.1 Des taux de participation scolaire dramatiquement bas 236 ..........................
10.2 Les obstacles rencontrés pour l’inscription à l’école des enfants qui voyagent240 ...................................................................................................
10.3 Les obstacles mis par les autorités locales afin d’empêcher l’inscription scolaire des enfants de voyageurs et de tsiganes 245 .....................................
10.4 Des comités d’examens pratiquant la discrimination 250 ..............................
10.5 Une éducation de médiocre qualité251 ..........................................................
10.6 Les enfants de tsiganes et de voyageurs sont victimes de ségrégations dans le cadre de leur scolarisation 252 ...........................................................
10.7 Les enfants de tsiganes et de voyageurs sont placés dans des classes spéciales 258 ...................................................................................................
10.8 La mise en application de la circulaire du 25 avril 2002 relative à la scolarisation des enfants du voyage et de familles non sédentaires 260........
11. Les lois anti-discrimination 263.............................................................................
12. Les migrants roms sont soumis à des traitements inhumains et dégradants271 ....
12.1 Des conditions de vie misérables : les bidonvilles français275 .....................
12.2 Une politique d’expulsions forcées incohérente280 ......................................
12.3 La police se conduit de manière abusive lors des expulsions282 ..................
12.4 Un harcèlement policier visant à expulser les roms 285 ................................
12.5 On refuse aux migrants roms les moyens nécessaires à leur survie 290 ........
12.6 Des sanctions pénales sont prises contre les roms qui mendient295 .............
12.7 On refuse aux roms migrants le droit à la santé296 .......................................
12.8 On refuse aux migrants roms le droit à l’éducation298 .................................
12.9 Les roms migrants, cibles privilégiées des déportations299 ..........................
12.10 Les roms demandeurs d’asile sont victimes de discriminations 303 ............
12.11 Conclusion : il y a un besoin urgent de protéger les roms demandeurs d’asile306 13. Conclusion : l’égalité trahie309 ..................................................................................................................................................................................8 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
14. Recommandations31515. Bibliographie 325...............................................................................................................................................................................................
16. Résumé en romani335............................................................................................9
REMERCIEMENTS
Ce rapport a été réalisé par le personnel, les stagiaires, les consultants et les vo­lontaires de l’ERRC. L’équipe de recherche qui a realisé les enquêtes terrain pour cette étude sur une période d’un an et demi était conduite par Lanna Yael Hollo, qui a écrit le rapport. Savelina Danova-Russinova et Claude Cahn ont relu et corrigé le rapport. José Brun et Danielle Mercier ont lu une partie du rapport et apporté des commentaires. Lors des enquêtes terrain auprès des Roms migrants, Corina Savu a servi d’interprète. Claude Cahn a autorisé sa publication. Le rapport a été traduit de l’anglais vers le français par Michael Nafi et Julien Thèves.
L’ERRC remercie tous les voyageurs et tsiganes qui ont bien voulu décrire leur expérience personnelle et qui nous ont grandement encouragés à conduire des recherches pour écrire ce rapport. Il remercie aussi toutes les autres personnes et organisations qui ont bien voulu partager leur expertise avec l’ERRC, ainsi que tous les fonctionnaires et élus qui ont accepté d’être interviewés.
L’ERRC remercie également les personnes suivantes, qui ont prodigué soutien et assistance incalculables durant la préparation de ce rapport :
Frédéric Bone, José Brun, Joseph Charpentier, Pierre Delsuc, James Dubois, Céline Larivière, Frédéric Lievy, Dani Peto Manso, Danielle Mercier, Karine Moreau, Nara Ritz, Maurice Ruiz et Franck Sinclair, qui ont généreusement partagé leurs connaissances et leur réseau avec l’ERRC.
Anne-Marie Auger, Alain Fourest, Bertrand Favarel Garrigues, Jean-Claude Gi­raud, Jean Arroucau, Arnaud Lacourt, Dominique Leray, Michèle Mézard, Nicolas Mole, Christophe Monteiro, Flore Naudin, et Laurence Pinochet, qui ont prodigué diverses formes d’assistance technique durant les enquêtes terrain et ont partagé leurs informations.11
NOTE TERMINOLOGIQUE
Les questions d’identité au sein des nombreuses communautés considérées comme « tsiganes » ou comme faisant partie des « gens du voyage » en France sont complexes. Pendant longtemps, elles ont été perçues par l’extérieur via des notions et des catégories stéréotypées.
Dans le cadre de ce rapport, l’ERRC utilise les termes « tsiganes » et « voyageurs » en référence à des individus et à des groupes ressortissants français, descendants de groupes établis depuis longtemps en France et qui, sur plusieurs générations, ont joué un rôle-clef dans l’histoire et la société française. La catégorie « tsiganes et voyageurs » inclut des personnes appartenant à des cultures diverses, s’identifiant fréquem­ment elles-mêmes comme « Sinti », « Manouche », « Kalé », « Gitan », « Rom », « Yénishe », « voyageur » ou autres.
L’ERRC utilise le terme de « roms migrants » en référence à des non-ressor­tissants arrivés récemment en France. Ces « roms migrants » sont issus de pays d’Europe centrale et orientale et sont généralement considérés comme « tsiganes. »
De telles personnes sont stigmatisées par des stéréotypes racistes anciens associés aux « tsiganes » et aux « gens du voyage » en France, et par conséquent fréquemment et régulièrement sujets à des marques d’hostilité et à des discriminations raciales dom­mageables. Nombre de ces personnes (Sinti, Manouches, Kalés, Gitans, Roms) partagent en fait une origine indienne : ils sont descendants de personnes ayant quitté l’Inde il y a environ mille ans. Cependant, ceci n’est pas le cas de tous. L’ensemble de ces personnes subissent des traitements (décrits dans ce rapport) marqués par un discours anti-tsiganes/voyageurs et par la discrimination largement répandue qui lui est associée.
C’est avec beaucoup de réticences que l’ERRC utilise le terme « tsiganes », étant donné les connotations négatives qui lui sont associées. Toutefois, dans le contexte français, ce terme n’est généralement pas considéré aussi péjoratif qu’ailleurs. Il est communément utilisé pour faire référence aux personnes dont il est question dans ce rapport, personnes souffrant des mêmes exactions racistes et discriminatoires. Le mot tsigane est en particulier utilisé par de nombreuses « associations tsiganes » pour s’auto-désigner.13 Résumé général
« Il faut d’abord dire qu’ils sont coincés dans une situation kafkaïenne absurde comme l’administration française sait si bien en créer. Voici le résumé. Il y a une loi, la loi Besson qui oblige chaque commune de 5 000 habitants à créer un lieu de stationnement pour les gitans et les gens du voyage. Seulement il n’y a qu’une commune sur quatre qui l’a fait, ce qui fait qu’en gros 80% des gitans, soit 4/5 se retrouvent sans lieu de stationnement. Là-dessus intervient une deuxième loi qui, elle, est répressive. C’est la loi Sarkozy qui, elle, criminalise et envoie en correctionnelle les gitans et les gens du voy­age qui ne sont pas sur un terrain légal. Donc c’est comme si vous aviez un jeu de chaises musicales avec 1 chaise pour 5 personnes et les 4 qui restent debout risquent 6 mois de prison. »
Documentaire « Gens du voyage : la répression et l’absurde », diffusé le 10 mai 2004 sur Canal Plus.
1. RÉSUMÉ GÉNÉRAL
Depuis 2003, le Centre Européen pour les Droits des Roms (ERRC) s’est engagé dans un suivi intensif de la situation des tsiganes, voyageurs et roms migrants en France. Cette étude indique que leur situation en France a atteint un point critique ces dernières années. Etant donné que la France ne reconnaît pas les minorités, les commu­nautés de tsiganes et de voyageurs sont privées d’une reconnaissance de leur identité et des possibilités de promotion et de préservation de leur culture, de leurs traditions et de leur manière de vivre, tout comme de la protection d’autres aspects fondamentaux liés à leur identité. Des centaines de milliers de tsiganes et voyageurs, citoyens français depuis des générations, sont privés du droit le plus élémentaire à l’égalité de traitement. Ils sont régulièrement confrontés à un déni de leurs droits civils, politiques, sociaux et économiques fondamentaux ou à des problèmes d’ingérence dans l’exercice de ceux-ci. Ils ont longtemps été soumis à des lois, politiques et pratiques visant à les contrôler, les réprimer, les exclure ou les assimiler. Ces lois ont un impact sur pratiquement tous les aspects de leur vie quotidienne. Récemment, un certain nombre de nouvelles lois ont sévèrement restreint les possibilités d’expression de l’identité des tsiganes et des voyageurs. En même temps, ces nouvelles lois ont fourni aux responsables locaux un arsenal juridique permettant d’exclure les tsiganes et voyageurs de la vie publique française. Même chose en ce qui concerne l’accès aux services publics….
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
De nombreux tsiganes et voyageurs sont ballottés de municipalité en municipal­ité, se voyant dans l’impossibilité de s’arrêter au-delà de très courtes périodes sans être soumis à une expulsion de plus. De fait, la majeure partie du territoire français semble inaccessible aux tsiganes et aux voyageurs, à l’exception de certaines zones insalubres, polluées et ghettoïsées, bien à l’abri du regard des autres résidents. Aujourd’hui la situation est si dramatique qu’un grand nombre de tsiganes et voy­ageurs sont convaincus que l’ensemble de l’appareil de l’Etat est mobilisé contre eux pour, en définitive, mettre fin à des éléments clefs de leur culture. Voire même les éradiquer totalement de la société française…
De même, les quelques milliers de roms migrants se trouvant sur le territoire français sont soumis à des politiques inhumaines et kafkaïennes dans le simple but de les inciter à quitter la France. Ils vivent dans des conditions sordides et indécentes et se voient régulièrement expulsés de leurs précaires camps et squats, déplacés vers la municipalité voisine – de laquelle ils sont à nouveau expulsés. Par ailleurs, ils subissent des violences, abus, harcèlements de toutes sortes et doivent faire face à une indifférence totale conduisant à des violations extrêmes de leurs droits dans pra­tiquement tous les champs de leur vie quotidienne.
Dans le même temps, aucun débat public sérieux, intégrant tsiganes et voyageurs ou roms migrants n’a eu lieu à ce jour. L’impact de ces actions de nature administrative a été d’attiser la haine raciale à l’encontre des tsiganes, voyageurs et roms migrants en France. Ces mesures réduisent leurs chances d’intégration dans le cadre d’une préserva­tion de leur dignité, en accord avec les traités internationaux des droits de l’homme par lesquels la France est liée. Le racisme anti-tsigane n’a jamais été abordé en France de manière adéquate et ses manifestations publiques sont aujourd’hui quotidiennes et cour­antes, échappant à toute forme de sanction. Il existe actuellement un climat alarmant de discours anti-tsiganes et anti-voyageurs : libre cours est régulièrement donné aux stéréo­types relatifs à leur supposée délinquance, leurs sources illicites de revenus, leur origine étrangère, leur manque d’hygiène et leur non-respect de la société. Un tel discours raciste est promu par les acteurs politiques à tous les niveaux. Il est monnaie courante à l’échelon local, particulièrement lors de discussions concernant la création d’aires d’accueil pour les voyageurs. Au lieu d’informer les populations de leurs villes des droits légitimes des tsiganes et voyageurs, garantis par le droit français,1 à faire halte dans ces dernières, les
1 En particulier, la oi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 sur l’accueil et le logement des gens du voyage (dite «loi Besson»), et ses divers amendements subséquents.15 Résumé général
maires engrangent du capital politique en exacerbant les craintes d’« invasion » et les préoccupations de sécurité, d’ordre et de santé publiques.
Voici un résumé des questions qui se posent en France telles qu’elles ont été identifiées au fil des recherches du ERRC :
1.1 Citoyens de seconde classe : inégalités d’accès aux droits civiques et politiques élémentaires des tsiganes et voyageurs
La France est reconnue comme source historique et gardienne des valeurs de la dé­mocratie moderne ainsi que des droits et libertés individuelles. Toutefois, des milliers de citoyens français sont victimes de violations graves de leurs droits civils et poli­tiques les plus élémentaires sans que ceci ne soulève le moindre soupçon de réproba­tion, encore moins un tollé public face à cette atteinte aux principes fondamentaux de la République Française ! Beaucoup de personnes victimes de ces violations sont en fait tsiganes et voyageurs, ce qui semble indiquer le caractère raciste sous-tendu par celles-ci. D’autant que personne ne proteste… Ces personnes sans adresse fixe ou qui vivent dans des véhicules, des remorques ou autres abris mobiles (pour la plupart des tsiganes et voyageurs) sont contraintes de posséder des documents spéciaux de circulation. Ces documents sont de catégories diverses, chacune liée à une certain type de contrôle policier. Les personnes ne pouvant apporter la preuve d’une activité professionnelle ou d’un revenu régulier doivent présenter leurs documents de circulation pour validation par un commissariat de police ou par la gendarmerie tous les trois mois minimum. Les personnes contrôlées sans documents de circulation ou qui n’ont pu les valider peuvent subir des sanctions pénales, amendes et peines de prison.
Les personnes en possession de documents de circulation ne peuvent exercer leur droit de vote qu’après une période de « rattachement » de trois ans à une municipalité donnée. Les autres citoyens français, eux, peuvent voter au bout de six mois de rési­dence dans leur ville... En ce qui concerne les sans-abri ne vivant pas dans des « des véhicules, remorques ou autres abris mobiles », des arrangements spéciaux sont pré­vus, leur permettent de voter au bout de six mois de présence dans une ville...
Le nombre de tsiganes ou voyageurs ayant des documents de circulation « rat­tachés » à une municipalité donné ne peut excéder – à l’exception de certains situa­tions particulières – 3% de la population locale. Vu que ces personnes doivent voter dans la municipalité à laquelle ils sont rattachés, de nombreux tsiganes et voyageurs 16 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
possédant des documents de circulation sont confrontés à d’énormes difficultés à élire un représentant pour défendre leurs intérêts, puisqu’ils ne peuvent constituer plus des 3% des votants. En outre, les tsiganes et les voyageurs sont exclus de toutes les autres formes de participation politique. Le plus souvent, les fonctionnaires ou les élus ne les consultent pas directement, même pour des questions qui les concernent de près. Généralement, l’administration ou la collectivité se tourne vers des « inter­médiaires » supposés connaître et comprendre les tsiganes pour de telles consulta­tions. Lorsque des organes consultatifs sont conçus pour offrir une façade de con­sultation (telle la Commission départementale consultative des gens du voyage, par exemple), les tsiganes et voyageurs n’y sont dans presque tous les cas qu’une faible minorité : leur voix y ont généralement peu de poids.
1.2 Une manière de vivre remise en cause : lois, politiques et pratiques relatives au voyage, stationnement et conditions de vie des tsiganes et voyageurs
L’accès à la plupart du territoire français est légalement interdit aux tsiganes et voy­ageurs. Des dispositions d’un certain nombre de lois récemment adoptées interdisent ef­fectivement aux tsiganes de stationner sur la plus grande partie du territoire français. Sont particulièrement en cause ici l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (dite «loi Besson»), la loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité intérieure (dite «loi Sarkozy») ; et la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la Ville et la rénovation urbaine (dite «loi Borloo»).
L’article 9 de la loi Besson met en place un système d’interdictions de grande envergure, en vertu duquel les tsiganes et voyageurs ne peuvent stationner en dehors de zones prévues à cet effet, à l’exception de certains cas spécifiques. Dans le même temps, en dépit de l’obligation imposée par la loi aux municipalités de plus de 5 000 habitants d’établir des « aires permanentes d’accueil » pour les voyageurs, la plupart de ces villes n’ont pas créé de telles zones de stationnement. Les estimations cour­antes chiffrent le nombre d’aires d’accueil existantes autour de 6 000, sur les 35 000 considérées comme le minimum nécessaire. Sur ces 6 000 zones existantes, moins de la moitié remplissent les exigences légales relatives aux infrastructures à disposition et aux normes environnementales.
La loi pour la Sécurité intérieure, adoptée par la France en mars 2003, com­porte une disposition – dans son article 53 – pénalisant les tsiganes et voyageurs et 17 Résumé général
remettant en question un aspect fondamental de leur culture : le voyage. Cet article fait du stationnement en réunion en vue de l’établissement d’une habitation, même temporaire, un délit :
• sur un terrain appartenant à une commune qui s’est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental prévu par la loi Besson ;
• sur un terrain appartenant à une commune qui n’est pas incluse dans le sché­ma départemental (soit la majorité des villes de moins de 5 000 habitants et celles de 5 000 habitants non incluses dans le schéma) ;
• sur tout autre terrain (privé, terrain appartenant à l’Etat, à une région ou à un département) en l’absence de preuve d’une autorisation de station­nement ou d’une permission accordée par la personne titulaire du droit d’usage du terrain.
Les peines encourues pour ces infractions sont sévères : six mois d’emprisonnement, une amende de 3 750 € et une suspension de trois ans du permis de conduire du con­trevenant.2 Par ailleurs, tout véhicule utilisé pour ce stationnement illégal (ainsi que c’est généralement le cas pour des tsiganes qui remorquent leurs caravanes avec des véhicules) peut être saisi et confisqué, à moins que le véhicule lui-même ne constitue la résidence de la personne.
La loi Borloo dresse une liste de vingt-huit villes françaises de moins de 20 000 habitants où le stationnement des tsiganes et des voyageurs est totalement interdit. Nombre de ces villes françaises sont, bien évidemment, des villes dans lesquelles des générations de tsiganes et voyageurs ont toujours résidé et où ils ont des attaches familiales, sociales et professionnelles.
En réalité, les zones où les tsiganes peuvent stationner avec leurs caravanes, pour des périodes plus ou moins longues, sont très peu nombreuses. Les zones interdites aux tsiganes ne constituent pas uniquement quelques minimes portions du territoire, mais couvrent quasiment l’ensemble de ce territoire, à l’exception de certaines zones insalubres ou hors de vue. Les familles sont constamment expulsées des zones où elles stationnent. Elles sont parfois contraintes de rouler pendant des jours avant de pouvoir s’arrêter, et ce, dans des lieux bien éloignés de là où ils ont besoin de s’arrêter.
2 Article 53(1) et article 53(2), loi pour la Sécurité intérieure. 18 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
La vulnérabilité des tsiganes et voyageurs face aux expulsions illégales est ac­centuée par l’incapacité des tribunaux français à s’assurer que leurs droits fondamen­taux sont bien respectés. Les données empiriques collectées par l’ERRC au cours de ses recherches dans le cadre de ce Rapport Pays montrent que les tribunaux français rendent des jugements contradictoires, dans des cas où des municipalités procèdent à des expulsions, même si ces municipalités n’ont pas rempli leurs obligations légales concernant la mise à disposition d’aires d’accueil pour les tsiganes et voyageurs. De plus, le droit des tsiganes et voyageurs à ce que leur cause soit entendue équitable­ment est fréquemment battu en brèche par la procédure dite « sur requête » permet­tant au juge de prendre une décision sans entendre la partie adverse.
Les tsiganes et voyageurs qui tentent d’acquérir un bien immobilier rencontrent des difficultés considérables, du fait du droit de préemption des autorités et dont les interventions bloquent les transactions. Ils continuent de vivre sous la menace d’une expulsion du fait du nombre considérable de lois françaises qui limitent sévèrement les territoires sur lesquels des caravanes peuvent légalement être stationnées ; même sur un terrain appartenant aux tsiganes ou voyageurs, l’interdiction peut s’appliquer. Les lois imposent des conditions extrêmement restrictives sur les rares possibilités de stationnement existantes.
1.3 Les tsiganes et voyageurs sont privés de conditions de logement décentes
Tsiganes et voyageurs souffrent de graves violations de leur droit à un logement décent quel que soit leur mode de vie, considéré dans le cadre du continuum nomade à sédentaire. Qu’ils résident sur des aires d’accueil officielles ou sur leurs propres terrains, qu’ils soient aisés et puissent s’offrir un logement décent ou qu’ils soient très pauvres et soient en demande d’aide sociale auprès des autorités françaises, c’est toujours le même problème…. Le fait d’appartenir à une ethnie particulière semble souvent la seule raison pour laquelle les autorités refusent aux tsiganes et voyageurs des conditions de vie décentes.
Les quelques lieux sur lesquels les familles peuvent stationner sont en général bien en deçà des standards de décence. Les aires d’accueil sont presque toujours à l’écart du reste de la population. Elles sont situées aussi loin que possible des zones résidentielles et aux extrêmes limites des communes. Dans certaines aires, la ségrégation physique des tsiganes et voyageurs se concrétise par l’encerclement du site par des remblais de 19 Résumé général
terre, les coupant ainsi physiquement du voisinage. Les aires d’accueils sont systéma­tiquement situées près de décharges publiques, d’usines de retraitement, d’usines pol­luantes particulièrement dangereuses, d’autoroutes ou de voies ferrées, en dessous de lignes à haute tension, etc. Bien souvent ces aires d’accueil rappellent plus des camps de détention que des lieux de résidence. Cet effet est dû tant à l’apparence physique des lieux qu’aux mesures de contrôles des résidents.
En outre, tsiganes et voyageurs vivant sur leur propre terrain se voient souvent refuser l’eau courante, l’électricité et le tout-à-l’égout, et ceci même quand des gens gravement malades ou des enfants vivent sur le site.
Certains des tsiganes et voyageurs les plus pauvres et les plus marginalisés viv­ent pendant des décennies dans des zones dignes de bidonvilles. Dans ces zones, leur présence est « tolérée » par les autorités. Cachés du reste de la population et sans ac­cès aux infrastructures (eau courante, électricité, évacuation des eaux usées…), ces tsiganes et voyageurs sont fréquemment exposés à de sévères risques environnemen­taux du fait de la proximité de décharges publiques, déchetteries et usines polluantes particulièrement dangereuses. Lorsque l’on pénètre dans ces zones, on a l’impression de passer du monde développé à un bidonville du tiers-monde en quelques minutes.
Les exemples de discrimination et de ségrégation sont également très répandus en ce qui concerne la location de logements sociaux prévus pour les personnes à fai­ble revenu (HLM), en dépit d’une législation nationale interdisant expressément de telles discriminations.
1.4 Cas de pratiques discriminatoires et de conduites abusives de la part des autorités judiciaires
Les descentes de police abusives sont un aspect fréquent de la vie des tsiganes et voyageurs. La police arrive généralement en nombre, en tenue de combat et arme au poing. Les expulsions forcées prennent souvent la forme de raids abusifs. De plus, lor­sque la police procède à des perquisitions, des contrôles ou des arrestations concernant un tsigane ou un voyageur, l’ensemble des occupants du site sont systématiquement visés, et pas uniquement la personne suspecte. Les conduites abusives de la police durant ces descentes comportent généralement des insultes (notamment à caractère raciste), des traitements dégradants et des dégradations de biens. Ces violations du 20 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
respect humain se font souvent sous la menace d’une arme et sont assorties d’actes de malveillance à l’encontre des individus.
Les autorités judiciaires infligent des traitements discriminatoires aux tsiganes et voyageurs. Ceux-ci sont régulièrement maintenus en détention provisoire pendant les enquêtes et les procès. Des témoignages font état de tsiganes placés en détention provisoire plus souvent que les non tsiganes. Il est rapporté que les peines pronon­cées sont bien plus lourdes pour les tsiganes que pour les non tsiganes….
1.5 Discriminations subies dans l’accès aux services publics et sociaux
Des centaines de milliers de tsiganes et voyageurs sont exclus de l’assistance so­ciale accessible aux citoyens français en termes d’aide à la location ou à l’achat d’un logement. En effet, les caravanes ne sont pas reconnues comme étant une forme de logement. Les tsiganes et voyageurs doivent aussi souvent se tourner vers un réseau d’institutions parallèles ne prenant soin que d’eux : ils peuvent alors bénéficier d’une assistance sociale, dans la mesure ou les service de l’Etat sont incapables de les aider.
Les tsiganes et voyageurs se voient souvent refuser l’entrée de lieux publics, tels que boîtes de nuit, bars, magasins et restaurants. Les compagnies d’assurance refusent régulièrement de les assurer. En dépit d’une législation punissant la discrimination dans la distribution de biens et de services, l’ERRC n’a pas eu connaissance de cas où ces personnes refusant ces services aux tsiganes et voyageurs aient été sanctionnés.
1.6 Discrimination sur le marché du travail
De nombreux tsiganes et voyageurs gagnent leur vie via des emplois liés au voy­age. Les lois, politiques et actions des autorités locales ayant rendu plus difficile le stationnement des tsiganes et voyageurs, les opportunités de travail s’en sont raré­fiées d’autant…. De plus, durant les dernières décennies, suite à l’effet discrimina­toire de réglementations concernant de nombreux métiers généralement exercés par eux, tsiganes et voyageurs ont eu de plus en plus de mal à gagner leur vie comme ils l’entendent... Les tsiganes et voyageurs subissent par ailleurs une discrimination dans l’accès aux emplois salariés. Ils sont enfin une main d’oeuvre particulièrement recherchée dans les secteurs aux emplois dangereux pour la santé. 21 Résumé général
1.7 Le droit à l’éducation des enfants de tsiganes et voyageurs n’est pas respecté
Les taux de fréquentation des établissements scolaires par les enfants de tsiganes et de voyageurs est très bas. Beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école ou arrêtent très je­une. Un nombre extrêmement faible d’enfants de tsiganes et de voyageurs vont à l’école après douze ans. Une minorité encore plus faible arrive au bout de l’enseignement sec­ondaire. De plus, même lorsqu’ils vont à l’école, les tsiganes et voyageurs ne reçoivent souvent qu’un enseignement très en dessous des standards, ne leur offrant même pas les connaissances et compétences de base. Les expulsions régulières font qu’il est très difficile pour les familles tsiganes et voyageurs d’envoyer leurs enfants à l’école. Les enfants de tsiganes et voyageurs se voient également refuser fréquemment leur inscrip­tion dans les écoles par les maires et directeurs d’établissements, et ce en dépit de leur droit et obligation légale d’aller à l’école. Diverses formes de ségrégations scolaires de­meurent une réalité pour les tsiganes et voyageurs : écoles spéciales, classes spéciales, unités scolaires mobiles… sont bien souvent leur lot !
Cette situation est souvent issue d’un manque de flexibilité et de passerelles vers les programmes du système scolaire général. On constate une adaptation inadéquate à cer­tains besoins spécifiques des voyageurs, comme un système d’enregistrement et de nota­tion scolaire des enfants qui voyagent leur permettant de continuer leur scolarité de place en place. Les enfants de tsiganes et voyageurs sont également placés de manière dispro­portionnée dans les Services d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA), écoles secondaires fournissant une éducation spécialisée destinées aux enfants ayant des problèmes à apprendre du fait de raisons sociales, culturelles ou intellectuelles.
Les lignes de conduite très claires exprimées dans la circulaire n° 2002-101 du 25 avril 2002 sur la « scolarisation des enfants de gens du voyage et de familles non sédentaires » visent à augmenter la participation des enfants tsiganes et voyageurs au système scolaire français. Cela constitue, cependant, une avancée bien plus sym­bolique que réelle. Les initiatives innovantes restent très localisées et le besoin d’une coordination centralisée se fait sentir…
1.8. La législation contre les discriminations
Ces dernières années, en partie en réponse aux évolutions européennes, des dispositions ont été prises en vue d’introduire de nouvelles réglementations contre 22 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
les discriminations, ainsi que pour améliorer l’application de celles déjà en vigueur. Cependant, les poursuites demeurent peu nombreuses rapportées à l’étendue du problème. L’ERRC n’a eu connaissance d’aucun exemple d’une personne légale reconnue coupable de discriminations à l’encontre de tsiganes ou de voyageurs sur la base de ces dispositions.
En outre, le cadre légal, civil et administratif, de la lutte contre les discrimina­tions raciales a été renforcé de manière significative ces dernières années. Néan­moins ceci ne couvre pas encore tous les aspects de la vie requis par les engagements internationaux de la France, y compris ceux relevant de l’ICERD. Il est nécessaire qu’il soit davantage étendu afin de couvrir différents droits :
• l’administration et la justice, incluant la protection et la sécurité de la personne ;
• la participation politique, incluant le droit de vote, la possibilité de se présenter à une élection, l’entrée au gouvernement et la direction des affaires publiques à quelque niveau que ce soit ;
• un droit égal d’accès aux services publics ;
• le droit à la liberté de mouvement et de résidence partout dans l’Etat ;
• le droit à la liberté de rassemblement pacifique et à la liberté d’association.
1.9 Les traitements dégradants infligés aux Roms migrants
La France a adopté des politiques draconiennes et juridiquement contestables à l’encontre des milliers de Roms migrants se trouvant sur son territoire. Le but prin­cipal de ces législations était d’inciter les Roms migrants à quitter le territoire. Ainsi les Roms migrants sont victimes de sérieuses violations de leurs droits dans pratique­ment tous les domaines de la vie. L’effet cumulatif est si sérieux que ceci confine souvent au traitement dégradant. Les Roms étrangers vivent pour la plupart dans les conditions déplorables de camps de fortune dont ils sont constamment expulsés par la force, soit par des raids de police, souvent particulièrement violents, soit au travers d’un assortiments de menaces constantes, de fouilles, de destructions de propriété et de diverses formes de harcèlement. Lorsqu’ils exercent diverses activités pour survivre (telles que vendre des fleurs ou des journaux, laver les vitres des voitures, jouer de la musique ou mendier) ils sont constamment harcelés par la police. Ceux qui mendient sont passibles de sévères sanctions pénales, y compris de l’expulsion du territoire français. L’accès à l’éducation est refusé à de nombreux enfants. Depuis l’été 2002, les expulsions forcées ont drastiquement augmenté. Elles concernent 23 Résumé général
même des Roms migrants vivant légalement en France. Des expulsions collectives ont également eu lieu, en violation avec de nombreuses dispositions légales, notam­ment l’article 4 du protocole 4 de la Convention européenne des droits de l’homme. Qui plus est, les demandeurs d’asile roms subissent des discriminations dans leur accès au logement et à l’aide sociale. Ainsi, nombre d’entre eux sont obligés de vivre dans des bidonvilles ou des logements informels.
Le rapport de l’ERRC se termine par des recommandations à l’attention du gou­vernement français, appelant les autorités à respecter les obligations légales tant na­tionales qu’internationales en matière de droits de l’homme et à mettre en place des mesures immédiates pour prévenir les violations des droits de l’homme et permettre aux victimes d’obtenir réparation.
Sur la base des faits mis en évidence dans ce rapport, l’ERRC exhorte les au­torités françaises à agir selon les recommandations suivantes :
1. Signer et ratifier la Convention cadre pour la protection des minorités nationales, reconnaissant expressément tsiganes et voyageurs comme une minorité nation­ale, et retirer la reserve de l’article 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques.
2. Prendre des mesures urgentes afin de mettre fin au climat d’impunité dans le­quel se développent les propos racistes relatifs aux tsiganes, voyageurs et Roms migrants et faire en sorte que ces expressions anti-tsiganes soient promptement et efficacement sanctionnées. Rendre clair pour le public français que de telles expressions ne sauraient être tolérées.
3. Reconnaître publiquement l’internement des tsiganes et voyageurs pendant la sec­onde guerre mondiale et s’excuser pour cela. Etablir des monuments sur les sites des anciens camps d’internement et mettre en place des mesures afin de commé­morer la mémoire des tsiganes et voyageurs victimes des politiques de la France durant la seconde guerre mondiale. Financer des recherches visant à mettre en lu­mière le traitement des tsiganes et voyageurs durant la deuxième guerre mondiale.
4. Faire en sorte que l’histoire des tsiganes et voyageurs sur le territoire français, y com­pris les informations concernant les livrets anthropométriques et leur internement pendant la deuxième guerre mondiale, soit inclus dans le cursus scolaire. 24 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
5. Collecter des données statistiques, réparties par ethnies, de manière à permettre un suivi efficace de la situation des tsiganes, voyageurs et autres minorités dans des domaines-clés de la vie, tels que : la participation politique, le logement, l’éducation, les services sociaux, la santé, la justice, les relations avec la police, etc. Un tel suivi est essentiel afin d’identifier les problèmes rencontrés par les groupes minoritaires et afin de développer des solutions adaptées. Le suivi doit être conduit en accord avec les règles de protection des donnés confidentielles, sur la base d’un système d’auto-identification volontaire, et en expliquant claire­ment les raisons pour lesquelles ces informations sont collectées.
6. Conduire des recherches spécifiques pour évaluer le nombre et la fréquence des actes de discrimination raciale à l’encontre des tsiganes, voyageurs et roms migrants dans des secteurs tels que l’éducation, le marché du travail, l’accès au logement (y compris le logement social), l’accès aux soins et l’accès à l’aide sociale. De telles recherches devraient également fournir des informations sur le nombre de personnes sanctionnées pour des actes de discrimination raciale à l’encontre des tsiganes, voyageurs et Roms migrants.
7. Abroger immédiatement tous les aspects discriminatoires et abusifs contenus dans la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à « l’exercice des activités ambulantes et au ré­gime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. »
8. Identifier et abroger tous les règlements et les obstacles administratifs empêchant les tsiganes et voyageurs d’obtenir des Cartes nationales d’identité.
9. Eliminer les conditions discriminatoires relatives au droit de vote des tsiganes et voyageurs résultant de la loi du 3 janvier 1969, y compris les aspects relatifs à la période de rattachement de 3 ans et au quota de 3% de personnes possédant des documents de circulation ayant le droit de voter dans une municipalité donnée. Prendre des mesures positives pour faire en sorte que les voix des tsiganes et voyageurs soient dûment représentées à tous les échelons de la vie politique.
10. Prendre d’urgentes mesures pour faire en sorte que les tsiganes et voyageurs puis­sent exercer leur droit de participation aux affaires publiques au niveau national aussi bien que local, conformément à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au document du Comité pour l’élimination de la dis­crimination raciale : « Recommandation générale XXVII sur la discrimination à 25 Résumé général
l’égard des Roms. » Mettre fin immédiatement aux pratiques consistant à consulter des intermédiaires en lieu et place des tsiganes et voyageurs en ce qui concerne leurs intérêts et leurs besoins, et faire en sorte que tout organe consultatif permette une participation efficace des voyageurs et tsiganes.
11. Prendre des mesures positives afin de créer des conditions garantissant aux tsi­ganes et voyageurs une poursuite de leur mode de vie, qu’il soit sédentaire ou nomade, selon leur libre choix et en conformité avec les principes d’égalité et de non-discrimination.
12. Faire en sorte que les tsiganes et voyageurs qui voyagent puissent librement ex­ercer leur droit à la liberté de circuler et à un logement décent, et qu’ils soient protégés contre les expulsions par la force.
• Abroger, sans délais, les articles 53 et 58 de la loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité intérieure ainsi que l’article 15 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la Ville et la rénovation urbaine.
• Faire en sorte que les aires d’accueil soient établies dans les communes à travers tout le territoire ainsi qu’il est stipulé dans la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (loi Bes­son). Faire en sorte également que ces aires d’accueil soient conformes aux normes de décence, notamment pour tout ce qui concerne les accès aux serv­ices et infrastructures, la localisation et l’habitabilité.
• Prendre des dispositions positives assurant que les tsiganes et voyageurs disposent d’un nombre de places suffisant pour stationner et qu’elles soient conformes aux standards de décence élémentaire.
• Faire en sorte que les tsiganes et voyageurs ne soient pas relégués sur des parties du territoire présentant des risques en termes de santé et de pollution ou des dommages sérieux liés à la ségrégation raciale.
• Cesser toutes pratiques d’expulsions par la force de familles tsiganes et voyageurs stationnant dans des communes, en violation du droit à un logement décent.
• Faire en sorte que les campings qui ont des règlements ou des politiques impliquant une discrimination à l’égard des tsiganes et voyageurs soient dû­ment sanctionnés.
• Entamer immédiatement des consultations sérieuses et étendues au sein de l’ensemble de la population des tsiganes et voyageurs afin de développer des réponses appropriées aux besoins liés au logement, le sujet de l’aire d’accueil n’étant qu’un aspect parmi d’autres.26 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
• Développer de manière urgente des solutions alternatives pour les station­nements de courte durée relatifs aux besoins de logement des tsiganes et voyageurs, tels que l’établissement de sites familiaux.
13. Faire en sorte que le droit à un logement décent ainsi que la protection contre les expulsions forcées soit garantis aux tsiganes et voyageurs qui achètent des terrains..
• Faire en sorte que les nombreuses lois et politiques réglementant l’utilisation des terrains, la planification urbaine et l’accès aux infrastructures publiques prennent en compte le style de vie et les besoins particuliers des tsiganes et voyageurs (tel que vivre sur leur terrain dans une caravane) et qu’elles ne résultent pas en mesures discriminatoires contre ces communautés.
• Ne pas faire d’usage illégal du droit de préemption pour empêcher la vente de propriétés aux voyageurs et aux tsiganes.
• Faire en sorte que la sécurité des biens immobiliers soit garantie aux tsiganes et voyageurs et que dans l’application des règlements urbains soient bien considérés les droits humains fondamentaux, tels que le droit à un logement décent, le droit à la scolarisation des enfants, le droit à la santé et le droit à la non-ingérence dans la vie privée et familiale.
• Reconnaître les caravanes comme une forme de logement.
• Ordonner aux autorités locales de fournir sans délais aux familles à qui cela est refusé au motif que leur installation viole la réglementation urbaine : l’eau, l’électricité, le raccordement à l’évacuation des eaux usées et autres infrastructures.
14. Prendre des mesures immédiates pour mettre les lieux d’habitation permanents de tsiganes et voyageurs aux normes de décence et régulariser la situation de loge­ment de ceux qui ont été pendant longtemps résidents sur des lieux d’habitation non autorisés. A défaut, leur fournir des possibilités de logement qui respectent les standards de décence. Toutes les mesures devront être prises et mises en oeuvre avec l’avis et la participation des familles de tsiganes et voyageurs concernées.
15. Faire en sorte que les droits des Roms migrants en matière de logement, y compris en ce qui concerne les infrastructures de base, la qualité sanitaire de l’environnement et la sécurité soient garantis. Développer des politiques co­hérentes aux échelons départementaux, régionaux et nationaux visant à fournir 27 Résumé général
aux Roms migrants des conditions de logement décentes pour ceux qui vivent dans des camps non autorisés ou des squats. Cesser immédiatement les pratiques d’expulsion forcée des roms migrants d’une municipalité vers une autre.
16. Mettre en place des mesures propres à supprimer les pratiques discriminatoires et ségrégationnistes en ce qui concerne l’accès des tsiganes et voyageurs aux HLM (logement social) et assurer l’application efficace d’une législation anti-discrimina­tions à l’encontre de ceux qui perpétuent de telles discriminations.
17. Conduire des enquêtes approfondies et régulières concernant les allégations de conduite policière abusive à l’encontre des tsiganes, voyageurs et Roms migrants. Faire en sorte que les suspects soient rapidement traduits en justice et que les vic­times reçoivent une indemnisation légitime. Mettre fin aux pratiques consistant à viser collectivement les tsiganes, voyageurs et Roms migrants durant les fouilles, les contrôles ou arrestations, ainsi qu’aux pratiques de ciblage ethnique.
18. Faire en sorte que les rapports faisant état de harcèlement de Roms migrants par la police donnent lieu à des enquêtes sérieuses et que les officiers de police qui abusent de leur autorité soient dûment sanctionnés.
19. Prendre des mesures appropriées de manière à assurer que les personnes ayant été victimes de mauvais traitements de la part d’agents de la force publique ne soient pas intimidées ou dissuadées de déposer une plainte officielle, notamment par des menaces d’actions punitives contre ceux qui déposent plainte.
20. Conduire des recherches détaillées concernant le traitement judiciaire des tsi­ganes, voyageurs et Roms migrants de manière à identifier les pratiques dis­criminatoires et à pouvoir développer des mesures appropriées pour mettre fin à ces pratiques.
21. Faire en sorte que tsiganes et voyageurs aient un accès à l’aide sociale égal à celui dont bénéficie le reste de la population. Inclure les caravanes et mobil homes dans les formes de logement pouvant donner lieu à une aide au logement, de manière à ce que ceux qui y vivent puissent prétendre à toutes les formes d’aide disponibles, à l’instar des autres citoyens français. Une solution alternative serait de développer une assistance spéciale de manière à garantir que tsiganes et voyageurs puissent recevoir le même niveau d’aide au logement que les autres citoyens français. 28 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
22. Développer des programmes de prêts spéciaux permettant aux tsiganes et voy­ageurs qui sinon, pourraient ne pas pouvoir souscrire de prêts ni acheter des biens immobiliers
23. Mettre en place des dispositions généralisées afin que tsiganes et voyageurs ai­ent un accès complet aux services sociaux dans les administrations, c’est-à-dire égal au reste de la population, et qu’ils ne soient pas, dans les faits, orientés vers un système spécial de services sociaux. Faire en sorte que les fonctionnaires des services sociaux reçoivent une formation leur permettant de faire face aux besoins spécifiques des tsiganes et voyageurs et que ces mêmes fonctionnaires comprennent qu’il est de leur responsabilité de fournir toute aide et assistance aux tsiganes et voyageurs afin de bénéficier d’un accès aux services sociaux égal à celui dont bénéficie le reste de la population. Enquêter sur les témoignages faisant état de dossiers de tsiganes et voyageurs systématiquement non instruits dans certains départements et prendre les mesures propres à régler ce problème.
24. Faire en sorte que le droit à la santé des Roms migrants soit totalement garanti, y compris leur possibilité d’accès aux soins et leur droit à vivre dans un envi­ronnement sain.
25. Faire en sorte que des enquêtes sérieuses soient conduites concernant des pra­tiques discriminatoires au sujet de l’accès des tsiganes et voyageurs aux services publics, qu’il s’agisse d’assurances ou d’établissements de service public, que les responsables soient sanctionnés de manière appropriée et que leurs victimes reçoivent une juste compensation. Que les lois et réglementations anti-discrimi­nations existantes dans ce domaine soit sérieusement appliquées et qu’il soit clair pour tous ceux qui fournissent des services publics qu’aucune discrimination à l’encontre des tsiganes et voyageurs ne sera tolérée.
26. Prendre des mesures proactives de manière à assurer que tsiganes et voyageurs bénéfi­cient du même droit au travail que le reste de la population. Faire en sorte que tsiganes et voyageurs puissent faire halte dans les communes à travers tout le pays. Mettre en place des mesures propres à remédier à l’impact discriminatoire que de nombreuses réglementations relatives à un certain nombre de professions ont sur les possibilités de travail des tsiganes et voyageurs, telles que la loi n° 96-603 relative au développe­ment et à la promotion du commerce et de l’artisanat. Faire en sorte que des enquêtes sérieuses soient menées au sujet de toutes les allégations de pratiques discriminatoires 29 Résumé général
concernant l’accès aux emplois salariés, que les responsables de telles discriminations soient sanctionnés et que les victimes reçoivent de justes compensations. Que les lois anti-discrimination existantes couvrant ce secteur soient sérieusement appliquées et qu’il soit clair pour tous les employeurs qu’aucune pratique discriminatoire à l’égard des tsiganes et voyageurs ne sera tolérée.
27. Faire en sorte que tous les enfants de tsiganes, voyageurs et roms migrants béné­ficient du même accès à l’enseignement que les autres enfants, dans un environ­nement non discriminatoire.
• Faire en sorte que le droit et l’obligation des enfants d’être scolarisé soit réel­lement pris en compte lors de toute expulsion forcée de tsiganes, voyageurs et Roms migrants.
• Mettre en place un panel d’actions positives et coordonnées dans tout le pays de manière à faire en sorte que les enfants de tsiganes et voyageurs voient leur participation scolaire et leur scolarité facilitées lorsqu’ils voyagent.
• Faire en sorte que les autorités locales accueillent systématiquement les en­fants de tsiganes, voyageurs ou roms migrants dans les écoles locales sans tenir compte de la régularité de leur établissement sur le territoire municipal et sans tenir compte du fait que les parents soient ou non en mesure de pro­duire l’ensemble des documents nécessaires.
• Faire en sorte que toutes les plaintes relatives à des pratiques discriminatoires à l’encontre d’enfants de tsiganes, voyageurs et roms migrants donnent lieu à des enquêtes approfondies et faire en sorte que des mesures disciplinaires et une réglementation anti-discrimination soient bien appliquées dans ces cas.
• Dispenser une formation à la non-discrimination aux enseignants et respon­sables d’établissements scolaires et leur fournir les informations nécessaires relatives aux lois anti-discriminations applicables dans leur situation.
• Inclure des contenus relatifs à l’histoire des tsiganes et voyageurs en France dans le cursus scolaire comme composants centraux des différentes matières. Faire intervenir les tsiganes et voyageurs eux-mêmes dans la préparation de tels documents de manière à ceux qu’ils soient libres de tous stéréotypes.
• Prendre sans délais des mesures propres à mettre fin à la ségrégation scolaire et faire en sorte que les enfants de tsiganes et voyageurs soient scolarisés dans le système général avec les autres enfants. Là où des programmes passerelles et des supports spéciaux seront nécessaires, faire en sorte que les écoles aient des ressources suffisantes pour mettre en place de tels pro­grammes et que ceux-ci ne deviennent pas des formes de ségrégation.30 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
• Fournir les ressources nécessaires afin que les enfants de tsiganes et voy­ageurs qui arrivent en âge d’entrer au collège et ayant un retard dans leur éducation puissant recevoir l’assistance de l’enseignement général au lieu d’être simplement orientés vers les filières SEGPA.
28. Sans délai, mettre en application la circulaire n°. 2002-101 du 25 avril 2002 sur la « scolarisation des enfants du voyage et de familles non sédentaires » de manière coordonnée à travers le pays.
29. Sans délai, adopter de nouvelles lois anti-discriminatoires en conformité avec les standards européens et internationaux actuels, en conformité avec les standards établis par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En particulier dans les domaines suivants : ad­ministration de justice, y compris les éléments concernant la protection et la sécurité de la personne ; participation politique, y compris les éléments concernant le droit de vote, le droit de se présenter à une élection, de prendre part à la direction du pays à tous les niveaux ; le droit à la liberté de circulation et de résidence dans les frontières de l’Etat ; le droit au rassemblement pacifique et à la liberté d’association.
30. Faire en sorte que les lois anti-discriminations existantes soient bien appliqués. Attirer l’attention des juges et des procureurs sur les problèmes de discrimination raciale et sur les difficultés à en fournir des preuves. Informer tous les magistrats et représentants de l’ordre des nouvelles dispositions anti-discriminations et de l’importance de leur application. Mettre en oeuvre des campagnes d’information ciblant la population de manière à attirer l’attention sur les lois anti-discrimina­tions en France.
31. Faire en sorte que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) bénéficie des ressources, de l’indépendance et des com­pétences nécessaires à la réussite de son mandat.
32. Ratifier sans délais le Protocole n°12 de la Convention européenne des droits de l’homme.
33. Cesser toutes expulsions à caractère discriminatoire de Roms migrants et toute expulsion collective visant les Roms migrants.31 Résumé général
34. Faciliter le retour de personnes illégalement expulsées de France et fournir une compensation pour les dommages émotionnels ou matériels causés par l’expulsion de France par la force.
35. Cesser toutes pratiques discriminatoires à l’égard des Roms migrants demand­eurs d’asile.
36. Faire en sorte que les standards de protection des personnes stipulés par la Con­vention de Genève relative au statut des réfugiés soient pleinement appliqués à tous les Roms demandeurs d’asile. Garder en mémoire que le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) a clairement indiqué que les ré­fugiés ne sont pas seulement des personnes fuyant la torture ou des persécutions sur la base de principes raciaux, religieux ou ethniques, mais que les mesures discriminatoires non violentes peuvent aussi être considérées comme des formes de persécution.
37. Dénoncer aux plus hauts niveaux les discriminations à l’égard des tsiganes, voyageurs, Roms migrants et autres et indiquer clairement que le racisme ne sera pas toléré. 33 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
2. INTRODUCTION : UN CLIMAT DE RACISME RAMPANT À L’ÉGARD DES TSIGANES ET VOYAGEURS
La France est connue comme étant la patrie des droits de l’homme – patrie de la Révolution française qui a proclamé la liberté, l’égalité de tous les hommes et le bien commun comme seule base valable de distinctions sociales. « Liberté, Egalité, Fraternité » – ces déclarations révolutionnaires restent au coeur de la République française. Toutes les constitutions républicaines successives ont réitéré l’attachement de la France aux droits de l’homme et à l’égalité. De plus, ces valeurs ont une place centrale dans la conscience nationale.
Le préambule de la Constitution la plus récente proclame l’attachement solennel du peuple français aux droits de l’homme, et son article 1er déclare :
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et so­ciale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinc­tion d’origine, de race ou de religion…3
Malheureusement, du point de vue des tsiganes et des voyageurs en France, la réal­ité est bien éloignée de ces déclarations égalitaires. Au lieu de cela, ceux-ci ont à faire face à une réalité façonnée par le racisme. Tsiganes et voyageurs sont traités comme des sous-citoyens, en butte à la discrimination raciale, au rejet, à la répression et à l’assimilation. Alors que de nombreuses lois, politiques et pratiques discriminatoires déguisées sont en vigueur, le sentiment anti-tsiganes qui en est la racine est ouverte­ment exprimé. Il a même pris ces dernières années des proportions alarmantes.
Le 31 juillet 2002, durant la discussion au Sénat français du texte de la loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité intérieure, incluant la criminalisation et prévoyant des sanc­tions pénales pour les voyageurs stationnant leurs caravanes en dehors des zones pré­vues à cet effet, M. Dominique Leclerc, sénateur4 de l’Indre-et-Loire,5 a déclaré :
3 Constitution française du 4 octobre 1958.
4 Du fait du système politique français dans lequel les gouvernements locaux sont représentés au Sénat, de nombreux sénateurs sont également des élus locaux, tels des maires.
5 Le département est la division administrative de base de la France. La France métropolitaine est di­visée en quatre-vingt quinze départements.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
On a parlé aussi des gens du voyage ! C’est le fléau de demain… Mais, de grâce, prenons conscience que les aires d’accueil ne sont qu’une première étape. Ces aires d’accueil s’adressent à des personnes qui, demain, nous poseront un problème énorme. Ce sont des gens asociaux qui ne respectent pas la propriété, qui n’ont aucune code et pour qui les mots que nous uti­lisons n’ont pas de sens. Ici, on demande à une commune rurale d’accueillir leurs enfants dans l’école du village. Ce n’est pas possible. Il faut faire de l’accompagnement sur place, sur les aires d’accueil pour pratiquer le B-A-BA en termes scolaires, en terme social, en terme médical aussi, car on est confronté à des pathologies extraordinaires. Nous, les maires, qui faisons des patrouilles, nous voyons toutes les nuits trois, quatre ou cinq camion­nettes de gens du voyage qui viennent « sauter » – je n’ai pas d’autres mots – des gamines de douze ou treize ans jusque devant chez leurs parents, et tout le monde s’en moque !
Cette intervention a reçu les applaudissements des partis de droite et du centre.6
Cette déclaration n‘a donné lieu à aucun remous parmi les autres sénateurs ou dans les médias français. Le sénateur lui-même bénéficie d’une immunité contre toute forme d’action disciplinaire.
A peine deux mois et demi plus tard, M. Paul Girot de Langlade, préfet7 du Vau­cluse, a déclaré à une réunion publique en présence d’autres élus du département :
... je n’ai pas de tendresse particulière pour ces gens-la. Ils vivent à nos cro­chets ; ils vivent de la rapine, tout le monde le sait. Quand ils envahissent un terrain, croyez-moi, je suis toujours prêt à mettre les moyens pour les évacuer. Mais il y a une loi qui impose un terrain d’accueil dans les com­munes de plus de 5 000 habitants et on est obligés de la respecter…. Ne vous inquiétez pas, je sais agir dans ce domaine. On a déjà trouvé des gens
6 Voir le compte-rendu complet des débats du Sénat du 31 juillet 2002, disponible sur internet à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/seances/s200207/s20020731/st20020731000.html.
7 En France, un préfet est nommé dans chaque département par le gouvernement sur décret du Prési­dent de la République et sur proposition du Premier ministre et du Ministre de l’Intérieur. Le Préfet est le représentant du Premier Ministre et du Ministre de l’Intérieur dans le département et par con­séquent agit comme une courroie de transmission entre l’Etat, le Gouvernement et le Département. 35 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
qui avaient 8 comptes en banque au Luxembourg. Certains roulent dans des Mercedes que je ne peux pas me payer. Moi aussi, ça m’agace.8
Le préfet n’a subi aucune sanction disciplinaire. Il a été rapporté que M. Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur français, l’aurait fustigé pour ces propos. Mais, en dépit de demandes d’associations tsiganes et des droits de l’homme, M. Girot de Langlade a conservé son poste jusqu’au mois de juillet 2004, date à laquelle il a été nommé préfet de Guadeloupe.
Une plainte a été déposée contre le préfet pour « diffamation publique contre un individu » par M. Michel Débart, voyageur.9 Le 10 février 2004, la 17ème Chambre du Tribunal de grande instance de Paris a déclaré le préfet non coupable des charges retenues contre lui, étant donné que les mots en question ne visaient pas M. Débart en tant qu’individu, mais les voyageurs dans leur ensemble. Ces propos ne rentraient donc pas dans le cadre des éléments invoqués par le plaignant.10 Une autre plainte accuse le préfet de diffamation publique contre un groupe ou une personne sur la base de leur origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, nation ou race.11 Le 21 janvier 2005, la plainte a été rejetée comme nulle par la Cour d’appel de Paris, pour des motifs de procédure concernant la nature supposée imprécise de la plainte.12
Ces exemples de propos racistes tenus par d’importantes personnalités politiques ne sont en aucun cas des exceptions. Bien au contraire, ils illustrent le climat actuel anti-tsiganes dans lequel l’expression ouverte de la haine raciale par des personnal­ités politiques ou dans les médias est devenu un lieu commun national.
8 Voir le site du Ministère de l’Intérieur, et de l’aménagement du territoire (nouveau nom depuis le mise en place du gouvernement Villepin) : http://www.interieur.gouv.fr/rubriques/c/c4_les_prefectures/c43_organisation/Les_Prefets_-_Presentation.
9 Les charges retenues se fondaient sur les articles 23, 29 (1), et 32 (1) de la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse. Les organisations non-gouvernementales la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples s’étaient portées parties civiles dans cette affaire.
10 Girot de Langlade v. Debart, Tribunal de Grande Instance de Paris, 17ème Chambre, décision du 10 février 2004.
11 L’organisation non gouvernementale S.O.S. Racisme s’était portée partie civile dans cette affaire.
12 Agence France Presse, « Confirmation en appel d’un non-lieu pour l’ex-préfet du Vaucluse », 21 jan­vier, 2005.
« Futur terrain gens du voyage ici même. Réunion 10 mai 20h. Salle des fêtes. La honte pour le village » Cet écriteau a été placé par les villageois pour protester contre la création d’une aire de stationnement à Naveil.
PHOTO: JOSE BRUN 37 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
Dans des communes de diverse importance à travers la France, les expressions du sentiment anti-tsigane sont devenus si régulières qu’il est difficile, voire impossible de les recenser avec précision. En fait, le sentiment anti-tsigane est devenu si com­mun et accepté que, bien souvent, la presse locale ne relève même pas que de telles incitations à la haine raciale ont eu lieu. En général, peu de personnes interrogées dans le cadre de cette enquête ont reconnu leurs propos comme racistes.
Les maires et les autorités locales propagent régulièrement de vieux préjugés populaires concernant les tsiganes. Ces édiles pensent à l’évidence que de tels expé­dients politiques leur permettront d’apparaître aux yeux du public comme les défen­seurs de la ville contre « l’invasion tsigane » (citoyens français voyageurs et tsiganes faisant une halte dans leur ville).
La majeure partie de ce discours de haine prend place dans le contexte de discussions locales concernant la création des « aires d’accueil » pour les voyageurs, une obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants fixée par la loi n° 2000-614 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (loi Besson).13 Un tel discours est également monnaie courante lorsqu’un groupe de voyageurs arrête ses caravanes dans une com­mune donnée. Plutôt que d’expliquer à leurs administrés l’importance pour la com­mune de fournir un lieu où les voyageurs puissent résider dans des conditions décentes, les maires et les autorités locales décident d’encourager les stéréotypes racistes et les préjugés. Ils refusent de créer des lieux décents où les voyageurs puissent stationner.
Beaucoup de responsables locaux n’hésitent pas à exprimer ouvertement leurs opinions anti-tsiganes ; ils le font lors de réunions publiques, par la distribution d’informations dans les boîtes aux lettres des citoyens ou en diffusant des bulletins d’information publique.
Des maires de l’Essonne (sud de Paris) ont par exemple organisé une marche de prot­estation le 3 avril 2004. Ils ont manifesté contre la création d’une aire de grand passage sur leur territoire. Ce site devait accueillir 100 ou 200 caravanes une ou deux fois l’an dans le cadre de rassemblements religieux tsiganes et voyageurs.14 Les maires ont alors procédé à un affichage public dans la région, encourageant les citoyens à venir protester.
13 Voir la discussion détaillée de cette loi dans le chapitre 5 du présent rapport.
14 Les tsiganes et voyageurs catholiques ou évangélistes organisent des rassemblements religieux dans différentes régions du pays pour y accomplir des rituels religieux. Lors de ces rassemblements des38 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Dans la commune d’Echarcon, une ville d’environ 700 habitants, une grande banderole disait en petites lettres « Pas d’aire de grand passage » et en plus grandes lettres « Pas de gens du voyage ». Un groupe de voyageurs, accompagnés par une caméra cachée de la chaîne de télévision Canal Plus, a apporté cette banderole à M.Robert Coquide, maire de la ville. Celle-ci une fois posée devant lui, il a essayé d’en nier les contenus . Finalement il a dit à ces voyageurs que s’ils le voulaient, ils pouvaient déposer une plainte. Un autre responsable de la commune leur a dit : « Qu’est ce–que vous nous voulez ? C’est ce que veulent les gens d’ici ». Il a alors commencé à expliquer que ce qui effraie les habitants, c’était l’insécurité. Lorsque les voyageurs lui ont demandé si la commune d’Echarcon avait déjà eu des problèmes à cause des gens du voyage, il a répondu : « Non, pas en­core… mais mieux vaut anticiper les problèmes ». Lors de la manifestation à laquelle étaient présents de nombreux maires et d’autres personnalités officielles , libre cours a été donné aux expressions racistes et aux slogans dépeignant les voyageurs comme des voleurs et des délinquants.15
Un conseiller municipal d’un village de Seine-et-Marne, a rapporté à l’ERRC les éléments suivants :
Aux réunions du Conseil Municipal, il y a des gens qui se croient au bar du coin et n’hésitent pas à vomir un discours raciste. C’est comme ça dans tous les villages du département.16 Ici, les gens du voyage sont les boucs émissaires. Je n’aurais jamais imaginé la mentalité de nom­breux responsables locaux avant de devenir conseiller municipale. Par exemple, lors d’une réunion informelle à l’hôtel de ville en août 2003, le maire de la ville de C. a proposé une réunion pour préparer un « coup de force » rassemblant 52 maires contre le plan départemental. En parlant des aires d’accueil, il a dit : « Ce n’est pas d’aires d’accueil dont nous avons besoin, nous avons besoin de construire des prisons ». Il a égale­ment fait remarquer qu’il refusait systématiquement les enfants des gens du voyage dans les écoles de la ville et qu’il louait des terrains en friche
centaines, voire des milliers de personnes se rassemblent pour quelques jours et des aires d’accueil d’une taille appropriée sont alors nécessaires.
15 Documentaire « Gens du voyage : la répression et l’absurde, une enquête de Pascal Catuogno avec Jérome Pin et Steeve Bauman », diffusé par la chaîne de télévision Canal Plus le 10 mai 2004.
16 Elle fait référence au département de la Seine-et-Marne, à l’Est de Paris.39 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
à des personnes privées, de manière à pouvoir expulser plus facilement les gens du voyage qui faisaient halte dans sa commune.17
D’autres responsables agissent plus à couvert en encourageant en sous-main la création d’associations de citoyens protestant contre les aires d’accueil et la présence de tsiganes et voyageurs dans leur ville. Ces associations, dont beaucoup sont de l’initiative même des citoyens, ont poussé comme des champignons à travers la France. Elles portent souvent des noms tels que « Association pour la protection et la sécurité de l’environnement de la ville », ou d’autres du même genre. En plus de perpétuer l’hostilité et les stéréotypes négatifs à l’encontre des tsiganes et voyageurs, ces associations organisent diverses actions, allant en général de la pétition aux manifestations contre les tsiganes et les voyageurs de la commune. Ces associations sont particulièrement remontées contre la création des aires d’accueil.
Les préjugés contre les tsiganes et voyageurs sont une vieille tradition en France, toutefois de nombreux tsiganes rencontrés par l’ERRC ont exprimé une grande anx­iété, craignant que la situation actuelle ne prenne des proportions rappelant celle de l’avant 2ème Guerre mondiale.
L’hostilité anti-tsiganes des citoyens devient non seulement plus fréquente mais aussi plus violente. Un tract distribué au printemps 2004 dans les boîtes aux lettres du sud de la France, (région PACA) par un groupe appelé « Front de Libération de la Provence » illustre assez bien ces développements inquiétants. Sur le tract, illustré d’un habitant local encagoulé et tenant une arme à feu, on peut lire :
Ras le bol des gitans qui volent nos voitures qui cambrioles nos maisons qui pourrissent notre environnement. Et nos hommes politiques que font ils ? Ils se moquent bien de tout cela se qui les intéressent, c’est d’être à la tête de la région pour les prochaines élections. Alors réglons le problème nous même puisqu’ils ne sont pas capable. Prenons les armes et exterminons cette vermine jusqu’au dernier pas de pitié, hommes femmes enfants et nourrissons.18
17 Entretien de l’ERRC avec Mme P.D., le 20 janvier 2004.
18 La section du Phare les Oliviers de la Ligue des Droits de l’Homme a déposé une plainte auprès du Procureur de la République à propos de ce tract, mais au moment où nous écrivons ils n’ont reçu aucune réponse. La plainte semble avoir été classée sans suites.40 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Les médias, pour leur part, exacerbent et perpétuent le racisme déjà répandu. Bien trop souvent, lorsque l’on fait référence aux tsiganes et voyageurs, c’est dans un contexte de crime et de délinquance. Le fait que les délinquants (ou supposés délinquants) soient tsiganes (voire que les délinquants fréquentent des tsiganes) est toujours souligné.
Un cas récent de disparitions et de meurtres de jeunes filles en Alsace a donné l’occasion à la presse de raviver le stéréotype du « tsigane voleur d’enfants ». Dans un nombre incalculable d’articles de presse a été mentionné le fait que la famille accusée d’être impliquée dans l’un des meurtres (ou d’avoir aidé le meurtrier en ne dénonçant pas la mort de l’une des jeunes filles à la police) était de l’ethnie yénishe.19 Dans un article particulièrement significatif, le journal de gauche à grand tirage Libération a inséré un article sur les yénishes aux côtés de l’article principal expli­quant le meurtre et l’enquête.20
Dans un autre exemple significatif, le grand journal de droite Le Figaro a publié plusieurs articles reliant, dans un style sensationnaliste, les voyageurs à toutes sortes d’activités délinquantes. Le Figaro est même allé jusqu’à dresser un tableau des crimes commis. Dans l’article principal intitulé « Les gens du voyage dans le col­limateur de Sarkozy » on peut lire :
Plus nombreux, plus efficaces, plus impulsifs : les délinquants itinérants, malfrats d’un genre particulier, recrutés parmi les gens du voyage, écu­ment chaque jour davantage la France pour de spectaculaires préda­tions : souvent au préjudice de banques dont les agences sont attaquées, de transporteurs de fonds dont les camions sont dévalisés, de personnes âgées dépouillées, ou encore de supermarchés pillés avec méthode. Comme est en mesure de le révéler Le Figaro, quelque 8 900 délits graves ont été imputés l’an dernier a ces bandes très mobiles, capables de couvrir plusieurs centaines de kilomètres avant de passer a l’action. Soit près de 25 actes criminels par jour.21
19 Les yénishes sont des gens du voyage d’origine allemande.
20 Calinon, Thomas et Blandine Grosjean. « Des familles manouches maudites de tous ». Libération, 30 juillet 2004.
21 Cornevin, Christophe. « Les gens du voyage dans le collimateur de Sarkozy ». Le Figaro,18 avril 2003. 41 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
L’article donne ensuite un luxe de détails sur ces crimes, y compris sur la torture d’un couple de personnes âgées. Ceci ne peut qu’encourager les préjugés racistes er­ronés associant voyageurs et criminalité.
Avec l’arrivée de nouvelles populations de roms migrants d’Europe de l’Est au début des années 90, la presse a produit un nombre incalculable d’articles et de reportages liant les roms migrants, ainsi que les tsiganes et voyageurs français, à toute une série de crimes violents et sensationnels, y compris le trafic de femmes, d’enfants et d’handicapés. Dans la plupart des articles, l’accent est mis sur « l’origine étrangère » des roms et étendu à tous les tsiganes, renforçant le stéréotype déjà en vigueur que les tsiganes ne sont pas des français. Pourtant, la grande majorité des tsiganes vivant sur le sol français sont bel et bien Français. Nombre d’entre eux sont installés en France depuis plusieurs générations, voire même plusieurs siècles. …
Le fait que ce racisme anti-tsiganes soit si répandu au sein des responsables lo­caux, des populations locales et des médias du pays des droits de l’homme en dit long sur la place des tsiganes et voyageurs en France.
Officiellement , la France refuse de reconnaître l’existence de minorités sur son sol. Les autorités françaises fondent ce refus sur la garantie de l’égalité républicaine fondement de la société française. Cette garantie signifie que dans le domaine public, chaque citoyen est considéré comme « un individu » à part entière, abstraction faite de ses caractéristiques spécifiques comme l’ethnie, la religion ou la culture. Selon ce point de vue, les lois et les politiques doivent être « universelles » et ne prendre en compte aucune minorité ou particularité. De même, toute mesure ou politique visant à préserver ou promouvoir les groupes culturels, linguistiques, ethniques ou autres est considérée comme incompatible avec le modèle républicain d’égalité. Mais cette interprétation du principe d’égalité n’est pas en accord avec le principe d’égalité tel que le conçoit le droit international… Selon le droit international, les situations analogues doivent être traitées de la même manière et les situations sensiblement dif­férentes doivent être traitées différemment.22
22 Tout en affirmant que « la non-discrimination est un principe fondamental et général en matière de pro­tection des droits de l’homme, au même titre que l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi », le Comité des droits de l’homme des Nations – Unies remarque que « la jouissance des droits et des libertés dans des conditions d’égalité n’implique pas, dans tous les cas, un traitement identique » cf. Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, commentaire général 18, « non-discriminaion »,42 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Les autorités françaises ont récemment expliqué leurs positions dans une réponse à un rapport de la Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) ayant souligné ce problème comme restrictif des droits des membres des minorités.23 Les autorités françaises ont écrit :
...les auteurs semblent mettre en cause le modèle républicain français, fondé sur les principes de l’indivisibilité de la nation et de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, issus d’une tradition juridique bicen­tenaire. Il convient donc rappeler à cet égard les termes de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1798, qui a servi de référence pendant tout le XIXème siècle à de nombreux peuples luttant pour conquérir leur liberté. Cet article a aussi été la première source inspiratrice de la Déclaration universelle des droits de l’homme :
10 novembre 1989, paragraphes 1 et 8, à l’adresse suivante : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/3888b0541f8501c9c12563ed004b8d0e?Opendocument.
Par ailleurs, le Rapport explicatif du protocole 12 de la Convention européenne pour la protec­tion des droits de l’homme et les libertés fondamentales pose que : « il convient de noter que les principes de non-discrimination et d’égalité sont étroitement liés. Par exemple, le principe d’égalité exige que des situations égales soient traitées de manière égale et des situations inégales de manière différente. Toute atteinte à cet égard sera considérée comme une discrimination, à moins qu’il n’existe une justification objective et raisonnable...» cf. rapport explicatif à l’adresse suivante : http://conventions.coe.int/Treaty/EN/Reports/Html/177.htm.
Cette notion est aussi refletée dans la prohibition par les lois internationales d’actes et d’actions ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à l’égalité. (cf. description détaillée des textes de loi relatifs à cela plus loin dans ce chapitre).
23 Dans son second rapport sur la France, adopté le 10 décembre 1999, rendu public le 27 juin 2000, l’ECRI a fait le commentaire suivant : « La France approche la diversité culturelle au travers du modèle républicain, lequel rejette les distinctions fondées sur la classe ou la religion et considère la volonté commune de vivre ensemble comme le seul fondement de la société. Cette approche débouche sur des politiques qui ont pour but l’intégration dans la société d’accueil en reconnaissant les différences culturelles mais sans désir de les promouvoir. La France considère donc l’intégration culturelle de tous les individus, se fondant sur une notion singulière de la citoyenneté, comme étant le but ultime. Ceci a conduit à une réticence dans l’utilisation des catégories « minorités » et « com­munautés » lorsque sont concernés les citoyens français. Toutefois, l’ECRI considère que de tels groupes existent de facto et que […] les droits des individus dont l’identité est liée à ces groupes au sein de la population française sont limités ». CRI (2000)31, (paragraphe 25). 43 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les dis­tinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
L’article 1er de la Constitution française reprend cette conception en indiquant que :
« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et so­ciale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (…) »
L’édifice républicain français repose donc sur un pacte social qui transcende toutes les différences. C’est un pacte auquel peut adhérer volontairement tout individu, quelles que soient ses caractéristiques biologiques ou ses convictions personnelles.
Il résulte de cette conception que la notion juridique de « minorité » est étrangère au droit français, ce qui ne veut pas dire que les particularismes identitaires ne soient pas reconnus. Mais ceux-ci relèvent d’un choix individuel d’ordre privé, gouverné par la liberté de pensée et de conscience. Ils ne relèvent pas de critères objectifs….
Le gouvernement français n’ignore bien évidemment pas les limites du modèle français d’intégration. Mais il considère que le combat contre le racisme et l’intolérance doit continuer à s’inscrire dans le cadre de ce modèle. C’est ainsi que sont clairement rejetées toutes les logiques visant à mettre en place des quotas ou à reconnaître des communautés au sein de la société, ce qui serait contraire au principe d’égalité de tous devant la loi…24
Les recherches de l’ERRC sur la situation des tsiganes et voyageurs en France révèlent que leur non-reconnaissance n’a en aucun cas eu pour résultat qu’ils soient
24 Observations données par les autorités françaises concernant le rapport ECRI sur la France, dans CRI (2000) 31. La France a également articulé sa position autour de ses réserves concernant l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantissant des droits aux minorités ethniques, religieuses ou linguistiques. Les réserves françaises déclarent : « l’article 2 de la Constitu­tion du 4 octobre 1958 déclare que la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Etant donné que les principes fondamentaux du droit public interdisent de faire des distinctions entre les citoyens sur la base de leur origine, leur race ou leur religion, la France est un pays dans lequel il n’existe pas de minorités et par conséquent, comme il est indiqué dans la déclaration faite par la France, l’Article 27 n’est pas applicable en ce qui con­cerne la République française. » 44 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
traités de manière égale aux autres citoyens. Au contraire, ils restent des citoyens à part. Ils sont exclus de la garantie républicaine d’égalité qui est la pierre angulaire de l’Etat français. Ils connaissent de sévères et très étendues violations de leurs droits politiques, civils, économiques sociaux et culturels les plus élémentaires. Ils sont victimes de discriminations dans des secteurs aussi divers que le droit de vote, la participation politique, l’obtention de documents d’identité, l’accès à la justice, le logement, le marché du travail, l’éducation, l’accès aux lieux et services publics ainsi qu’à l’aide sociale. Ils sont aussi, directement ou indirectement, atteints de manière négative par toute une série de lois et politiques racistes. Les effets combinés de différentes lois, politiques, règles et règlements ayant des effets néfastes sur les tsi­ganes et voyageurs ont conduit à la marginalisation et à l’exclusion, et ce de manière alarmante. De plus, les recherches conduites par l’ERRC indiquent que différentes actions de l’Etat français ces dernières années constituent une véritable déclaration de guerre à la culture de nombreux tsiganes et voyageurs.
Les lois racistes et discriminatoires ne peuvent trop ouvertement cibler un groupe ethnique ou culturel car elles entreraient alors en conflit manifeste avec la Constitution française. Elles sont donc souvent déguisées, bien que de manière très superficielle. Les lois et politiques discriminatoires paraissent souvent en façade être « les mêmes pour tous ». Toutefois, en fait, étant donné que la situation spécifique et le style de vie des tsiganes et voyageurs n’est pas pris en compte par les législateurs, en pratique tsiganes et voyageurs se voient fréquemment exclus ou négativement atteints par ce qui est présenté comme étant des « lois neutres ».25 De plus, les discriminations et le racisme
25 Les lois et les politiques françaises sont de ce fait bien souvent des exemples typiques de « discrimi­nation indirecte », ce qui est prohibé par les lois tant européennes qu’internationales. La directive 2000/43/EC adoptée en juin 2000 par le Conseil de l’Union Européenne interdit les discriminations indirectes définies comme apparaissant « lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique appar­emment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires. » Voir la directive du Conseil 2000/43/EC du 29 juin 2000 portant sur « la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. » Journal Officiel des Communautés Européennes, 19 juillet 2000, disponible à l’adresse suivante : http://www.era.int/www/gen/f_13049_file_en.pdf. L’interdiction de la discrimination dans l’article 1(1) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) étend aussi à « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nation­ale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la 45 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
sont fréquemment masqués par une grande hypocrisie. Les législateurs français sont très créatifs lorsqu’il s’agit de trouver des moyens de distinguer les tsiganes et les voy­ageurs pour les maltraiter indirectement. Ainsi les lois et politiques racistes ne sont pas ouvertement dirigées contre des ethnies et des groupes culturels, mais plutôt contre des « modes de vie » particuliers...
De fait, les « nomades » sont devenus « ceux qui exercent des activités ambulan­tes » ou « ceux qui circulent en France sans domicile ou résidence fixe ». Enfin, on parle aujourd’hui de « gens du voyage ».26 D’après l’historienne du droit Jacqueline Charle­magne, le terme « gens du voyage» apparut pour la première fois en 1978 dans une circu­laire sur les conditions de stationnement dans les municipalités.27 Bien qu’incluant surtout les tsiganes, tous ces termes englobent d’autres populations. Ainsi, ce terme récent « gens du voyage » est défini dans le rapport Delamon comme ceux « qui vivent et se déplacent en habitat mobile ou susceptible de l’être, pendant tout ou partie de l’année, les nomades et sédentaires qui se réclament du voyage ».28 La récente loi Besson identifie comme « gens du voyage » ceux dont l’habitat traditionnel est une résidence mobile. Les person­nes qui rentrent dans le cadre de cette définitions en France sont en majorité des tsiganes.
jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fon­damentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. « Cette définition inclut les discriminations directes autant qu’indirectes, en ce qu’elle considère les « buts » et les « effets » des actions en question. Dans sa Recommandation générale n°XIV sur la définition des discriminations raciales, (Quarante-deuxième session, 1993), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) – l’organe qui supervise le contrôle de l’application de leurs obligations par les Etats qui font partie de l’CIEDR – spécifie : « en cherchant à déterminer si un acte a ou non un effet contraire à la Convention, il faut chercher à déterminer si cet acte à un impact disparate et injustifiable sur une groupe spécifique de par sa race, sa couleur, ses ascendants ou son origine nationale ou ethnique. » (Voir CEDR Recommandation générale No. 14 : Définition de la discrimination (Art. 1, par.1), 22/03/93, disponible à l’adresse suivante : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/0/d7bd5d2bf71258aac12563ee004b639e?Opendocument.
26 A la suite de la deuxième guerre mondiale le terme « nomade » a été remplacé par un autre terme étant donné qu’il était devenu trop politiquement chargé à la suite des persécutions durant et après la période du Régime de Vichy. Voir Courthiade, Marcel. Les Roms dans le contexte des peuples européens sans territoire compact. (INALCO – Univ. de Paris & IRU – Commissariat á -la langue et aux droits linguistiques).
27 Charlemagne, Jacqueline. « Tsiganes et gens du voyage. » Regards sur l’actualité. No. 255, Novem­bre 1999.
28 Delamon, Arsène. « La situation des ‘Gens du Voyage’ et les mesures proposées pour l’améliorer ». Rapport de Mission de Monsieur Arsène Delamon à Monsieur le Premier Ministre. 13 Juillet 1990. 46 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Certains autres segments de la population française ayant choisi un mode de vie itinérant rentrent aussi dans cette catégorie. Le fait est, cependant, qu’un certain nombre de lois et de politiques distingue une partie de la population – et surtout des tsiganes – pour leur infliger un traitement spécifiquement négatif.
Il est difficile d’estimer précisément le nombre de tsiganes et voyageurs vivant en France. Etant donné qu’il est généralement considéré comme illégal d’établir des statis­tiques sur les ethnies en France, il n’y a eu aucun recensement ou étude scientifique en la matière. Les données les plus pertinentes sur la question sont celles provenant du dernier recensement national de 1999. Il fournit des informations telles que le nombre de person­nes vivant dans des habitats mobiles (140 949 d’après le recensement).29 Le Ministère de la Défense tient également compte du nombre de personnes disposant de documents de circulation : ils seraient de 156 282 au 19 mars 2002.30 Dans un rapport présenté en janvier 2000, le sénateur Delavoye cite le chiffre de140 000 personnes possédant des documents de circulation. Il note qu’il convient d’ajouter les moins de 16 ans à ce total, soulignant qu’ils constituent 45% de la population nomade. Il estime donc que le nombre de voyageurs dépasse les 300 000 personnes.31 Mais aucun de ces chiffres ne peut être utilisé pour estimer le nombre de tsiganes et voyageurs en France, étant donné que beau­coup de tsiganes et voyageurs ne vivent pas dans des caravanes et ne possèdent pas de documents de circulation. Vu le degré de mobilité de ceux vivant dans des caravanes, et les lieux marginaux où ils sont souvent relégués, il est également probable qu’un certain nombre n’ait pas été comptabilisé dans les recensements. De plus, ces deux chiffres of­ficiels incluent un certain nombre de gens qui ne sont ni tsiganes ni voyageurs.
D’après la publication Le Courrier des maires et des élus locaux, « les associations proches des tsiganes estiment que la population sédentarisée en France tourne autour
29 Recensement de mars 1999, INSEE. Ce recensement estime la population totale de la France à 58 518 395 habitants.
30 Ministère de la Défense – Direction générale de la gendarmerie nationale. Nombre de titres de cir­culation détenus par les personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (SDRF), au 19 mars 2002. Il convient de souligner que les moins de 16 ans n’ont pas de titres de circulation. Etant donné la taille moyenne de la famille chez les gens du voyage, estimée autour de 5 personnes, en comptant trois enfants par famille, le nombre de personnes appartenant à des familles ayant des titres de circulation est bien plus élevé que ce qu’indiquent ces chiffres.
31 Sénateur Delevoye, Jean-Pierre, Rapport No. 188, présenté à la session ordinaire du Sénat Français 1999-2000, session du 26 juillet 2000, disponible à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l99-188/l99-1881.html.47 Introduction : un climat de racisme rampant á l’égard des tsiganes et voyageurs
de 400 000 ou 500 000 personnes. Ceux qui voyagent toujours sont approximativement 300 000. » Ceci ferait donc un total compris entre 700 000 et 800 000 personnes (aut­our de 1,2 à 1,36% de la population française).32 La publication note cependant qu’en l’absence de tout recensement spécifique, un tel chiffre ne peut être qu’incertain.33
M. Nara Ritz, représentant de l’association tsiganes Regards a dit à l’ERRC que le nombre de tsiganes et voyageurs va bien au-delà des estimations officielles. Il devrait tourner plutôt autour de 1 200 000 ou 1 300 000. M. Nara Ritz a dit : « Le nombre de personnes ayant des documents de circulation doit être multiplié au moins par trois, si on s’appuie sur une estimation très conservatrice du nombre moyen d’enfants par famille. Ce qui ferait un total d’environ 600 000. Ensuite, vous devez ajouter ces personnes qui voyagent sans documents de circulation (étant donné qu’ils ont une carte d’identité) et ces personnes qui sont d’origine tsigane mais n’ont pas un mode de vie nomade. Ces groupes totalisent au moins autant de gens que ceux ayant des documents de circulation, ce qui porte le total au moins à 1 200 000 ou 1 300 000. »34 En plus des tsiganes et voyageurs français, il faut ajouter quelques milliers de roms migrants (environ 5 000) qui ne sont pas citoyens français mais vivent en France. »
Il est admis que la grande majorité des tsiganes et voyageurs en France sont des citoyens français.35 Pourtant, la fausse perception selon laquelle ils seraient des étrangers perdure. Cette notion a été ravivée récemment avec l’arrivée, au début des années 1990, de plusieurs milliers de roms migrants venant de l’ancienne Yougosla­vie et d’autres parties de l’Europe de l’Est. Les médias aussi bien que les autorités ont largement souligné leur présence de manière à étendre et renforcer les vieux stéréo­types sur les tsiganes – et plus généralement le fait supposé qu’ils soient étrangers.
32 Article récemment publié dans le magasine Géo par Dany Péto-Manso, le Président de l’association tsigane Regards y cite le chiffre de 800 000 personnes. Péto-Manso, Dany. « Droit de réponse. » Géo, No. 313, Mars 2005.
33 Kis, Martine. « Qui sont réellement les « gens du voyage » ? » Le Courrier des maires et des élus locaux, No. 152, Novembre 2002.
34 Entretien de l’ERRC avec M. Nara Ritz, 22 mars 2005, Paris.
35 Le rapport Delamon de juillet 1990, par exemple, déclare que « La quasi totalité des gens du voyage ont la nationalité française. » Delamon, Arsène. « La situation des ‘Gens du Voyage’ et les mesures proposées pour l’améliorer ». Rapport de Mission de Monsieur Arsène Delamon à Monsieur le Pre­mier Ministre. 13 Juillet 1990. 48 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Ce rapport est ainsi structuré : Le chapitre suivant présente brièvement l’histoire des tsiganes et voyageurs en France, mettant en lumière comment se structura leur rejet, répression et contrôle au cours de l’histoire. Le chapitre 4 détaille les violations des droits civiques et politiques fondamentaux, y compris le droit de vote et de partici­pation aux affaires publiques. Le chapitre 5 décrit les considérables difficultés rencon­trées par les tsiganes et voyageurs pour trouver des lieux de stationnement lorsqu’ils voyagent, la répétition des expulsions forcées dont ils sont les victimes et les lieux indécents et isolés dans lesquels ils sont relégués. D’autre part, y sont aussi décrites les difficultés continuelles que rencontrent tsiganes et voyageurs lorsqu’ils tentent d’acquérir des biens immobiliers, ainsi que le harcèlement continu et les expulsions dont ils sont victimes lorsqu’ils sont propriétaires. Ce chapitre révèle les obstacles con­sidérables rencontrés par les tsiganes et voyageurs qui tentent de préserver leur mode de vie. Le chapitre 6 met en lumière les conditions de vie indécentes de nombreux tsiganes et voyageurs sur les aires d’accueil, terrains privés qu’ils possèdent et lieux où ils sont installés de manière permanente. Il traite également de la discrimination dont ils sont les victimes en ce qui concerne le secteur du logement social. Le chapitre 7 décrit les conduites abusives de la police à l’égard des tsiganes et voyageurs, y com­pris les raids collectifs, la stigmatisation raciale, les mauvais traitements subis par les tsiganes et voyageurs et les dommages infligés à leurs biens. Le chapitre 8 propose une vue d’ensemble de la discrimination que subissent tsiganes et voyageurs dans l’accès à l’assistance sociale et à un certain nombre de services publics. Le chapitre 9 se con­centre sur la discrimination subie par les tsiganes et voyageurs sur le marché du travail. Le chapitre 10 débat des problèmes rencontrés par les enfants tsiganes et voyageurs dans le cadre du système scolaire français. Le chapitre 11 évalue l’appareil juridique français dans le cadre de la lutte contre les discriminations. Le chapitre12 se penche sur la situation des roms migrants en France et met en lumière les nombreuses violations des droits humains qu’ils rencontrent constamment. Ce rapport se conclut par un cer­tain nombre de recommandations faites au gouvernement français, visant à améliorer ses performances en matière de droits de l’homme en ce qui concerne la situation des tsiganes, voyageurs et roms migrants. 49 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
3. HISTOIRE DES TSIGANES ET VOYAGEURS EN FRANCE : REJET, CONTRÔLE ET RÉPRESSION
L’histoire des tsiganes en France comme ailleurs est construite à partir des té­moignages de personnes extérieures aux communautés tsiganes. Cette histoire est donc teintée des mythes et stéréotypes du temps, reflétant les perceptions extérieures de ces communautés.36 Cependant, on s’accorde aujourd’hui à dire que les tsiganes sont d’origine indienne. Leur langue est en effet proche des langues indiennes, com­me l’hindi par exemple...37
Le premier document parlant de tsiganes en France date du début du XVème siècle avec l’arrivée en 1419 d’un groupe de tsiganes à Mâcon. Les chroniqueurs de l’époque ne perdirent pas de temps et se mirent aussitôt à répandre une image
36 Liégois, Jean-Pierre. Gypsies and Travellers. Strasbourg : Conseil de l’Europe, 1987, p. 13. Liégois, Jean-Pierre. Tsiganes. Paris : La Décourverte/Maspero, 1983, p. 9, pp. 17-19.
37 Fraser, Angus. The Gypsies, Oxford : Blackwell, 1995, pp. 21-28. Les différents groupes qui peuvent être en gros catégorisés comme Kale, Sinti et Rom partagent cette origine indienne. Toutefois, en France, les yénishes – un groupe qui ne partage pas ces origines – sont généralement inclus dans la dénomination tsigane, que ce soit par les universitaires, les médias ou même certains membres des communautés tsiganes. Les yénishes sont des gens du voyage d’origine allemande. Par exemple, l’ethnologue Alain Reyniers fait observer : « Deux autres groupes tsiganes se redéploient en France dès le début du XIXème siècle à partir des frontières du Nord-Est. Il s’agit des Sintés ou Manuš et des Jéniš. Les premiers, souvent nommés « Zwarte Zigeuners » (Tsiganes noirs) par les populations germanophones, parlent un dialecte romanès (d’origine indienne) fortement influencé par l’allemand et, dans une moindre mesure, par l’alsacien. Les seconds, davantage perçus comme « Blonde Zigeu­ners » ont adopté le rotwelš – argot des ambulants allemands – mâtiné de termes manuš (notamment pour tout ce qui relève de la vie familiale) et jiddiš (pour les relations commerciales). » Reyniers, Alain. « Les populations tsiganes en France. » Passerelles, no. 6 Printemps 1993, p. 15. Jean-Pierre Liégois indique que : « Le premier flux de tsiganes s’étala finalement sur tout l’ouest de l’Europe, certains se sédentarisant ou continuant à bouger à une plus petite échelle. Les voyageurs d’origine indienne rencontrèrent aussi parfois des voyageurs locaux … Des échanges culturels résultèrent de ces rencontres avec des voyageurs originaires d’Inde, et aboutirent à la formation de groupes mixtes à partir du XVIème siècle, dans les îles britanniques et dans d’autre parties de l’Europe, avec des caractéristiques d’origine indienne absorbées et réinterprétées par des gens du voyages locaux ou avec des nomades d’Inde absorbant et réinterprétant des caractéristiques locales. Tous les tsiganes d’Europe du nord-ouest sont de cette nature. » Liégois, Gypsies and Travellers, pp. 17-18.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
effrayante des nouveaux arrivants, les dépeignant comme des personnes de grande taille, à la chevelure abondante et couchant dans les champs telles des bêtes.38 Il est raconté qu’ils étaient conduits par un personnage nommé André qui se disait Duc de Petite Egypte.39 D’après l’ethnologue Alain Reyniers, leurs familles traversèrent la Bulgarie, la Moldavie et la Valachie vers 1386-1387. Ils traversèrent ensuite la Ser­bie vers 1399 puis arrivèrent en Bohème au début des années 1400.
Durant les années suivantes, les chroniqueurs relatèrent l’arrivée d’autres tsi­ganes, dans d’autres villes. Dans les documents historiques de cette période, on fait communément référence à eux par le terme d’« Egyptiens » du fait de leurs histoires à propos de la Petite Egypte.40 On utilise aussi le terme de « bohémiens », du fait des sauf-conduits dont ils étaient porteurs, délivrés par l’Empereur Sigismond de Bohême et Moravie.41
Alors qu’on raconte qu’ils furent au départ bien reçus, leur mode de vie itinérant éveilla rapidement les soupçons des populations locales et des autorités. La longue série de politiques destinées à les expulser ou à les contrôler débuta vite.42 Une or­donnance royale signée le 15 juillet 1504 par Louis XII ordonne par exemple aux Vicomtes de chasser « ceux qui se disent ou se nomment Egyptiens ». Un édit de 1529
38 Reyniers, Les populations tsiganes en France, p. 1. Liégois. Gypsies and Travellers, p. 90.
39 Aubin, Emmanuel. La Commune et les Gens du Voyage. Berger-Levrault, 2003, p. 11.
40 Les tsiganes étaient souvent désignés par le terme « égyptiens » au début de leur arrivée en Europe oc­cidentale, en raison de croyances erronées les donnant originaire de la Petite Egypte. Cette idée semble venir d’une histoire répandue par des groupes de tsiganes, arrivés en Europe occidentale au début des années 1400 pour expliquer leur apparence. D’après les témoignages, ils « se présentaient eux-mêmes comme des pèlerins venant de la Petite Egypte, condamnés par le Pape à sept années d’errance en pu­nition de leur trahison de la foi chrétienne, à la suite de la supposée conquête musulmane. » Petrova, Dimitrina. « The Roma : Between a Myth and the Future ». Social Research, Vol. 70, No. 1 Spring 2003, p. 120. See also Reyniers, Alain, and Patrick Williams. « Permanence tsigane et politique de sédentarisation dans la France de l’après-guerre ». L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000. Etudes tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001, pp. 10-11.
41 Aubin, p. 11.
42 Cf. Aubin, Emmanuel. « L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur républicain ». L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000. Etudes tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001, p. 26. Pour d‘autres exemples de me­sures prises contre les bohémiens du XVIème au XIXème siècle, voir : Liégois, Tsiganes, pp. 156-158. 51 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
ordonne le bannissement des « bohémiens » et, en 1682, Louis XIV publie un édit contre les bohémiens, menaçant de punir les seigneurs qui les accueilleraient.43
La Révolution française, avec sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, sembla augurer d’un début de meilleur traitement des tsiganes en France. Dans son article 1, toujours aux sources de l’ordre constitutionnel français, il est déclaré hardiment :
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinc­tions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
Ces espoirs s’avérèrent de courte durée. Les lois et politiques républicaines, bien que semblant moins répressives que les lois monarchiques, cherchèrent rapidement à contrôler et à restreindre les mouvements des tsiganes, en même temps que ceux des vagabonds, errants et mendiants – groupes perçus comme dangereux et menaçants pour la société bourgeoise.44 A la fin du XIXème siècle, la République française commença à mettre en place des politiques visant à expulser les tsiganes du territoire français en rendant illégal leur stationnement, où que ce soit. Par exemple, une circulaire, datée de juin 1889 encourageait les préfets à expulser les nomades de leurs départements :
En ce qui concerne les nomades, généralement étrangers, et que l’exercice d’une profession ne permet pas de ranger dans la catégorie des vagabonds, il conviendra de généraliser une mesure déjà prescrite dans quelques départements et qui consiste à les refouler purement et simplement jusqu’à la frontière du département. Le préfet du départe­ment voisin immédiatement avisé de cette disposition procédera à leur
43 Aubin, L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur républicain, p. 26. Reyniers, Les populations tsiganes en France, p. 14. Pour d‘autres exemples de mesures prises contre les bohémiens du XVIème au XIXème siècle, voir : Liégois, Tsiganes, pp. 156-158. « La préoccupation des autorités sera toujours de les faire disparaître : de l’horizon géo­graphique (en les expulsant ou en les enfermant), de l’horizon social (en les assimilant ou en les exterminant). » Reyniers and Williams, Permanence tsigane et politique de sédentarisation dans la France de l’après-guerre, p. 11.
44 Rothéa, Xavier. France pays des droits des Roms ? Gitans, « Bohémiens », « Gens du voyage », Tsi­ganes... face aux pouvoirs publics depuis le 19e siècle. Lyon : Carobella ex-natura, Février 2003, pp. 47-53. 52 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
égard de la même manière, les bandes nomades seront successivement menées sur la limite de notre territoire.45
Les tsiganes visés par ces mesures n’étaient pas, dans leur grande majorité, des étrangers, mais bel et bien des Français.46
De telles mesures ne dissuadèrent pas de nouveaux groupes de tsiganes et autres voyageurs de venir en France. Par exemple, l’ethnologue Alain Reyniers note que dès le début du XIXème siècle, des Yénishes et des Sinti commencèrent à arriver en France par la frontière nord-est. De même, dès le début du XIXème siècle, des Kalés arrivèrent dans le sud de la France depuis la péninsule ibérique (Catalogne et Andalousie). En 1866, les premiers Roms signalés en France arrivèrent avec des passeports allemands. On pense qu’ils avaient quitté les principautés de Moldavie et Valachie après avoir été libéré de l’esclavage en 1856. Ces Roms furent suivis par d’autres en provenance de Transylvanie et par des Roms des Balkans.47 En France, les chemins des tsiganes croi­saient ceux des voyageurs d’origine européenne, et parfois un métissage avait lieu.48
Les carnets anthropométriques
Le 16 juillet 1912, une loi fut votée instituant pour les cinquante années à venir une stricte surveillance des tsiganes et voyageurs en France et restreignant aussi con­sidérablement leur liberté de circulation. Le but de cette loi fut résumé par le Ministre de l’Intérieur peu de temps après qu’elle ait été votée : « Il faut identifier, traquer et refouler les nomades visés par la loi du 16 juillet 1912 et dont la présence en France met en péril la tranquillité de nos campagnes. »49
La loi obligeait tous les nomades à avoir sur eux des carnets anthropométriques partout où ils allaient. De plus, le chef de chaque famille ou groupe devait être porteur
45 Rothéa. France pays des droits des Roms, p. 51.
46 Le recensement général des « nomades et bohémiens » effectué en 1895 démontra que la plupart des bo­hémiens et nomades présents sur le territoire français avaient la nationalité française. Rothéa. Ibid., p. 52.
47 Reyniers. Les populations tsiganes en France, pp. 15-19.
48 Liégois, Gypsies, p. 6.
49 Cited in Aubin, L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du légis­lateur républicain, p. 29. 53 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
d’un carnet collectif sur lequel figuraient toutes les personnes voyageant avec lui. Ce livret devait être tamponné par le chef de la police, le capitaine de la gendarmerie ou le maire pour chaque ville dans lequel le groupe faisait halte, à l’arrivée comme au départ.50 Adoptant une méthode créée par M. Alphonse Bertillon dans les années 1880 pour suivre la trace des criminels,51 chaque livret anthropométrique contenait des informations personnelles à propos de son porteur, telles que son nom complet, ses surnoms, son lieu de naissance, et toute information pertinente pour l’établissement de son identité. Il contenait également des détails physiques tels que le tour de taille et de poitrine, la longueur et la largeur de la tête, la longueur de l’oreille droite, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, ainsi que la couleur des yeux.
De plus, le carnet incluait des cases réservées aux empreintes digitales et à deux photographies (de face et de profil).52 En plus de ces livrets, les véhicules appartenant aux nomades devaient porter des plaques d’immatriculation spéciales, avec des nom­bres de 10 centimètres de haut, l’inscription « loi du 16 juillet 1912 » et le tampon du Ministère de l’Intérieur.
Il est vrai qu’en apparence, cette loi ne vise pas spécifiquement les « tsiganes ». Au lieu de cela, elle visait tous les individus « …quelle que soit leur nationalité, circulant en France sans domicile fixe et qui ne sont ni commerçants ambulants ni forains, même s’ils ont des ressources ou prétendent exercer une profession. »53 En élaborant cette loi, comme ce sera le cas pour diverses lois racistes par la suite, le législateur français a disimulé la nature raciste de celle-ci ; il en a fait une loi légiférant uniquement sur un « mode de vie » et non s’attaquant à une groupe de
50 Certaines communes refusaient la permission de faire des haltes aux groupes, ne délivrant donc pas le tampon nécessaire. De cette manière, les document ne servaient pas uniquement à contrôler les mou­vements mais aussi à rendre de plus en plus difficile de travailler pour les tsiganes, étant donné que leurs activités économiques dépendaient des haltes. Carrère, Violaine. « Des papiers pour stationner, des papiers pour circuler ». Plein Droit, No. 35, Septembre 1997.
51 Filhol, Emmanuel. La mémoire et l’oubli : L’internement des tsiganes en France. 1940-1946. Paris, présentation de conférence, 2 Juin 2004. disponible à l’adresse suivante : http://aphgcaen.free.fr/cercle/tsiganes.htm#filhol.
52 Article 8, loi du 16 juillet 1912. Bulletin officiel du ministère de l’intérieur. février1913, pp. 79-82, dis­ponible à l’adresse suivante : http://barthes.ens.fr/clio/revues/AHI/articles/preprints/asseo.html.
53 Article 3, loi du 16 juillet 1912, cité dans : sénateur Delevoye, Jean-Pierre. Rapport 188 (1999-2000) fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du 54 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
identifiés par leur culture, leur ethnie ou leur origine, ce qui eut été contraire à la Constitution française.
Toutefois, en dépit du voile dissimulant la nature raciste de ces lois, les parle­mentaires étaient bien conscients qu’elles concernaient les tsiganes.54 Par exemple, lors de la discussion de cette loi au Sénat français, le sénateur Etienne Flandin dé­clara que les nomades sont des :
vagabonds à caractère ethnique, romanichels, bohémiens, tsiganes… ces nomades vivent sur notre territoire comme en pays conquis, ne voulant connaître ni les règles de l’hygiène, ni les prescriptions de nos lois civiles, professant un égal mépris pour nos lois pénales et nos lois fiscales. Il semble qu’ils aient droit chez nous à tous les privilèges. Ces bohémiens (...) sont la terreur de nos campagnes où ils exercent impuné­ment leurs déprédations.55
Il semble que plusieurs parlementaires se soient élevés contre le fait qu’un gou­vernement républicain puisse voter une pareille loi. Par exemple, un député déclara qu’ « un système politique issu d’une révolution du droit naturel qui n’admet aucune sorte de discrimination, particulièrement ethnique, n’a à connaître que des individus comme sujets de droit et n’entend réprimer que des délits. »56
Règlement et d’administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ; la proposition de loi de M. Nicolas About visant à renforcer les moyens d’expulsion du préfet et du maire, en cas d’occupation illégale de locaux in­dustriels, commerciaux ou professionnels par les gens du voyage Session ordinaire du Sénat français, (1999-2000), disponible à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l99-188/l99-1881.html.
54 Le juriste en droit public Marcel Waline commenta ainsi cette loi : « l’on peut dire de cette loi qu’elle s’inspire de considérations raciales, instituant un régime d’exception contre toute une race, régime qui pourra s’appliquer à d’autres mais qui est dirigé principalement contre cette race… malgré son intitulé, malgré les deux premiers articles relatifs aux ambulants et aux forains, il s’agit bien d’une loi de préserva­tion contre le danger public que présentent les bohémiens, Romanichels ou Tsiganes. » Aubin, L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur républicain, p. 28.
55 Aubin, Ibid., p. 27. On notera que les termes nomades et bohémiens étaient utilises comme des synonymes.
56 Député Jourde, cite dans Aubin, Ibid., p. 27. 55
Pâturage pour les moutons à l’endroit du camp d’internement de Montreuil-Bellay. En mars 2005, une affiche sur le site faisait la publicité du zoo de Doué-la-Fontaine.
PHOTO: JOSE BRUN 56 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
L’hypocrisie à peine voilée de cette loi est un élément clef de la manière dont la République française traita tsiganes et voyageurs par la suite – une construction com­plexe de lois et politiques visant à contrôler, traquer, chasser et assimiler tsiganes et voy­ageurs, tout en niant formellement le caractère discriminatoires des réglementations.
La Deuxième guerre mondiale
L’histoire des tsiganes, Français comme étrangers, sur le territoire français pen­dant la Deuxième guerre mondiale, est un chapitre que la France semble déterminée à cacher au grand public. D’importantes informations demeurent inaccessibles ; la plupart des endroits où furent internés des tsiganes ne sont pas repérés d’une plaque et aucune commémoration n’y a lieu ; il n’y a ni reconnaissance publique des faits d’internement ni excuses publiques pour les errements de cette époque.57
Le 6 avril 1940, soit deux mois et demi avant la reddition française à l’Allemagne, un décret fut promulgué par le Président de la République interdisant la circulation des « nomades » et ordonnant leur assignation à résidence dans des lieux précis sous surveillance policière.58
57 Commentant cette absence de documentation sur cet aspect de l’histoire française, l’historien Em­manuel Filhol déclara : « Mais que savais-je de l’internement infligé en France aux communautés manouches, gitanes, roms, durant la Seconde Guerre mondiale ? Absolument rien, car personne ne m’en avait parlé, ni mes proches ni mes professeurs… On aurait pu s’attendre à ce que les historiens préservent davantage la mémoire des Tsiganes comme catégorie d’internés majoritairement française. Il n’en est rien. L’oubli s’est imposé ici avec autant de réussite, voire d’une manière plus forte encore. Le discours historique en France ignore jusqu’à présent l’internement des Tsiganes. En dehors des rares études citées juste avant, les livres d’histoire sur le régime de Vichy destinés aux spécialistes ou à un public scolaire taisent son existence… » Filhol, Emmanuel. La Mémoire et l’oubli l’internement des Tsiganes en France, 1940-1946. Paris : Centre de recherches tsiganes, l’Harmattan, 2001, pp. 12 et 16.
58 L’article 2 du Décret du 06 avril 1940 dit : « Les nomades, c’est-à-dire toutes personnes réputées telles dans les conditions prévues à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912, sont astreints à se présenter dans les quinze jours qui suivront la publication du présent décret à la brigade de gendarmerie ou au commissa­riat de police le plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à résider sous la surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque dépar­tement par arrêté du préfet. » In Hubert, Marie-Christine. « Les réglementations anti-tsiganes en France et en Allemagne, avant et pendant l’occupation ». Histoire de La Shoah. Les Tsiganes Dans l’Europe Allemande, No. 167, Sept-Dec 1999, Centre de Documentation Juive Contemporaine, p. 43. 57 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
Dans une circulaire envoyée aux préfets le 29 avril 1940, le Ministre de l’Intérieur précise que ceux visés par ce décret sont les nomades tels que définis par la loi du 16 juillet 1912, c’est-à-dire les personnes « en possession d’un carnet anthropométrique ou devant l’être ». De plus, les personnes n’ayant pas de carnet anthropométrique mais soupçonnées d’être nomades peuvent également être assignées à résidence. De cette manière, le décret touchait également les nomades ayant réussi à se faire en­registrer comme forains ou marchands ambulants.59 La circulaire explique les motifs ayant motivé cette mesure :
Leurs incessants déplacements au cours desquels les nomades peuvent recueillir de nombreux et importants renseignements, constituent pour la défense nationale un danger très sérieux… Ce ne serait pas le moindre bénéfice du décret qui vient de paraître s’il permettait de stabiliser des bandes d’errants qui constituent du point de vue social un danger certain et de donner à quelques-uns d’entre eux, sinon le goût, du moins les ha­bitudes du travail régulier.60
En France, les tsiganes furent placés dans des camps d’internement en application d’une ordonnance de l’occupant allemand du 4 octobre 1940 sur l’internement des tsiganes. Les autorités françaises étaient en charge de l’arrestation et de l’internement des tsiganes ainsi que de la gestion des camps. Le terme « tsigane » n’existant pas dans le droit français, l’ordonnance allemande fit référence aux termes apparaissant dans la loi française du 16 juillet 1912.61
De nombreux chercheurs qui ont étudié cette période ont souligné que la poli­tique anti-tsiganes du gouvernement de Vichy s’articulait autour d’une idéologie qui lui était propre. Cette idéologie n’était pas imposée par les Nazis, bien qu’elle fut dans la ligne de la doctrine nazie.
59 Hubert, Ibid., p.43.
30 Auzias, Claire. « Samudaripen, le génocide des Tsiganes ». l’Esprit frappeur, 2000, p. 184, cité dans Rothéa,. France pays des droits des Roms, pp. 65-66.
61 Hubert, Les réglementations anti-tsiganes en France et en Allemagne, avant et pendant l’occupation, pp. 49-50.58 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Les tsiganes étaient internés dans des camps des deux côtés de la ligne de démar­cation – sur les 30 camps d’internement existant, 5 étaient en territoire non occupé.62 Les historiens estiment que le nombre de tsiganes français internés fut supérieur à 6 000.63 Beaucoup de ceux qui furent internés moururent du fait des conditions de détention déplorables (manque d’hygiène, famine).64
Ces tsiganes internés ne furent pas tous libérés des camps après la guerre. D’après les sources disponibles, les derniers tsiganes furent seulement libérés des camps d’internement en mai 1946. Là encore, la croyance raciste les stigmatisant comme un danger pour la sécurité publique et nationale a joué.65
De nombreux tsiganes interrogés par l’ERRC durant ces recherches ont exprimé leur rage et leur frustration que ces évènements n’aient pas été reconnus comme il se doit. M. José Brun, un jeune activiste tsigane, a dit à l’ERRC :
Pour moi, la deuxième guerre mondiale, c’était hier. L’un de mes oncles était interné au Camp de Montreuil-Bellay… Curieusement, le site ap­partient maintenant à une personne privée, un pharmacien du village, lequel loue l’emplacement à un fermier qui y fait paître ses bêtes. Les choses sont allées si loin qu’il y a maintenant des panneaux publicitaires pour un supermarché sur le site. Aujourd’hui des discussions ont lieu concernant l’utilisation d’une partie du camp (où une prison subsiste) pour y construire un rond-point.
62 Filhol, Emmanuel. La mémoire et l’oubli l’internement des Tsiganes en France, 1940-1946. Paris : Centre de recherches tsiganes, l’Harmattan, 2001, p. 12.
63 Voir par exemple, Hubert, Les réglementations anti-tsiganes en France et en Allemagne, avant et pendant l’occupation, p. 39.
64 See Hubert, Marie-Christine. « 1940-1946 ‘l’Internement des Tsiganes en France’ ». Hommes et Migrations, Tsiganes et Voyageurs, No. 1188-1189, juin – juillet, 1995.
65 See Rothéa, France, pays des droits des Roms, pp. 68-69. Une circulaire du Ministère de l’Intérieur du 27 mars 1945 faisait observer : « l’internement n’est pas une peine destinée à sanctionner, au même titre que les peines judiciaires, les faits de collaboration et les activités antinationales. C’est une mesure exceptionnelle de police préventive destinée à mettre hors d’état de nuire ceux des indi­vidus que vous estimez dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. »59 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
Dans la conscience collective locale, le camp est tabou. Un certain nombre de gens descendent de gardiens du camp. Si vous demandez dans le village où se trouve le camp, tout le monde fait semblant de l’ignorer. Les gens avaient l’habitude d’aller voir les « gens dans le camp. » C’était la sortie du dimanche…
L’Etat français n’a pas été honnête à propos de ce camp, les archives sont inaccessibles pour des raisons fallacieuses. Un chercheur, Jacques Sigot, est parvenu à entreprendre furtivement des recherches. Le traite­ment de ce camp n’est pas un cas isolé. L’Etat français est évidemment conscient de ses responsabilités, mais il refuse de les assumer.66
En mars 2005, il n’y a toujours pas de mémorial, mais un grand panneau d’affichage faisant de la publicité pour le « Zoo de Doué-la-Fontaine » sur le site de l’ancien camp d’internement.67
Après la deuxième guerre mondiale
Les politiques de traque et de contrôle des tsiganes en France continuèrent après la Deuxième guerre mondiale. L’Etat promulgua un régime réglementant les statuts person­nels, que beaucoup ont considéré comme plus « libéral » ou plus « humain » que la loi du 16 juillet 1912. En 1969, une nouvelle loi, toujours en vigueur aujourd’hui , supprima l’obligation faite aux nomades d’être porteurs de carnet anthropométrique (loi du 3 janvier 1969). Toutefois ces carnets furent remplacés par différents types de documents de circu­lation pour les personnes sans domicile ou résidence fixe et qui « logent de façon perma­nente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile ». Cette nouvelle façon de désigner les tsiganes et les voyageurs remplace le terme « nomades » devenu péjoratif après la deuxième guerre mondiale. Une fois encore, on dissimule la nature ethnique de ceux visés prioritairement par ces dispositions.68 Différents degrés de contrôle administra­tif et de surveillance s’applique aux détenteurs de ces documents (en fonction du type de document possédé). Les contrôles les plus stricts s’appliquent aux plus marginaux.
66 Entretien de l’ERRC avec M. José Brun, 23 février 2004, Tours.
67 E-mail et photo de M. José Brun, 18 mars 2004.
68 Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969. Cette loi et ses effets sont décris plus en détails dans le chapitre 4 de ce rapport. 60 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Des politiques d’expulsions successives ont continué après la Deuxième guerre mondiale, les maires faisant usage de leur pouvoir d’officier de police pour prendre des décrets interdisant aux nomades de s’arrêter sur leur territoire. Toutefois, en 1963, les tribunaux intervinrent. Le préfet des Alpes-Maritimes avait signé une circulaire interdisant le stationnement des nomades possédant des carnets anthropométriques dans plus de 79 communes de son département. La Cour administrative de Nice annula ce décret. Le Con­seil d’Etat, confirma ce jugement, arguant qu’une telle interdiction permanente et absolue de stationner sur tout ou partie du territoire était une entrave aux libertés individuelles.69
Dans la période suivant cette décision, un changement s’opéra dans la manière dont la France traitait la question des tsiganes et des voyageurs. On ne cherchait plus seule­ment à mettre à l’écart ces communautés et à les contrôler, mais aussi à les « intégrer ». Une Circulaire interministérielle du 20 février 1968 illustre bien ce changement de politique encore en vigueur aujourd’hui. Elle indique que les communes doivent établir des aires d’accueil spécifiques de deux types : des aires d’accueil pour les courts séjours (terrains de passage) et des aires d’accueil pour les longs séjours (terrains de séjour). Le premier type vise à fournir aux tsiganes un endroit où stationner durant de courtes périodes, tout en assurant l’ordre et la paix publique en limitant ces stationnements à des aires spécifiques et contrôlées. Le second type vise à assimiler les tsiganes au travers de leur sédentarisation. On espère ainsi que le long séjour sur une aire d’accueil serve d’apprentissage à la vie sédentaire. Durant leur séjour, les tsiganes sont censés s’habituer à rester plusieurs mois au même endroit et à exercer des emplois réguliers ». De plus des équipes « socio-éducatives » sont censées jouer un rôle important sur ces aires de long séjour. Les services sociaux « éduquent » les tsiganes à la société majoritaire.70 Ce but de sédentarisation a été renforcé par la loi du 3 janvier 1969 qui oblige ces personnes ayant des documents de circulation à choisir « une commune de rattachement » dans laquelle ils doivent retourner pour divers actes administratifs. On a espéré que ceci conduirait à une sédentarisation progressive et donc à une « normalisation », de manière non coercitive.71
69 CE, arrêt du 20 janvier 1965, Min. de l’Intérieur c/dame Vve Vicini, Rec. Lebon 41. Voir Charlema­gne, Jacqueline. « Le droit au logement des gens du voyage : Un droit en trompe l’oeil ? » L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000. Etudes tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001, p. 63.
70 Voir Reyniers et Williams, Permanence tsigane et politique de sédentarisation dans la France de l’après-guerre, p. 14.
71 Voir Aubin, L’évolution du droit français applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur républicain, pp. 32-33.61 Histoire des tsiganes et voyageurs en France : rejet, contrôle et répression
Mais les communes n’ont pas été très désireuses de développer de telles aires. Seules quelques-unes ont été mises en place dans les vingt ans suivant la circulaire du 20 février 1968, la plupart dans des départements de l’ouest de la France.72 En 1990, l’obligation faite aux communes de créer des aires d’accueil a été renforcée par un article final (n°28) inséré dans la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.73 Cet ar­ticle demande à chaque département de développer un plan détaillant les conditions dans lesquelles les « gens du voyage » seront accueillis, incluant aires d’accueil pour les courts séjours, aires d’accueil pour les longs séjours, conditions de scolarisation des enfants et exercice d’activités économiques. Il demande aussi à chaque commune de plus de 5 000 habitants de veiller à mettre en place les mesures d’accueil de long et courts séjours. Dès que les communes se sont acquittées de ces obligations, elles peuvent alors interdire aux « gens du voyage » de faire halte sur leur territoire…
La loi du 31 mai 1990 contient déjà certains des éléments fondamentaux qui seront développés plus tard de manière détaillée dans la loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 rela­tive à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (loi Besson). Cette loi fait aujourd’hui en France l’objet d’un débat public de premier plan.74 La loi de 1990, tout comme la loi Besson, représente d’un côté un développement positif en ce sens qu’elle oblige les communes à prendre en compte les besoins en logements des voyageurs. Mais d’autre part, elle entraîne des violations du droit à circuler librement et à un logement décent, puisqu’elle interdit dans les faits le stationnement des tsiganes et voyageurs en dehors des aires prévues à cet effet. En fait, l’article 28 de la loi de 1990 a été écrit en réponse à une demande des maires qui souhaitaient pouvoir expulser les tsiganes plus facilement. En 1985, une décision du Conseil d’Etat a rappelé que les pouvoirs de police du maire ne pouvaient être utilisés de manière à interdire complètement le stationnement des « nomades » dans une municipalité donnée ; les tsiganes et voyageurs se trouvent donc autorisés à y stationner durant une période minimale.75 L’article 28 a donc mis en place des conditions selon lesquelles les maires peuvent se conformer à leurs obligations lé­gales tout en reléguant les « gens du voyage » dans un espace limité et contrôlé. Dès lors,
72 Voir Reyniers et Williams, Permanence tsigane et politique de sédentarisation dans la France de l’après-guerre, pp. 19-20.
73 Loi no. 90-449 du 31 mai 1990 visant à mettre en oeuvre le droit au logement, JO 2 juin 1990.
74 Cette loi est expliquée en détail dans le chapitre V du rapport.
75 CE, Ville de Lille c/Ackermann, 2 décembre 1983, D.S. 1985. J.388, note R. Romi., cité par Charle­magne, dans Etudes Tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001pp. 63-64. 62 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
ils sont autorisés à les expulser de tout autre endroit. Une fois de plus, même avec cette incitation, les communes développèrent les aires d’accueil avec peu d’enthousiasme… En l’an 2000, seules un quart d’entre elles s’y était conformées – et ceci sur des terrains impropres à l’habitation et isolés du reste des citoyens…63 Citoyens de deuxième catégorie
4. CITOYENS DE DEUXIÈME CATÉGORIE : INÉGALITÉ DES VOYAGEURS ET TSIGANES DANS L’EXERCICE DE LEURS DROITS CIVILS ET POLITIQUES FONDAMENTAUX
La France est connue pour être la source et la gardienne de la démocratie mod­erne. Elle est à l’origine des notions mêmes de droit individuel et de liberté indi­viduelle. Il est donc surprenant que dans la France d’aujourd’hui, des centaines de milliers de citoyens français soient victimes de graves violations de leurs droits civils et politiques les plus fondamentaux sans que cela induise la moindre protestation. Les fondements même de la République semblent ici remis en cause. Il est tout aussi étonnant que ces violations affectent, pour la plupart, des tsiganes et des voyageurs, ce qui indique qu’elles sont en fait à caractère raciste.
Or ces violations ne sont pas des actes spontanés ou imprévus émanant d’individus sans scrupules. Ils découlent pour la plupart de dispositions légales, débattues et adoptées par les législateurs français. Au coeur de ces dispositions figure la loi no. 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime ap­plicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.
Certains aspects de cette loi mettent en place un régime de surveillance et de con­trôle policier de ceux qui « logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile ». Un pourcentage important de ce type de population se trouve être constitué de voyageurs ou de tsiganes. Les personnes tombant sous le coup de cette loi sont obligées d’être en possession de titres de circulation spéciaux et sont passibles de poursuites pénales dans le cas où elles ne respecteraient pas cette loi.
Les personnes les plus marginalisées ou éveillant autrement la suspicion des au­torités doivent également présenter ces documents aux contrôles de police ordinaires, à défaut de quoi elles seraient passibles d’amendes ou de peines d’emprisonnement. Pour les personnes auxquelles s’appliquent ces dispositions, ces réglementations sont à l’origine de sévères violations de la liberté de circuler et du droit au respect de la vie privée et familiale.76
76 Ces droits fondamentaux sont garantis par de nombreux textes sur les droits humains dont la France est partie. Par exemple, l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
De plus, les conditions spéciales imposées par ces lois remettent en cause le droit de vote de nombreux tsiganes et voyageurs, les empêchant d’exercer l’un de leurs droits les plus fondamentaux en tant que citoyens d’une société démocratique. Cette injustice est
déclare que : « 1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler libre­ment et d’y choisir librement sa résidence. 2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien. 3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte. »
L’Observation générale no 27 du Comité des Nations Unies pour les Droits de l’Homme sur l’Article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) a clarifié le contenu de la no­tion de droit à la liberté de circulation de même que les restrictions à ce droit pouvant être considérées comme légitimes. Le paragraphe 5 de cette Observation déclare que : « Le droit de circuler librement s’exerce sur l’ensemble du territoire d’un État, y compris, dans le cas d’un État fédéral, à toutes les parties qui composent cet État. Le paragraphe 1 de l’article 12 garantit le droit de se déplacer librement d’un endroit à un autre et de choisir librement sa résidence. Pour la personne qui souhaite se déplacer ou demeurer dans un endroit, l’exercice de ce droit ne doit pas être subordonné à un but ou un motif par­ticulier. Toute restriction doit être conforme au paragraphe 3. » Le paragraphe 7 déclare que : « Sous réserve des dispositions du paragraphe 3 de l’article 12, le droit de choisir librement son lieu de rési­dence dans le territoire d’un État comprend le droit d’être protégé contre toute forme de déplacement forcé et contre toute interdiction d’accès ou de séjour dans l’une quelconque des parties du territoire. » En ce qui concerne les restrictions, il est déclaré dans l’Observation Générale, au paragraphe 11 que : « Le paragraphe 3 de l’article 12 prévoit des cas exceptionnels dans lesquels l’exercice des droits visés aux paragraphes 1 et 2 peut être restreint. Conformément aux dispositions de ce paragraphe, l’État ne peut restreindre l’exercice de ces droits que pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques et les droits et libertés d’autrui. Pour être autorisées, les restrictions doivent être prévues par la loi, elles doivent être nécessaires dans une société démocratique pour protéger les objectifs énoncés et elles doivent être compatibles avec tous les autres droits reconnus dans le Pacte... » De plus, « il ne suffit pas que les restrictions servent les buts autorisés ; celles-ci doivent être également nécessaires pour protéger ces buts. Les mesures restrictives doivent être conformes au principe de la proportionnalité ; elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doiv­ent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. » (paragraphe 14). « Le principe de la proportionnalité doit être respecté non seulement dans la loi qui institue les restrictions, mais égale­ment par les autorités administratives et judiciaires chargées de l’application de la loi. Les États devrai­ent veiller à ce que toute procédure concernant l’exercice de ces droits ou les restrictions imposées à cet exercice soit rapide et que les raisons justifiant l’application de mesures restrictives soient fournies. » (paragraphe 15) Comité des Droits de l’Homme – Observation Générale 27, liberté de Circulation (Art.12), U.N. Doc CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999), disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www1.umn.edu/humanrts/gencomm/hrcom27.htm.65 Citoyens de deuxième catégorie
aggravée par l’exclusion plus générale des tsiganes et voyageurs en France d’autres voies de représentation et de participation aux affaires publiques, et ce même lorsqu’ils sont directement concernés par les débats publics et politiques.77
4.1 Le contrôle discriminatoire des mouvements des voyageurs et tsiganes : les documents de circulation
De nombreux tsiganes et voyageurs français, à la différence des autres citoyens français, sont dans l’obligation de se procurer des titres de circulation spéciaux qu’ils doivent être en mesure de présenter à tout moment. Cette situation est créée par a Loi n°. 69-3 du 3 janvier 1969 relative à « l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe » (loi du 3
Le droit à la liberté de circulation est également garanti par la Convention Européenne de sauve­garde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (CEDH). L’Article 2 du protocole 4 de la CEDH garanti le droit à la liberté de circulation : « L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
L’Article 17 du PIDCP déclare que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. » La France a ratifié le PIDCP le 4 février 1981.
L’Article 8 de la CEDH garantit le respect de la vie privée et familiale. Il déclare que : 2) « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » La CEDH a force de loi en France depuis le 03 mai 1974.
77 Le PIDCP déclare à l’article 25 que « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des dis­criminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. L’Article 2 impose aux états l’obligation d’assurer que ces droits sont reconnus par le pacte à tous les individus sans distinctions fondées sur des concepts tels que « la race, la couleur… la nationalité ou l’origine sociale ». 66 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
La majorité de ceux qui en subissent les conséquences sont des tsiganes et des voyageurs.janvier 1969.)78 Alors que ce titre semble impliquer que cette loi est simplement vouée à réglementer certaines activités économiques, elle établit en fait des contrôles de po­lice spéciaux pour les personnes qui logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile (lesquelles sont, pour la plupart, des tsiganes et voyageurs). La loi du 3 janvier 1969 est un exemple flagrant de discrimination raciale, sous couvert de réglementer un « mode de vie » et « l’exercice d’activités économiques de types spécifiques ».79 80
En fait, la loi du 3 janvier 1969 supprime et remplace les cartes anthro­pométriques mises en place pour les nomades par la loi du 16 juillet 1912. Toute­fois, de même que la loi de 1912 qu’elle remplace, celle du 3 janvier 1969 institue également un régime spécial de contrôle et de surveillance des tsiganes fondé sur les mêmes stéréotypes sous-jacents relatifs aux criminalités et délinquances sup­posées de cette population.
Bien que les titres de circulation n’incluent plus autant de détails physiques tels que ceux qui figuraient auparavant sur les cartes anthropométriques, certaines caractéris­tiques physiques apparaissent toujours sur ces documents. Les versions les plus récentes mentionnent, à côté de la photographie, la taille ainsi que des « signes particuliers » tels
78 Loi no. 69-3 du 03 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, J.O. 5 janvier 1969.
79 La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIE­DR), à laquelle la France est partie, oblige les états parties à garantir les droits civils tels que la liberté de circulation et de résidence à l’intérieur d’un Etat, sans distinction de race, couleur,nationalité ou origines ethniques. (Article 5(d), (i)). La France a ratifié la CIEDR le 27 août 1971.
80 Comme pour toutes les statistiques officielles concernant en général les tsiganes et les gens du voyage, il n’y a pas de statistique officielle indiquant quelle est la proportion de tsiganes et gens du voyage parmi les personnes détentrices de titres de circulation. Toutefois, le « rapport Delamon » du 13 juillet 1990 fourni des donnés sur le nombre de personnes en possession des différents types de titre de circulation à ce moment là : un total de 83 050 personnes, 53 677 avaient des livrets spéciaux, 4 348 avaient des livrets de circulation, et 25, 025 des carnets de circulation. Le rapport indiquait que : « ...les personnes recensées comme étant titulaires de l’un des documents administratifs ne sont pas toutes des tsiganes et voyageurs et il n’est, en définitive, pas possible de recenser les voyageurs avec précision sur cette base. L’on peut cependant affirmer que les tsiganes et les voyageurs se retrouvent surtout parmi les titulaires de livrets spéciaux et des carnets de circulation où ils sont très largement majoritaires. » Delamon, Ar­sène, « La situation des ‘Gens du Voyage’ », p. 12. 67 Citoyens de deuxième catégorie
que la couleur de peau, des yeux, des cheveux, l’allure de la silhouette, ainsi que d’autres traits physiques particuliers.81
Il existe différentes catégories de « titres de circulation », chacun impliquant dif­férents niveaux de contrôle et de surveillance. Les contrôles les plus stricts s’appliquent aux personnes les plus marginalisées ou ayant éveillé autrement la suspicion des autorités. Ainsi ces personnes incapables de fournir une preuve de leurs activités professionnelles ou d’un revenu régulier doivent présenter leur titre de circulation (carnet de circulation) au poste de police ou de gendarmerie82 tous les trois mois afin de le valider. Ceux qui peu­vent fournir une preuve de revenus réguliers mais ne sont pas inscrits au Répertoire des Métiers ou au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) doivent présenter leur titre de circulation (livrets de circulation) tous les ans pour le valider. Ceux qui sont inscrits au Répertoire des Métiers ou au RCS n’ont pas besoin de présenter leur titre (livret spécial) régulièrement, mais ils doivent le renouveler au bout de cinq ans comme doivent le faire les détenteurs de titres de circulation d’autres types. Selon les données disponibles les plus récentes, en mars 2002, les personnes détentrices de titres de circulation étaient 156 282.83 Sur ces personnes, 70 484 étaient détentrices de carnets de circulation, 9 689 avai­ent des livrets de circulation et 76 109 avaient des livrets spéciaux.84
Un journaliste a récemment écrit dans le Monde Diplomatique :
Fondamentalement reste que, contrairement à la conception républicaine de la citoyenneté, les nomades sont appréhendés comme une minorité
81 « Arrêté du 18 janvier 2001 modifiant l’arrêté du 21 août 1970 fixant les modalités d’application des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. »
82 Les forces de Police française comprennent différentes unités. La gendarmerie est une force militaire sous l’autorité du Ministère de la Défense. Elle concentre son activité dans les zones rurales et les villes de moins de 10 000 habitants, elle a aussi des responsabilités en terme de surveillance des fron­tières. Son objectif principal est le maintien de l’ordre.
83 Il convient de noter que les individus de moins de 16 ans peuvent normalement circuler sans titres de circulation. Le nombre total de personnes, y compris les enfants, appartenant à des familles détentri­ces de titres de circulation est donc bien supérieur à ce que ces chiffres indiquent.
84 Ministère de la Défense – Direction Générale de la Gendarmerie Nationale. « Nombre de titres de circulation détenus par les personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (SDRF), au 19 Mars 2002. »68 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
dans l’Etat. Et que la France est l’un des seuls pays occidentaux à imposer aux itinérants des documents administratifs tels que le carnet et le livret de circulation…. Une discrimination dans la discrimination qui, comme l’explique la sociologue Jacqueline Charlemagne, « crée des différences a l’intérieur même de cette population : ceux qui sont dans une extrême pré­carité (saisonniers, marchands ambulants) ont le carnet de circulation ; les autres, moins marginalisés (inscrits aux registres du commerce, salariés), bénéficient d’un livret.85
Ceux qui ne peuvent satisfaire aux obligations mises en place par la loi du 3 jan­vier 1969 risquent une sanction pénale. Ainsi, une personne circulant dans le pays sans être détentrice des titres de circulation appropriés encourt une peine de prison de trois mois à un an. Ceux qui ont négligé de présenter leurs titres dans les délais requis pour leur validation peuvent être sujets à une amende allant jusqu’à1 500 euros et à une peine de prison de dix jours à un mois.86
De nombreux tsiganes et voyageurs ont rapporté à l’ERRC que lorsqu’ils présen­tent leurs titres de circulation pour les faire « valider », ils sont parfois insultés et traités comme des criminels par les autorités. Souvent le processus de validation peut prendre plusieurs heures. Pendant qu’ils attendent, on « sort » leur dossier. S’ils ont eu des amendes ou des contraventions ils doivent les payer sur le champ. Parfois les
85 Aubry, Chantal. « Fragile statut pour les tziganes français ». Le Monde Diplomatique, Mai 2003.
86 La nécessité pour les tsiganes et voyageurs de posséder des titres de circulation spéciaux pour pou­voir circuler en France et de devoir présenter, à intervalles réguliers, ces documents à la Police ou à la Gendarmerie constitue une entrave tant à leur liberté de circulation qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Dans son Observation générale No. 27 sur l’Article 12 du PIDCP sur la libre circulation, le Comité Des Nations Unies pour les Droits de l’Homme déclare que : « Les États mon­trent rarement que l’application de leurs lois restreignant les droits énoncés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 12 satisfait à toutes les prescriptions énumérées au paragraphe 3 de l’article 12. Les restric­tions doivent, dans chaque cas, être appliquées compte tenu de motifs juridiques précis et répondre aux principes de la nécessité et de la proportionnalité. Ces conditions ne seraient pas réunies, par exemple, si une personne était empêchée de quitter un pays au seul motif qu’elle détiendrait des « se­crets d’État » ou de se déplacer à l’intérieur de celui-ci sans permis spécifique. » [italiques ajoutés]. Cf. Comité des Droits de l’Homme, Observation Générale No 27 : Liberté de Circulation (article 12) : 2/11/1999, disponible à l’adresse suivante : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/6c76e1b8ee1710e380256824005a10a9?Opendocument.69 Citoyens de deuxième catégorie
gens sont immédiatement arrêtés. A Mérignac,87 M. Pierre Delsuc, un pasteur local qui est médiateur pour les voyageurs locaux a dit à l’ERRC : « Je viens de rencontrer quelqu’un qui venait voir une personne hospitalisée. Il s’est arrêté au commissariat de police afin de faire valider son titre de circulation. Le dossier disait « mandat d’arrêt ». Il a immédiatement été mis en prison. Il a demandé à savoir au moins à quel titre il était accusé. On ne lui a pas répondu. Il est en prison et va être transféré à Lyon. »88 Au sein d’un groupe de femmes qui faisait halte sur l’aire d’accueil officielle d’Aix les Milles,89 une femme, Mme T.D. avait oublié de faire valider son titre de circulation. Elle a dit : « Maintenant j’ai peur de partir. J’ai oublié de le faire tamponner. Si vous l’oubliez, on vous crie dessus comme si vous étiez un chien. Et on peut vous mettre en prison. »90
4.2 Discriminations subies dans le cadre de l’obtention de la Carte nationale d’identité (CNI)
Obtenir une carte d’identité est un droit pour tout citoyen français, y compris pour les détenteurs de titres de circulation. Toutefois, de nombreux tsiganes rencontrés dans le cadre de l’enquête de l’ERRC n’avaient pas de Carte Nationale d’Identité. Tel était le cas d’une grande majorité des détenteurs de documents de circulation. Cette situation provient en grande partie de règlements discriminatoires et d’obstacles administratifs.
Ces dispositions concernant les titres de circulation violent également l’Article 2(1) du Protocole 4 to de la CEDH, lequel stipule : « Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. » Bien qu’ayant force de loi, les sérieuses entraves qu’elles mettent à la liberté de circulation de nombreux tsiganes et gens du voyage ne saurai­ent être tenues pour nécessaire dans une société démocratique de manière à satisfaire l’un quelconque des intérêts généraux listé dans le paragraphe 3 de cet article (la sécurité nationale, la sûreté publique, le maintien de l’ordre public, la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, la protection des droits et libertés d’autrui.) Un raisonnement parallèle pourrait certainement s’appliquer aux entraves que ces obligations mettent au droit au respect de la vie privée et familiale, protégés par l’Article 8 de la CEDH, et qui violent donc également cet article.
87 Une ville près de Bordeaux, dans le département de la Gironde.
88 ERRC interview with Mr Pierre Delsuc, March 3, 2004, Mérignac.
89 Dans le voisinage d’Aix-en-Provence, dans le département des Bouches-du-Rhône.
90 Entretiens de l’ERRC avec Mme T.D., le 04 mai 2004 à Aix les Milles. Le nom complet figure dans le dossier de l’ERRC. Dans certains cas, au fil de ce rapport, l’ERRC a modifié le nom des victimes ou des témoins. L’ERRC est prête à dévoiler ces noms si l’intérêt de la justice le requiert et si l’ERRC a l’assurance que la sécurité et la vie privée des personnes concernées seront respectées.70 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Dans l’un de ces cas, l’ERRC a rencontré Mme Ginette Mencarelli, une jeune tsi­gane à son domicile sur un terrain vague à Picarel habité par 20 familles (soit environ 100 personnes), dans une banlieue industrielle de Toulouse. Elle vit là avec son mari et deux enfants dans la remorque d’un poids lourd qui n’a plus de roues. Avant de vivre à cet endroit, elle vivait dans le camp de Ginestous,91 également près de Tou­louse. Son expérience est un cas typique des situations rencontrées par l’ERRC :
Il est extrêmement difficile d’obtenir des papiers d’identité. Je n’ai pas droit à une carte d’identité. Je voudrais avoir une carte d’identité pour mes deux enfants. Les autorités veulent me donner un titre de circula­tion, mais je n’en veux pas. Je ne veux pas d’une carte spéciale, et de plus, vous devez la faire tamponner tous les trois mois à la gendarmerie. Je refuse d’accepter la carte de circulation et ils refusent de me donner une carte d’identité. Avec la carte de circulation, ils vous surveillent. Selon l’endroit où vous allez, on peut vous garder trois ou quatre heures au commissariat… Je suis née à Toulouse. Mon extrait de naissance indique Toulouse comme ville de naissance. Je suis domiciliée auprès d’une association. Mais pour avoir une carte d’identité, je dois prouver que j’ai une résidence fixe… Aucune des personnes vivant ici n’a droit à une carte d’identité.92
L’ERRC a rencontré Mme Jeanne M. sur le même terrain. Voici ses commen­taires : « Je me bats pour obtenir une carte d’identité pour mes enfants depuis six ans. Mais les autorités disent qu’elles ne peuvent m’en délivrer étant donné que je n’ai pas d’adresse. Je suis domiciliée au 44, chemin des Izards. Donc pour le moment je n’ai pour mes enfants qu’un extrait de naissance. »93
L’obligation de fournir une preuve de résidence est un obstacle considérable em­pêchant de nombreux tsiganes et voyageurs d’obtenir une Carte nationale d’identité.
91 De nombreux tsiganes vivaient avant dans ce camp de Toulouse qui a été ouvert de 1951 à 2000, lorsqu’il fut fermé suite à une inondation.
92 Entretien de l’ERRC avec Mme Ginette Mencarelli, 9 mars 2004, Toulouse.
93 Entretien de l’ERRC avec Mme Jeanne M., March 9 mars 2004, Toulouse. Ceci est l’adresse d’une ONG local. A certains stades du rapport, l’ERRC a utilisé des initiales à la place des noms complets. L’ERRC peut publier les noms complets si l’intérêt de la justice le requiert.71 Citoyens de deuxième catégorie
Comme indiqué sur le site du Service Public Français, une demande de Carte na­tionale d’identité nécessite de fournir au moins un document prouvant la domicili­ation tel que : avis d’imposition ou de non imposition ; quittance de loyer ; facture d’électricité, de gaz, ou de téléphone fixe ; titre de propriété ; attestation d’assurance habitation. Exception est faite pour ceux qui n’ont pas de résidence fixe – on leur donne la possibilité d’utiliser celle d’une association accréditée.94 Toutefois, les personnes qui tombent sous le coup de la loi du 3 janvier 1969 sont formellement exclues de cette procédure.95
Même celles qui peuvent fournir la preuve de résidence requise rencontrent parfois des difficultés à obtenir une Carte nationale d’identité, dès lors que les au­torités se rendent compte qu’elles sont tsiganes. Par exemple, Mme. B.B. a rapporté à l’ERRC que lorsqu’elle s’est mariée en septembre 2003, elle est allée à la Mairie de Vénissieux pour demander une nouvelle Carte nationale d’identité sous son nom d’épouse. On l’a informée qu’elle devait apporter une preuve de son lieu de résidence. Elle a apporté une photo, son ancienne Carte nationale d’identité et une facture d’électricité à son adresse, « Chemin de la Glanière » – l’aire de long séjour, possédée par la ville, où elle vit dans une caravane avec son mari. On lui a demandé de fournir son livret de circulation et celui de sa mère. Après avoir répondu qu’elle n’avait jamais été détentrice d’un tel carnet, les autorités locales lui ont répondu qu’elles allaient procéder à une enquête. A la date du 24 mars 2004, quand l’ERRC l’a rencontrée, elle n’avait toujours pas reçu de Carte nationale d’identité et pensait qu’elle n’en recevrait jamais. « Nous devons, comme eux, vivre dans un appartement ou une maison si l’on veut avoir une carte d’identité », a-t-elle dit à l’ERRC.96
Le fait de ne pouvoir obtenir une Carte nationale d’identité stigmatise les tsiganes et les voyageurs qui sont obligés de présenter, lors des contrôles, d’autres documents personnels tels que les titres de circulation.
94 Service-public.fr est le portail de l’administration française. Sur Internet à l’adresse suivante : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/N358.html?n=Papiers&l=N21.
95 Circulaire N° NOR INT/D/02/00062/C du 14 mars 2002, Ministère de l’Intérieur. Lettre du 3 août 1999 du Ministère de l’Intérieur aux Préfets. La circulaire tout comme la lettre indiquent clairement que les gens du voyage ne peuvent bénéficier de la procédure spéciale de domiciliation auprès d’une association accréditée que dans le cadre de l’assistance sociale et que dans tout autre cas ils tombent sous le coup de la loi du 3 janvier 1996, y compris en ce qui concerne l’obtention de documents administratifs.
96 Entretien de l’ERRC avec Mme. B.B., 24 mars 2004, Vénissieux. 72 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
4.3 Les obstacles rencontrés par les tsiganes et voyageurs dans le cadre de leur participation à la vie politique
Le droit d’un citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays est l’un des plus fondamentaux des sociétés démocratiques. Toutefois, en France, les tsiganes et les voyageurs se voient refuser ce droit élémentaire. Ils sont écartés de toute participation à la vie politique du pays.
Nombre de tsiganes et voyageurs ne peuvent voter dans les mêmes conditions que les citoyens français, du fait des discriminations découlant de la loi du 3 janvier 1969. De plus, les quotas limitent le nombre de titulaires de documents de circulation pouvant voter dans une même commune. Ceci interdit donc de fait à de nombreux tsiganes et voyageurs de constituer plus qu’une voix minoritaire dans quelque élection que ce soit.
Les tsiganes et voyageurs se trouvent également dans l’incapacité d’accéder aux autres possibilités de participation aux affaires publiques. Les autorités nationales autant que locales négligent constamment de consulter les tsiganes et les voyageurs. Elle le négligent même pour des questions concernant ces populations directement et spécifiquement, telles que la loi Besson et sa mise en application. Les autorités tendent à se tourner vers des intermédiaires qu’ils considèrent comme des experts de la population des tsiganes et des voyageurs, plutôt que de solliciter l’opinion des tsi­ganes et voyageurs eux-mêmes. De plus, les forums consultatifs institutionnels tels que les Commissions départementales consultatives des gens du voyage, établies par la loi Besson, ne sont en fait que des ersatz de consultation, ne donnant en pratique aux tsiganes et aux voyageurs qu’un rôle et une influence très limités.
4.3.1 Les entraves au droit de vote des tsiganes et des voyageurs
L’article 3 de la Constitution française déclare que :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.... »97
97 Article 3, Constitution du 4 octobre 1958. 73 Citoyens de deuxième catégorie
En dépit de cette garantie constitutionnelle explicite, tsiganes et voyageurs sont confrontés à des pratiques discriminatoires en ce qui concerne l’exercice de leur droit de vote.. .
Ces pratiques discriminatoires sont le produit de la loi du 3 janvier 1969, qui précise que les personnes titulaires de titres de circulation ne peuvent exercer leur droit de vote qu’après une période de trois ans de rattachement à une commune donnée.98 Ceci est bien plus long que ce qui est requis de tout autre citoyen français, lequel peut voter après seulement six mois de résidence dans une commune donnée. Les personnes qui sont sans domicile fixe et qui ne vivent pas dans des véhicules, des remorques ou tout autre abri mobile (SDF) peuvent voter dans une commune si des liens sont établis avec celle-ci depuis plus de six mois.99 Une fois de plus, en dépit du fait qu’elle semble à première vue s’appliquer à tous ceux qui sont titulaires de « titres de circulation » et pas seulement aux tsiganes et voyageurs, cette loi a en fait un impact négatif disproportionné sur les tsiganes et les voyageurs, ce qui en fait d’elle une discrimination raciale de facto.100
Un autre aspect de la loi du 3 janvier 1969 place les nombreux tsiganes et voy­ageurs qui tombent sous le coup de cette loi dans l’impossibilité d’élire des représen­tants susceptibles de défendre leurs intérêts à quelque niveau du gouvernement que ce soit. D’après cette loi, ceux qui sont pourvus de titres de circulation peuvent voter dans la commune qu’ils ont choisi comme « commune de rattachement. »101
98 Article 10 de la loi de janvier 1969.
99 L’Article L15-1 du Code électoral stipule que ceux qui ne sont pas en mesure d’apporter la preuve d’un domicile ou d’une résidence fixe, et qui ne sont pas sujets aux règles concernant les communes de rattachement peuvent être inscrits sur les listes électorales de la commune d’une association les domiciliant si celle-ci apparaît sur leurs Cartes Nationales d’Identités depuis au moins six mois, ou leur fournit une attestation indiquant des liens avec la ville depuis six mois. L’article L 15 de la Loi établit des conditions de vote spéciales sans aucune contrainte temporaire pour ceux vivants sur des bateaux (bateliers) sans résidence ou domicile fixe.
100 L’Article 5(c) de l’ICERD stipule que les Etats parties à la Convention doivent s’assurer de l’absence de discrimination raciale dans le cadre de la jouissance des : « Droits politiques, notamment droit de participer aux élections – de voter et d’être candidat – selon le système du suffrage universel et égal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu’à la direction des affaires publiques, à tous les échelons, et droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques. »
101 Leur commune de rattachement est désignée comme étant le lieu où les personnes titulaires de titres de circulation peuvent exercer un certain nombre de droits et s’acquitter de certaines obligations :74 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Toutefois le nombre de personnes pouvant être rattachées à une commune donnée ne peut dépasser 3% de la population locale. Si une ville a déjà atteint son quota de personnes détentrice de titres de circulation lui étant rattachées, les autres personnes faisant la demande peuvent être écartées des listes électorales (à moins que le préfet ne fasse une exception).102 Evidemment, ceci veut dire que les tsiganes et voyageurs sans domicile ou résidence fixe ne peuvent jamais élire de personne les représent­ant réellement, étant donné qu’ils ne peuvent jamais constituer plus de 3% des votes exprimés en un lieu donné. Aucune alternative permettant à cette population d’élire des représentants n’existe.
Dans son rapport annuel de 2000-2001, l’ancienne Commission nationale con­sultative des gens du voyage103 indiquait que ce quota de 3% présentait un caractère discriminatoire et devait être supprimé. Il est déclaré que : « Ce seuil légal est rare­ment atteint. Sa suppression est donc peu susceptible de causer des changements majeurs dans la distribution de cette population sur le territoire national. D’autre part, ceci aurait un fort impact symbolique non négligeable dans la perspective de l’intégration de ces gens du voyage. »104
Cette recommandation a été rejetée par la Direction de l’Administration du Ter­ritoire et des Affaires Politiques (DATAP), organisme du Ministère de l’Intérieur, du fait de risques de « manipulations électorales ». La Direction générale de la Gendar­merie nationale s’est également opposée à son élimination.105
mariage, inscription sur les listes électorales, acquittement des obligations fiscales, obligations en rapport avec le service militaire.
102 Le Préfet peut faire une exception au quota de 3%, après avoir reçu l’avis du Maire, pour des raisons familiales ou économiques. Th. Article 25, Décret no. 70-708 du 31 juillet 1970. Article 8, loi du 3 janvier 1969.
103 Cette commission, qui fonctionna de juin 2000 à fin 2002, était compose d’élus (10) ; des représent­ants des différents ministères (10) ; des représentants des voyageurs choisis par le Ministre des Af­faires Sociales (10) ; des personnes qualifiées choisies par le Ministre des Affaires Sociales (10). Une nouveau décret promulgué le 24 novembre 2003 a rétabli cette commission, toutefois au moment où nous écrivons, ses membres n’ont toujours pas été nommés.
104 Saint-Julien, Sylvette, Rapporteur. Rapport annuel Commission national consultative des gens du voyage, June 2000 – June 2001. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Octobre 2001, p. 26.
105 Saint-Julien, Ibid., p.26. 75 Citoyens de deuxième catégorie
En plus de ces entraves légales à leur droit de vote, tsiganes et voyageurs rencon­trent parfois des obstructions à leur capacité à exercer leur droit de vote. Certains maires ou autres autorités locales refusent de les enregistrer sur les listes électorales. D’après Mme Danielle Mercier, secrétaire générale de l‘association non gouvernementale Union socioéducative des tsiganes d’Aquitaine (USETA),106 « la majorité des voyageurs ne sont pas inscrits sur les listes électorales parce que les maires le refusent ou placent des obstacles administratifs sur leur voie. Ils disent des choses telles que « mais vous n’êtes pas là pendant l’année entière et vous ne serez de toute façon pas là pour les élections. » Ils les découragent. Ils demandent aussi des documents administratifs tels que la facture d’électricité ou l’avis d’imposition, prouvant qu’ils payent la taxe d’habitation.107 Ou ils disent : « Mais vous n‘avez pas de carte d’identité » Et c’est comme ceci partout »108 Les problèmes se posent autant pour des gens « rattachés » à une commune donnée que pour des familles qui ont habité la commune pendant des années, mais dans des zones non-constructibles (ce qui est le cas d’un grand nombre des voyageurs).
Afin de pouvoir exercer leur droit de vote, les tsiganes et voyageurs sont parfois obligés d’être prêt à faire pression de manière significative sur les autorités. Ils doivent être prêts à prendre des mesures que les non tsiganes n’ont généralement pas à prendre. Par exemple, à l’Ile-St-Georges, un village d’environ 530 habitants en Gironde, la mu­nicipalité a refusé l’enregistrement de la famille Winterstein sur les listes électorales, et ce en dépit du fait qu’elle habitait sur le territoire de la commune depuis de nom­breuses années. La famille est maintenant inscrite après s’être présentée à la mairie un jour d’élection de juin 2002 en compagnie de Mme Isabelle Courbin, représentante de l’organisation non gouvernementale Médecins Du Monde (MDM).109 Mme Courbin a demandé comment il était possible qu’une famille ne puisse avoir le droit de vote alors qu’elle vivait sur le territoire de la commune depuis quinze ans. Le maire leur aurait alors dit « de monter se faire inscrire ». Mme J. Winterstein avait également apporté avec elle les titres de circulation de cinq jeunes rattachés à la commune afin qu’ils puis­sent aussi être inscrits. Cette demande a été refusée par le maire.110
106 Union Socio-éducative Tzigane d’Aquitaine.
107 La taxe d’habitation est une taxe annuelle imposable à quiconque occupe un logement au 1er janvier de chaque année.
108 Entretien de l’ERRC avec Mme Danielle Mercier, 1er mars 2004, Pessac.
109 Médecins du Monde.
110 Entretien de l’ERRC avec Mme J. Winterstein, le 04 mars 2004, Isle-St.-Georges. 76 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Une autre personne issue des voyageurs, Mme Sandra Bayer a fini par se pour­voir en justice afin de pouvoir exercer son droit de vote. En janvier 2003, la com­mune de Gouvernes refusa de l’enregistrer sur les listes électorales, et ce en dépit du fait qu’elle habitait à Gouvernes avec son mari et ses enfants sur un terrain leur appartenant depuis octobre 2000. Elle porta l’affaire devant le Tribunal de 1ère in­stance de Lagny, qui ordonna à la commune de l’inscrire sur les listes électorales. Ce qui fut fait quinze jours plus tard.111 Toutefois, de nombreux tsiganes et voyageurs ne peuvent ou ne veulent pas se pourvoir en justice. Les autorités locales le savent bien et en profitent parfois pour agir illégalement.
4.3.2 Les obstacles rencontrés par les tsiganes dans le cadre de leur participation aux prises de décision
Voyageurs et tsiganes en France sont en grande partie exclus des affaires pub­liques. C’est vrai même lorsque les sujets débattus les concernent au premier chef, tels la loi Besson. Ceci s’ajoute aux discriminations qu’ils subissent déjà en ce qui concerne leur droit de vote… Au total, tsiganes et voyageurs sont coupés de la vie publique.112
111 Entretien de l’ERRC avec Mme Sandra Bayer, le 10 février 2004, Gouvernes. Lettre RG N° 15-03-000001 du Tribunal de Première Instance de Lagny à Mme. Sandra Bayer.
112 Dans le respect des lois internationales, la France est obligée d’assurer à ses citoyens, y compris tsiganes et voyageurs, un accès égal à la participation des affaires publiques. Dans son Observation générale No. 25 sur l’article 25 (participation aux affaires publiques et droit de vote) du PIDCP, le comité des Droits de l’homme a noté que : « les citoyens prennent aussi part à la conduite des affaires publiques en exerçant une influence au travers du débat public et le dialogue avec leurs représentants ou par leur capacité à s’organiser par eux mêmes. Cette participation est assurée par le droit à la li­berté d’expression, d’assemblement et d’association.’ cf. Observation générale No. 25 : « le droit à la participation aux affaires publiques, au droit de vote à un égal accès aux services publics (article 25) :12/07/96. CCPR/C/21/Rev.1/Add.7, at : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(Symbol)/d0b7f023e8d6d9898025651e004bc0eb?Opendocument.
De plus, le Comité des Nations-Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, dans sa Recom­mandation générale XXVII sur la discrimination à l’encontre des Roms, a défini un ensemble de mesures que les Etas doivent prendre pour assurer la participation des Roms à la vie publique :
• Prendre les mesures nécessaires, y compris des dispositions spéciales, pour assurer aux minor­ités ou groupes roms l’égalité de chances en matière de participation à l’ensemble des organes d’État à l’échelon central et local.77 Citoyens de deuxième catégorie
Nombre d’associations de tsiganes ou de voyageurs ont fait part à l’ERRC de leur profonde frustration. Ils se plaignent de ne pouvoir exprimer leur opinion direct­ement auprès des élus nationaux et locaux et des fonctionnaires. De plus ils voient régulièrement leur légitimité en tant que « représentant » des voyageurs et des tsi­ganes remise en question.
Un obstacle important provient du fait qu’au lieu d’écouter les tsiganes et voy­ageurs, les autorités publiques se tournent la plupart du temps vers un grand nombre d’associations non tsiganes. Celles-ci se sont « spécialisées » dans le traitement des questions relatives aux population de tsiganes et de gens du voyage, soit par le biais d’actions « socio-éducatives » soit via l’étude de cette population. Ce sont ces asso­ciations et ces spécialistes que les autorités estiment en mesure de « parler pour » les tsiganes et les voyageurs.113
• Mettre au point des modalités et structures de consultation avec les partis politiques, associations et représentants roms, aux échelons central et local, pour l’examen de questions et l’adoption de décisions relatives à des sujets intéressant les communautés roms.
• Faire participer les communautés et associations roms et leurs représentants, et ce dès les pre­miers stades, à la définition et à la mise en oeuvre des politiques et programmes les concernant et conférer à ces politiques et programmes suffisamment de transparence.
• Promouvoir une prise de conscience accrue par les membres des communautés roms de la néces­sité de participer plus activement à la vie publique et sociale et de promouvoir leurs intérêts propres, par exemple en veillant à l’éducation de leurs enfants et en suivant une formation pro­fessionnelle.
• Organiser des programmes de formation à l’intention des fonctionnaires et représentants roms, ainsi que des candidats potentiels à ces types de responsabilités, en vue d’améliorer leurs com­pétences en matière de politique, de prise de décisions et d’administration publique.
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no. 27, La dis­crimination à l’égard des Roms, (Cinquante-septième session, 2000), U.N. Doc. A/55/18, annexe V http://www1.umn.edu/humanrts/cerd/French/recommendations/27_gc.html.
113 Dans son livre Tsiganes, le Professeur Jean-Pierre Liégois évalue ainsi la situation : « Les associations et comités tsiganes et nomades sont régulièrement critiqués. Dans un contexte politique de négation de par­ticularités culturelles, il est mal venu de se regrouper pour défendre une culture que les autres considèrent comme inexistante ou pour le moins gênante. « Ils ne sont pas capable de s’organiser eux-mêmes » est devenu une expression banale, fondée une fois de plus sur une méconnaissance des dynamismes internes d’une autre société, à laquelle s’ajoute l’attitude ethnocentrique qui consiste a vouloir que le Tsigane s’or­ganise de la même façon que le non-Tsigane… » Liégois, Tsiganes, p. 269. 78 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
La réponse que nous fit M. Bernard Garandeau, adjoint au maire de Mérignac et vice-président du conseil général de Gironde, lorsque nous lui avons demandé com­ment était mise en place la consultation des tsiganes et voyageurs dans le cas de la loi Besson illustre bien ce point. Il nous a répondu ainsi :
Trouver un représentant « officiel » des gens du voyage est très difficile. Ils ne sont pas nécessairement prêts à désigner un représentant. Ce qui signifie que leur représentation est le plus souvent assurée par un pasteur par exemple… ou par un curé qui accompagne des gens du voyage. Ce sont ces person­nes qui agissent en tant que représentants de ces gens. Nous autres, d’autre part, votons pour un maire... En ce qui me concerne lorsque j’ai besoin de conseil au sujet des gens du voyage, je me tourne vers l’Association des Amis des Gens du Voyage – c’est-à-dire Mme Beaupère.114 Elle a absorbé la culture des gens du voyage. Elle peut parler avec eux, parler pour eux. Et ils l’acceptent. Nous trouvons peu d’interlocuteurs qui connaissent suf­fisamment bien les gens du voyage pour pouvoir en parler.115
Une élue locale, Mme M.M. déclara : « Ils n’ont pas le même mode de représen­tation que nous. Ils ne sont pas « représentatifs » de la même manière que nous. Par exemple, dans une Commission parents-professeurs, les parents ne se représentent pas seulement eux-mêmes mais parlent aussi pour les autres, alors qu’eux ne connaissent pas ce concept. Ils n’ont pas de porte-parole. »116 Ces sortes de réflexions sont souvent employées pour disqualifier les tsiganes et voyageurs qui représentent légitimement les intérêts de leurs communautés en cherchant à participer aux processus de décisions.
D’innombrables motifs sont trouvés par les autorités françaises pour discréditer les tsiganes et voyageurs : cela va du « manque de réelle représentativité » aux « dangers du communautarisme » A la place des tsiganes et voyageurs, ce sont d’autres person­nes qui s’expriment, avec une attitude façonnée par les stéréotypes racistes et empre­inte de paternalisme… ce peut être par exemple différents « experts », « travailleurs sociaux », « chercheurs » ou autres, consultés comme s’ils pouvaient « légitimement »
114 Mme Beaupère est la directrice de l’organisation non-gouvernementale les Amis des Voyageurs de la Gironde (AAVG).
115 Entretien de l’ERRC avec M. Bernard Garandeau, le 30 mars 2004, Merignac.
116 Entretien de l’ERRC avec Mme. M.M., le 03 mars 2004, Pessac. 79 Citoyens de deuxième catégorie
représenter les tsiganes et voyageurs. Pourtant, de telles consultations sont présentées comme des consultations des tsiganes et voyageurs eux-mêmes.
Dany Peto-Manso, Président de l’association non gouvernementale tsigane Regards a expliqué à l’ERRC qu’en ce qui concerne la participation politique, « la situation ac­tuelle est désastreuse… Ils pensent que nous ne pouvons pas prendre part à la vie d’un pays, que nous sommes asociaux… »117 Dans une lettre adressée à l’Union nationale des institutions sociales d’action pour les tsiganes (UNISAT), Regards déclarait : « La question de la représentativité a très peu évolué alors que, parallèlement, nos conditions d’existence n’ont jamais été aussi menacées depuis la Deuxième guerre mondiale. » 118
Le 9 décembre 2004, une conférence de presse à laquelle a assisté l’ERRC fut par­ticulièrement révélatrice. On a pu s’y rendre compte des barrières mises à la participation des tsiganes et gens du voyage dans la vie publique française. Ces barrières sont d’autant plus grave dans un contexte où tsiganes et gens du voyage estiment que leur existence est de plus en plus menacée par les actions et les politiques de l’Etat français. Cette conférence de presse était destinée à annoncer la création d’une nouvelle fédération (la FNASAT)119 composée de deux fédérations d’associations engagées dans des activités « au bénéfice des tsiganes et gens du voyage ou participant à leur étude »120 en coordination avec l’organisme de recherches Etudes Tsiganes. Des représentants des associations de tsiganes et de voyageurs vinrent de tout le pays à cette conférence de presse pour dénon­cer la FNASAT. Ils annoncèrent à leur tour la création d’un collectif pro-démocratique du 20 novembre 2004, souhaitant combattre un « système qui utilise les associations et les fédérations pour soi-disant travailler pour les gens du voyage ».121 Le Collectif du 20 novembre présenta la FNASAT comme le mur les empêchant de disposer d’une réelle participation et intégration à la société française.122 L’impression donnée par les réactions
117 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Dany Peto-Manso, le 22 novembre 2004, Paris.
118 Peto-Manso, Dany, Lettre au Président de l’UNISAT, le 23 mars 2003.
119 Fédération Nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et Gens du Voyage.
120 Union nationale des institutions sociales d’action pour les Tsiganes (UNISAT) Union Nationale pour l’Action auprès des Gens du Voyage (UNAGEV).
121 « Dossier concernant la création de la FNASAT-gens du voyage », dossier de presse, Collectif des gens du voyage du 20 novembre.
122 M. Nara Ritz, réunion du 09 décembre 2004, Paris. Voir aussi « Dossier concernant la création de la FNASAT-gens du voyage », dossier de presse, Collectif des gens du voyage du 20 novembre.80 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
d’une majorité de non tsiganes siégeant était qu’ils considéraient les déclarations des tsiganes et voyageurs comme n’étant rien de plus qu’un discours de colère émis par une poignée d’extrémistes. Un grand nombre d’associations existantes de tsiganes et voy­ageurs font aujourd’hui partie du Collectif du 20 novembre.123
4.3.3 L’absence de participation des tsiganes et voyageurs dans la mise en oeuvre de la loi Besson
Bien que leurs conditions de vie, leurs modes de vie et leur vie de tous les jours soient directement et significativement affectés par la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 « relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage » (loi Besson),124 les opinions des tsiganes et des voyageurs sont au mieux marginales dans les discussions concernant la mise en oeuvre de cette loi.125 Tsiganes et voyageurs ont été largement exclus des procédures de développement des Schémas départementaux instaurant des décisions-clés telles que le choix des lieux où il est nécessaire d’implanter des
123 Conférence de Presse du 09 décembre 2004.
124 Loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.
125 Le Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) indiqua claire­ment dans son Observation Générale N° 4 relative à l’amélioration des conditions de logement qu’une consultation approfondie et véritable de toutes les personnes et groupes concernés est une composante importante du droit à un logement suffisant. Cf. Le Droit à un logement suffisant (Article 11(1)) : 13/12/1991. CDESC Observation Générale n°4, disponible sur le site : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf.
Dans une récente Recommandation relative à « l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe », le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a spécifié que : « Les Roms devraient pouvoir participer le plus tôt possible au processus de planification et d’élaboration de leurs futurs lieux d’installation ou de leurs futurs logements permanents, afin d’évaluer le plus précisé­ment possible quels sont, ou seront à l’avenir, leurs besoins spécifiques. Les Etats membres devraient par ailleurs veiller à ce que les Roms résidant sur leur territoire – qu’ils soient sédentarisés, itinérants ou semi-itinérants – reçoivent une assistance appropriée pour définir leurs besoins spécifiques en matière de logement, et qu’ils aient accès aux services de protection et d’assistance sociale appropriés (santé, éducation, emploi, culture, etc.) » Ces recommandations indiquent clairement que le terme « Rom » tel qu’utilisé désigne les communautés roms/tsiganes et des Gens du voyage, et doit être interprété comme englobant l’ensemble des groupes concernés dans toute leur diversité. » Comité des Ministres. Recom­mandation aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du Voyage en Europe. Rec (2005)4, Paragraphe 30.81 Citoyens de deuxième catégorie
« aires d’accueil » pour les voyageurs, le nombre d’emplacements créés sur chacun d’eux, les infrastructures et le type d’aire (aire de passage ou de long séjour).126
Alors que ces schémas départementaux sont censés refléter les besoins des voyageurs en se fondant sur une « évaluation des besoins », celle-ci a été majoritairement dévelop­pée sans réelle consultation ou prise en compte des voyageurs et des tsiganes eux-mêmes. Aucun des voyageurs rencontré par l’ERRC sur des aires d’accueil existantes ou station­nés dans des endroits illicites n’a été consulté dans le cadre du développement de quelque schéma départemental que ce soit. Il semble que dans un grand nombre de cas, les per­sonnes et les institutions responsables de la conduite de l’évaluation se soient contentés de leurs propres expertises. Apparemment, d’autres experts ont été consultés, tels que des associations offrant diverses formes d’aide, sociale ou éducative, aux voyageurs. Les personnes et institutions en charge de l’évaluation n’ont semble-t-il pas enquêté au sein des populations tsiganes ou de voyageurs elles-mêmes.
Par exemple, l’Association régionale d’études et d’actions auprès des tsiganes (AREAT)127 a conduit les évaluations de besoins et a développé au moins 30 schémas départementaux (sur 95 départements métropolitains en France). L’ERRC a demandé à M. Denis Klump, directeur de l’AREAT, si les tsiganes et les voyageurs avaient été di­rectement consultés au cours du développement de ces plans. Il a répondu que ce n’était pas nécessaire étant donné que l’AREAT gère des aires d’accueil et travaille avec les voyageurs depuis dix ans. M. Klump a déclaré : « Nous les connaissons depuis 10 ans… nous sommes bien placés en tant que techniciens. » D’après M. Klump, l’AREAT n’a pas de tsiganes dans son Conseil d’administration, ni de tsiganes gérants d’aires d’accueil.128
En dépit du degré d’expertise atteint par des associations telles que l’AREAT, ceci ne peut, dans une société démocratique, remplacer la consultation et la participation directe de ceux qui sont directement concernés. Si l’on devait créer des formes de loge­ment spécifique pour un autre groupe ethnique ou culturel de la population française, il serait inimaginable que ceci se produise sans donner lieu à des consultations étendues de ceux qui sont directement concernés ainsi que des associations les représentant. Le fait que dans le cas des tsiganes et des voyageurs, l’on pense qu’il est suffisant de se
126 Loi du 05 juillet 2000, Article 1, II.
127 Association Régionale d’Etudes et d’Actions auprès de Tsiganes.
128 Entretien de l’ERRC avec M. Denis Klump, 03 mai 2004, Marseille.82 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
reposer sur les experts, est tout à fait représentatif du paternalisme développé à l’égard de ces populations et de leur exclusion de la société française.
Mme Karine Moreau, directrice de l’Association sociale nationale internationale tsigane (ASNIT),129 dans les Bouches-du-Rhône, a déclaré à l’ERRC : « Normalement, d’après la loi Besson, il devrait y avoir une évaluation des besoins dans le cadre du développement du plan départemental... A priori les gens du voyage n’ont pas été con­sultés ici. Il est intéressant de remarquer jusqu’à quel point le plan départemental omet de prendre en compte les gens du voyage. Il n’y en a que pour les « aires d’accueil ». Or nous savons que c’est là une réponse à leurs besoins, mais ce n’est pas la seule. »130
D’après la loi Besson, la participation des voyageurs doit être assurée dans chaque département via une Commission consultative des gens du voyage « comprenant no­tamment des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage ». Ces Commissions départementales consultatives des gens du voyage (CDCGV) « sont, dans chaque département, associées à l’élaboration et à la mise en oeuvre du schéma ».131 Un décret dresse la liste des vingt-deux personnes (par fonction) devant être représentées dans les Commissions départementales. Dans la plupart des cas, ces personnes sont des élus ou des représentants de différents services de l’Etat. Cinq places sont réservées pour des « personnalités désignées par le préfet du département sur proposition des associations représentatives des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage présentes dans le département, ou, à défaut, parmi des personnalités qualifiées en raison de leur connaissance des gens du voyage. »132
129 Association sociale nationale internationale tzigane.
130 Entretien ERRC avec Mme Karine Moreau, le 04 mai 2004, Marseille.
131 « Dans chaque département, une commission consultative, comprenant notamment des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage, est associée à l’élaboration et à la mise en oeuvre du schéma. Elle est présidée con­jointement par le représentant de l’Etat dans le département et par le président du conseil général ou par leurs représentants .La commission consultative établit chaque année un bilan d’application du schéma. Elle peut désigner un médiateur chargé d’examiner les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de ce schéma et de formuler des propositions de règlement de ces difficultés. Le médiateur rend compte à la commission de ses activités ». Article 1, IV, loi du 5 juillet 2000.
132 Décret no. 2001-540 du 25 juin 2001 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission Départementale Consultative des Gens du Voyage. 83 Citoyens de deuxième catégorie
En pratique, le résultat est que dans une majorité de commissions à travers le pays, tout au plus deux à trois personnes sur les vingt-deux que comprend en général une commission viennent réellement d’une association de tsiganes ou de voyageurs. Ces voix minoritaires pèsent donc peu au sein des commissions…
M. Dany Peto-Manso, président de Regards, a dit à l’ERRC : « Beaucoup de Commissions départementales n’ont qu’un seul membre tsigane... Mais qu’il y en ait un ou cinq, c’est pareil – car c’est toujours la majorité qui l’emporte… Il y a tant de représentants d’autre institutions dans ces commissions… Comment voulez-vous que notre voix leur importe ? Nous servons d’alibi… »133
Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, deux représentants des voyageurs siègent à la Commission consultative. Une réunion a eu lieu quelques jours avant le vote du Schéma départemental. Lors de cette réunion, ces deux représentants avaient amené avec eux d’autres voyageurs, afin que tous fassent part au sous-préfet de leurs inquiétudes concernant le Schéma proposé. On leur a alors donné l’impression que leurs commentaires seraient bien pris en considération. Pourtant, le Schéma départe­mental proposé a été ensuite voté sans la moindre modification.134
Au sein de la Commission consultative de la Gironde siègent trois personnes is­sues des voyageurs. Mme Rosie Winterstein, l’une d’entre elles, a déclaré à l’ERRC : « Nous, on a dit non au schéma. On parle, mais on n’est pas écoutés. ... On était aussi à la Commission consultative, mais ce qu’on dit n’est pas pris en compte... On n’existe pas pour eux... »135
Autre exemple : dans l’Hérault, l’ERRC a été informé qu’un tsigane local bien connu, M. Maurice Ruiz, s’est vu refuser un siège au sein de la Commission, son de­gré de représentativité étant remis en cause. M. Ruiz, vice-président de l’Association nationale des gens du voyage catholique (ANGVC) et vice-président de Regards, deux associations nationales importantes dont les membres sont des tsiganes et des voyageurs, a reçu la réponse suivante du préfet relativement à sa requête en vue de
133 Entretien de l’ERRC avec M. Dany Peto-Manso, 22 Novembre 2004, Paris.
134 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest, Président de l’association Rencontres Tsiganes, 03 Mai 2004, Marseille.
135 Entretien de l’ERRC avec Mme Rosie Winterstein, 02 mars 2004, Pessac. 84 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
participer à la Commission : « ... Cette candidature a été étudiée. Elle n’a pas été retenue car le degré de représentativité de la personne concernée est sujet à caution. De plus, certains partenaires ont été amenés à exprimer officieusement leurs hésita­tions quant à l’opportunité de la présence de M. Ruiz… Toutes ces raisons m’ont conduit à rejeter cette candidature. Il semble préférable de désigner des représentants d’institutions qui ne soient pas contestés et qui ne soient pas engagés dans des rival­ités locales concernant leur représentativité ».136 Sur les 5 personnes nommées aux sièges disponibles, au moins trois d’entre elles sont non tsiganes mais représentant des associations intervenant auprès des voyageurs et des tsiganes.
136 M. Philippe Vignes, lettre à M. Jacques Donergue, député de l’Hérault, 09 avril 2003.85 Un mode de vie menacé
5. UN MODE DE VIE MENACÉ : LOIS, POLITIQUES ET PRATIQUES RELATIVES AUX MODALITÉS DE VOYAGE, DE STATIONNEMENT ET DE CONDITIONS DE VIE DES TSIGANES ET VOYAGEURS
« Un monde sans vagabonds, voilà l’utopie de la société touristique. »137
Zygmunt Bauman
Les obligations des Etats en termes de droits des minorités vont au-delà d’un simple droit négatif consistant en une non-ingérence dans le mode de vie de ces mi­norités. Les Etats ont en fait l’obligation positive de soutenir ce mode de vie. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment statué clairement en la matière dans une décision du 27 mai 2004 relative à l’éviction, d’une famille tsigane britannique d’une aire d’accueil administrée par une autorité locale :
La position vulnérable des tsiganes en tant que minorité implique que leurs besoins et modes de vie spécifiques soient spécialement pris en compte, tant en ce qui concerne les cadres légaux que la prise de décisions les concernant (arrêt Buckley cité plus haut, pp. 1292-95, §§ 76, 80 et 84). Ainsi, il existe pour les Etats contractant une obligation positive, en vertu de l’article 8 d’apporter un soutien au mode de vie des tsiganes[…].138
Le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, dans sa « Recommandation du Conseil des ministres aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de lo­gement des Roms et des Gens du voyage en Europe » en date du 23 février 2005 a mis l’accent sur le fait que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent faire en sorte de créer les conditions permettant aux Roms et voyageurs de disposer du « libre choix de leur mode de vie, sédentaire ou itinérant ».139 La recommandation indique également
137 Bauman, Zygmunt. « Le Coût humain de la mondialisation », Hachette, coll. « Pluriel », 1999.
138 Affaire Connors contre le Royaume Uni, décision rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 27 mai 2004, requête n° 66746/01, para. 84.
139 Comité des Ministres. Dans la Recommandation Rec(2005) 4 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en86
Ville de Saint-Priest. L’écriteau dit : « Stationnement interdit aux poids lourds et nomades, sauf dans les parkings réservés. »
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO87 Un mode de vie menacé
que « les politiques nationales du logement140 doivent s’efforcer de traiter les problèmes spécifiques [des tsiganes et voyageurs] de manière urgente et non discriminatoire. »141
Les lois, politiques et pratiques françaises relatives au voyage, au stationnement et à l’aménagement urbain ne facilitent pas la pratique du mode de vie des tsiganes et voyageurs. Mais en plus, elles lui portent directement atteinte.
Les recherches de l’ERRC indiquent que la situation française a atteint un tel niveau critique que les tsiganes et voyageurs sentent leur culture directement menacée par l’Etat français. Du fait de diverses réglementations, les voyageurs et tsiganes se retrouvent souvent dans une impasse : ne pas pouvoir voyager, et ne pas pouvoir s’arrêter de voyager.
D’une part, il leur est de plus en plus difficile de poursuivre leur mode de vie voyageur, étant donné que s’arrêter où que ce soit est devenu pratiquement impos­sible. D’autre part, ils rencontrent également de considérables difficultés à s’arrêter longtemps au même endroit, du fait de l’impact combiné du racisme et de diverses lois, politiques et pratiques relatives à l’aménagement urbain. Même lorsque les voy­ageurs et les tsiganes souhaitent acheter un terrain afin de s’y installer, les réglemen­tations et les agissements des autorités locales ruinent souvent leurs efforts. De fait, les voyageurs et les tsiganes qui ont réussi à devenir propriétaires d’un terrain sont régulièrement exposés aux expulsions et au harcèlement des autorités locales.
Cette situation donne lieu à de nombreuses violations d’un grand nombre de droits de centaines de milliers de tsiganes et de voyageurs. Violation du droit à la liberté de mouve­ment, du droit à l’accès à un logement décent, du droit à des conditions de vie décentes, du droit à la santé, au respect de la vie privée, domestique et familiale, à l’éducation….
Europe, le paragraphe 3 indique que : « Les Etats membres devraient affirmer le droit au libre choix de son mode de vie, sédentaire ou itinérant. Les autorités nationales, régionales et locales devraient faire en sorte que chacun bénéficie de toutes les conditions nécessaires à la pratique du mode de vie choisi, le cas échéant – en fonction des ressources disponibles et des droits des tiers, dans le cadre juridique relatif aux constructions, à l’aménagement du territoire et à l’accès à des terrains privés. »
140 La recommandation stipule que le terme logement peut inclure différents types de logements, tels que maisons, caravanes ou aires d’accueil.
141 Comité des Ministres. Recommandation aux Etats membres relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe. Rec (2005) 4, paragraphe 2.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
5.1 La majorité du territoire français est interdite aux voyageurs et aux tsiganes
Commentant la situation des tsiganes et voyageurs, M. Frédéric Lievy, de l’association tsigane Goutte d’Eau, a déclaré à l’ERRC : « En France, on a toujours eu le droit de voyager mais jamais de s’arrêter. »
En sillonnant la France pour recueillir des données sur la situation des tsiganes et des voyageurs, l’ERRC a réalisé que si l’on suit la logique des autorités françaises et de la majeure partie de la société française, les tsiganes et les voyageurs doivent voyager … constamment ! Les lois et usages français applicables aux tsiganes divisent fantas­matiquement le monde en deux catégories – les « nomades » et les « sédentaires ». D’après cette division, être nomade signifie être perpétuellement en déplacement. C’est un mode de vie perçu au mieux comme « incompatible » avec la vie et les communau­tés sédentaires et, au pire, comme présentant « un grave danger » pour ces dernières.
En pratique, ceci a signifié pour les tsiganes français la chose suivante : dès qu’ils s’arrêtent, ils sont en infraction et se retrouvent mis à l’écart, obligés de vivre dans des conditions précaires et délétères. De plus, ils sont constamment susceptibles d’être expulsés, même de lieux très inhospitaliers. Malgré la législation, en pratique très peu de sites réservés ont éte crées. Les sites qui l’ont été, quant à eux, sont en général situés près de décharges publiques, de stations d’épuration, d’usines pollu­antes, d’autoroutes ou de voies ferrées. De tels sites sont systématiquement cachés et mis à l’écart des communautés locales. Ceux qui s’y arrêtent sont rigoureusement controlés et reçoivent une « aide » en vue de leur apprendre à vivre comme des citoy­ens « normaux ». Aggravant la situation, l’accès à une grande partie du territoire est devenue, légalement ou de facto, interdite aux tsiganes, que ce soit pour y stationner ou pour y résider. Ceux qui enfreignent l’interdiction encourent de sévères sanctions pénales. En somme, lorsque les tsiganes et les voyageurs souhaitent vivre en accord avec un mode de vie susceptible de préserver leur culture et leur identité, ils risquent de se voir poursuivis ou menacés de poursuites.
Voici les propos de journalistes, en introduction d’un documentaire sur les voy­ageurs en France :
Il faut d’abord dire qu’ils sont coincés dans une situation kafkaïenne absurde comme l’administration française sait si bien en créer. Voici le résumé. Il y a une loi, la loi Besson qui oblige chaque commune de 5 000 89 Un mode de vie menacé
habitants à créer un lieu de stationnement pour les gitans, les gens du voy­age. Seulement il n’y a qu’une commune sur quatre qui l’a fait, ce qui fait qu’en gros 80% des gitans, soit 4/5 se retrouvent sans lieu de stationne­ment. Là-dessus intervient une deuxième loi qui, elle, est répressive. C’est la loi Sarkozy qui, elle, criminalise et envoie en correctionnelle les gitans et gens du voyage qui ne sont pas sur un terrain légal. Donc c’est comme si vous aviez un jeu de chaises musicales avec 1 chaise pour 5 personnes et les 4 qui restent debout risquent 6 mois de prison.142
De plus, les politiques continuent d’être fondées sur des stéréotypes : tsiganes et voyageurs sont très peu consultés directement. Ainsi, même les plus progressistes des politiques demeurent bien éloignées des besoins réels des individus. En percevant les tsiganes et voyageurs au travers du prisme « nomades-sédentaires », auquel s’ajoutent les stéréotypes de la délinquance et du non respect de la société, les législateurs français ignorent la réalité, les besoins, les désirs et les droits en tant qu’individus ou en tant que membres d’une minorité de nombreux tsiganes français.
Dans de nombreux cas, pratiques, politiques et réglementations françaises concernant le voyage et le stationnement constituent une atteinte à la dignité et au bien-être physique et moral des voyageurs et des tsiganes. Il y a là une violation du principe interdisant les traitements inhumains et dégradants.143
142 Catuogno, Pascal, Jerome Pin, et Steve Bauman. « Gens du voyage : la répression et l’absurde », dif­fusé le 10 mai 2004 sur Canal Plus.
143 L’interdiction de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants est une norme internationale des droits de l’homme à laquelle on ne saurait déroger. En plus de celles contenues dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), les interdictions figurent également dans les Articles 4 et 7 de l’PIDCP, et dans les Articles 3 et 15 de la CEDH. Dans sa jurisprudence développée par ce rapport à l’article 3, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a indiqué que les mauvais traitements devaient atteindre un niveau minimal de gravité afin d’être considérés comme tombant sous le coup de l’ Article 3. L’évaluation de ce mi­nimum est relative : elle dépend des circonstances du cas concerné, telles que la durée du traitement, ses effets physiques ou mentaux et, dans certains cas, le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime (voir par exemple Affaire Soering contre le Royaume Uni, Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 07 juillet 1989, requête n° 1/1989/161/217, para 100). De plus, la Cour a clairement exprimé que la notion de mauvais traitements pouvait évoluer avec le temps (coir Affaire Selmouni contre la France, décision du 28 juillet 1999, requête n°25803/94, para 101). Bien que n’ayant pas90 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
5.1.1 Territoires dont l’accès est interdit par la loi aux tsiganes et voyageurs
Auparavant, les communes qui ne voulaient pas de tsiganes stationnant sur leur ter­ritoire n’hésitaient pas à installer des panneaux indiquant « Interdit aux nomades ». Ces panneaux ont maintenant été retirés d’à peu près toutes les communes.144 Toutefois, les dispositions d’un certain nombre de lois nationales interdisent en fait aux tsiganes habit­ant dans des caravanes de stationner sur la majeure partie du territoire français. Il s’agit de l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, de la loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité intérieure et de la loi n° 2003-210 d’orientation et de programmation pour la Ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003.
La loi Besson
Les discussions actuelles du pays au sujet des conditions de vie des tsiganes et des voyageurs en France ont pour objet la mise en oeuvre de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage (dite loi Besson). Cette loi oblige toutes les communes de plus de 5 000 habitants à installer une « aire
encore eu l’occasion de statuer au sujet des graves difficultés que rencontrent les voyageurs lorsqu’ils souhaitent s’arrêter, ni au sujet des expulsions continuelles dont ils sont l’objet, la Cour a toutefois jugé que la destruction de maisons et l’expulsion de ceux qui y vivent constitue une forme de mauvais traitement enfreignant l’Article 3. Voir à ce sujet Affaire Seçuk et Asker contre la Turquie, Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 24 avril 1998, requête n°00023 184/94 et 00023 185/94 ; Voir aussi Affaire Bilgin contre la Turquie, décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 24 avril, 1998, requête n° 00023 184/94 et 00023 185/94.
144 Le 24 mars 2004, dans la ville de Saint Priest, l’ERRC a vu un panneau indiquant : « Stationnement interdit aux poids lourds et nomades sauf dans les parkings réservés ». Il n’y a pas toutefois, dans cette ville, d’aire d’accueil sur laquelle les voyageurs puissent s’arrêter pour de courts séjours. Il y a une vieille aire d’accueil délabrée, polluée et dangereuse sur laquelle les résidents locaux ont vécus pendant des années.
D’après l’organisation non gouvernementale Regards, dans la ville de Saint-Pierre-des-Corps, un panneau sur la place du marché sur lequel les tsiganes vont parfois vendre leurs produits indique : « Interdit aux nomades ». Ironiquement, ce panneau est juste à côté d’un autre, indiquant le nom de la rue : « Boulevard des Déportés ». En février 2003, Regards a écrit au Maire de la ville Mme Marie-France Beaufils, également Sénateur du Département d’Indre-et-Loire, membre du Groupe des séna­teurs Communistes, Républicains et Citoyens pour demander son retrait. Au 15 mars 2005, Regards n’a reçu aucune réponse à ces lettres et le panneau était toujours sur la Place du Marché Entretien de l’ERRC avec Mr José Brun, le 23 février 2004, Tours. E-mail de M. José Brun le 15 mars 2005. 91 Un mode de vie menacé
d’accueil » sur laquelle les voyageurs puissent résider pour de courts séjours. Elle instaure une procédure complexe dans laquelle chaque département français est ob­ligé de développer un schéma départemental définissant le nombre d’aires devant être créées, leur type145 et les villes devant les réaliser.146
Ces schémas étaient censés être achevés au bout d’une période de 18 mois à compter de la publication officielle de la loi Besson147 (soit à la date du 5 janvier 2002). Chaque ville impliquée devait alors, au bout de deux ans (soit au 5 janvier 2004), avoir équipé une ou plusieurs aires d’accueil, seule ou en collaboration avec d’autres communes, et en avoir rendu l’accès possible.148 Toutefois, une circulaire datée du 11 mars 2003,149 a donné à chaque département un délai supplémentaire d’un an pour ap­prouver le schéma départemental. Ensuite, le 30 juillet 2004, alors que la plupart de la France était en vacances, le Sénat a inséré un article à la fin d’une loi sur les libertés et les responsabilités locales, donnant deux ans de plus aux communes pour remplir leurs obligations en la matière. Finalement, en additionnant les deux délais, la date butoir pour installer les aires d’accueil devient le 5 janvier 2007.150
145 En plus des « aires d’accueil », la Loi Besson prévoit de réserver des espaces destinés aux grands rassemblements (Article 1 (II)).
146 Article 1(1) Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. Article 1(2) Dans chaque département, au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des enfants, d’accès aux soins et d’exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées.
Les communes de plus de 5000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Il pré­cise la destination des aires permanentes d’accueil et leur capacité. Il définit la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage qui les fréquentent.
147 La loi Besson est parue au Journal Officiel le 6 juillet 2000.
148 Article 1(3), loi du 5 juillet 2000.
149 Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales, le Ministre des Affaires So­ciales, du Travail et de la Solidarité, le Ministre de l’Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer, lettre circulaire relative aux dispositifs départementaux d’accueil des gens du voyage, du 11 mars 2003.
150 Les communes peuvent bénéficier de ce délai lorsque la commune ou l’établissement public de coo­pération intercommunale a manifesté, dans ce délai, la volonté de se conformer à ses obligations :soit par la transmission au représentant de l’Etat dans le département d’une délibération ou d’une92 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Passé ce laps de temps, et suite à une mise en demeure par le préfet restée sans effet dans les trois mois suivants, l’Etat peut réquisitionner une partie du terrain de la commune. Il y crée alors une « aire d’accueil » aux frais de la mairie. La commune perd le financement de l’Etat dont elle aurait pu disposer.151
D’après l’article 9 de la loi Besson, une fois qu’une commune a rempli ses obliga­tions conformément au schéma départemental, elle peut interdire le stationnement des voyageurs sur son territoire en dehors des aires d’accueil. Si les voyageurs s’arrêtent où que ce soit d’autre, que ce soit sur un terrain public ou privé, ils peuvent alors être expulsés sur ordre du tribunal. Cette expulsion est possible, sauf si les voyageurs sont stationnés sur un territoire leur appartenant ou sur une parcelle de terrain pour laquelle une autorisation spéciale concernant le stationnement d’habitats mobiles a été donnée, que ce soit pour le camping (article L433-1 du Code de l’urbanisme) ou pour la résidence permanente des utilisateurs (article L433-3 du Code de l’urbanisme).152 Si les voyageurs stationnent sur un terrain public appartenant à une commune, le maire peut expulser ceux qui s’y arrêtent s’ils mettent en péril la santé, la sécurité ou la paix publiques.
La loi Besson est un développement très positif dans la mesure où il impose aux communes de plus de 5 000 habitants de créer des sites où les voyageurs peuvent ré­sider temporairement. Bien que n’ayant pas été présentée de cette manière en France, cette loi peut être perçue comme une mesure nécessaire prenant en compte un mode de vie minoritaire pour le traiter à égalité avec tous les autres.
Elle traite tsiganes et voyageurs d’une manière égale aux autres citoyens, en accord avec le principe d’égalité. Il est évident que pour que les tsiganes et les voyageurs it­inérants aient les mêmes droits au logement décent et à la liberté de circulation que les au­tres Français, il leur faut des lieux où ils puissent s’arrêter plus ou moins longtemps, dans diverses communes à travers la France. Les dispositions de cette loi – si elles devaient être correctement appliquées – visent à assurer que de tels sites existent dans tout le pays.
lettre d’intention comportant la localisation de l’opération de réalisation ou de réhabilitation d’une aire d’accueil des gens du voyage ; soit par l’acquisition des terrains ou le lancement d’une procédure d’acquisition des terrains sur lesquels les aménagements sont prévus ; soit par la réalisation d’une étude préalable. loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, Ar­ticle 201, J.O n° 190 du 17 août 2004.
151 Si une mairie respecte les délais specifiés, l’Etat couvrira 70 % des dépenses pour le développement ou la rehabilitation d’aires de stationnement. (article 4, loi Besson)
152 Article 9 (II et III), Loi Besson. 93
Panneau près de la ville de Saint-Pierre-des-Corps qui dit : « Interdit aux noma­des ». Le panneau est juste à côté de celui du nom de rue : « Rue des Déportés ».
PHOTO: JOSE BRUN
Deux activistes tsiganes, protestant aux côtés de milliers d’autres tsiganes et voyageurs, contre l’adoption de la loi de Sécurité intérieure.
PHOTO: REGARDS94 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Un autre aspect positif de la loi Besson est que son intitulé fait référence à l’ha­bitat. Ceci indique un changement important dans la manière de traiter les arrêts de courte durée des tsiganes et voyageurs. Au lieu de qualifier leurs arrêts de purs stationnements, on les situe dans la sphère de l’habitat : un droit fondamental. Hélas, les avancées de la loi restent ténues à ce sujet, si ce n’est contradictoires. Car le texte revient à ces termes de stationnement et d’arrêt.
De plus, l’article 9 de la loi en change la nature. La loi évolue d’une mesure positive vers une mesure restrictive (interdiction faite aux tsiganes et voyageurs de stationner en dehors d’« aires de stationnement aménagées »). On revient ici à de sévères viola­tions de la liberté de circulation et du droit au logement.153 L’article 9 revient à l’esprit restrictif qui prédomine dans l’histoire française en matière de politiques locales rela­tives aux tsiganes et aux voyageurs – et en particulier le désir des maires de les tenir à l’écart de leur commune. Cette loi, à l’instar de l’ancien article 28 de la loi du 31 mai 1990,154 répond en fait au désir, exprimé à plusieurs reprises par les maires, de pouvoir expulser les caravanes de leur territoire plus aisément. La jurisprudence française a dé­claré illégale l’utilisation de leurs pouvoirs de police en termes d’interdiction générale et absolue du stationnement des tsiganes sur leur territoire…155 Mais l’article 9 donne aux maires la possibilité de limiter le stationnement des caravanes à une zone sous contrôle – et à l’interdire quasiment partout ailleurs sur leur commune.156
153 Pour les tsiganes et les voyageurs vivant dans leurs caravanes, les politiques et réglementations restreignant la liberté de circulation constituent également de sévères violations de leur droit au logement.
154 Loi No 90- 449 du 31 May 1990, loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement, JO, 02 juin 1990.
155 Dans l’affaire Ville de Lille contre Ackerman, le Conseil d’Etat a statué sur le fait que : « le pouvoir de police des maires ne peut comporter une interdiction totale de stationnement et de séjour ni aboutir en fait a une impossibilité pour les nomades de stationner pendant le temps minimum qui leur est nécessaire. » CE, Ville de Lille c/Ackermann, 2 décembre 1983.
156 « …on ne peut pas oublier que la loi Besson a d’abord été rédigée afin de donner aux collectivités des moyens de police renforces contre les Tsiganes. La crainte majeure exprimée par les gens du voyage à son encontre étant bien la fin du voyage : « Va-t-on nous interdire d’aller dans tous les petits pays ? « est une de leurs questions récurrentes avec celles portant sur le contrôle qualitatif de ces futurs lieux d’accueil ou l’obligation du gardiennage que voulait imposer la loi. » Monnin, Luc. « Enfin réaliser l’habiter ? Quelles solutions pour loger les gens du voyage après les lois Besson et SRU de 2000 ? » L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000. Etudes tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001, p. 135. 95 Un mode de vie menacé
L’article 9 est souvent présenté par les autorités comme une restriction légitime de la liberté de circulation dans le but de préserver l’ordre public, la santé publique et la sécurité publique. Nombre d’arguments mis en avant pour donner de la substance à cette légitimité, reposent toutefois sur des stéréotypes purement racistes : les tsi­ganes et les voyageurs seraient sales, ou encore des délinquants sources d’ennuis. De tels stéréotypes racistes ne sont évidemment pas des raisons valables pour restreindre leurs droits dans une société démocratique.
Une forme plus nuancée d’argumentation, elle-même non dépourvue de stéréo­types racistes, blâme tsiganes et voyageurs pour des problèmes qui ne sont en fait que les conséquences des actions des autorités publiques – ou plutôt les conséquences de leur inaction. Par exemple, les risques sanitaires sont censés provenir des piles d’ordures qu’ils laissent derrière eux sur les lieux où ils font halte. Beaucoup de voy­ageurs et de tsiganes ont souligné qu’on leur reproche souvent de laisser derrière eux des ordures, mais qu’en fait, les autorités municipales refusent de leur fournir des con­teneurs à ordures, même lorsqu’ils proposent de payer. Lorsqu’on leur en fournit, les ordures ne sont pas collectées. Du coup, les sacs d’ordures débordent des poubelles. Une odeur nauséabonde finit par attirer des rats et causer des problèmes d’hygiène. De même, les problèmes d’ordre public sont censés être dus au bruit des générateurs électriques qu’utilisent les voyageurs pour se fournir en électricité. On leur reproche de « voler » de l’électricité en se branchant sur des câblages existants. Là encore, de nombreux voyageurs et tsiganes ont souligné que s’ils utilisent des générateurs ou font des branchements sauvages, c’est uniquement parce que les autorités locales refusent d’installer des boîtiers électriques temporaires là où ils s’arrêtent. Ces boîtiers leur permettraient d’obtenir légalement de l’électricité sans faire de bruit ni créer de prob­lèmes. Une dernier argumentation typique souligne les problèmes d’ordre public et de sécurité venant des « relations conflictuelles » avec les autres résidents. De tels conflits sont souvent la conséquence du racisme anti-tsiganes ou des facteurs précédemment cités (ordures, bruit, provenant de facto des agissements des autorités locales).
Dans l’ensemble, la loi Besson est présentée comme établissant un équilibre entre les droits et libertés des tsiganes et voyageurs d’un côté, et ceux des autres citoyens de l’autre. Pour ces derniers, le législateur pense en particulier à la jouissance paisible de leurs biens.157 Les autorités soulignent souvent que si des aires d’accueil sont créées
157 D’après la présentation faite de la loi du 05 juillet 2002 par le député Louis Besson, celle-ci vise à : « dé­finir un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et venir et l’aspiration96 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
pour les tsiganes et les voyageurs, la contrepartie équitable est qu’ils ne stationnent pas ailleurs. Les dispositions coercitives de l’article 9, renforcées plus tard par la loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité intérieure, vont toutefois bien plus loin qu’un sim­ple équilibre des intérêts de chacun. Un équilibre plus équitable pourrait être obtenu, par exemple, en autorisant le stationnement dans d’autres endroits, à l’exception de certains lieux définis par la loi et dans la mesure où ceux qui stationnent respectent cer­taines conditions. Mais l’article 9 applique la logique inverse en mettant en place des interdictions à large portée : les tsiganes et voyageurs ne peuvent ainsi s’arrêter nulle part ailleurs que dans les zones prévues à leur effet (sauf exceptions très spécifiques.)
Au coeur de l’article 9 se trouve la conception raciste selon laquelle les tsiganes ne sont pas des personnes comme les autres. En effet, la reste de la population n’est pas sujet à des interdictions aussi étendues concernant leurs lieux de résidence. Les tsiga­nes sont perçus comme des délinquants sales et sources de danger potentiels du point de vue sanitaire comme du point de vue de l’ordre et de la sécurité publique. Créer des aires d’accueil n’est pas vu pour ce que cela est véritablement : tout simplement permettre aux tsiganes et aux voyageurs de commencer à jouir des mêmes droits au logement et à la liberté de circulation que les autres citoyens. La loi est au contraire présentée comme une faveur particulière faite aux tsiganes et voyageurs, pour laquelle ils devraient être reconnaissants et de ce fait ne devraient pas chercher à résider ailleurs. L’ERRC trouve qu’une logique aussi discriminatoire est très perturbante.
Quand les autorités locales n’ont pas refusé de mettre en oeuvre la loi Besson ni n’ont conduit d’opposition contre elle, elles se sont généralement appuyées sur l’article 9 pour convaincre les populations locales des bienfaits de la création d’une aire d’accueil. Leur argument principal a alors été : « Si nous réservons une aire d’accueil officielle, nous pourrons empêcher les gens du voyage de s’installer dans tous les autres endroits ». Ce type d’argument est en général accompagné d’un rai­sonnement montrant que la sécurité et l’ordre seront ainsi mieux maintenus, étant donné que ces zones peuvent être facilement contrôlées.
légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d’autres part, le souci également légitime des élus locaux d’éviter des installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés » Louis Besson, exposé des motifs, Doc. AN no 1598 (1999) cité dans Franck Zentner, « Les communes et l’accueil des gens du voyage : la loi no 2000-614 du 5 juillet 2000. » L’habitat saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5 juillet 2000. Etudes tsiganes, Volume 15, Deuxième semestre 2001, p. 75.97 Un mode de vie menacé
Les commentaires du maire de Gisors lors d’une récente réunion publique à l’hôtel de ville illustre particulièrement un tel raisonnement. Les discussions con­cernaient la création d’une aire d’accueil à 1,5 km de la commune. En réponse aux inquiétudes des résidents concernant d’éventuels « problèmes de sécurité », le maire répondit que regrouper les tsiganes dans une zone gardée et équipée permettrait de mieux gérer les problèmes qu’ils posent.158 De tels arguments renforcent clairement la peur et le rejet des tsiganes et des voyageurs.
La majorité des tsiganes rencontrés par l’ERRC en France considèrent la loi Besson d’un oeil particulièrement anxieux. Les commentaires de M. Robert Zigler, Président de l’association tsigane Goutte d’Eau, illustre bien ces peurs :
La loi Besson est une loi qui ne nous a pas convenu. Maires ou préfets se basent sur la loi… Mais quand on leur parle, ils ne nous écoutent pas… Ca rentre dans une oreille et ça sort par l’autre… Notre culture va commencer à s’évaporer… Les enfants deviendront sédentaires de force. Même avec l’emplacement que l’Etat nous donne, le voyage va disparaître. Dans 10 à15 ans quand il y aura des emplacements dans toute la France, il faudra réserver d’avance un stationnement … sous peine d’être condamné… 159
Les aspects restrictifs de cette loi, renforcés par la législation subséquente, ont trans­formé ce qui aurait pu assurer que tsiganes et voyageurs poursuivent leur mode de vie nomade, en un arsenal perçu comme une menace significative pour ce mode de vie.
La loi pour la Sécurité intérieure
Les aspects restrictifs de la loi Besson ont été considérablement renforcés et étendus par la loi 18 mars 2003 pour la Sécurité Intérieure. Les perspectives ouvertes par le passage de cette loi ont fait descendre dans la rue, à Paris en janvier 2003, des milliers de tsiganes et voyageurs pour protester. La plupart des slogans présentés étaient un appel au respect des droits fondamentaux : « le droit de voyager » ; « re­spectez notre culture » ; « le droit à la différence » ; « la même justice pour tous », etc. Les slogans ont fait aussi référence au régime de Vichy, relayant la parole de
158 « Mauvais accueil aux gens du voyage », journal Paris Normandie 1er juin 2004.
159 Entretien de l’ERRC avec M. Robert Zigler, le 6 mars 2004, Toulouse.98 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
nombreux anciens. Les tsiganes ayant survécu à la Deuxième Guerre Mondiale ont dit à l’ERRC que les actes de répression et le climat d’hostilité d’aujourd’hui leur rappelle l’Occupation.
Frédéric Bone, Président de l’organisation non gouvernementale l’Association nationale des gens du voyage catholique (ANGVC) a également souligné l’impor­tance de ce sentiment chez de jeunes voyageurs qu’il connaît : « Ca leur rappelle ce qu’ont connu leurs grands parents. Mais c’est plus surnois cette fois. On ne les met pas dans le four, mais la vie qu’on leur fait mener est terrible. » 160
Comme son titre l’indique, la loi pour la Sécurité intérieure vise à augmenter la sécurité en France. Elle couvre un large panel de secteurs : cela va des pouvoirs de police en matière d’enquêtes aux mesures anti-terrorisme. Elle inclut dans son chapi­tre 10 relatif à « la paix publique et la sécurité » un certain nombre d’articles racistes visant spécialement les tsiganes et les voyageurs. La loi dit en substance que leur stationnement sur la plupart du territoire français en dehors des zones prévues à cet effet constitue un délit pénal.
L’article 53 pénalise les tsiganes et les voyageurs qui pratiquent un aspect fonda­mental de leur culture : le voyage. Cet article fait un crime pénal du fait de stationner en groupe dans le but de s’installer, même temporairement :
• sur un terrain propriété d’un commune qui s’est conformée aux obligations du schéma départemental développé en accord avec la loi Besson.
• sur un terrain propriété d’une commune qui n’est pas comprise dans le schéma départemental (de fait, la plupart des villes de moins de 5 000 habitants et celles comprenant plus de 5 000 habitants qui ne sont pas incluses dans le plan).
• sur tout autre terrain (privé ou public) sans pouvoir produire une preuve ou une permission de faire ainsi, ou une permission délivrée par la personne détentrice des droits sur ce terrain.
De plus, l’article 58 de la loi pour la Sécurité intérieure prévoit que dans les com­munes non incluses dans le schéma départemental, le maire puisse aussi faire appel aux tribunaux pour obtenir un ordre d’expulsion par la force des habitats mobiles sta­tionnés sur un terrain privé lorsque ce stationnement met en péril la santé publique, la
160 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Bone, le 27 septembre 2004, Saint-Denis.99 Un mode de vie menacé
sécurité publique ou la paix publique.161 Ce dernier article prévoit donc que même le propriétaire d’un terrain privé, vivant dans une résidence mobile, puisse être expulsé par la force de son propre terrain si on estime que ceci met en péril la santé publique, la sécurité publique ou la paix publique.
Les peines encourues pour les « délits » cités ci-dessus sont sévères : au maxi­mum, six mois de prison, une amende de 3 750€ et la suspension du permis de con­duire du contrevenant pour une durée de trois ans.162 De plus, tout véhicule utilisé pour commettre l’acte de stationnement illégal (comme c’est généralement le cas pour les tsiganes qui remorquent leurs caravanes avec des véhicules) peut être saisi et confisqué, à moins que le véhicule lui-même ne constitue l’habitat de la personne.163
Le président de l’organisation non gouvernementale Ligue des Droits de l’Homme, a fait les commentaires suivants : « C’est la première fois depuis le rétab­lissement de la République qu’un texte de loi pointe non pas seulement un groupe so­cial mais un groupe culturel qu’il criminalise, du fait même de ses origines ou de son mode de vie. »164 De même, un journaliste a écrit dans les pages du mensuel le Monde Diplomatique que cette loi créait un « délit d’existence » pour les voyageurs.165
Il y a maintenant peu de doute. Il s’agit là d’une loi raciste qui vise spécifique­ment une partie de la population en se fondant sur leur origine ethnique et sociale. Le fait que cette loi vise spécifiquement les voyageurs et les tsiganes est une évidence pour le grand public, comme cela l’a été durant les discussions publiques et offi­cielles en vue de son adoption.
161 L’Article 58 de la Loi pour la Sécurité Intérieure prévoit qu’après l’article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 précitée, il est inséré un article 9-1 ainsi rédigé : « Art. 9-1. – Dans les communes non inscrites au schéma départemental, le maire peut, par voie d’assignation délivrée aux occupants et, le cas échéant, au propriétaire du terrain ou au titulaire d’un droit réel d’usage, saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l’évacuation forcée des résidences mobiles installées sur un terrain privé n’appartenant pas à la commune, lorsque le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. »
162 Article 53(1) et Article 53(2),Loi pour la Sécurité Intérieure.
163 Il serait illégal en droit français de confisquer une caravane servant de résidence, aussi les députés ont-ils été obligés de limiter les saisies aux seuls véhicules utilisés pour remorquer celles-ci.
164 Cité dans « Mobilisation contre le durcissement des lois Sarkozy-Perben ». Le Monde, le 10 janvier 2003.
165 Chantal Aubry. « Fragile statut pour les Tziganes français ». Le Monde Diplomatique, mai 2003. 100 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Dans un rapport présenté à l’Assemblée nationale au nom de la « Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République », le député rapporteur M. Christian Estrosi, en introduisant ces disposi­tions, présenta un bref aperçu sociologique des voyageurs en France. Il expliqua que les tsiganes en constituaient le groupe le plus nombreux. Il présenta rapidement leurs origines. Il établit une classification des groupes principaux en France (Manouches, Gitans, Roms) et commenta leur degré de « sédentarisation ». Il expliqua qu’en plus des tsiganes existait un autre groupe, les Yéniches, qui sont d’origine allemande, mais qui ont adopté le mode de vie et les coutumes des tsiganes.166
Les commentaires du Ministre de l’Intérieur français, Nicolas Sarkozy, durant les élections régionales de 2004, sont particulièrement révélateurs du climat qui cara­ctérisa les discussions de cette loi :
...la loi créant comme délit d’occupation illégale des terrain publics et privés par les gens du voyage... sera désormais la règle pour tous. Quand votre véhicule dépasse son temps sur le parcmètre vous avez une contra­vention. Eh bien, moi je n’accepte pas qu’on puisse s’installer avec sa caravane sur un terrain public ou privé sans que le propriétaire ne puisse rien faire. La République, c’est le respect du droit de propriété. En per­mettant de tels stationnements, on a créé les conditions de l’amalgame et de l’affrontement. Mais qu’est ce que ça veut dire le mot République ? Quand on a peur de rentrer chez soi ? Quand son terrain est occupé de façon illégale ? Quand on peut gagner plus sans travailler ?167
Ces insinuations visant à faire passer les gens du voyage pour des délinquants ne furent pas perdus pour l’audience qui éclata en un tonnerre d’applaudissements.
Etrangement, en dépit de la nature raciste à peine voilée de cette loi, et en dépit des flagrantes violations des droits de l’homme qu’elle implique, le Conseil constitutionnel
166 Christian Estrosi. Rapport fait au nom de la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Légis­lation et de l’Administration Générale de la République sur le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (No. 381), pour la sécurité intérieure. Assemblée Nationale, Document N°508, distribué le 26 décembre 2002.
167 Discours diffusé lors du documentaire présenté par la station de télévision française Canal+., Pascal Catuogno, Jérôme Pin, et Steve Bauman. « Gens du voyage : la répression et l’absurde ». Canal Plus, diffusé le 10 mai 2004.101 Un mode de vie menacé
français a déclaré que les dispositions de la Loi de Sécurité intérieure ne violaient pas la Constitution française. Le conseil constitutionnel a estimé que le législateur n’avait pas commis d’erreur manifeste en mettant en rapport la défense de la propriété privée et de l’ordre public d’un côté, l’exercice de libertés protégées par la Constitution de l’autre. Il a aussi considéré qu’il n’y avait pas de disproportion évidente entre les crimes visés par la loi et les sanctions établies. Le Conseil constitutionnel a donc décidé qu’il ne devait pas substituer son jugement à celui du législateur.168
D’après Patrick Devedjian, Ministre délégué aux libertés locales, au 03 décem­bre 2003, 428 personnes avaient comparu devant les tribunaux en application des dispositions de cette loi, et plus de 45 personnes avaient été mises en détention, l’une d’entre elles ayant été reconnue coupable. Enfin, plus de 10 véhicules ont été saisis dans plus de trois départements.169
La loi Borloo
Passée quasiment inaperçue, une autre loi, adoptée le 1er août 2003, dresse une liste des vingt-huit170 villes françaises de moins de 20 000 habitants dans lesquelles les tsiganes et voyageurs ne peuvent absolument pas stationner. Ce sont des zones dans lesquelles au moins la moitié de la population vis dans des zones dites « Zones Urbaines Sensibles » (ZUS).171 L’article 15 de la loi n°2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la Ville et la rénovation urbaine (ci après « loi Borloo ») dégage ces villes de leurs obligations au regard de la loi Besson.172
168 Voir surtout à ce sujet les paragraphes 70-72 de la Décision n° 2003-467 DC-13 mars 2003 – Loi pour la sécurité intérieure.
169 Le ministre Devedjian a fourni ces chiffres en réponse aux commentaires du député-maire de Mérignac, Michel Sainte-Marie, faisant observer que la loi était appliquée de manière trop restrictive. D’après le site Maire Info : http://www.maire-info.com/fonction/envoyer.asp?param=37163, Décembre 2003.
170 Ce chiffre a été donné par le Ministre Jean-Louis Borloo, Ministre délégué à la Ville, durant les dé­bats sur cette loi au Sénat le 23 juillet 2003.
171 Les ZUS (Zones Urbaines Sensibles) sont définies par la loi comme caractérisées par la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi.
172 « Les communes de moins de 20 000 habitants dont la moitié de la population habite dans une zone urbaine sensible telle que définie par le 3 de l’article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire sont exclues, à leur demande, du champ d’application102 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Ce qui signifie qu’elles n’auront pas à créer d’aires d’accueil pour que des caravanes puissent résider dans leurs communes, même s’il s’agit de communes dans lesquelles les tsiganes et les voyageurs viennent généralement pour des raisons profession­nelles, familiales, médicales, ou autres. De plus, ces communes pourront appliquer immédiatement les dispositions pénales de la Loi pour la Sécurité intérieure. Nombre de ces grandes villes françaises sont, en fait, des villes dans lesquelles de nombreuses générations de tsiganes et de voyageurs ont toujours résidé. Ce sont des villes dans lesquelles tsiganes et voyageurs ont des liens, familiaux, sociaux, et professionnels.
Les zones urbaines couvertes par cette loi sont essentiellement des ghettos ur­bains, considérés comme particulièrement instables, problématiques et pénibles. Exclure ces villes de toute responsabilité d’accueil de voyageurs a alors été justifié comme un moyen de maintenir à l’écart une population susceptibles d’exacerber des tensions dans une situation déjà délicate. Ce raisonnement illustre clairement la perception selon laquelle là où il y a des voyageurs, il y a des problèmes et des ten­sions avec le voisinage. De plus, il révèle la réponse des pouvoirs publics : maintenir à l’écart et exclure voyageurs et tsiganes.
Le ton général des discussions de cette loi au Sénat ressort dans ces commen­taires du sénateur Braye :
…dans les petites villes, les confrontations entre les gens du voyage et les populations difficiles sont beaucoup plus directes (Protesta­tions sur les travées du groupe CRC173 ),... Dans les petites villes, nous n’arrivons plus à contenir ces excès de violence. La population des quartiers difficiles en souffre… Les gens du voyage, il faut bien le reconnaître, pratiquent plus la politique du fait accompli qu’ils ne respectent la loi. Nos collègues communistes disent qu’il s’agit de problèmes humains difficiles. On ferait mieux de soumettre ces gens-là à des contrôles fiscaux plus fréquents et à leur apprendre à respecter la loi. Car cette situation crée des tensions au sein de nos populations, qui ne comprennent pas que la même loi soit appliquée de deux façons
des dispositions de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage et notamment de l’obligation prévue à l’article 2 de ladite loi. » Article 15, loi Borloo.
173 Groupe Communiste Républicain et Citoyen.103 Un mode de vie menacé
différentes. Ces personnes possèdent des voitures, des caravanes équipées de lave-vaisselle, de lave-linge, et de bien d’autres choses. (Mme Marie-Claude Beaudeau s’exclame.). Donc, il faut impérative­ment éviter que ces gens-là se côtoient. C’est ce qui explique que l’on ait voulu ôter les villes de moins de 20 000 habitants du champ d’application de la loi de 2000...174
Il est ironique qu’une loi visant à s’attaquer aux inégalités sociales produise au fond tant d’inégalité et de violations des droits. Non seulement les voyageurs et les tsiganes sont invisibles pour la planification urbaine, mais ils sont mis à l’écart et subissent un traitement négatif.
Ce paradoxe a été souligné lors d’un débat au Sénat au sujet de cet article de la loi par M. Jean-Yves Mano, l’un des cinq membres du groupe socialiste présentant un amendement pour son abrogation :
De quoi s’agit-il ? Certes, on aborde un sujet sans doute délicat : la place des gens du voyage dans notre pays. Si nous commençons, au travers de la politique de rénovation urbaine, à accepter la disparition des espaces mis à la disposition des gens du voyage, on fait de ceux-ci des exclus parmi les exclus. Où ont-il alors leur place dans notre société ?175
L’organisation non gouvernementale Regards a publié un communiqué de presse à propos de cette loi dans lequel on peut lire : « la brèche ouverte par ce nouveau projet de loi spécifique est inqualifiable et va, de nouveau, retentir négativement dans l’imaginaire collectif déjà hostile a notre sujet… Nous assistons a la légalisation et à une remise au goût du jour de la notion de persona non grata, qui ne s’applique pourtant plus qu’aux délinquants de droit commun. »176
174 Session du Sénat français du 23 juillet 2003, discussion de l’Article 12 bis, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/seances/s200307/s20030723/s20030723004.html.
175 Ibid.
176 Regards, Communiqué de Presse, 1er août 2003. 104 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
5.1.2 Des zones interdites de facto aux Tsiganes
En fait les zones sur lesquelles les tsiganes peuvent stationner avec leurs caravanes sur de plus ou moins longues périodes sont encore moins nombreuses que celles que les restrictions légales semblent indiquer. En fait, ce ne sont pas juste des portions du ter­ritoire qui semblent inaccessibles aux tsiganes pour y résider, mais pratiquement tout le territoire, à l’exception de zones particulièrement insalubres ou à l’abris des regards. Les familles se voient constamment expulsées des endroits où elles s’arrêtent. Elles sont alors parfois obligées de conduire pendant des jours avant de pouvoir trouver un endroit où s’arrêter. De plus, ces rares lieux sont souvent bien en deçà des standards sanitaires. Ils exposent les tsiganes et les voyageurs à de sévères risques environnemen­taux et sanitaires du fait de leur proximité avec des lieux tels que décharges publiques, lieux de stockage de déchets toxiques où zones utilisées par l’industrie lourde.
Aux atteintes portées au droit à un logement décent et à la liberté de circulation, cette situation ajoute de sévères atteintes au droit au respect de la vie privée et famil­iale garantis par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Par exemple, ne pas pouvoir s’arrêter quelque part signifie ne pas pouvoir rendre visite à de la famille ou des amis, ne pas pouvoir être auprès d’une personne malade, ne pas pouvoir assister à un mariage. Ajoutée aux risques sanitaires et environnementaux, cette situation cause un stress émotionnel et psychologique néfaste à la santé des individus. Le fait de ne pouvoir s’arrêter dans une commune ou une zone donnée nuit également aux possibilités d’emploi, lorsqu’un tel séjour est nécessaire aux activités économiques. Et, bien sûr, ceci nuit également à l’éducation des enfants.
Le cycle des expulsions forcées
En voyageant à travers la France, l’ERRC s’est ému du nombre de tsiganes et de voyageurs vivant dans un état d’instabilité considérable – constamment expulsés d’un endroit à un autre.177 L’ERRC a visité un certain nombre de grandes villes, telles
177 Alors que les tsiganes et les voyageurs ne peuvent occuper un terrain que durant de courtes périodes, ce terrain constitue un élément essential de leur habitat durant ces périodes. Chaque expulsion, bien que ne privant pas une famille de son abris, la prive cependant des conditions d’environnement et des infrastruc­tures qui leur sont nécessaires pour pouvoir vraiment habiter dans leurs caravanes. L’expulsion de cara­vanes d’un lieu constitue donc une expulsion forcée allant à l’encontre du droit à un logement décent. 105 Un mode de vie menacé
que Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Marseille. Dans toutes ces villes, la situation était la même : des centaines de familles « voyagent » autour des périphéries de ces villes et de leurs alentours en quête d’un lieu ou s’arrêter.
Le texte faisant référence en matière d’expulsions forcées se trouve dans : « Observation Générale No. 7 Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte) : expulsions forcées », le Comité des Nations Unies des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC).
D’après le paragraphe 3 de l’Observation Générale, « l’expression ‘expulsion forcée’... s’entend de l’éviction permanente ou temporaire, contre leur volonté et sans qu’une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes, de familles ou de communautés de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent. »
Dans le paragraphe 4 l’Observation souligne la relation d’interdépendance existant entre les différents droits de l’homme ; et que l’expulsion forcée violent par conséquent d’autres droits de l’homme. Il y est déclaré que : « ...Ainsi, outre qu’elle constitue une violation manifeste des droits consacrés dans le Pacte, la pratique des expulsions forcées peut aussi entraîner des atteintes aux droits civils et politiques, tels que le droit à la vie, le droit à la sécurité de sa personne, le droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille ou son domicile et le droit au respect de ses biens. »
Le paragraphe 10 ajoute : « Les femmes, les enfants, les jeunes, les personnes âgées, les populations autochtones, les minorités ethniques et autres ainsi que les personnes et groupes vulnérables, souf­frent plus que les autres de la pratique des expulsions forcées ... ». Les dispositions des articles 2.2 et 3 « du Pacte imposent aux gouvernements l’obligation supplémentaire de s’assurer, en cas d’expul­sion, que les mesures appropriées sont prises pour éviter toute forme de discrimination. »
Un peu plus loin, le paragraphe 13 prévoit que : « les États parties devraient veiller à ce que toutes les autres solutions possibles soient envisagées en concertation avec les intéressés, afin d’éviter le recours à la force, ou du moins d’en limiter la nécessité. Les recours prévus par la loi devraient être accessibles aux personnes tombant sous le coup d’un arrêté d’expulsion. »
Le paragraphe 14 ajoute : « Lorsque l’expulsion forcée est considérée comme justifiée, elle doit se faire dans le strict respect des dispositions pertinentes de la législation internationale relative aux droits de l’homme et en conformité avec le principe général de proportionnalité.... »
Enfin, le paragraphe 16 souligne : « Il ne faudrait pas que, suite à une expulsion, une personne se retrouve sans toit ou puisse être victime d’une violation d’autres droits de l’homme. Lorsqu’une per­sonne ne peut subvenir à ses besoins, l’État partie doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement, de réinstallation ou d’accès à une terre productive, selon le cas, lui soient offertes. »
Cette approche expliquée dans l’Observation Générale est renforcée par l’article 17.1 du PIDCP, qui vient en complément du droit à une protection contre toute expulsion forcée. Cette disposition reconnaît, entre autres, le droit à une protection contre toute « immixtion dans le domicile d’une per­sonne…. On notera que l’obligation qui incombe à l’État d’assurer le respect de ce droit ne fait l’objet106 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Dans l’ensemble, les communes n’ont pas appliqué les dispositions de la loi Besson requérant la création d’aires d’accueil. Il y a généralement consensus sur le fait qu’il n’y a pas eu d’augmentation notable du nombre de places en aires d’accueil depuis l’adoption de la loi Besson en juillet 2000. Le nombre de place existantes serait officiel­lement autour de 20% du nombre requis, soit environ 7 000 places, alors qu’on pense que le minimum devrait être de 35 000 places.178 D’après Joseph Charpentier, Président de l’ONG S.O.S. Gens du Voyage, sur ces 7 000 places, 3 000 se trouvent dans des lieux inappropriés (comme par exemple à proximité de dépôts d’ordures). Joseph Char­pentier a dit à l’ERRC qu’il n’était même pas sûr qu’il y ait 2 000 places répondant aux normes.179 Mme Sylvette Saint-Julien, Secrétaire de la Commission nationale consulta­tive des gens du voyage (qui ne fonctionne par pour l’instant) a confié en juillet 2004 à l’ERRC que sur 35 000 aires, seules 3 500 pouvaient être considérées comme des lieux convenant au stationnement ; le reste serait en dessous des standards.180
En fait, la plupart des communes semblent avoir lu la loi Besson d’une manière extrêmement sélective, prêtant surtout attention à l’article 9, et aux restrictions mises en place par la loi pour la Sécurité intérieure. Les autorités municipales ce sont donc cru autorisées à s’investir considérablement dans des mesures ou des actions des­tinées à empêcher tsiganes et voyageurs de stationner sur leur territoire, sans pour autant mettre en place la moindre aire d’accueil. En dépit du fait que ces autorités n’ont pas répondu à leurs obligations en matière de développement d’aires d’accueil, elles n’en ont pas moins expulsé par la force (parfois même violemment) les tsiganes et voyageurs qui ont fait halte sur le territoire de leur commune. Les représentants de l’Etat prêtent généralement complaisamment leur concours à de telles démarches en autorisant la police à procéder à ces évictions. La police s’emploie par ailleurs à maintenir à l’écart tsiganes et voyageurs par des « actions préventives » consistant, par exemple, à bloquer la route aux caravanes ou encore à les escorter jusqu’aux limites de la commune. De fait, cela constitue une expulsion…
d’aucune restriction pour raison de ressources disponibles. » (paragraphe 8, Observation Générale). CDESC, « Observation Générale Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte) : expul­sions forcées, Seizième session (1997) », disponible à l’adresse suivante : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(symbol)/CESCR+General+Comment+7.En?OpenDocument.
178 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Sylvette Saint-Julien, le 15 mars 2005 à Paris.
179 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 19 octobre 2004 à Drancy.
180 Entretien de l’ERRC avec Mme. Sylvette Saint-Julien, le 20 juillet 2004 à Paris.107 Un mode de vie menacé
En dépit de cette situation, la presse et les autorités locales continuent de présenter les tsiganes et les voyageurs comme des personnes coupables de stationner illégalement, d’ « envahir » les communes, et de perturber la paix et le bien-être des habitants. Ainsi, le sentiment anti-tsiganes demeure courant dans la sphère publique. Les habitants des communes entreprennent parfois, de leur propre initiative, de chas­ser les familles de tsiganes qui ont réussi à s’arrêter dans leurs villes.
Le cas de Mme M.D. est emblématique. Cette femme vit avec une quinzaine de membres de sa famille répartis dans quatre caravanes. Parmi les membres de sa famille, il y a son père, M. D, atteint d’une grave maladie pour laquelle il doit prendre régulièrement des médicaments ;181 son neveu âgé de 33 ans, handicapé, sourd et dans une chaise roulante après avoir été brûlé ; et sa nièce âgée de 5 ans qui a été opérée du coeur et attend un donneur afin de pouvoir bénéficier d’une transplantation cardiaque. Le groupe « voyage » autour de Lyon, où la famille vit depuis de nombreuses généra­tions dans des caravanes.182 Mme M.D. elle-même vit dans un camion depuis 2003. Elle a expliqué à l’ERRC que sa caravane avait été détruite dans un incendie et que la compagnie d’assurance avait refusé de la dédommager, étant donné qu’elle n’avait pas d’adresse fixe (elle est domiciliée auprès d’une association).183
Entre 2003 et 2004, le groupe n’a pas réussi à rester plus de 3 ou 4 jours au même endroit sans en être expulsé par la force. Il leur a fallu parfois essayer 3 ou 4 endroits par jour avant de pouvoir s’arrêter quelque part. Mme M.D a dit à l’ERRC que, mis à part la difficulté de vivre sans les commodités de base (telles que l’eau et l’électricité), le fait d’être sans cesse obligé de chercher un nouvel endroit où
181 A la demande de M.D la pathologie ne sera pas spécifiée.
182 D’après l’évaluation faite entre octobre 2000 et juin 2001qui a servi de base au Schéma départemen­tal du Rhône, entre 830 et 990 caravanes s’arrêtent régulièrement dans la zone du Grand Lyon et entre 1 800 et 1 900 dans le département. Ceci n’inclut pas les familles considérées comme « sédentaires ».
En estimant que chaque caravane abrite environ 5 personnes (estimation généralement considérée com­me réaliste), ceci signifie qu’environ 4 150 à 4950 personnes voyagent autour de la zone du Grand Lyon pour trouver des places où résider, et entre 9 000 et 9 500 dans le département. Préfecture du Rhône. Schéma Départemental d’Accueil des Gens du Voyage du Rhône, p. 9. avril 2003 ; Préfecture du Rhône. Schéma Départemental d’Accueil des Gens du Voyage du Rhône Annexes, pp.13-19. avril 2003.
183 Au moment où nous écrivions, M.D. étaient en procès avec sa compagnie d’assurance dans l’espoir d’obtenir un dédommagement pour la destruction de sa caravane. Elle a payé des traites d’assurance pendant 15 ans, et pensait que ce genre de sinistre faisait justement partie de ce qui était couvert. 108 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
s’arrêter rend le travail presque impossible. Ce stress a aussi un impact sérieux sur leur santé. Mme M.D. nous a décrit une journée de mars 2004 :
On s’était arrêté dans la commune de Bron. C’était un dimanche, au milieu de l’après midi. On avait été chassés de la commune par dix voitures de gendarmes. Nous étions trois caravanes à cette époque. Nous étions garés derrière un mur. Pas d’eau. Pas d’électricité. C’était un endroit où il y avait des ordures-il y avait même des aiguilles sales qui traînaient par terre et des cannettes de bière. Ils sont venus dans l’après-midi pour nous chasser. Ils nous ont fait immédiatement raccrocher nos caravanes aux voitures. On leur a dit qu’il y avait des gens malades et handicapés avec nous, etc. Ils ont dit : « La loi est la loi. » Ils nous ont ensuite dit : « Rentrez dans votre pays ». J’ai répondu : « c’est notre pays, nous sommes Français ». Ils ont répondu : « Fer­mez votre gueule ». Ils ont même dit que Hitler n’avait pas fini son travail. Il y avait environ une douzaine de gendarmes. Ils avaient des matraques.
Les voitures des gendarmes nous ont pourchassé jusqu’aux limites de Bron. Nous avons trouvé un endroit pour nous arrêter sur un parking à Décines, une commune voisine. Il était 19h00. Il n’y avait aucun autre endroit où s’arrêter. Mon père et ma nièce étaient épuisés. Alors trois camions pleins de policiers sont arrives. Ils ont dit : « Vous devez partir, vous devez partir ». J’ai dit que mon père devait prendre son médicament et que ma nièce avait un coeur malade et devait se reposer. Ils ont dit : « Non, ne descendez pas de vos véhicules – allez vous-en. » On les a suppliés. On a dit : « Messieurs, soyez gentils, donnez-nous une heure. » Ils ont dit : « Non, on appelle des renforts ». Puis douze camions pleins de policiers sont arrivés. Ils nous ont encerclés, ils tenaient des matraques. A 19h20 on était partis. On a pris une autre direction – toujours dans Décines, mais on n’avait pas réalisé qu’on était toujours dans Décines. Ils ont barré la route et nous ont dit d’aller ail­leurs. Alors ils ont dit ; « Partez, partez, partez ». On a essayé de parler avec eux, de leur demander de comprendre qu’on devait donner des soins à un homme malade. Ils ont simplement dit : « Allez vous en » . Vous savez où on a dormi ? A Saint-Fons, au bord de la route. Sans électricité ni rien. Il y avait un coin où on était cachés. On est partis le matin.184
184 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. M.D., le 1er septembre 2004 à Paris.109
Réparation de branchements électriques de fortune sur le site pollué de l’ancienne usine AZF à Toulouse, où une explosion de nitrate d’ammonium a eu lieu en septembre 2001. Lors de la visite de l’ERRC en mars 2004, des centaines de caravanes étaient stationnées sur ce site insalubre, tout près des cheminées industrielles des usines à haut risque qui restaient sur le site. C’était là l’unique site où les familles pouvaient s’arrêter temporairement sans être im­médiatement expulsées par la police.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO110 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Aucune de ces communes n’avait d’aire d’accueil au moment des faits. Ce qui sig­nifie que ces expulsions constituaient des infractions au respect des droits de l’homme fondamentaux. Elles étaient, de plus, illégales du point de vue du droit français.
Mme M.D. a également décrit à l’ERRC les difficultés rencontrées par sa famille durant l’été 2003, lorsqu’une vague de chaleur a frappé la France. Avec des tempéra­tures qui n’avaient pas été atteintes depuis 50 ans, la famille a été obligée de trouver un nouvel endroit pour s’installer environ tous les deux jours, et parfois même quatre fois par jour. La famille a alors été violemment attaquée pendant la nuit :
Il y avait trois caravanes. Une fois encore, ma nièce, mon neveu et mon père malade étaient avec nous. A une heure du matin un groupe d’habitants est venu. Ils ont tapé sur nos caravanes avec des matraques et des lampes torches, et ils ont dit : « nous allons détruire vos caravanes si vous ne partez pas. » Ma nièce était terrifiée. Mon neveu dans son fau­teuil roulant a eu une crise de panique… Ils étaient cinq. Ils ont dit qu’ils se moquaient de la police. A cette époque on était garés près du stade de Chassieux. Tout ça a duré trois quarts d’heure. On a du plier bagages sur le champ sinon ils nous auraient battus. Ils nous on dit : « Ne prenez pas une heure à remballer. »
D’autres membres de la famille de Mme. M.D. furent attaqués de manière simi­laire à Chassieux fin août 2004. Le groupe comprenait deux hommes, une femme et trois enfants (âgés de 7, 12 et 14 ans). L’enfant de 7 ans était très malade et avait un problème sanguin. Ils étaient venus leur rendre visite depuis Nice, mais ils n’ont pu trouver où était Mme. M.D. D’après Mme M.D., sa famille s’était arrêtée sur un parking en face de la poste. Les gendarmes arrivèrent rapidement et leur donnèrent la permission de rester là pour la nuit, jusqu’à 7 heures du matin. Toutefois, vers 3 heures du matin, quatre hommes sont venus leur dire de partir. S’ils ne partaient pas tout de suite, les gens se trouvant dans quatre autres voitures garées non loin allaient descendre et les aider à attaquer. Les enfants étaient terrifiés. Mme. M.D. pense que c’était les mêmes hommes qui les avaient attaqué l’année d’avant.
L’ERRC demanda à Mme. M.D. si les familles avaient porté plainte pour ces attaques. Elle a répondu : « Vous croyez que la police nous croirait si on portait plainte ? »185
185 Entretien de l’ERRC avec Mme. M.D., le 1er septembre 2004. 111 Un mode de vie menacé
Bien souvent, au lieu d’agir de manière violente, les habitants font des pétitions et organisent des manifestations contre les groupes de caravanes qui stationnent dans leurs communes. Un voyageur, M. M.R. a dit à l’ERRC qu’en mai 2004 il venait de s’installer avec un petit groupe de caravanes en face du collège de la ville de Chan­tilly. Il raconte : « une centaine de femmes sont venues protester et ont apporté des tracteurs pour nous bloquer. Ils nous ont dit » Partez, etc. » Chantilly est une ville d’environ 2 500 habitants qui n’est pas soumise à l’obligation de créer des aires d’accueil.186 Parmi les femmes il semble qu’il y avait des professeurs du collège.187
Tsiganes et voyageurs sont mis à l’écart dans des zones dangereuses et insalubres
Durant ses recherches, l’ERRC s’est rendu compte que si elle voulait trouver des tsiganes français, elle devait suivre les panneaux indiquant la déchetterie locale ou la station d’épuration du coin ! Dans environ un cas sur deux, l’ERRC a trouvé un groupe de tsiganes vivant temporairement juste à côté de tels lieux. Les seules por­tions du territoire français où les tsiganes et voyageurs semblent pouvoir stationner pour de courtes périodes sont les lieux où personne d’autre ne voudrait vivre tels que : à proximité des déchetteries ou des stations d’épurations ; dans une zone industrielle, surtout près des usines dangereuses ou polluantes ; dans les bois ; ou juste à côté d’autoroutes à fort trafic. De plus, ces endroits sont souvent situés sous des lignes à haute tension ou à côté de voies ferrées. Les caravanes s’arrêtent aussi parfois sur des places de parking de centres commerciaux – bien que dans ces cas ils soient géné­ralement expulsés dès le matin. Dans certains cas ils occupent aussi les complexes sportifs. Leur présence met en colère les riverains et les autorités locales.
Le cas de M. Daniel Winterstein est emblématique de la situation de nombreux tsiganes et voyageurs. Comme beaucoup de ceux rencontrés par l’ERRC, il voyage surtout autour d’une zone géographique très limitée – la partie sud de Bordeaux – avec un petit groupe. Il se considère comme un local et aimerait s’installer sur un terrain avec sa famille. Lorsque l’ERRC l’a rencontré le 2 mars 2004, il lui a été a demandé de décrire les différents lieux où son groupe s’est installé récemment et pourquoi il a
186 Les communes ne tombant pas sous le coup de la loi Besson ne peuvent, toutefois, complètement interdire le stationnement aux caravanes. Elles sont soumises à la jurisprudence accordant une auto­risation de stationner minimale de 48 heures.
187 Entretien de l’ERRC avec M. M.R., le 6 mai 2004, à Pertuis.112
Aménagements anti-caravanes : une tranchée vise à empêcher l’accès à un terrain en friche dans la zone industrielle de Givors.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO113 Un mode de vie menacé
dû les quitter. Le groupe était d’abord stationné sur un terrain vacant derrière la gare d’Orléans à Bordeaux maintenant désaffectée. Une semaine plus tard, la police les en a expulsés. C’est l’un des quelques lieux de Bordeaux où les caravanes arrivent à sta­tionner, près de vieux wagons, pourrissants et rongés par la rouille. Le groupe a ensui­te cherché un endroit où stationner dans Bègles. La ville dispose d’une aire d’accueil officielle, située entre une rivière, une usine de chocolat, une autoroute et des voies ferrées. Les résidents disent que ce lieu attire les rats. Un certain nombre de familles y réside de manière permanente aussi n’est-il pas possible de s’y installer pour de courts séjours. Le seul endroit où le groupe a pu stationner dans Bègles a donc été près de la cheminée d’une usine d’incinération des déchets, entre l’autoroute et la rivière. Le groupe a quitté les lieux au bout de quinze à vingt jours car inquiet pour la santé de ses membres, étant donné que « les gens commençaient à se gratter. » Ensuite le groupe est allé à Canéjean pendant quatre à cinq jours. La police est venu les expulser mais une voyageuse local, Mme. R.W., avait une copie du schéma départemental auquel la Mairie ne s’était pas conformée) : elle est parvenue à contacter le commissaire (elle a téléphoné aussi au procureur local). Mais le groupe est parti sans attendre, de peur de se retrouver dans un conflit. Le groupe a passé la journée a se déplacer d’un endroit à un autre (3 au total), étant chaque fois expulsé des lieux où il s’arrêtait. Finalement, le groupe a passé la nuit à Cadaujac, dans les bois, au bout d’une route sans issue. La police est venue les en expulser au matin.
Daniel Winterstein a déclaré : « La police ne prête aucune attention au schéma départemental. Ils ne connaissent que l’article 9. Ils viennent dans des camions de CRS.188 Souvent ils viennent habillés à la «Robocop » avec leurs casques et leurs matraques. »189 Cependant, comme ils ne veulent pas faire de vagues, étant toujours à la merci de la police locale, et manquant de temps et de ressources pour pouvoir combattre systématiquement les expulsions illégales, ce groupe, comme la plupart des groupes, quitte simplement les lieux quand arrive la police.
Le 5 mai 2004, l’ERRC a rencontré un groupe de familles stationnées sur l’aire d’accueil officielle de Saint-Menet, à Marseille, qui compte théoriquement 45
188 Les CRS (Compagnies républicaine de sécurité) sont des unités de police mobile constituant les réserves de la Police Nationale. Ils sont sous l’autorité du Ministre de l’intérieur. Ils ont un grand nombre de responsabilité telles que : restaurer et maintenir l’ordre ; combattre la petite et moyenne délinquance ; surveiller les ports, aéroports, frontières et autre lieux en relation avec l’étranger.
189 Entretien de l’ERRC avec M. Daniel Winterstein, le 02 mars 2004, Pessac. 114 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
emplacements. Toutefois, le site a été fermé durant plusieurs mois pour cause de délabrement. L’aire d’accueil se trouve dans une zone inondable également enreg­istrée comme zone Seveso190 dite « à haut risque ». Elle se situe entre deux usines chimiques, des voies ferrées et une autoroute. Au moment de la visite de l’ERRC, en mai, l’entrée des sanitaires (comprenant douches et toilettes) était entourée de monceaux d’ordures. Les douches étaient fermées et il y avait des swastikas peintes sur les murs du bâtiment. Sur les cinq toilettes, deux étaient hors d’usage. Dans l’une, une puissante trombe d’eau éclaboussait quiconque avait l’infortune de tirer la chasse. L’organisation non gouvernementale ASNIT Bouches-du-Rhône191 a dit à l’ERRC qu’elle avait reçu de nombreux appels téléphoniques anonymes émanant de voyageurs se plaignant de la saleté de l’aire d’accueil – particulièrement de la présence de rats et d’asticots. Les familles payent 35€ par semaine et par caravane pour stationner sur cette aire d’accueil. L’aire d’accueil évoque par de nombreux aspects un camp de détention : un bâtiment de béton de deux étages, avec des bar­reaux aux fenêtres et des caméras sur les toits, orne ce lieu lugubre. De nombreux voyageurs ont indiqué à l’ERRC que l’ancien gérant des lieux avait l’habitude de patrouiller dans l’aire avec des gros chiens.192
M. V.C. a expliqué à l’ERRC que ces tsiganes et voyageurs sont là parce qu’ils n’ont aucun autre endroit où aller. « Durant tout l’hiver nous avons été harcelés par­tout où on s’est arrêté » a-t-il dit. L’ERRC a demandé aux familles où elles étaient durant les dernières semaines. « Tout d’abord, on a été à Cannes. On y a trouvé un terrain inoccupé et on y est d’abord juste allés avec les voitures. On était à peine ar­rivés que la police nous tombait dessus. Ca a été comme ça sans arrêt pendant deux jours. On a continué vers Antibes. Là le propriétaire d’un terrain nous a lui-même donné l’autorisation d’y stationner. La police est venue tous les jours pour nous dire « on va vous chasser ». Ils ont fini par le faire. Un matin à 6 heures, la police est
190 Les zones Seveso sont des zones dans lesquelles se trouvent des industries à haut risques, évalués selon les critères de la Directive du Conseil Européen 82/501/CEE concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, J.O. No° L 230 du 05 août 1982 – dite directive Seveso. Ces industries à hauts risques incluent les usines chimiques, les raffineries, les sites de stockage de produits toxiques ou de gaz liquides, inflammables, explosifs ou susceptibles de libérer des émanation toxiques.
191 Association Sociale Nationale Internationale Tsigane, cette association est liée au mouvement évan­gélique tsigane Vie et Lumière.
192 Entretien de l’ ERRC avec Mme. Karine Moreau le 04 mai 2004 à Marseille. 115 Un mode de vie menacé
venue et nous a dit qu’on devait partir dans l’heure, en dépit de l’autorisation du propriétaire. On est alors allés à Palmosa – c’est l’aire d’accueil officielle, mais elle est fermée pour des réparations qui n’ont toujours pas été faites. On a contacté la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Des représentants sont venus. Ils ont fait en sorte qu’on puisse rester là un mois. Ensuite, on est venus ici. Dans quelques jours on va aller à Paris. On aura encore les mêmes problèmes. On ne peut pas aller dans les campings. Ils ne veulent pas de nous. »193
Afin d’illustrer les difficultés partout rencontrées par les tsiganes et voyageurs lorsqu’ils cherchent à s’arrêter, M. Robert Zigler, Président de Goutte d’Eau, a dit à l’ERRC : « Quand je me suis garé dans une décharge publique, la police est venue et m’a mis une amende pour stationnement illégal… On accepte les ordures, mais moi, on ne m’accepte pas… »194
D’après Goutte d’Eau, il y aurait environ 500 à 600 caravanes (soit entre 2 500 et 3 000 personnes) voyageant autour de Toulouse en quête d’un lieu où s’installer.195 Le schéma départemental s’appuie sur une estimation inférieure, évaluant le nombre d’emplacements nécessaires à 260. Au moment d’une visite de l’ERRC à Toulouse en mars 2004, il y avait une sévère pénurie d’emplacements disponibles, avec seule­ment 60 emplacements prévus pour les courts séjours.196 Le seul autre endroit dans la ville où pouvaient stationner les caravanes sans en être immédiatement expulsées était un terrain vague se trouvant être l’ancien site de l’usine AZF. C’est dans cette usine que se produisit une explosion de nitrate d’ammonium le 21 septembre 2001, tuant 30 personnes, en blessant 2 500 et détruisant les bâtiments avoisinant dans un rayon de 700 mètres. Le lieu demeure pollué et présente un risqué sanitaire très sérieux. En rou­lant sur l’une des autoroutes entourant la zone désaffectée, on peut voir des centaines de caravanes garées entre les piles d’ordures et surplombées par les cheminées de ce qui reste des usines à haut risque. Quand l’ERRC a visité les lieux le 9 mars 2004, de nombreux enfants avaient des rhumes et étaient couverts de boutons rouges lesquels, semble-t-il, n’étaient apparus que depuis qu’ils étaient sur ce terrain.
193 Entretien de l’ERRC avec M. V.C., le 05 mai 2004 à Marseille.
194 Entretien de l’ERRC avec M. Robert Zigler, le 06 mars Toulouse.
195 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Lievy, le 05 mars 2004 à Toulouse.
196 Entretien de l’ERRC avec M. Frédéric Lievy, le 05 mars 2004 Toulouse. 116 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Le lendemain, le 10 mars 2004, lorsque l’ERRC visita un parking sur lequel une vingtaine de caravanes étaient garées juste sous un pont à 40 mètres d’AZF, il fut suivi par quatre motos de police. Les policiers déambulèrent dans les lieux, sans dire un mot aux résidents, notant simplement les plaques d’immatriculation de tous les véhicules qui stationnaient là. Les résidents ont expliqué à l’ERRC que ceci signifiait qu’ils allai­ent bientôt être expulsés. L’ERRC a demandé à un agent de police pourquoi ils notaient les plaques d’immatriculation. L’agent répondit qu’il n’en savait rien, que c’était les ordres. Il ajouta alors que les caravanes étaient garées sur une propriété privée.
Les actions préventives : l’aménagement urbain anti-caravanes
Nombre de communes évitent d’avoir à expulser les voyageurs et les tsiganes : elles commencent par les empêcher de stationner. A travers tout le pays, des com­munes, ont ainsi développé une nouvelle forme de mobilier urbain, conçu pour em­pêcher les caravanes d’entrer dans les lieux où elles s’arrêtaient auparavant ou encore pour bloquer des lieux propices tels que les terrains vagues ou terrains industriels vacants. Les communes bloquent ou entourent ces lieux avec divers obstacles tels que des blocs de pierre ou de béton, des remblais de boue, des tranchées, des grilles de métal. Parfois les communes font entièrement défoncer des terrains. L’ERRC a constaté la présence de ces obstacles dans tous les lieux du pays qu’elle a visité.
La zone entourant EuroDisney est particulièrement barricadée. Il y a quelques champs en jachère dans le voisinage. Tous ont été entourés de rangées de rochers et de tranchées sur toute leur longueur. A l’image des douves et murs d’enceinte utilisés dans le passé pour tenir les ennemis à distance, ces obstacles sont conçus pour main­tenir à distance « l’invasion » des caravanes. EuroDisney est en Seine-et-Marne, un département dans lequel les tsiganes ont traditionnellement résidé durant de plus ou moins longues périodes.197
Dans l’Essonne, d’après M. François Lacroix, directeur de l’organisation non gou­vernementale Association départementale gens du voyage de l’Essonne198 (ADGV), de gros hérissons et coccinelles de béton servent parfois d’obstacles anti-caravanes.199
197 Le Schéma départemental de Seine-et-Marne estime à 988 le nombre d’espaces nécessaires.
198 Association Départementale Gens du Voyage de l’Essonne.
199 Entretien de l’ERRC avec M. Francois Lacroix, le 06 février 2004 à Evry.117 Un mode de vie menacé
Dans un documentaire diffusé sur la chaîne de télévision Canal Plus dans le cadre du programme « 90 minutes », les réalisateurs ont filmé, à Mandelieu-la-Napoule, des lieux transformés par des remblais de terre, des blocs de béton et des tranchées de manière à empêcher l’entrée des voyageurs. L’une des images montrait un terrain vague dans une zone industrielle où des voyageurs s’étaient auparavant arrêtés. Une tranchée creusée par un bulldozer courait sur toute la longueur du terrain, en blo­quant l’accès depuis la rue, une caméra de surveillance filmant le site.200
Les communes dépensent des ressources considérables à l’élaboration et à la con­struction de ces obstacles. Par exemple, dans une lettre aux administrés de la commune de Berre-l’Etang intitulée « Le stationnement des gens du voyage : une honte et un scan­dale pour la République », datée de février 2004, le maire informe ses administrés que :
…afin d’éviter des désagréments supplémentaires et inacceptables à l’ensemble de notre population, j’ai fait procéder à chaque fois, dés le départ de ces personnes, à la mise en sécurité des accès des terrains communaux, notamment sur la zone de Flory, mais aussi de la gare SNCF et de l’ancienne base aéronavale. Le coût de ces travaux de protection se chiffre à plus de 40 000 euros pour la commune! Il s’agit de la mise en place de rochers, de tas de terre, de pose de gabarit de hauteur , voire de labourage des terrains.201
Les terrains de camping interdits aux tsiganes
Les tsiganes et les voyageurs se voient également refuser l’entrée de la majorité des terrains de camping de France, dont le nombre s’élève à environ 11 000.202 La plupart des sites ne disent plus ouvertement qu’ils sont interdits aux tsiganes. Au lieu de cela, ils expliquent qu’ils refusent les caravanes à double essieu. Celles-ci sont les plus grandes caravanes, généralement utilisées par les tsiganes et les voyageurs. Cette règle est claire­ment indiquée dans les règlements de la plupart des terrains de camping du pays.
200 Pascal Catuogno, Jérôme Pin, et Steve Bauman. « Gens du voyage : la répression et l’absurde ». Canal Plus, diffusé le 10 mai 2004.
201 Andreoni, Serge. « Le stationnement des gens du voyage : une honte et un scandale pour la Répub­lique », La Lettre de l’hôtel de ville, February 2004 in Dossier Presse, Association Rencontres Tsi­ganes, le 16 mars 2004.
202 D’après le site de la Fédération française de camping et de caravaning, il y avait en France 10 916 terrains de camping en 2002. 118 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
L’ERRC a rencontré de nombreux tsiganes auxquels a été refusé l’entrée des ter­rains de camping. M. Bosson, un voyageur, rencontré par l’ERRC sur l’aire d’accueil officielle de Meaux (Seine-et-Marne) a raconté : « Ils ne nous acceptent pas sur les ter­rains de camping. Ils disent qu’ils ne veulent pas de caravanes à double essieu. Mais ces règles sont faites pour tenir les tsiganes à l’écart. Lorsqu’il s’agit de quelqu’un d’autre, même une caravane à double essieu est acceptée. Au terrain de camping de Trilport, ils m’ont dit « on ne veut pas de gitans », ça dérangerait les autres campeurs. »203 Un autre groupe rencontré par l’ERRC à Pomponne a expliqué qu’en 2003 ils avaient pris un mois de vacances, et que pas un seul terrain de camping ne les avait accepté. C’était alors aux environs de Bordeaux. A la fin de la saison touristique, le groupe réussit à entrer dans un terrain de camping près de Rouen grâce à un de leurs proches qui connaissait le pro­priétaire. Le groupe a fait observer qu’ils avaient voyagé dans quasiment toute la France et que presque partout ils s’étaient vu refuser l’entrée des terrains de camping.204
L’ERRC s’est renseigné afin de réserver une place de camping, pour une cara­vane à double essieu, au camping de Pertuis, dans le département du Vaucluse. Voici la conversation qu’a eue l’ERRC avec la réceptionniste :
ERRC : « Louez-vous des emplacements pour tous les types de caravanes ? »
Réceptionniste : « Non, pas pour celles à double essieu ou qui sont très grosses. »
ERRC : « Donc, si je loue une caravane à double essieu, je ne peux pas venir ici ? »
Réceptionniste : « Non. » Elle a expliqué le règlement en nous montrant un docu­ment contenant la réglementation officielle et elle a indiqué la partie où il est écrit qu’il est interdit de louer des emplacements à des caravanes à double essieu. Elle a ensuite continué, en ayant l’air mal à l’aise : « C’est assez délicat à expliquer. Peut être que pour vous, oui, ce sera possible. »
ERRC : « Pourquoi ? »
Réceptionniste : « C’est délicat à expliquer – normalement, ce sont les gens du voyage qui utilisent ces caravanes. Si vous louez ce type de caravane, vous ne pourrez entrer dans aucun camping… vous aurez même des problèmes si vous vous garez au bord de la route. »
203 Entretien de l’ERRC avec M. Bosson, le 10 février 2004 à Meaux.
204 Entretien de l’ERRC avec L.W., le 13 avril 2004 à Pomponne. 119 Un mode de vie menacé
ERRC : « Pourquoi ne voulez-vous pas des gens du voyage ? »
Réceptionniste : Ils sont nombreux dans une seule caravane ; ils sont très bruyants. Les autres familles n’en voudraient pas ici. C’est vrai, c’est très délicat. Certains pourraient dire que c’est du délit de faciès… et je dis ça, avec ma tête…205 J’en ai parlé avec mon responsable ce matin. Mais nous n’avons pas le choix. Si on les prend, les autres n’en voudront pas. C’est du racisme. J’ai entendu dire qu’ils sont allés devant les tribunaux pour ça… Je pense que c’est une bonne chose. Si les procès sont gagnés, nous pourrons les accueillir. Je pense qu’on devra réserver un espace exprès pour eux dans le camping. »
ERRC : « Et si je loue une caravane à double essieu, je ne pourrai pas réserver un espace de camping ici ? »
Réceptionniste : « Mais il y a toujours des exceptions aux règles, vous savez ça… peut-être suis-je naïve de discuter avec vous. Vous pourriez être la femme d’un de ces gens du voyage. »
ERRC : « Ca vous met mal à l’aise ? »
Réceptionniste : « Oui, bien sûr. C’est moi qui dois dire « non » et avec ma tête… Normalement j’aurais simplement dû dire « non, Madame, c’est le règlement » sans autre forme d’explication. »206
5.2 L’incapacité des tribunaux français à soutenir les droits des voyageurs et tsiganes
La vulnérabilité des tsiganes et des voyageurs face aux expulsions illégales est exacerbée par l’incapacité répétée des tribunaux à assurer leur défense et la protec­tion de leurs droits fondamentaux.
Aucune étude détaillée n’a été réalisée sur ce sujet. Mais les données empiriques rassemblées par l’ERRC dans le cadre de ce rapport pays indiquent que les tribunaux français prennent des décisions contradictoires dans les affaires concernant des com­munes procédant à des expulsions forcées. Dans les cas où les communes ne sont pas en conformité avec la loi Besson, de nombreux tribunaux ont soutenu le droit des tsiganes et voyageurs à s’arrêter dans des zones non autorisées. Toutefois, d’autres
205 Elle faisait alors référence à ses traits nord-africains.
206 Visite de l’ERRC d’un campement, 6 Mai 2004, Pertuis.120 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
tribunaux statuent en faveur de communes qui expulsent au mépris de la loi Besson et des droits humains fondamentaux des tsiganes et des voyageurs.
Les décisions contradictoires du Tribunal de grande instance de Marseille et du Tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence sont significatives dans deux cas. Elles concernent des groupes de familles expulsées de Marseille et Vitrolles où elles stationnaient avec leurs caravanes. Or ces deux villes ne satisfont pas à leurs obliga­tions au regard de la loi Besson. Dans le cas du tribunal d’Aix-en-Provence, l’expul­sion s’est aussi déroulée de manière abusive.207
Le Tribunal de grande instance de Marseille a tranché en faveur des voyageurs en estimant que « l’occupation illicite est issue de l’incapacité de la ville à se conformer à la loi relative au stationnement des gens du voyage, ainsi qu’à son incapacité à en gérer les conséquences. »208
Le Tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, quant à lui, a tranché en faveur de la ville de Vitrolles. Etant donné que presque toutes les communes des Bouches-du-Rhône ont failli à leurs obligations en matière de création d’aires d’accueil, le tribunal estime que le fardeau de l’accueil des voyageurs ne doit pas reposer uniquement sur les épaules de la ville de Vitrolles. Le tribunal a déclaré : « Si cette carence fait obstacle au droit des Gens du voyage d’aller et venir et de séjourner dans des conditions normales, elle ne saurait conduire à faire supporter à la seule commune de Vitrolles une atteinte durable à son droit de propriété par un stationnement prolongé. »209 Ce raisonnement ne prend pas en compte le fait que les tsiganes et les voyageurs tentent de stationner dans tout le département, et pas uniquement à Vitrolles. Cette décision de justice implique en effet qu’étant donné que la majorité des communes a failli à ses obligations en mat­ière de loi Besson, aucune d’entre elles ne doit être obligée d’accueillir des voyageurs sur son territoire. Le tribunal a également condamné les voyageurs aux dépens.
207 A environ 6h00 du matin le 12 février 2004, la police a envahi le site près de Vitrolles où les familles étaient arrêtées, réveillant les voyageurs en frappant leurs caravanes avec des matraques. Tous les ré­sidents – hommes, femmes et enfants – ont dû quitter leurs caravanes et sortir dans la matinée froide et brumeuse sans avoir eu le droit de s’habiller. La police a insulté verbalement quelques residents pendant l’expulsion et a endommagé leurs biens.
208 Décision du Tribunal de Grande Instance de Marseille du 24 juin 2002.
209 Décision du Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence du 13 avril 2004. 121 Un mode de vie menacé
Des décisions de justice telles que celle citée plus haut par le Tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence posent la question de la valeur accordée par les tribunaux aux droits et à la dignité fondamentaux des voyageurs et des tsiganes. L’incapacité des tribunaux à soutenir leurs droits quand les communes agissent de manière illégale perpé­tue le cycle de ces expulsions illicites. Des décisions de justice comme celle du Tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence découragent les tsiganes et les voyageurs de se pourvoir en justice. En effet, ces derniers ne sont pas du tout certains qu’une procédure judiciaire coûteuse en temps et en argent se termine en leur faveur, même lorsque les communes et la police semblent clairement avoir agi au mépris des lois. De fait, les com­munes et la police ont bien conscience qu’il y a peu de risques que les voyageurs ou les tsiganes se pourvoient en justice. Ils ont aussi tout à fait conscience que les tribunaux sont susceptibles de rendre un jugement en leur faveur, quand bien même eux-mêmes auraient agi de manière illégale ou abusive. Aussi, les tsiganes et voyageurs continuent-ils d’être victimes d’expulsions successives. Ils sont obligés de partir, même quand ils sont con­vaincus que les communes et la police ont agi illégalement.
De plus, la procédure de « l’ordonnance sur requête » utilisée en cas d’expulsion porte fréquemment atteinte aux droits des voyageurs et tsiganes à une audience équi­table, y compris à une procédure contradictoire.210 La procédure d’ordonnance sur requête est une procédure non contradictoire dans le cadre de laquelle un juge peut rendre des jugements sans entendre la partie adverse et ordonner toutes les mesures urgentes nécessaires.211 Lorsque cette procédure est utilisée en vue d’une expulsion, les voyageurs et les tsiganes n’ont pas l’opportunité d’être entendus par le tribunal.
210 L’Article 6(1) de la CEDH prévoit que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Ce droit inclus le droit d’avoir un procès contradictoire. Dans le cas des expulsions de tsiganes et de voyageurs par les autorités publiques, bien que les actions des autorités soient ici en jeu, il s’agit clairement des droits civiques, dans la mesure ou les actions des autorités publiques ont un impact sur un éventail de droits civils fondamentaux de nature tant personnelle qu’économique. Un arrêté d’expulsion fondé sur une procédure non contradictoire constitue donc une violation du droit des tsiganes et des voyageurs à un procès équitable.
211 Le Tribunal de Grande Instance d’ Aix-en-Provence a déclaré que : « Aux termes des articles 493 et 812 du Nouveau Code de Procédure Civile, l’ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans le cas ou le requérant est fondé à ne pas appeler en justice de partie ad­verse… » Décision du Tribunal de Grande Instance d’ Aix-en-Provence du 13 avril 2004. 122 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Ils ne sont pas informés de la décision et ignorent donc l’expulsion à venir… jusqu’à ce que la police fasse irruption !212
Dans le cas des affaires jugées à Marseille et Aix-en-Provence, la question de savoir si une ordonnance sur requête se justifiait ou non a été soulevée. Dans les deux cas, les arrêtés d’expulsion étaient fondés sur une ordonnance sur requête dans laquelle les premiers concernés ne sont pas nommés et n’ont aucune occasion d’être entendus. Le Tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a estimé que l’ordonnance sur requête était justifiée par l’urgence de la situation. Il a déclaré que:
212 Un certain nombre de dispositions du droit international requièrent que les gouvernements assurent la protection procédurale des victimes d’expulsions forcées et qu’elle assure l’accès aux recours légaux et compensations ainsi qu’une compensation et/ou un logement alternative pour ceux ayant été les victimes de ces expulsions forcées.
L’Observation Générale n°7 du CDESC précise la base des garanties procédurales minimum en cas d’expulsions forcées que l’Etat doit respecter, y compris : « (b) [un] délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes concernées ; c) informations sur l’expulsion envisagée et, le cas échéant, sur la ré-affectation du terrain ou du logement, fournies dans un délai raisonnable à toutes les personnes concernées ; [...] (g) accès aux recours prévus par la loi ; (h) octroi d’une aide judiciaire ». Le paragraphe 16 indique q’ « il ne faudrait pas que, suite à une expulsion, une personne se retrouve sans toit ou puisse être victime d’une violation d’autres droits de l’homme. Lorsqu’une personne ne peut subvenir à ses besoins, l’État partie doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement, de réinstallation ou d’accès à une terre productive, selon le cas, lui soient offertes. » (paragraphe 17) (CDESC. « Observation générale n° 7, Seizième Session, 1997, « Le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1 du Pacte) : expulsions forcées : 20/05/97 »)
Dans l’Observation Générale n°4, le CDESC, « Le Comité estime qu’un grand nombre d’éléments constitutifs du droit à un logement suffisant doivent pouvoir pour le moins faire l’objet de recours internes. Selon le système juridique, il peut s’agir notamment – sans y être limité – des recours suiv­ants : a) recours formés devant les tribunaux pour leur demander d’interdire par voie d’ordonnance des mesures d’éviction ou de démolition ; b) procédures juridiques pour demandes d’indemnisation à la suite d’éviction illégale ; c) plaintes contre des mesures illégales prises par des propriétaires (l’État ou des particuliers) ou avec leur appui, s’agissant du montant du loyer, de l’entretien du logement ou de discrimination raciale ou autre ; d) allégations relatives à toute forme de discrimination dans l’attribution des logements et l’accès au logement ; et e) plaintes déposées contre des propriétaires concernant l’insalubrité ou l’insuffisance du logement. Dans certains systèmes juridiques, il peut également être utile d’envisager la possibilité de faciliter des actions collectives lorsque le problème est dû à l’augmentation sensible du nombre des sans-abri. » CDESC. 4 (1991), Le droit à un logement suffisant (Art 11(1) du Pacte), disponible à l’adresse suivante : http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/(symbol)/CESCR+General+comment+4.En?OpenDocument.)123 Un mode de vie menacé
ficultés matérielles d’identification de chacun d’entre eux, de solliciter sans assignation préalable leur expulsion. »« cette occupation d’une propriété privée constitue au regard de l’article 809 du Nouveau code de procédure civile un trouble manifestement illicite permettant à la commune d’invoquer l’urgence et, compte tenu de nombre d’occupants et des dif­­213
Le Tribunal de grande instance de Marseille, pour sa part, a estimé que l’arrêté d’expulsion en question enfreignait les principes constitutionnels fondamentaux de séparation des pouvoirs ainsi que la nature contradictoire du cadre procédural français. De plus, le tribunal a estimé que la situation d’urgence ne justifie pas une procédure d’ordonnance sur requête, étant donné que pour de tels cas il existe une procédure en référé applicable d’heure en heure (procédure contradictoire par na­ture). En rendant son jugement, le Tribunal de grande instance de Marseille a égale­ment fait remarquer qu’ « une expulsion immédiate avec le concours de la force publique est traumatisante et surtout susceptible de générer des incompréhensions, des rancoeurs, un sentiment de révolte, voire des violences, tous désordres plus grands et plus pernicieux que l’occupation, certes illégitime, de la propriété d’autrui lorsqu’elle est vacante. »214
Une fois de plus, les différences relevées entre ces deux tribunaux sont à l’image de celles que les tribunaux des différents départements français continuent d’adopter. Certains tribunaux reconnaissent qu’une procédure où la famille n’est pas convoquée et n’a aucune chance d’être entendue avant expulsion enfreint les droits fondamen­taux à un procès équitable. Mais d’autres tribunaux jugent cette procédure justifiée dans le cas de voyageurs stationnant sur un terrain sans autorisation.
Les pratiques de certains huissiers bafouent également le droit des voyageurs et des tsiganes a un procès équitable, en ne leur délivrant pas les assignations à comparaître. Les organisations non gouvernementales Rencontres et la Ligue des droits de l’Homme des Bouches-du-Rhône ont alerté l’ERRC. En deux ans (2002 et 2003), ces organisations esti­ment avoir réuni des informations sur au moins vingt-cinq affaires où les huissiers n‘ont pas informé les tsiganes et les voyageurs de leur assignation à comparaître. Evidemment, lorsqu’ils ne reçoivent pas d’assignation à comparaître, les voyageurs et les tsiganes ne se
213 Décision du Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence, le 13 avril 2004.
214 Décision du Tribunal de Grande Instance de Marseille, 24 juin 2004. 124 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
présentent pas au tribunal. Les juges pensent alors qu’ils ont été informés de l’assignation mais ne l’ont pas respectée. Le Président du Tribunal de grande instance d’Aix en Provence a informé la Ligue des Droits de l’Homme sur le cas suivant. Dans le cas d’un stationne­ment sur la commune de Marignane, le magistrat a refusé une ordonnance sur requête et procédé à la place à un référé pour pouvoir entendre les voyageurs. Ceux-ci auraient ap­paremment été bel et bien assignés mais ne se seraient pas rendus au tribunal. Toutefois, des représentants de Rencontres et de la Ligue des Droits de l’Homme en contact avec les personnes concernées ne pensent pas qu’elles aient reçu une telle assignation.215 M. Alain Fourest, président de Rencontres, a dit à l’ERRC : « L’huissier dit simplement être venu et n’avoir trouvé personne, ou alors dit qu’il n’a pas trouvé l’endroit où ils étaient stationnés. L’huissier est alors tenu de déposer une note à la mairie : c’est elle qui a ensuite la charge de trouver les personnes et de leur remettre la note. Mais il y a là manifestement un problème de conflit d’intérêt, étant donné que le commune est la partie adverse. »216
5.3 Discriminations et expulsions des tsiganes qui achètent des terrains
La grande majorité des tsiganes et des voyageurs rencontrés par l’ERRC sur des aires d’accueil officielles ou résidant temporairement là où ils ont pu trouver un espace ont exprimé leur désir d’acheter un terrain qui leur appartiendrait et où ils puissant vivre tran­quillement dans leurs caravanes. Nombre d’entre eux ont dit qu’ils voulaient un terrain qui soit à eux, où ils puissent résider pendant certaines périodes et où ils puissent revenir après un voyage sans avoir à s’inquiéter d’une future expulsion forcée. Toutefois, et c’est là une grande source de frustration pour nombre de familles, tsiganes et voyageurs ren­contrent des difficultés considérables dans l’acquisition de terrains. Et lorsqu’ils y parvi­ennent, bien souvent, ils ne sont pas tranquilles pour autant. Ils continuent d’être victimes d’expulsions forcées et d’être harcelés par les autorités ou autres habitants. Fréquem­ment, ils continuent aussi de vivre dans des conditions bien en deçà des normes admises – souvent sans eau courante ni électricité. Les communes ne veulent pas plus de tsiganes propriétaires sur leurs territoires qu’elles ne veulent de tsiganes en transit.
Lorsqu’ils souhaitent devenir propriétaires, les tsiganes et les voyageurs sont vic­times du paradoxe hypocrite créé par l’approche incohérente et raciste de la notion
215 Participation de l’ERRC à une réunion de Recontres, le 07 mai 2004, Marseille. Information fournie lors de la réunion par Ms. Marc Durand et Alain Fourest.
216 Entretien de l’ERRC avec M. Alain Fourest, le 07 mai 2004 à Marseille. 125 Un mode de vie menacé
d’égalité par l’Etat français. Alors que, d’une part, les lois et les politiques rendent le voyage de plus en plus difficile pour les tsiganes, d’autre part, lorsque ceux-ci sou­haitent s’établir dans une municipalité, les réglementations et les actions municipales rendent cela presque impossible.
Les besoins spécifiques des tsiganes en matière de logement sont complètement ignorés par les nombreuses lois et politiques régissant l’utilisation des terrains, la plani­fication urbaine et l’accès aux infrastructures publiques (tout-à-l’égout, eau courante, électricité, etc.). Ces lois sont présentées comme étant les mêmes pour tous. Toutefois, du fait que le mode de vie et les besoins particuliers des tsiganes et des voyageurs ne sont pas pris en compte, ces lois ont en fin de compte un impact négatif sur ces com­munautés.217 Il en résulte qu’il n’y a pas de place pour voyageurs et tsiganes dans les communes. Ce problème est aggravé par le fait que les caravanes ne sont généralement pas considérées comme des formes d’habitat permanent mais plutôt comme des moy­ens de transport. Aussi, même lorsque tsiganes et voyageurs parviennent à acquérir un terrain, ils se trouvent presque toujours en infraction avec la loi française.
Et, une fois encore, leur situation est aggravée par le fait que les tsiganes sont distingués de manière inégalitaire et défavorable. Ainsi, de nombreuses lois et politiques locales interdisent de larges portions du territoire au stationnement des caravanes. C’est vrai même sur des terrains privés, les municipalités établissant des limites draconiennes quant à l’usage que les tsiganes peuvent en faire.
L’effet combiné de ces différents règlements et lois empêche les tsiganes de vi­vre sur un terrain privé dans des conditions décentes. De fait, ceci constitue une vio­lation de leur droit au logement et à la non-ingérence dans leur vie privée, familiale et domestique ; souvent, ceci constitue même une sérieuse infraction de l’article 8 de la CEDH (convention européenne des droits de l’homme).218
217 De telles lois, créant des discriminations à l’égard des tsiganes et des voyageurs, constituent des infractions aux obligations de la France de garantir la non-discrimination et l’égalité prévues par de nombreux traités internationaux.
218 Toute mesure contraire à l’Article 8, pour être légitime, doit être en accord avec la loi et nécessaire dans une société démocratique, ce qui inclut proportionnalité entre les buts recherchés et les moyens employés. Elle doit être prise en vertu de considérations relevant de la sécurité nationale, de sûreté publique ou de sécurité économique du pays, afin de se prémunir de désordres ou d’activités criminelles, pour la protec­tion de la santé et la préservation de la morale, de manière à préserver les droits et libertés d’autrui.126 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
5.3.1 Les obstacles rencontrés dans le cadre de l’achat de biens immobiliers
Lorsque les tsiganes et voyageurs tentent d’acheter un terrain, ils en sont souvent empêchés par l’utilisation que font les communes de leur droit de préemption. D’après la loi française, dans de nombreux cas de ventes immobilières, les communes dis­posent d’une période de deux mois pendant laquelle elles peuvent exercer un « droit de préemption ». Les communes ne peuvent le faire que pour des motifs d’intérêt général (par exemple pour y créer des infrastructures publiques) et dans le cas où préexiste un projet municipal spécifique sur le terrain. Toutefois, en pratique, lorsque les com­munes réalisent que c’est un tsigane ou un voyageur qui veut acheter, elles utilisent de manière systématique leur droit de préemption. C’est souvent illégal, étant donné
Bien que prévues par la loi, ces réglementations, qui ont une portée portant gravement atteinte aux vies privées et familiales des tsiganes et des voyageurs, ne peuvent être considérées comme néces­saire à la défense d’intérêts généraux légitimes.
En particulier, l’effet combiné des nombreuses lois et réglementations affectant tsiganes et voyageurs lorsqu’ils voyagent et lorsqu’ils tentent de s’installer sur un terrain privé porte gravement atteinte à la vie domestique, privée et familiale des tsiganes et voyageurs, de même que leur capacité à maintenir leur mode de vie itinérant. Bien plus, les tribunaux ont déclare que la caravane tsigane traditionnelle fait partie intégrante de leur identité ethnique, « reflétant la longue tradition de mode de vie nomade de cette ethnie. » Affaire Chapman contre le Royaume Uni, Décision rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 18 janvier 2001, requête n°27238/95, para. 73, Il est également reconnu que ceci requiert des considéra­tions spécifiques en matière de planification. Affaire Buckley contre le Royaume Uni, Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 26 août 1996, requête n°23/1995/529/615, paragraphe 71.
Bien que la situation des tsiganes et des voyageurs en France diffère, par de nombreux aspects de la situation de ces derniers au Royaume Uni, le raisonnement présenté dans la décision dissidente du juge Pettiti dans l’affaire Buckley contre le Royaume Uni pourrait tout à fait s’appliquer à la situation française. Il affirma que :
« ... la superposition et l’accumulation délibérées de règles administratives (qui pourraient être acceptables chacune prise isolément) abouti, premièrement, à ce qu’il est totalement impossible pour une famille de tsiganes de procéder aux aménagements nécessaires à son logement, à sa vie sociale et à l’intégration scolaire de leurs enfants, et, deuxièmement, du fait que diverses administrations combinent des mesures relatives à la planification urbaine, la protection de la nature, la viabilité et l’accessibilité des voies, les conditions requises pour l’obtention de permis de construire, la sécurité des routes et la santé public, dans le cas présent, font que la famille Buckley est prisonnière d’un cercle vicieux. »
Affaire Buckley contre le Royaume Uni, Décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 26 août 1996, requête n°23/1995/529/615.127 Un mode de vie menacé
des considérations racistes. Si les familles tsiganes ou de voyageurs souhaitent porter l’affaire devant les tribunaux, elles ont alors des chances de gagner. Toutefois, par manque de moyens ou de volonté, la plupart ne le font pas systématiquement. que la préemption n’est pas fondée sur un projet spécifique d’utilité publique mais sur
L’ERRC a rencontré des douzaines d’individus dans cette situation – tentant d’acheter un terrain mais étant à chaque fois confrontés au droit de préemption des maires. D’autres encore ont dit à l’ERRC qu’ils ne tentent même plus d’acquérir un terrain car ils savent que le bien immobilier qu’ils convoitent fera systématiquement l’objet d’un droit de préemption. Nombre d’entre eux, par conséquent, acquièrent leurs terrains via d’autres méthodes : la donation, par exemple, ne donne pas aux maires l’opportunité d’exercer un tel droit de préemption.
A la différence d’autres citoyens, il est quasiment impossible pour les tsiganes et les voyageurs d’obtenir des prêts leur permettant d’acheter un bien immobilier. Pour obtenir un prêt, il est généralement nécessaire d’avoir une adresse fixe et un emploi salarié à durée indéterminée. La vaste majorité des voyageurs et des tsiganes qui cherchent à ac­quérir des biens immobiliers ne satisfont pas à ces conditions. Par conséquent, ils doivent trouver des moyens leur permettant de payer le montant total de la transaction.
5.3.2 Les expulsions par la force de terrains possédés par des voyageurs ou des tsiganes
Ces tsiganes qui parviennent à devenir propriétaires d’un terrain continuent sou­vent d’avoir à faire face à des menaces d’expulsion par la force. Mais cette fois, ils sont expulsés de leur propriété privée !
Ces problèmes découlent du fait que, de manière quasi-systématique, les tsiga­nes se trouvent encore en infraction. Un nombre important de lois et règlements de l’appareil juridique français limite drastiquement les terrains sur lesquels des caravanes peuvent légalement stationner. Ces limites s’appliquent même aux ter­rains privés… De plus, les lois et règlements imposent des règles restrictives au peu de possibilités de stationnement existantes. Ainsi, il existe un grand nombre d’interdictions générales empêchant l’arrêt des caravanes dans des endroits donnés, tels que les endroits proches de lieux historiques, de zones boisées protégées ou de monuments. De plus, des restrictions et conditions supplémentaires sont établies par 128 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
les réglementations locales relatives à la planification urbaine. Les réglementations relatives au zonage, par exemple, ou les décrets municipaux réglementant de manière spécifique la présence de caravanes sont d’autres exemples de restrictions.219 Enfin, les communes peuvent faire usage de leurs pouvoirs de police relatifs à l’ordre et à la santé publique pour expulser par la force les personnes vivant dans des caravanes.220
En droit français, les infractions aux réglementations relatives à l’urbanisme peuvent faire l’objet d’une amende jusqu’à 300 000€ assortie, en cas de récidive, d’une peine de prison jusqu’à six mois.221 Ainsi, dans de nombreuses communes, les tsiganes et les voyageurs qui pensent pouvoir enfin résider dignement sur leur propre terrain se trouvent en fait visés par des procédures pénales les exposant à des amendes qu’ils ne peuvent payer. Cela va parfois jusqu’à la perte de leur propre ter­rain et leur expulsion. Durant ses recherches, l’ERRC a rencontré des douzaines de familles menacées d’être expulsées de leurs domiciles. Il ne s’agit très certainement là que d’une infime minorité des familles se trouvant dans cette situation, vu que les associations font état de cas similaires dans tout le pays.
219 L’Article 443-4 du Code de l’urbanisme prévoit que, dans le cas où des caravanes sont utilisées en tant qu’habitat permanent par les utilisateurs, une autorisation est requise afin de pouvoir station­ner de manière continue pendant plus de trios mois. Le non respect de cette procédure constitue une violation du code de l’Urbanisme et peut faire l’objet de poursuites pénales. Les autorisations requises ne sont pas délivrées dans le cas où les caravanes se trouveraient sur des terrains sur lesquels le stationnement des caravanes est interdit, où se trouvent en infraction des conditions du dit stationnement. L’Article 443-9 du Code de l’urbanisme dresse une liste des zones dans lesquelles les caravanes ne peuvent stationner. Ceci inclus : les bords de mer ; la proximité des monuments historiques ; les sites dédiées à la protection patrimoine architectural ou urbain, les zones situées dans un rayon de 200 m autour des points d’eau captée pour la consommation ; les bois, forêts, parcs ou espaces boisés classés ou protégés. D’après les articles R443-3 et R 443-10 du code de l’urbanisme, les autorisations requises peuvent également être refusées dans des zones dans lesquelles le stationnement des caravanes pourraient déranger : la santé publique, la paix ou la sécurité ; les paysages naturels ou urbains ; la préservation de l’allure des monuments ; l’exercice d’activités agricoles ou forestières ; la protection des espaces naturels, de leur flore et de leur faune. En plus de ces articles, les communes peuvent prendre des arrêtés municipaux relatifs aux conditions de stationnement des caravanes dans leurs communes.
220 Voir Article L.2213-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Ces pouvoirs sont rela­tifs aux terrains publics comme privés. La non observance des décrets de Police peut donner lieu à des amendes et, en vertu de l’Article 58 de la Loi pour la Sécurité Intérieure, à des expulsions forcées.
221 Article L480-4, du Code de l’Urbanisme.129 Un mode de vie menacé
Le cas de Mme. C.L. est significatif. Elle possède une parcelle de terrain d’environ 300m2 dans un quartier résidentiel, avenue des Acacias, à Montfermeil (Seine-Saint-Denis, près de Paris). Mme C.L. vit sur son terrain avec sa mère handi­capée et sa famille. Deux de ses soeurs lui rendent régulièrement visite. Chacune des femmes vit dans sa propre caravane avec sa famille. Les enfants vont à l’école locale. Lorsqu’elle a acheté son terrain, Mme C.L. ne pensait pas avoir de problèmes avec la commune, étant donné qu’elle était propriétaire d’un terrain en zone résidentielle. Elle pensait donc pouvoir vivre là avec sa famille.
Toutefois, depuis la fin des années 1970, la ville a pris un « Arrêté portant régle­mentation du stationnement de caravanes habitées sur terrains privées. »222 Cet arrêté stipule : qu’il ne peut y avoir de caravane stationnée pendant plus de trois mois sur le même terrain ; qu’une seule caravane peut être stationnée par fraction de terrain de 250m2 ; qu’il ne peut y avoir plus de cinq caravanes stationnées sur un terrain quel qu’il soit ; que tout propriétaire accueillant une ou plusieurs caravanes sur son terrain doit en faire la déclaration préalable auprès des autorités locales 30 jours avant l’arrivée des caravanes ; que les lieux doivent avoir l’air propres et être bien entretenus et enfin que les résidents ont l’obligation de construire des toilettes suivant certaines normes.
Le 21 décembre 1992, Mme C.L. reçoit une lettre du maire, M. Pierre Bernard. Ce dernier fait état de plaintes reçues par la mairie relativement à l’usage du terrain. La lettre l’accuse alors « d’occupation illégale de terrain en infraction avec les règles urbaines de la commune. » On informe Mme C.L. que, dans la mesure où aucune forme de régularisation ne peut être envisagée, le maire se voit dans l’obligation de demander la remise du terrain à l’état d’origine ainsi que le départ des caravanes servant de domicile qu’elle a autorisée à stationner sur son terrain. La lettre se termine par une menace : si Mme C.L. ne s’exécute pas dans un délais de 48 h, la municipalité saisira les tribunaux compétents.223
Les menaces de la commune ne sont pas restées sans suite. Le 17 octobre 1995, le Tribunal de grande instance de Bobigny a rendu un jugement en faveur de la com­mune. Il a ordonné à C.L. de se conformer aux réglementations municipales sous 60 jours, au-delà desquels elle serait soumise à une astreinte de 1 000 francs par jour (soit environ 152€ par jour). Mais comme C.L. et sa famille n’ont nulle part où aller
222 « Arrêté portant réglementation du stationnement de caravanes habitées sur terrains privées », 04 Octobre 1979.
223 Pierre Bernard « Lettre à Mme. L. », 21 décembre 1992, Montfermeil.130 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
et que ce terrain est chez eux, ils sont restés là. C.L. a reçu notification de la déci­sion le 31 octobre 1995, le délai accordé pour se mettre en conformité expirant au 1er janvier 1996. Le 15 mars 1996, Mme C.L. doit déjà 80 262 francs (soit environ 12 236€). Puis les amendes continuent à s’accumuler. En janvier 2003, la ville fait à nouveau appel aux tribunaux pour demander la saisie du terrain de C.L..224 Occupant toujours le terrain en mars 2005, C.L. attend d’en être expulsée par la force.
Il semble qu’aux yeux du maire actuel de Montfermeil, M. Xavier Lemoine, les voy­ageurs en tant que groupe soient une menace pour l’ordre public. A ses yeux, ils représen­tent une nuisance et sont des délinquants. En mars 2004, via une association luttant contre l’illettrisme des enfants de voyageurs, M. Lemoine a envoyé une lettre aux voyageurs de Montfermeil, les invitant à assister à une réunion le 16 mars 2004 pour débattre des prob­lèmes qu’ils causent. Dans la « lettre d’invitation », et durant la réunion, le maire et les autres conseillers municipaux ont accusé collectivement les voyageurs d’être à l’origine de tout un tas de nuisances et d’infractions aux réglementations de la ville. On leur a reproché leur mode de vie entraînant notamment un blocage anarchique de la voie publique (voi­tures garées dans la rue devant leurs propriétés), des nuisances pour le voisinage (bruit, sta­tionnement de caravanes), des infractions sévères et répétées au code de la route (station­nement, non respect des sens uniques, rodéos, excès de vitesse), des infractions urbaines et environnementales (non respect des arrêtés municipaux et des réglementations nationales, non respect du code de l’urbanisme, pollution par stockage de différents matériaux à ciel ouvert et stockage de bric-à-brac), etc. Les édiles ont soulevé la question de la discord­ance manifeste entre la perception de revenus sociaux et le niveau de vie réel, supposé plus élevé, des tsiganes et voyageurs. Ils ont évoqué la scolarisation irrégulière des enfants et des adolescents, ainsi que les phénomènes de gangs de jeunes ayant un comportement délinquant. D’après l’organisation non gouvernementale les Français du Voyage, la réun­ion consistait en fait en un procès public de tous les voyageurs de la ville.225
La situation dans laquelle se trouvent plusieurs familles de la ville d’Ozouër-le-Voulgis (Seine-et-Marne) est également significative. Comme Mme C.L., les familles Welter et Colle sont sous la menace d’une expulsion par la force de la propriété où ils vivent. Ces familles se sont installées dans la ville à la fin des années 90, achet­ant un terrain avec les sommes obtenues en compensation de l’expulsion du lieu où
224 Entretien de l’ERRC avec Mme Céline Larivière, Présidente de l’association Les Français du Voya­ge, 30 janvier 2004, Montfermeil.
225 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mma. Céline Larivière, le 21 Septembre 2004, Paris. 131 Un mode de vie menacé
ils vivaient depuis 29 ans à Bonneuil-sur-Marne. Douze enfants âgés de 9 mois à 14 ans vivent sur ce terrain, lequel n’est pas connecté au réseau électrique local ni rac­cordé à l’eau courante ou au tout-à-l’égout du fait d’un refus de la ville à y procéder. Les enfants qui sont en âge d’être scolarisés vont à l’école locale, à l’exception de deux d’entre eux auxquels fut refusée l’inscription à l’école en automne 2004, sous prétexte qu’il n’y avait plus de places disponibles. Les familles Welter et Colle ont été assignées en justice par la ville d’ Ozouër-le-Voulgis pour non respect des ré­glementations urbaines, du fait qu’elles vivaient dans des caravanes depuis plus de trois mois sur un terrain non prévu pour les constructions urbaines. La Cour d’appel de Paris a rendu un jugement en faveur de la ville, prononçant un arrêt intimant aux familles de quitter le terrain avant le 24 août 2004. Au 16 mars 2005, étant donné que là est leur foyer, les familles n’étaient toujours pas parties. Elles accumulent des amendes de 50€ par jour et par famille (soit 200€ par jour au total), amendes qu’elles savent ne jamais pouvoir payer.226
Solange et Marceau Dipein, âgés de 55 et 62 ans, également habitants dSolange et Marceau Dipein, âgés de 55 et 62 ans, également habitants d tribunaux pour infraction aux réglementations urbaines. En 1994, ils ont acheté un terrain de 600 m2 situé dans une zone non destinée à la construction. Ils ont ensuite construit un petit bungalow pour y vivre, leur caravane restant garée sur le terrain. La ville les a accusés d’infraction aux ré­glementations en matière de zones urbaines et de stationnement de caravanes au-delà de trois mois. Ayant perdu leur procès en automne 2003, le couple a eu jusqu’en avril 2004 pour détruire le bungalow et retirer la caravane du terrain. Mais n’ayant nul autre endroit pour vivre, ils n’ont pas obtempéré et ont commencé à recevoir des amendes de 30€ par jour. Mi-septembre 2004, les amendes totalisaient déjà 10 000€. Le couple a alors décidé de détruire le bungalow et de quitter le terrain. Durant la nuit du 16 septembre 2004, ils ont garé leur caravane devant l’hôtel de ville et y ont passé la nuit. Ils ont alors reçu l’attention des medias. Avec l’aide d’une association non gouvernementale locale, ils ont négocié le lendemain une solution temporaire avec le maire. Celui-ci les a autorisés à rester provisoirement sur leur terrain dans leur caravane. Il a considéré qu’ils s’étaient conformés à la décision du tribunal, mettant ainsi fin aux amendes. Au 16 mars 2005,
226 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Francoise Josse, le 22 septembre 2004 et du 16 mars 2005 à Paris.
Entretien téléphonique de l’ERRC avec le journaliste Sébastien Morelli le 22 septembre 2004 à Paris. Voir aussi, Sébastien Morelli, « Gitans et indésirables aux yeux du maire ». Le Parisien, le 24 mars 2004 ; Sébastien Morelli. « Les nomades propriétaires seront expulsés ». Le Parisien, March 26, 2004.132
« Station d’épuration », « zone de fret », « gens du voyage » : ces panneaux indiquent la route de l’aire de stationnement officielle d’Avignon.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO133 Un mode de vie menacé
ils sont donc toujours sur leur terrain, vivant dans leur caravane, sans savoir combien de temps ils seront autorisés à rester là.227
Dans une autre affaire, à Mérignac (Gironde), près de soixante familles sont menacées d’expulsion « pour leur propre bien ». Il y a environ 15 ans , ces familles avaient toutes acheté du terrain dans cette zone rurale à proximité de l’aéroport de Bordeaux. Elles y vivent depuis cette période. Quelques familles ont construit de petites maisons et d’autres des cabanes. Les enfants sont scolarisés dans l’école voisine de Beutre. Lorsque l’ERRC a visité la zone en mars 2004, il a été note que ces familles n’étaient pas les seuls habitants de cette zone. D’autres maisons avaient été construites sur les terrains avoisinants. La pré­fecture a récemment ouvert le dossier. Elle a remarqué que ces familles courent un risque d’exposition aux nuisances sonores de l’aéroport, d’où la probabilité d’une expulsion…
Lors d’un entretien avec l’ERRC, M. Bernard Garandeau, adjoint au maire de Mérignac et vice-président du Conseil général de Gironde, a informé l’ERRC de la décision du tribunal relative à la destruction de ces maisons. Il a expliqué qu’à certaines périodes de l’année, si un avion loupé l’atterrissage, cela peut causer un grand nombre de morts. M. Garandeau a également souligné que les familles en question ont construit leurs maisons sans permis de construire, dans une zone où cela est formellement in­terdit. Il pense donc que ces familles ne doivent pas rester là où elles sont, « ceci étant dangereux et parfaitement illégal ». Il a fait enfin remarquer qu’il soutiendra une ap­proche visant à proposer aux familles un logement alternatif, respectueux de leur mode de vie et propre à permettre leur intégration. L’ERRC a alors demandé ce qu’il en était des autres non tsiganes établis dans la zone en question. Doivent-ils eux aussi bouger, puisqu’ils sont exposés aux mêmes risques ? M. Garandeau a répondu que ces autres gens sont là : ils ne peuvent donc être expulsés, car ils sont « chez eux ». Il a précisé que dans leur cas, la ville ne les autorise simplement pas à agrandir leurs propriétés.228
227 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Francoise Josse, cousine de Solange Dipein, le 22 septembre 2004 et le 16 mars 2005, à Paris. Entretien téléhponqiue de l’ERRC avec le journaliste Sébastien Mo­relli, le 22 septembre 2004 à Paris. Voir aussi les articles suivants : Sébastien Morelli, « Les nomades propriétaires seront expulsés ». Le Parisien, March 26, 2004 ; Sébastien Morelli, « Une famille de nomades squattent devant la mairie ». Le Parisien, 17 septembre 2004.
228 Entretien de l’ERRC avec M ; Bernard Garandeau, le 03 mars 2004 à Mérignac. En droit français, les communes disposent d’un délai de trois ans pour engager des procédures pénales à l’encontre d’une construction sans permis de construire. Passée cette période, la commune ne peut plus demander la démolition du bâtiment, exceptée en faisant usage de ses pouvoirs de police, et uniquement pour des raisons de sécurité ou de santé publique. 135 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
6. LES TSIGANES ET LES VOYAGEURS N’ONT PAS ACCÈS À UN LOGEMENT DÉCENT
Les tsiganes et les voyageurs subissent de graves violations de leur droit à un lo­gement décent, quelque soit leur mode de vie dans le continuum nomade/sédentaire. Ceci est vrai, qu’ils résident sur des aires d’accueil officielles ou sur des terrains dont ils sont les propriétaires, qu’ils aient un niveau de vie aisé ou qu’ils soient très pauvres et en demande d’aide sociale auprès des autorités françaises.229 Souvent, le fait d’appartenir à une certaine ethnie semble être pour les autorités la seule raison de refuser aux tsiganes un logement décent.
229 L’article 11 (1) du Pacte international des Droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), auquel adhère la France stipule : les États parties « reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suf­fisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. » Cet article conjointement avec l’article 2(2) du PIDESC garantit l’exercice du droit au logement « sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » La France a ratifié le PIDESC le 4 février 1981.
L’observation générale n° 4 concernant le droit à un logement suffisant (article 11(1) du PIDESC), émise par le Comité de l’ONU des droits économiques, sociaux et culturels stipule : « Le droit à un logement suffisant s’applique à tous » et « ...Notamment, la jouissance de ce droit ne doit pas, en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, être soumise à une forme quelconque de discrimination. Par ailleurs, la Commis­sion a déclaré que le droit au logement doit être interprété « comme le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité. » Il n’est pas simplement un droit au logement mais un droit à un logement adéquat. Les critères retenus par la commission pour définir un logement adéquat sont :
a) La sécurité légale de l’occupation. Il existe diverses formes d’occupation : la location (par le secteur public ou privé), la copropriété, le bail, la propriété, l’hébergement d’urgence et l’occupation précaire, qu’il s’agisse de terres ou de locaux. Quel que soit le régime d’occupation, chaque personne a droit à un certain degré de sécurité qui garantit la protec­tion légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres menaces. Les États parties doivent par conséquent prendre immédiatement des mesures en vue d’assurer la sécurité légale de l’occupation aux individus et aux familles qui ne bénéficient pas encore de cette protection, en procédant à de véritables consultations avec les personnes et les groupes concernés ;
b) L’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures. Tous les bénéficiaires du droit à un logement convenable doivent avoir un accès permanent à des ressources naturelles et communes : de l’eau potable, de l’énergie pour cuisiner, le chauffage et l’éclairage, des installations sanitaires et de lavage, des moyens de conservation des denrées alimentaires, un système d’évacuation des déchets, de drainage, et des services d’urgence ;136
L’ERRC a découvert cette aire de stationnement à Surville, près de Lyon, complètement entourée par des hauts murs de béton.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO 137 Les tsiganes et les voyageurs n’ont pas accès à un logement décent
Les aires d’accueils et les campements sont généralement caractérisés par des risques environnementaux sévères : décharges publiques, stations d’épuration, prox­imité d’industries polluantes ou de rivières polluées par des eaux usées. Dans cer­tains lieux, les rats prolifèrent, posant ainsi des problèmes de santé supplémentaires. Ces lieux sont souvent dépourvus d’infrastructures élémentaires comme l’électricité, l’eau potable ou le tout-à-l’égout. Quand ces infrastructures existent, leur qualité ou leur quantité sont insuffisantes. De plus, ces lieux se distinguent par leur isolement, ce qui marginalise physiquement les tsiganes et voyageurs. Dans certains campe­ments, là où ont vécu durant de longues périodes les tsiganes et voyageurs parmi les plus pauvres et les plus marginalisés, les résidents vivent dans des habitats précaires, tels que des caravanes en ruine ou des cabanes faites de matériaux de récupération protégeant très peu contre les intempéries.
Nombre de tsiganes ou de voyageurs qui achètent un terrain dans l’espoir de pouvoir y garer leurs caravanes et ne plus être expulsés se trouvent souvent inten­tionnellement mis à l’écart de l’approvisionnement en eau ou en électricité. De plus, lorsque les tsiganes et les voyageurs veulent avoir accès à des logements publics, ils font fréquemment l’objet de discriminations.
c) La capacité de paiement [...] ;
d) L’habitabilité [...] ;
e) La facilité d’accès [...] ;
f) L’emplacement. Un logement convenable doit se situer en un lieu où existent des possibilités d’emploi, des services de santé, des établissements scolaires, des centres de soins pour enfants et d’autres services sociaux. Cela est notamment vrai dans les grandes villes et les zones rurales où le coût (en temps et en argent) des déplacements pendulaires risque de peser trop lourdement sur les budgets des ménages pauvres. De même, les logements ne doivent pas être construits sur des emplacements pollués ni à proximité immédiate de sources de pollution qui menacent le droit à la santé des occupants ;
g) Le respect du milieu culturel. L’architecture, les matériaux de construction utilisés et les poli­tiques en la matière doivent permettre d’exprimer convenablement l’identité culturelle et la diversité dans le logement. Dans les activités de construction ou de modernisation des loge­ments, il faut veiller à ce que les dimensions culturelles du logement ne soient pas sacrifiées et, si besoin est, à ce que les équipements techniques modernes, entre autres, soient assurés.
Cf. CDESC, Observation générale 4, Le Droit au logement suffisant. (Sixième Session, 1991), dans « Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme », HRI/GEN/1/Rev.5, 26 avril 2001, p. 20, sur le site : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf.

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