mardi 15 février 2011

La Loppsi2 devant le conseil constitutionnel


Professionnels de la sécurité

-         SUR L’ARTICLE 92
Cette disposition vise à conférer à l’ensemble des agents de police judiciaire (APJ) adjoints visés à l’article 21 du code de procédure pénale la faculté de procéder à des contrôles d’identité en application de l’article 78-2 du même code.
Cela concerne donc les agents de police municipaux, qui est le principal objectif poursuivi par la loi, mais aussi les volontaires servant en qualité de militaire dans la gendarmerie, les adjoints de sécurité, les agents de surveillance de Paris, et les gardes champêtres.
En chiffres – qui ne sont hélas pas assez précis faute d’étude d’impact sur ce point – cela signifie qu’aux grosso modo 200 000 officiers de police judiciaire (OPJ) et APJ actuels de la police et de la gendarmerie nationales, viendront s’ajouter environ 50 000 APJ adjoints à même d’effectuer des contrôles d’identité.
Les requérants considèrent que cette envolée du nombre de personnes habilités à procéder à ces contrôles emportera des atteintes excessives à la liberté individuelle. Vous-même avez tenu compte du fait qu’entre 1993 et 2009 le nombre de fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire était passé de 25 000 à 53 000 pour ensuite constater que ces évolutions avaient « contribué à banaliser le recours à la garde à vue » (2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, cons. 17-18). Or, à n’en pas douter, la capacité offerte d’un seul coup à 50 000 nouvelles personnes de procéder à des contrôles d’identité contribuera elle aussi à la banalisation du recours à ces contrôles.
Il est fondamental à cet égard de rappeler que votre haute juridiction a toujours porté une attention particulière à ce que les contrôles d’identité ne soient pas exercés arbitrairement, et hors le contrôle de l’autorité judiciaire.
Ainsi avez-vous jugé que si « la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle », en revanche, « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (93-323 DC du 05 août 1993, cons. 9). Or, comme l’a relevé la Commission nationale de déontologie de la sécurité par un doux euphémisme, « il n’est pas manifeste que tous les policiers aient toujours été pénétrés de ce principe »[1].
Par ailleurs, pour éviter les contrôle arbitraires au faciès, vous aviez jugé que la mise en œuvre des vérifications ainsi confiées par la loi à des autorités de police judiciaire devait « s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères objectifs et en excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature qu'elle soit entre les personnes » (93-325 DC du 13 août 1993, cons. 16). Et pourtant, toujours dans son rapport de 2008, la CNDS rappelait qu’il convenait « en particulier d'éviter les contrôles d'identité sans motif et au faciès »[2].
Eu égard à l’importance du nombre des personnes qui seraient dorénavant habilitées à procéder à ces contrôles, les risques qu’ils deviennent généralisés et discrétionnaires, particulièrement quand ils sont opérés par des personnes qui n’ont pas reçu la formation de la police ou de la gendarmerie nationale, est ainsi manifestement élevé.
Les requérants ne partagent pas l’opinion du Rapporteur de la Commission des Lois du Sénat selon laquelle le fait que les APJ adjoints doivent agir sous la responsabilité d’un OPJ serait de nature à « sécuriser ces contrôles » (rapport n° 517 (2009-2010), p. 156). Au contraire même, notamment parce que les maires ont de droit la qualité d’officier de police judiciaire.
Or ici, le législateur n’a pas pris les mêmes précautions que pour la participation des APJ adjoints aux dépistages d’alcoolémie, et n’a ainsi pas exclu que les maires puissent diligenter des contrôles d’identité sur le territoire de leur commune. On ose imaginer les abus auxquels cela pourrait donner lieu. 
Aussi, parce que l’extension à l’ensemble des APJ adjoints de la possibilité de procéder à des contrôles d’identité n’offre pas de garanties suffisantes contre des atteintes arbitraires à la liberté individuelle, les requérants vous demandent la censure de cette disposition.


[1] Rapport d’activité de la Commission de 2008, dans lequel elle consacre une étude sur la « Déontologie des force de sécurité en présence des mineurs » (p. 54).
[2] Idem.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire