lundi 14 février 2011

Hors d'ici, l'anti tsiganisme en france p 203/ 261


8. VOYAGEURS ET TSIGANES SUBISSENT DES DISCRIMINATIONS CONCERNANT LEUR ACCÈS AUX LIEUX PUBLICS ET AUX SERVICES SOCIAUX
L’ERRC a rassemblé des informations mettant en lumière le fait que tsiganes et voyageurs subissent une discrimination généralisée relative à leur accès aux services publics et d’aide sociale. Un grand nombre de tsiganes et de voyageurs sont exclus des services d’aide sociale ou cantonnés à des services parallèles – des substituts aux obligations de l’Etat français – lesquels renforcent leur ségrégation sociale. Alors qu’un nombre croissant de pourvoyeurs de services publics tels que les compag­nies d’assurance et les organismes d’aide au logement font fi des lois tant françaises qu’internationales en refusant leurs services aux voyageurs et tsiganes, les autorités judiciaires françaises semblent tolérer de tels actes. Ces violations récurrentes des droits économiques et sociaux fondamentaux des tsiganes et voyageurs font également entrave à l’affermissement de leur pleine inclusion au sein de la société française.
8.1 Voyageurs et tsiganes sont victimes de discriminations relatives à leur accès à l’aide sociale
Les tsiganes et voyageurs français sont victimes de traitements discriminatoires dans le secteur de l’aide sociale. De tels traitements sont en contradiction directe avec un grand nombre de principes du droit international défendus par la France, les­quels interdisent toute discrimination dans l’accès à l’aide sociale fondée sur la race, l’origine ethnique ou sociale ou la couleur de peau.407
407 Par exemple, en devenant signataire (ou « partie ») du Pacte international relatif aux droits économi­ques, sociaux et culturels, la France s’engage à reconnaître « le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales » (Article 9) et s’engage à le faire « ... sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » (Article 2(2)). De même, en devenant partie de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la France s’est engagée à « ...garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique… », particulièrement en ce qui concerne une liste de droits comprenant le droit à la sécurité sociale et aux services sociaux. (Article 5 (e) (IV)). Au niveau européen, La Charte Sociale Révisée, dont la France est partie requiert également
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
212
Comme dans d’autres aspects de la vie, ces discriminations découlent du fait que les autorités françaises se refusent à prendre en compte le style de vie spécifique des tsiganes et des voyageurs en développant des politiques d’aide sociale. Le résultat de ce refus est que tsiganes et voyageurs se trouvent traités de manière défavorable en comparaison avec d’autres citoyens français. Des services de base de l’aide sociale leurs sont refuses. Ils sont souvent dans l’impossibilité de recevoir une assistance adéquate de la part des services publics et doivent donc se tourner vers des institu­tions spécifiques et parallèles de manière à pouvoir obtenir cette assistance.
8.1.1 Les discriminations subies dans le cadre de l’aide au logement
De nombreux types d’aides sociales permettent d’aider les citoyens français dans le cadre de la location ou de l’acquisition d’un logement. Il y a par exemple des crédits à taux spéciaux, l’aide personnalisée au logement (APL) et une allocation mensuelle qui augmente significativement les revenus sociaux des personnes (l’Allocation logement ou AL). Les montants varient en fonction de la situation familiale, du revenu et du type de logement. Le but de cette aide est en général d’aider les familles à faible revenu à réduire le coût de leur logement et donc à améliorer leurs conditions de vie.
Ces différentes formes d’aides ne sont toutefois pas accessibles aux personnes vivant dans des caravanes, étant donné que celles-ci ne sont pas considérées comme une forme de logement.
Ceci exclut les nombreux voyageurs et tsiganes qui vivent dans des caravanes, diminuant sensiblement le montant de l’aide sociale dont ils peuvent bénéficier par rapport aux autres citoyens vivant dans des logements plus communs. Leurs dépens­es, par contre, ne sont pas moindres que d’autres, et sont mêmes parfois plus élevées que la moyenne. Du coup, tsiganes et voyageurs peu fortunés ont du mal à couvrir leurs besoins élémentaires.
Une caravane servant de logement principal (caravane à double essieu) coûte en général entre 15 000 et 31 000 euros. La plupart des tsiganes et des voyageurs
que les Etats garantissent le droit à l’assistance sociale (Part I,13), le droit au logement (« Part I, 31),
et le droit de la famille à la protection sociale, légale et économique, y compris la fourniture de logements familiaux (Part II, 16) sans discrimination sur quelque critère que ce soit y compris inter alia la race, l’origine nationale ou sociale, l’association avec une minorité, la naissance ou quelque autre statut.213 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics
achètent leurs caravanes à crédit. Comme ils n’ont en général pas de résidence fixe et ne sont en général pas titulaires d’un CDI, il leur est extrêmement difficile d’obtenir un prêt bancaire. Ils doivent avoir recours à des sociétés de crédit spéciales qui leur accordent des prêts à des taux élevés, de 15 à 20%. Une famille ordinaire doit dé­bourser de 400 à 540 euros par mois pour couvrir les traites du prêt contracté pour l’acquisition de la caravane. A ces frais s’ajoute le prix à payer pour le stationnement sur une aire d’accueil officielle, qui représente environ 137 euros par mois. Ainsi, sans compter les frais de carburant nécessaires pour remorquer la caravane, le coût mensuel du logement d’une famille vivant dans une caravane est de l’ordre de 535 à 680 euros.408 Là où d’autres familles à faibles revenus reçoivent une aide significative pour couvrir leurs frais de logements similaires, voyageurs et tsiganes doivent tout payer de leur poche car ils vivent dans une caravane et non dans une maison ou un appartement « ordinaires ».
Le fait que l’Etat français échoue à faire en sorte que voyageurs et tsiganes vivant dans une caravane obtiennent la même aide au logement que les autres citoyens con­stitue un cas de discrimination violant les engagements internationaux de la France. Il semblerait même que ceci aille à l’encontre des garanties d’égalité de sa Constitution.
Il est vrai qu’en France ces formes d’aides ne sont pas refusées aux tsiganes et voyageurs. Elles ne sont refusées qu’à ceux vivant de manière permanente dans des caravanes. Il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre d’entre eux reçoivent moins d’aide sociale que les autres puisque leur forme d’habitat les exclut des prestations.409
Une aide financière d’un montant important est pourtant destinée au « logement » des voyageurs et des tsiganes. Elle est consacrée à la création et à la gestion des aires d’accueils officielles et à des projets « socio-éducatifs » visant à « l’intégration » des
408 ASNIT. Les Gens du Voyage à l’Age de la Retraite. Mai 2001, p.41. Entretien de l’ERRC avec Mme. Karine Moreau, Directrice de l’ASNIT des Bouches du Rhône, le 04 mai 2002. Voir aussi Martine Chanal et Marc Uhry. « Gens du Voyage : le nécessaire renouvellement de l’intervention publique. » Disponible à l’adresse suivante : http://www.globenet.org/horizon-local/alpil/voyages.html.
409 Exclure voyageurs et tsiganes de certaines formes d’assistance sociale disponible pour les autres en établissant des critères qui servent à les exclure constitue une discrimination indirecte et implique une infraction à un certain nombre de normes européennes et internationales interdisant les discrimina­tions aussi bien directes qu’indirectes. Voir les détails sur l’interdiction des discriminations directes et indirectes au Chapitre II, note 25.214 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
familles qui s’arrêtent sur ces aires d’accueil. Mais elle ne va pas aux familles qui ont besoin d’une aide pour faire face à leurs dépenses relatives au logement. Elle va à des entités publiques ou privées qui s’occupent de la création et de la gestion des aires d’accueil. Ceci a longtemps été l’approche des autorités françaises en matière d’aide sociale relative au logement des tsiganes et voyageurs.
Dans une réponse à une question demandant s’il était possible que des voyageurs obtiennent une aide au logement,410 M. Tahar Belmounes, Directeur de l’action sociale de la Caisse nationale d’Allocations familiales (CNAF),411 a confirmé que l’aide aux logements, et particulièrement l’allocation logement, ne concernait pas les familles vivant dans des caravanes.412 Dans la même lettre, il a confirmé que la CNAF pouvait fournir une aide à la création d’aires d’accueils officielles et y a joint une circulaire, en date du 3 août 1981, adressée par le Président de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales de l’époque, Mr Pierre Boisard, à tous les présidents locaux de Caisses d’Allocations Familiales, qui affirmait :
Considérant que les familles nomades sont souvent exclues des formes traditionnelles de l’intervention de l’Action Sociale des Caisses (loge­ment – vacances – équipements sociaux...), la Commission a estimé que le financement des aires de stationnement constituait le moyen de leur apporter une aide spécifique.413
L’ASNIT a commenté cette approche :
Ainsi, les Gens du Voyage ne perçoivent pas directement les aides au titre du logement. Il serait fort intéressant de savoir pourquoi la CNAF a opté pour ce système. Cela signifie-t-il que les Gens du Voyage ne se­raient pas capables de gérer cet argent? Ou la CNAF se donne-t-elle des missions de contrôle du stationnement en incitant les Gens du Voyage à
410 La demande fut envoyée le 5 juin 2000 par M. Christian d’Hont, Directeur National de l’Association sociale nationale internationale évangélique tsigane (ASNIT).
411 Caisse Nationale des Allocations Familiales.
412 M. Tahar Belmounes. Lettre à M. Christian d’Hont, 28 juin 2000.
413 Pierre Boisard. Lettre No. 5660, Président CNAF, 3 août 1981.215 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics
stationner sur les aires de stationnement?...Toujours est-il que ce système n’apporte pas de réponse satisfaisante pour les Voyageurs qui ressen­tent comme une injustice cette privation d’une aide qu’ils auraient bien besoin. Cette injustice se ressent aussi bien pour les Voyageurs optant pour le stationnement en aires aménagées que pour ceux qui « choisis­sent » le stationnement libre.414
Il n’y a pas d’autres groupes ethniques en France dont les droits individuels à l’aide au logement soit remplacés par une aide à ceux qui construisent ou gèrent les loge­ments sociaux dans lesquels ils pourraient – ou non – vouloir vivre. En plus d’être dis­criminatoire, cette approche reflète une intention de confiner dans des aires d’accueil officielles tous les voyageurs et les tsiganes qui vivent dans des caravanes.
8.1.2 Des services sociaux ségrégationnistes
Afin de recevoir différentes formes d’aide sociale, de nombreux tsiganes et voyageurs se tournent vers le réseau d’associations non gouvernementales (ONG) présentes dans différents départements français et s’occupant spécifiquement des tsi­ganes et voyageurs. Ces associations, financées dans une large proportion par l’Etat, offrent aux tsiganes et voyageurs un panel de services sociaux tels que le soutien sco­laire ou l’aide médicale. Elles emploient souvent des travailleurs sociaux accrédité et, entre autres, ouvrent des droits au RMI (Revenu Minimum d’Insertion). Le RMI est une aide financière attribuée aux personnes qui signent un contrat avec un travail­leur social dans le cadre d’un certain nombre d’engagements personnalisés visant à leur insertion au sein du marché du travail.
Dans la mesure où ces associations offrent un soutien personnalisé aux voyageurs et tsiganes et où celui-ci est complémentaire de l’offre de l’Etat, mais aussi choisi par les personnes concernées, les ONG jouent un rôle important en facilitant l’accès des tsiganes et des voyageurs à de nombreuses formes d’aide sociale. Cela étant, comme ces associations remplacent en fait l’Etat et créent un système d’aide sociale paral­lèle, elle contribuent à la ségrégation sociale des tsiganes et voyageurs.
414 ASNIT. Les Gens du Voyage à l’Age de la Retraite. May 2001, p. 42. 216 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
En pratique, dans nombre de départements, les fonctionnaires des institutions éta­tiques qui dispensent des services sociaux, tels la Caisse d’Allocations Familiale (CAF) et les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS), ne sont pas formés pour répondre aux besoins spécifiques des voyageurs et des tsiganes dont les papiers et le style de vie sont différents de ceux du reste de la population française. Le directeur d’une association tsi­gane, qui a souhaité garder l’anonymat, a expliqué que « les associations remplissent des fonctions que l’Etat devrait remplir. Un grand nombre de voyageurs ne veulent pas aller voir les fonctionnaires municipaux car la personne qui est derrière le comptoir ne les aide pas. Aussi se tournent-ils vers ces associations. »415 Ainsi les associations qui viennent en aide aux voyageurs et aux tsiganes, semblent en fait agir comme des substituts informels de l’Etat français en apportant une assistance sociale aux tsiganes et aux voyageurs.
En Indre-et-Loire et en Gironde, les dossiers des voyageurs et des tsiganes aurai­ent été transférés des institutions étatiques aux associations départementales spécial­isées venant en aide aux tsiganes et aux voyageurs. José Brun, un représentant de l’ONG Regards, a dit à l’ERRC :
Aujourd’hui, le climat social en France est tel que s’il existe une asso­ciation se consacrant à l’aide aux voyageurs, on pense qu’il est approprié de lui transférer les dossiers de tous les voyageurs de la zone dont elle s’occupe. Ce qui veut dire, par exemple, que la sous-préfecture retrocède à cette association tous les dossiers de RMI des voyageurs. Ceci va à l’en­contre de l’idée selon laquelle en tant que citoyens vivant dans le secteur d’une administration donnée, les tsiganes devraient avoir accès à cette ad­ministration, plutôt que d’être orientés vers des associations spécialisées.
Par exemple, dans le département de l’Indre-et-Loire le CCAS a trans­féré tous les dossiers des voyageurs à l’association Tsiganes et Voya­geurs de Touraine (TVT).416 Ce n’était pas là une décision de l’Etat, mais une décision à l’échelon départemental liée à la décentralisation. Il y a là des familles qui attestent 500 ans de présence à Loches et Chinon. Elles font parties des très rares familles en France qui n’ont aucun terrain et voyagent constamment. Ces familles sont là depuis
415 Entretien de l’ERRC avec M. K.L., le 5 mars 2004. Les initiales ont été attribuées par l’ERRC afin de préserver l’anonymat que M.K.L. désirait conserver.
416 Tsiganes et Voyageurs de Touraine (TVT).217 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics
très longtemps. Mis à part quelques rares exceptions, elles ont toutes été pendant très longtemps des usagers des administrations sociales lo­cales. Elles relèvent totalement des services des droits communs. Mais maintenant … ces familles doivent se rendre à Tours, à l’association Tsiganes et Voyageurs de Touraine. Cette association a des camions pour aller voir les familles là où elles sont. Ceci pourrait être une ex­cellente chose à développer au sein du CCAS...417
Mme R. et M. D. Winterstein, deux voyageurs de Gironde, ont informé l’ERRC d’une pratique similaire consistant à transférer les dossiers des administrations éta­tiques vers une association non gouvernementale locale qui vient en aide aux voy­ageurs et aux tsiganes, l’Association départementale des Amis des Voyageurs de la Gironde (ADAV).418 Mme R. Winterstein a expliqué : « Même si les voyageurs sont domiciliés dans la commune, à Pessac par exemple,419 ils doivent aller directement voir ADAV. On n’a pas demandé à aller chez eux. C’est eux qui ont tous nos dossi­ers. Une fois par an, il y a une réunion avec toutes les institutions de services sociaux. Ce doit être là qu’ils décident qui devra aller chez ADAV. On peut dire qu’ils se débarrassent de nous. »420
Mme Marie-Bernadette Maire, Adjointe déléguée à l’Action sociale et à la Lutte contre les exclusions,421 a confirmé à l’ERRC le transfert des dossiers des tsiganes et des voyageurs des administrations à l’ADAV. Elle a aussi dit que :
Lorsqu’ils vont au CCAS, à Pessac par exemple, on leur dit : « On ne sait pas, allez voir à l’ADAV ». L’ADAV se bat contre ça... contre le phénomène de ghettoïsation à travers les acteurs sociaux. Au CCAS, ils ne savent pas quoi dire aux voyageurs. J’ai récemment voulu faire une réunion avec les élus locaux et les administrations des villes sur ce sujet. L’idée était une initiative des villes. Et très vite, l’ ADAV a tout géré et
417 Entretien de l’ERRC avec M. José Brun, le 23 février 2004 à Tours.
418 Association départementale des Amis des Voyageurs de la Gironde.
419 Pessac est une commune au sud de Bordeaux, dans le département de la Gironde.
420 Entretien de l’ERRC avec M. R. et M. D. Winterstein, le 02 mars 2004, à Pessac.
421 Mme Maire est également présidente de l’Association pour l’Accueil des Gens du Voyage (A.G.V. 33), une association composée d’élus locaux. 218 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
tout le monde en semblait satisfait. Et, quand j’ai dit « Non, on est en train de faire une réunion avec les élus locaux, ils ne m’ont pas écouté. »422
L’ERRC pense que des pratiques similaires ont eu lieu dans de nombreux autres départements.
Paradoxalement, l’Etat français considère que reconnaître des minorités dans le cadre des actions et politiques de l’Etat va à l’encontre de l’égalité républicaine. Mais certains départements, en termes d’accès aux services sociaux, ont des pra­tiques ségrégationnistes à l’égard des tsiganes et des voyageurs.
8.2 Les tsiganes et voyageurs victimes de traitement discriminatoires relatifs à leur accès aux services ouverts au public
Les engagements internationaux de la France,423 de même que sa législation pénale nationale, interdisent les discriminations relatives à l’accès aux services publics. Le Code pénal français interdit le refus de service sur la base de critères d’origine, d’apparence physique, de patronyme, des moeurs, d’appartenance réelle ou présumée à une ethnie, race, ou religion déterminée, etc. Cette forme de discrimination est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Lorsque le refus à lieu dans des lieux ouverts au public ou avec tentative de refuser les gens à l’entrée, alors les peines encou­rues sont plus lourdes : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.424
422 Entretien de l’ERRC avec Mme Marie-Bernadette Maire, le 3 mars 2004 à Pessac.
423 La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale dont la France est partie énonce à l’Article 1 : « Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’ar­ticle 2 de la présente Convention, les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :... f) Droit d’accès à tous lieux et services destinés à l’usage du public, tels que moyens de transport, hôtels, restaurants, cafés, spectacles et parcs. » La Directive Européenne en vue de la mise en oeuvre de l’éga­lité de traitement sans distinction de race ou d’origine ethnique(2000/43/EC du 29 Juin 2000) demande à ce que ces états membres, y compris la France mettent en place un cadre légal destiné à combattre un certain nombre de discriminations directes ou indirectes dans un certain nombre de secteurs y compris « l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services, à la disposition du public ».
424 Articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal français.219 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics
Les recherches de l’ERRC ont néanmoins indiqué que le refus de fournir des serv­ices à des voyageurs ou des tsiganes semble être une pratique courante. Les compagnies d’assurance refusent de plus en plus d’assurer les voyageurs et les tsiganes et mettent même fin aux contrats de ceux qui sont déjà leurs clients. Les restaurants, bars, discothèques et autres établissements publics refusent souvent l’entrée aux voyageurs et tsiganes ou refusent de les servir. De plus, les établissements qui pratiquent de pareilles discrimina­tions le font souvent ouvertement, apparemment sans craindre de possibles conséquences légales de leurs actions. Cette attitude reflète le très faible nombre de peines prononcées pour des cas de discrimination raciale, quels qu’ils soient (un total de quelques cas par an, tous secteurs confondus, sur la base de ‘race’, ethnicité, nationalité, origine…).425
8.2.1 La discrimination dans le cadre des polices d’assurance
De nombreuses compagnies d’assurance en France ont récemment décidé de ne plus accepter de tsiganes et voyageurs comme clients. D’après l’association non gou­vernementale La Vie du Voyage, en ce moment même un grand nombre de voyageurs voient les compagnies d’assurances qui les ont couvert jusqu’alors mettre un terme à leur contrat. M. James Dubois, président de La Vie du Voyage, a dit à l’ERRC : « La plupart des appels que j’ai reçu ces derniers jours viennent de voyageurs me disant : « je me suis fais jeter de l’assurance. » L’assurance est obligatoire, mais la plupart des assurances ne veulent pas nous assurer »426
L’ERRC a reçu une copie d’une lettre adressée à un voyageur par un employé d’une compagnie d’assurance l’informant qu’il allait être mis fin à son contrat. La lettre, datée du 10 février 2004, dit :
Monsieur, nous sommes au regret, de vous signaler, par la présente, que nous serons contraints, en cas de demande prochaine d’avenant, ou au plus tard, pour le 01 01 2005, de résilier votre contrat. En effet, nous venons d’apprendre que vous êtes considéré comme personne du voyage ; or, malheureusement, dans ce cas, nous sommes contraints par
425 Voir Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme. La lutte contre le racisme et la xénophobie, Rapport 2003, p. 559.
426 Entretien de l’ERRC avec James Dubois, le 14 novembre 2003 à Paris. 220 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
les Compagnies avec lesquelles nous travaillons, de résilier les contrats dès que nous en avons connaissance.427
La famille dont il est ici question pense que la compagnie d’assurance a réalisé qu’ils étaient voyageurs parce qu’ils ont indiqué une aire d’accueil officielle comme adresse de retour de courrier sur une enveloppe.
Les compagnies d’assurance ne font pas que radier de leur registres les tsiganes et les voyageurs qui étaient leurs assurés. Elles refusent également d’assurer de nou­veaux tsiganes et voyageurs. Des journalistes tournant un documentaire sur les voy­ageurs ont décidé de tester cette pratique en caméra cachée. Ils ont filmé les efforts d’un homme d’une cinquantaine d’années, bien coiffé, essayant d’assurer l’utilitaire qu’il utilise pour remorquer sa caravane. Le documentaire le montre essuyant un re­fus de deux compagnies. Dans le cas de la première, AXA, l’employé demande quel genre de caravane va être remorquée par l’utilitaire. Lorsqu’il apprend qu’il s’agit d’une caravane qui servira d’habitation, il en reste bouche bée et dit : « Il va y avoir un problème. Nous ne pouvons plus assurer les caravanes qui servent d’habitation. » Dans le cas de la seconde AGF, le voyageur demande : «Acceptez vous les gens du voyage ici ? » et l’employé de répondre : « Non, on garde ce qui sont déjà nos clients mais l’on n’en prend pas de nouveaux. »428
Voyageurs et tsiganes ont pendant de nombreuses années essuyé le refus de cer­taines compagnies d’assurer leurs caravanes en tant que logement. Toutefois, cette discrimination semble s’être généralisée et étendue : le refus de fournir une assur­ance logement pour les caravanes s’est mué en refus d’assurer de quelque manière que ce soit les voyageurs et les tsiganes.
8.2.2 Les discriminations subies dans les établissements publics
L’ERRC a reçu de nombreux rapports de voyageurs et de tsiganes à travers toute la France qui se sont vus refuser l’entrée dans des lieux publics, tells que des discothèques,
427 P. Labalette s.a. Assureurs-Conseils. Lettre à l’attention de M. M.W., No. Dossier 679409, Paris, 10 février 2004. On notera les initiales mises par l’ERRC afin de protéger l’anonymat des personnes concernées.
428 Documentaire « Gens du voyage : la répression et l’absurde, une enquête de Pascal Catuogno avec Jérome Pin et Steeve Bauman », diffusée le 10 mai 2004. 221 Voyageurs et tsiganes subissent des discriminations concernant leur accès aux lieux publics
des bars, des magasins et des restaurants. S’ils avaient pu pénétrer dans ces établisse­ments, bien souvent, le personnel refusait de les servir.
A Bègles (Gironde), l’ERRC a été informée qu’à la pizzeria du centre commercial Carrefour, on a refusé de servir de nombreux tsiganes. La personne responsable de la pizzeria aurait dit aux tsiganes : « Je ne veux pas servir des gitans. »429 M. D. Winter­stein a dit à l’ERRC que la plupart des discothèques de Bordeaux lui refusent l’entrée. Il a estimé que sur 50 discothèques, une seule accepte les tsiganes et les voyageurs.430 Mme. L.S., une jeune femme d’une vingtaine d’années a dit à l’ ERRC :
La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était il y a deux mois. Lorsque j’ai voulu entrer dans un supermarché de Montargis, dans le Loiret, on m’en a refusé l’entrée. L’agent de sécurité m’a dit : « Vous ne pouvez pas entrer. Une fille comme vous a volé dans le magasin. » Le propriétaire a dit qu’une tsigane avait commis des vols et qu’il ne voulait plus de tsiganes dans son magasin. En d’autres occasions, si on nous laisse entrer, des agents de sécu­rité nous suivent avec des chiens. Ca arrive presque tout le temps.431
Toutefois, en dépit de nombreux rapports concernant de telles discriminations, l’ERRC n’a pas eu connaissance de cas dans lesquels les établissements concernés auraient été pénalisés pour avoir refusé des services à des voyageurs et/ou des tsi­ganes. Il semble que très peu de voyageurs et de tsiganes portent plainte car ils ne croient pas que ces plaintes donneront lieu à des condamnations.
L’ERRC est au courant du cas d’une plainte déposée récemment par deux tsi­ganes. Dans ce cas, le manque de suivi de la plainte démontre que les autorités judi­ciaires n’ont pas la volonté de prendre ces affaires au sérieux.
Le dimanche 2 mai 2004, Mme Ca. M. et Mme. C.M., toutes les deux âgées d’une trentaine d’années, se sont vus refuser l’entrée du magasin la Foir’fouille à Pessac, une sorte de petit supermarché discount et l’un des rares ouvert le dimanche. Les agents de sécurité les ont laissé rentrer dans le magasin puis leur auraient demandé
429 Entretien de l’ERRC avec Mme. Rosie Winterstein, le 2 mars 2004 à Pessac.
430 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. D. Winterstein, le 2 mars 2004 à Pessac.
431 Entretien de l’ERRC avec Mme L.S., le 13 avril 2004 à Rosny-sous-Bois. 222 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
si elles appartenaient à la communauté des gens du voyage. Mme. Ca.M. aurait répondu « Oui, pourquoi ? ». L’agent de sécurité aurait répondu : « Ces gens ne sont pas admis ici ». Mme Ca.M. aurait dit : « Vous êtes un agent de sécurité, pourquoi vous ne nous suivez tout simplement pas ? » L’agent de sécurité aurait répondu que c’était là les ordres du gérant. Les deux femmes ont alors appelé M. Pierre Delsuc, un pasteur évangélique local qui fait office de médiateur lorsque les voyageurs ont des ennuis. Elles l’ont attendu. M. Delsuc a appelé la police, qui est aussi venue dans le magasin.432
D’après M. Delsuc, bien qu’ayant été informés que le magasin avait pour poli­tique de refuser les voyageurs, les agents de police ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire car le magasin était dans son droit. L’un des agents de police aurait aussi dit à M. Delsuc : « Monsieur, il y a des voleurs dans votre communauté. » M. Delsuc a noté le numéro d’immatriculation de la voiture de police.433 Le 7 mai 2004, les deux femmes et M. Delsuc ont porté plainte auprès du procureur de la République à propos du refus du magasin de laisser rentrer les deux femmes et de la réaction inappropriée des agents de police.434 Des copies de cette lettre ont été envoyées au Ministère de la Justice, au Ministère de l’Intérieur et au préfet de la Gironde.
Les femmes ont ensuite été convoquées à la police pour témoigner. Seule Mme Ca. M. était dans la région à ce moment-là, Mme C. M. voyageant ailleurs en France. Mme Danielle Mercier, de l’ONG USETA, l’a accompagnée à la police. Mme Mercier a dit à l’ERRC que l’officier de police chargé de conduire l’entretien s’est comporté de façon à minimiser l’importance de l’événement et s’est même moqué de la victime. L’officier disait des choses comme : « Vous avez l’habitude, c’est pas grave » et « Vous voulez vrai­ment porter plainte pour ça ? » Il a aussi ri quand la victime a dit que pour elle c’était im­portant et qu’elle était choquée par l’incident. La victime a insisté pour déposer plainte.435
En juillet 2004, le tribunal de grande instance de Bordeaux a fait parvenir une courte lettre informant les femmes que l’affaire a été classée sans suite.436
432 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Raymond Jose, mari de Ca. M., le 22 octobre 2004 à Paris.
433 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Pierre Delsuc, le 25 octobre 2004 à Paris.
434 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Danielle Mercier, le 23 octobre 2004. Lettre de dépôt de plainte du 07 mai 2004.
435 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Danielle Mercier, le 15 novembre 2004 à Paris.
436 Lettre du procureur de la République à l’U.S.E.T.A., juillet 2004.223 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
9. LES DISCRIMINATIONS SUBIES PAR LES VOYAGEURS ET LES TSIGANES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
De par ses engagements internationaux, la France est obligée de garantir le droit au travail et la liberté de chacun de choisir son emploi. De même, elle doit faire en sorte que ces droits puissent être exercés sans subir de discriminations fondées sur des critères tels que la race, la couleur, l’ethnicité ou l’origine. Ces obligations internationales sont très étendues. La France doit prendre des mesures efficaces de manière à faire en sorte que les individus puissent bénéficier pleinement du droit au travail, et ce quelque soit leur couleur ou leur origine. Ceci implique non seulement l’établissement d’un cadre juridique complet et efficace permettant de s’attaquer aux discriminations, mais aussi de prendre des mesures propres à identifier et à éliminer toute politique, réglementation, exigence ou pratique pouvant nuire aux possibilités de travail d’une portion spécifique de la population.437
Au niveau européen, la directive 2000/43/EC adoptée en juin 2000 par le Con­seil de l’Union européenne a défini les éléments que les pays membres de l’Union européenne doivent inclure dans leurs juridictions nationales afin d’assurer l’égalité de traitement dans de nombreux aspects de la vie. Cette directive, qui lie la France,
437 De nombreuses conventions dont la France est partie garantissent ce droit élémentaire. Par exemple, l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale prévoit que : « Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la présente Convention, les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants : …Droits au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, à la protection contre le chômage, à un salaire égal pour un travail égal, à une rémunération équitable et satisfaisante. » La convention ILO n°111 concernant la discrimination (emploi et profession) de 1958 requiert que : « Tout Etat membre devrait formuler une politique nationale visant à empêcher la discrimination en matière d’emploi et de profession. Cette politique devrait être appliquée par voie de dispositions législatives, de conventions collectives entre organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs ou de toute autre manière conforme aux circonstances et aux usages nationaux ». La France a ratifié le Traité ILO n°111 le 28 mai 1981. Des obligations de garantir la non-discrimi­nation dans ce secteur apparaissent aussi dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et dans La Charte Sociale Européenne (révisée). La Charte Sociale Européenne est entrée en vigueur le 1er juillet 1999.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
224
requiert que les Etats membres fassent en sorte que leurs lois anti-discriminations interdisent non seulement les discriminations directes mais aussi indirectes dans de nombreux secteurs. Cela concerne « les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de re­crutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion. ».438
En grande partie en réponse à cette directive, ces dernières années la France a considérablement renforcé l’appareil juridique interdisant les discriminations sur le marché du travail. L’ Article L122-45 du Code du Travail français, modifié par la loi du 16 novembre 2001, interdit les discriminations, directes ou indirectes dans de nombreux aspects du travail. Les moeurs, l’origine, l’apparence physique ainsi que l’appartenance ou la non appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, nation ou race439 ne sauraient entraîner des conséquences défavorables dans l’accès au travail. Une autre loi récente, datée du 30 décembre 2004 étend ces garanties contre les dis­criminations directes ou indirectes aux travailleurs indépendants ou non salariés.440
Il reste à voir si ces nouveaux développements juridiques seronttraduits sur le marché du travail. Pour le moment, ces garanties juridiques demeurent de vaines promesses pour les tsiganes et les voyageurs qui font face à de considérables obstacles restreignant leur
438 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l’éga­lité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Disponible à l’adresse suivante : http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2000/l_180/l_18020000719fr00220026.pdf. Voir les définitions des notions de discrimination directe et indirecte dans le Chapitre II de ce rapport note 25.
439 Le premier paragraphe de l’Article L122-45 prévoit que : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme… » Code du Travail français, Article L122-45.
440 Loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 « portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ». Journal Officiel n° 304 du 31 décembre 2004 p. 22567.225 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
capacité à exercer un emploi, tant comme salariés que comme travailleurs indépendants. Le fait que la France n’ait pas réussi à identifier et éliminer les nombreuses lois, politiques, et exigences discriminatoires qui rendent de plus en plus difficile l’accès des tsiganes et voyageurs au marché du travail constitue un contraste saisissant avec les mesures prises pour améliorer le cadre légal interdisant de telles discriminations. En fait, l’Etat français est lui-même responsable de l’existence de nombreuses barrières, lesquelles ont un im­pact particulièrement négatif sur les tsiganes et les voyageurs. Dans de nombreux cas, ceci nuit particulièrement à leur capacité à gagner leur vie. En ce qui concerne la manière dont les employeurs privés traitent les employés, les garanties légales doivent encore se traduire par des outils efficaces permettant de prévenir les discriminations subies régulièrement par les tsiganes et voyageurs lorsqu’ils recherchent un emploi salarié.
9.1 Les restrictions concernant le stationnement ; une obstruction à la capacité desvoyageurs et tsiganes à travailler
Les lois, politiques et actions des autorités locales qui rendent de plus en plus difficile pour les tsiganes et les voyageurs de stationner avec leur caravanes, même temporairement, dans de nombreuses communes de France, font qu’il est aussi pour eux de plus en plus difficile de travailler.
De nombreux tsiganes et voyageurs gagnent leur vie via des activités liées au voy­age. Ils ont développé des activités commerciales, des marchés et des formes d’emploi qui nécessitent de pouvoir circuler librement dans le pays – et en particulier de pou­voir s’arrêter librement. Afin de travailler, ils doivent pouvoir rester dans différentes communes pendant de plus ou moins longues périodes. Qu’il s’agisse de vendre des objets sur les marchés, de faire des travaux agricoles saisonniers ou d’entreprendre d’autres types d’activités économiques, la capacité de nombreux tsiganes et voy­ageurs à gagner leur vie dépend de leur capacité à trouver des endroits où s’arrêter avec leur caravane. Lorsqu’ils ne peuvent s’arrêter, ils ne peuvent travailler.
M. James Dubois, dirigeant de La Vie du Voyage, une association non gouvernemen­tale de voyageurs dont les membres sont tous des vendeurs, a expliqué à l’ERRC : « Pour notre travail, il faut que l’on puisse voyager et s’arrêter. Tous les matins, on travaille sur les marchés. Si on nous empêche de nous arrêter un jour, on nous empêche de tra­vailler. Si on ne peut pas s’arrêter pendant plusieurs jours, ce sont autant de jours pendant lesquels on ne peut pas travailler. » La Vie du Voyage envoie des lettres recommandées 226 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
aux communes avant qu’arrive un groupe de caravanes afin de prévenir les autorités mu­nicipales de leur arrivée, les informer que ceux qui arrivent sont là pour les affaires et leur demander un lieu où stationner. En 2004, l’association aurait envoyé pour 1 700 euros de lettres recommandées à plusieurs centaines de communes. D’après M. Dubois, toutes les demandes ont été rejetées.441 A chacun de ces refus, les autorités françaises ont directe­ment mis à mal la capacité d’un grand nombre d’hommes d’affaires à travailler.
En fait, chaque fois qu’un groupe de tsiganes ou de voyageurs tentent d’arrêter leurs caravanes dans une commune afin d’y travailler ils sont expulsés. L’Etat français empêche ainsi directement un grand nombre de voyageurs et de tsiganes de gagner leur vie.442
9.2 Les lois nuisant aux opportunités des tsiganes et voyageurs de travailler à leur compte
Les tsiganes et voyageurs français voient leurs opportunités de travailler à leur compte contrariées par les actions de l’Etat. Ces dernières années, le nombre grandis­sant de règlements régissant des activités communément exercées par les tsiganes et les voyageurs a rendu de plus en plus difficile leur libre choix d’un travail indépendant. Les problèmes viennent du manque de considération apporté à leurs manières de vivre et à leurs situations. Ainsi, un certain nombre de lois qui paraissent à première vue neu­tres ont en fait un impact particulièrement négatif sur les tsiganes et les voyageurs.443
441 Entretien de l’ERRC avec M. James Dubois et M. Franck Couchevellou, le 14 novembre 2004 à Paris. La stratégie des lettres recommandées a également été adoptée par La Vie du Voyage afin de combattre les difficultés croissantes que rencontrent ses membres lorsqu’ils essayent de s’arrêter, y compris afin d’entreprendre des actions en justice contre les communes qui ne mettent pas d’aires d’accueils à disposition et procèdent à des expulsions illégales des membres de cette association. Les lettres recommandées renforcent leur position lorsqu’ils négocient avec les autorités municipales afin d’obtenir une permission de stationner, fournissant une indication de l’étendue des difficultés rencontrées pour trouver un lieu où stationner, et renforçant leur position juridique.
442 Ces lois, politiques et pratiques qui empêchent voyageurs et tsiganes de s’arrêter et donc de travailler violent directement l’interdiction des traitements discriminatoires relatifs au droit de travailler.
443 Ces lois constituent une discrimination indirecte à l’encontre des tsiganes et des voyageurs. En ne prenant pas de mesures afin d’éliminer les effets discriminatoires de toutes ces lois, la France viole ses engagements internationaux dans le cadre de : le CIEDR ; la Convention concernant la discrimi­nation (emploi et profession), 1958, Organisation Internationale du Travail (OIT) ; le CIDESC ; la Charte Sociale Européenne (révisée).227 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
Par exemple, une loi de 1996444 a rendu plus strict le cadre réglementaire d’un cer­tain nombre de métiers : la loi oblige à faire preuve de sa qualification à exercer ces métiers, telles que la construction, l’entretien et la réparation de bâtiments, le ramon­age de cheminées, toutes activités souvent exercées par des tsiganes et voyageurs.445 La preuve d’un niveau adéquat de qualification pour celles-ci peut prendre la forme d’un diplôme446 ou de la preuve d’une expérience professionnelle de trois ans dans ce métier.447 Exercer ces professions sans en avoir les qualifications peut être puni par une amende pouvant atteindre 50 000 francs (soit environ 7 622 euros).448
La plupart des tsiganes et des voyageurs apprennent ces métiers via un appren­tissage informel, souvent avec des membres de leur famille ou d’autres membres de leur communauté, plutôt que d’une manière scolaire et formelle. Ainsi, même s’ils possèdent les compétences requises, ils n’obtiennent pas les diplômes formalisant ces connaissances. De plus, obtenir ces certificats signifie rester au même endroit pendant un certain temps (en général deux ans) ce qui est totalement inadapté à ceux qui voyagent. En ce qui concerne l’option consistant à faire preuve de trois ans d’expérience, très peu de voyageurs et de tsiganes sont en mesure de fournir les formes de preuves acceptées (tels des bordereaux de paiement), étant donné qu’ils travaillent de manière informelle et indépendante. L’impact de ces lois est donc qu’elles les obligent soit à cesser d’exercer ces emplois – ce qui veut dire perdre le moyen de gagner leur vie – soit à les exercer illégalement.
444 Loi no 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat.
445 Article 16 de la Loi no 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du com­merce et de l’artisanat. Une liste détaillée des activités visées figure dans l’annexe au décret n°98-246 du 2 avril 1998. Liste relative aux métiers entrant dans le champ des activités mentionnées au I de l’article 16 de la loi du 5 juillet 1996.
446 Ceci peut être un certificat d’aptitude, un diplôme d’études professionnelles ou un autre titre ou di­plôme reconnu comme étant d’un niveau supérieur ou égal.
447 Articles 1 et 2 du décret no 98-246 du 2 avril 1998 relatif à la qualification professionnelle exigée pour l’exercice des activités prévues à l’article 16 de la loi no 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat
448 Article 24 de la Loi no 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du com­merce et de l’artisanat.228 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
M. José Brun de l’association tsigane Regards a dit à l’ERRC :
La loi régissant les activités professionnelles est perçue comme une nouvelle forme de discrimination. Les professions en rapport avec la construction et les travaux publics sont des activités que beaucoup de gens auraient choisies car on peut les exercer dans toute la France, au porte à porte. Ce sont des activités que l’on peut faire en voyageant et en restant complètement libre. Ces dernières années, cependant, il est devenu de plus en plus dur d’exercer ces activités si vous n’avez pas le diplôme requis. Dans les dix prochaines années ce sera une catastrophe. On a l’impression de devoir se conformer à des procédures qui ne pren­nent pas en compte notre culture.449
La situation des vendeurs ambulants constitue un autre exemple édifiant. Ceux-ci, en plus des difficultés qu’ils rencontrent du fait qu’ils ne peuvent s’arrêter, sont con­frontés au fait qu’il leur est de plus en plus difficile de trouver des étals libres sur les marchés lorsqu’ils arrivent dans une ville. Ce problème vient des mesures prises en beaucoup d’endroits pour réduire et réguler les marchés, ce qui réduit le nombre d’étals disponibles. Ceux-ci sont donnés en priorité à ceux qui ont une place permanente sur un certain marché ou aux personnes sur des listes d’attente. Sur beaucoup de marchés il y a donc moins d’étals disponibles pour les vendeurs qui voyagent de marché en marché, un grand nombre d’entre eux étant des voyageurs et des tsiganes.
M. Fredo Bone, Président de l’Association nationale des gens du voyage catholiques, a dit à l’ERRC :
Avant c’était les voyageurs sur les marchés. Ca a changé depuis une bonne quinzaine d’années. Ils restructurent les marchés et nous élimi­nent tout doucement. Les dernières années, 15 % de l’espace disponible sur les marchés a été éliminé. Dans le Rhône,450 les marchés ont été réduits de 35 à 40 %. Réduits, réduits, réduits… Automatiquement, les premiers mis dehors, ce sont les voyageurs. Ceux qui ont des places per­manentes gardent leurs places. Par exemple, si une rue fait 300 mètres de
449 Entretien de l’ERRC avec M. José Brun, le 23 février 2004 à Tours.
450 M. Bone fait référence au Département du Rhône.229 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
long, ils réduisent le marché de 50 mètres, ou un peu plus… Ils enlèvent les places au bout où il y a les voyageurs… Ca se fait beaucoup dans les grandes villes. Un peu moins dans les campagnes, mais ça existe aussi. C’est devenu pire depuis 2000, depuis la loi Besson…Les mairies veu­lent empêcher les voyageurs de s’arrêter sur leur territoire.451
Les problèmes semblent être particulièrement aigus dans le Rhône, vers Lyon. M. G.L., qui voyage pratiquement toute l’année, nous a dit : « Il est censé y avoir des places pour les marchands ambulants sur tous les marchés. Certains respectent ceci, d’autres non. » Il a dit à l’ERRC qu’en général il trouve une place, sauf vers Lyon, et dans le midi durant la haute saison en juillet.
Mr Bone, qui vend surtout sur les marchés du Rhône, essaye régulièrement deux ou trois marchés le matin avant de se trouver un étal sur l’un d’eux. Pour illustrer cette situation, il a expliqué que dans la ville de Meyzieu, les vendeurs ambulants se voient refuser les étals depuis que le placier est en congé maladie et que c’est la gendarmerie qui s’en occupe. Le village de la commune voisine de Décines a seule­ment 8 étals de 3 mètres carrés, chacun réservés aux vendeurs ambulants, sur un marché de 300 places. Le marché d’une autre ville proche, Vénissieux, a seulement 11 des 350 étals réservés pour les marchands ambulants, et ce seulement les same­dis et jeudis. Le nombre de marchands ambulants est bien supérieur au nombre de places disponibles. M. Bone a expliqué à l’ERRC que les quatre années précédentes il avait essayé de se faire inscrire sur une liste d’appel (une liste de personnes que l’on appelle le matin lorsqu’il y a des étals disponibles) pour le marché de Vénis­sieux. Il n’y est pas encore arrivé. Il a dit qu’avant « il y avait de 20 à 30% des étals pour les marchands ambulants. »452
9.3 Les discriminations subies dans le cadre des emplois salariés
Les recherches de l’ERRC indiquent également qu’en dépit des interdictions légales de la discrimination à l’emploi, le fait que des employeurs privés refusent d’engager des tsiganes ou des voyageurs semble être un phénomène relativement commun.
451 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Fredo Bone, le 17 novembre 2004 à Paris.
452 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Fredo Bone, le 17 novembre 2004 à Paris.230 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
L’exemple de la discrimination dont a été victime une tsigane de 16 ans, Mlle. L.S., essayant de trouver un stage dans le cadre de sa formation de créatrice de mode, constitue un exemple significatif. Mme Danielle Talhouarn, une assistante sociale de l’association non gouvernementale ADAV,453 qui a aidé L.S. à trouver un employeur, a dit à l’ ERRC :
J’avais trouvé un créateur de mode qui cherchait une apprentie ayant suivi exactement la formation suivie par L.S. L.S. correspondait exact­ement au profil recherché tel qu’il le décrivait. Je n’ai pas dit qu’elle appartenait à la communauté des gens du voyage, ni qu’elle était un peu typée. Cet homme cherchait une personne qui soit très jolie, très féminine et qui a un niveau scolaire au moins correct. Je lui ai dit que L.S. correspondait à ces caractéristiques. Elle est allée le voir pour un entretien. Dès qu’il a vu sa couleur de peau, il a fait une réflexion à ce propos. L’entretien ne s’est pas trop éternisé...
Il m’a téléphoné après l’entretien en me disant qu’il avait trouvé quelqu’un de plus expérimenté pour ce stage. C’était environ une heure plus tard. Je lui ai dit qu’il était important pour L.S. et moi de connaître les raisons ayant motivé ce refus pour le stage. Il a dit qu’il avait simplement trouvé quelqu’un d’autre, la fille d’un collègue, plus expérimentée. Je lui ai dit que son argumentation ne tenait pas la route, compte tenu de ce qu’il avait dit à l’origine et je lui ai demandé si sa couleur de peau l’avait gênée. Il m’a dit « oui »… que ce n’était pas lui que ça gênait, mais ses clients.
Mme Talhouarn est allée en personne voir le créateur de mode. A cette occasion, celui-ci lui aurait dit : « Avez vous bien réalisé qu’elle est des gens du voyage ? » Quand Mme Talhouarn lui a dit que le fait qu’elle soit une voyageuse ne devrait pas poser de problèmes, qu’elle était française, qu’elle était sédentaire, l’employeur au­rait répondu : « Elle vit avec son oncle et sa mère… Vous avez imaginé que son on­cle pourrait venir ici et m’agresser parce que j’aurais un peu bousculé sa nièce ? »
Finalement L.S. n’a pu trouver de stage et au moment où nous écrivons, elle suit une autre formation. L.S. n’a pas voulu porter plainte.454
453 Mme Talhouarn travaille dans la section action sociale de l’ADAV (Association des amis des Voya­geurs de la Gironde).
454 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Danielle Talhouarn, le 26 novembre 2004 à Paris. 231 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
Le climat anti-tsiganes et anti-voyageurs est devenu si intense ces dernières an­nées que même les emplois traditionnellement exercés par des tsiganes et des voy­ageurs leurs sont maintenant refusés. Par exemple, les travaux agricoles saisonniers en Aquitaine ont longtemps été une importante source de revenues pour les familles de tsiganes et voyageurs. Toutefois, Mme Danielle Mercier, Secrétaire Générale de l’association non gouvernementale USETA,455 a dit à l’ERRC que la situation s’aggrave dans la région. Les employeurs refusent de plus en plus d’employer ces familles, leur préférant des étudiants ou des travailleurs immigrés.
Par exemple, à Libourne, les familles de tsiganes travaillaient de manière saison­nière depuis de nombreuses années, pour les récoltes, dans les différents domaines agricoles. D’après Mme Mercier, l’an dernier, une centaine de caravanes de tsiganes vint à Libourne, pensant y trouver du travail. L’Agence nationale pour l’Emploi (ANPE) lui a dit que c’était la première fois que les demandeurs d’emploi étaient refuses à 90% dès qu’on savait qu’ils étaient des tsiganes. Les informations reçues par Mme Mercier en provenance des bureaux de l’ANPE de la région indiquent que la situation est similaire dans toute la région.456
En automne 2003, l’USETA, ainsi qu’un représentant de l’ANPE, ont informé la préfecture de Gironde de cette situation. Un représentant de l’Inspection du travail assistait également à cette réunion. Mme Mercier a dit à l’ERRC : « le représentant de la préfecture nous a dit « Que voulez-vous qu’on fasse ? » Le représentant de l’Inspection du travail a également dit qu’il ne savait pas vraiment quoi faire. Tout le monde était très embarrassé. Cette année (2004) on a essayé d’organiser une autre réunion à la préfecture de Gironde pour le 16 novembre. J’ai juste été informé qu’elle avait été annulée. »457 D’après le Code du travail français, les inspecteurs peuvent demander tout document ou élément pouvant être utile afin de fournir des preuves qu’une discrimination a eu lieu, selon les dispositions prévues par l’article L122-45.458 L’ERRC n’a entendu parler d’aucun inspecteur ayant agi ainsi dans le cas de tsiganes ou de voyageurs ayant subis des discriminations à l’emploi.
455 Union Socio-Educative Tsigane d’Aquitaine.
456 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Danielle Mercier, le 15 novembre 2004 à Paris.
457 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme Danielle Mercier, le 15 novembre 2004 à Paris.
458 Articles L611-9 du Code du travail français.232 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
9.4 Une main d’oeuvre employée de préférence pour les travaux dangereux
Les tsiganes et les voyageurs semblent constituer une main d’oeuvre recherchée pour les travaux dangereux pour la santé et par les compagnies désirant éviter les réglementations strictes en matière de santé et de sécurité. L’ERRC n’a pu trouver aucune donnée statistique indiquant dans quelles proportions tsiganes et voyageurs étaient engagés pour de tels emplois. Toutefois les recherches qualitatives de l’ERRC indiquent que leur nombre est proportionnellement plus élevé que le pourcentage de la population qu’ils représentent.
M. José Brun de l’association non gouvernementale Regards a dit à l’ERRC :
Un cousin travaille à la centrale nucléaire de Chinon…. Comme d’autres tsiganes. Le travail est dangereux pour la santé – alors on fait ce que les autres ne veulent pas faire. Beaucoup de familles tsiganes vivent dans la ré­gion… A l’origine c’était une région maraîchère… une main d’oeuvre ma­raîchère essentiellement. La centrale nucléaire n’embauche pas en direct ; elle a recours à une boîte d’intérim pour faire embaucher les tsiganes. Mon cousin transporte des déchets nucléaires, des fûts radioactifs ; il nettoie des choses dans la zone de périmètre de sécurité. Quand tu n’es pas instruit, il y a des choses que tu ne connais pas. Tu ne vas pas protéger ta santé.… Beau­coup de tsiganes là-bas ont des problèmes de thyroïde. Moi, mon cousin, en quelques mois il a pris énormément de poids. On a d’autres copains qui ont dû se faire opérer du thyroïde et qui travaillaient là aussi.... Les managers sa­vent que ces gens ne vont pas manifester ; c’est un public malléable... pour le centre nucléaire c’est une main d’oeuvre providentielle...459
D’après M. Brun, ce n’est absolument pas quelque chose d’exceptionnel. Les tsi­ganes sont souvent employés pour des travaux à hauts risques, en particulier sur les chantiers de démolition. Certaines sociétés sous-traitent avec des familles de tsiganes afin de récupérer de la ferraille.
Le docteur Jean-Claude Giraud, médecin, s’est occupé d’un grand nombre de tsiganes marginalisés de la région de Toulouse pendant plus de 40 ans. Il a expliqué à l’ERRC que le genre d’emplois qu’ils occupaient avait souvent un impact important
459 Entretien de l’ERRC avec M. José Brun, le 23 février 2004 à Tours. 233 Les discriminations subies par les voyageurs et les tsiganes sur le marché du travail
sur leur santé. Il a cité l’exemple récent de démolitions d’immeubles autour du site où avait eu lieu l’explosion de l’usine AZF à Toulouse :460
A AZF – il y avait de l’amiante. Sur les chantiers de démolition des immeubles pollués à 3km du site AZF, qui trouve-t-on au bout de la chaîne ? Des tsiganes, employés comme ouvriers de démolition… c’est le genre de travail qu’ils font souvent… sur les chantiers de démolition où on a découvert de l’amiante, il coûte très cher de mettre en place une protection efficace des ouvriers... En France, le bâtiment est une industrie quasi-mafieuse. Les grosses sociétés sous-traitent auprès de sociétés qui sous-traitent elles-mêmes. Au bout de la chaîne on trouve des tsiganes et des immigrés clandestins.461
Une jeune gitane, Mme Ginette Mencarelli, a dit à l’ERRC que son mari était allé travailler sur le chantier AZF juste après l’explosion. Lorsque l’ERRC s’est enquis des risques que cela présentait pour la santé, elle a répondu qu’il avait besoin de travailler.462
D’après le Dr. Giraud, « l’espérance de vie est considérablement réduite du fait des conditions de vie et de travail » Il pense aussi que d’ici trente ans, il y aura une épidémie de cancer parmi les tsiganes français du fait de l’exposition à l’amiante.
9.5 Le racisme – une ombre pesant constamment sur les possibilités économiques des tsiganes et des voyageurs
Le climat de racisme à l’égard des tsiganes et des voyageurs qui imprègne la société française plane toujours au dessus d’eux, conditionnant leurs possibilités de réussite économique. Témoignant de l’omniprésence de ce racisme, les tsiganes et les voyageurs offrant au public biens et services et rencontrés par l’ERRC pensaient que la clef de leur succès économique dépendait de leur habileté à dissimuler leur identité.
460 Cette usine fut le théâtre d’une explosion de nitrate d’ammonium le 21 septembre 2001. Il y eut 30 morts et 2500 blessés, les bâtiments avoisinants furent détruit dans un rayon de 700 mètres. Les lieux restent pollués et présentent un danger pour la santé.
461 Entretien de l’ERRC avec le docteur Jean-Claude Giraud, le 08 mars 2004 à Toulouse.
462 Entretien de l’ERRC avec Ginette Mencarelli, le 09 mars 2004 à Toulouse. 234 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Exprimant cette attitude, M. Toni Lariviere, qui a une petite entreprise effectuant des travaux de réparations dans les habitations, a dit à l’ERRC : « Les gens n’emploient pas de voyageurs. Je dois dissimuler le fait que je suis un voyageur. C’est écoeurant. C’est vraiment du racisme à 100%. Tous les voyageurs qui sont des artisans dissimu­lent leur identité, utilisent des pseudonymes. Parfois, chez des clients, j’entends des remarques telles que : « On est content de votre travail – vous savez maintenant on doit faire attention avec tous ces gitans… Il y a tellement de gitans dans la commune. »463
M. Lariviere a aussi parlé à l’ERRC d’un incident récemment arrivé à ses cousins à Chelles. « Mes cousins travaillaient sur un chantier. Ils avaient signé un accord et com­mencé à travailler. Ils avaient laissé leurs échelles et leurs échafaudages chez le client. Le client est passé devant leurs maisons et a vu leurs caravanes. Après ça, il n’a pas voulu qu’ils terminent le chantier. En fait, il ne les a même pas laissés rentrer chez lui pour qu’ils puissent récupérer leurs échelles et échafaudages… Ce sont des incidents de ce genre qui nous rappellent que nous devons rester discrets sur notre identité. »464 Les ouvriers n’ont pas porté plainte auprès de la police pour ce qui était en fait un vol de leur matériel par leur client. M. Larivière a expliqué qu’ils ne voulaient pas faire de vagues. Ce serait un désastre pour le développement de leur activité commerciale dans la commune.
M. J.W., un artisan peintre d’une cinquantaine d’années qui vit à Callas en Pro­vence, nous a dit : « On fait face à de terribles discriminations quand on veut travailler. Si les gens découvrent que je suis tsigane, je ne pourrai plus trouver de travail. »465
Dans un autre exemple significatif, M. James Dubois, qui dirige La Vie de Voyage,466 a expliqué à l’ERRC que les membres de l’association dissimulaient tous leur identité de voyageur dans le cadre de leurs relations de travail. M. Dubois lui-même vendait autrefois des horloges garanties cinq ans. A cinq ou six occasions, il avait déjà vendu les marchandises et n’avait plus qu’à les livrer lorsqu’il mentionna qu’il était voyageur. En toutes ces occasions, les clients dirent qu’ils n’avaient rien contre les voyageurs mais trouvèrent tout de même des raisons pour ne plus vouloir des horloges.467
463 Entretien de l’ERRC avec Toni Lariviere, le 30 janvier 2004 à Montfermeil.
464 Entretien de l’ERRC avec Toni Lariviere, le 30 janvier 2004 à Montfermeil.
465 Entretien de l’ERRC avec M. J.W., le 04 mai 2004 à Callas.
466 La Vie du Voyage est une association non gouvernementale dont les membres sont presque tous des marchands.
467 Entretien de l’ERRC avec James Dubois, le 14 novembre 2004 à Paris. 235 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
10. LES VIOLATIONS DU DROIT À L’ÉDUCATION DES ENFANTS DE VOYAGEURS ET DE TSIGANES
La loi française garantit sans équivoques le droit de tous à l’éducation, quelle que soit l’origine sociale, culturelle ou géographique.468 Le fait que ce droit s’applique également aux voyageurs est souligné dans la Circulaire n°2002-101 du 25 avril 2002 relative à la « Scolarisation des enfants du voyage et de familles non sédentaires », adressée aux recteurs et inspecteurs d’académie et aux directeurs des services dépar­tementaux de l’Education Nationale.469 De plus, une loi adoptée le 30 décembre 2004 garantit l’égalité de traitement et interdit dans l’éducation les discriminations directes et indirectes fondées sur des critères d’origine nationale, ou d’appartenance réelle ou suppose à une ethnie ou une race.470
468 L’Article L 111-1 du code de l’éducation prévoit que :
« L’éducation est la première priorité nationale... Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. Pour garantir ce droit, la répartition des moyens du service public de l’éducation tient compte des différences de situation objectives, notamment en matière économique et sociale. Elle a pour but de renforcer l’encadrement des élèves dans les écoles et établissements d’enseignement situés dans des zones d’environnement social défavorisé et des zones d’habitat dispersé, et de permettre de façon générale aux élèves en difficulté de bénéficier d’actions de soutien individualisé. L’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. »
469 La circulaire indique qu’en plus des voyageurs, la population non sédentaire de la France comprend ceux qui sont itinérants pour des raisons professionnelles (par exemple, les mariniers, les marchands ambulants et les personnes travaillant dans un cirque).
470 Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 « Loi portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité », Journal Officiel no. 304, 31 décembre 2004, p. 22567, Article 17.
De plus, un certain nombre d’instruments légaux liant l’Etat français prévoient le droit à l’éducation sans discrimination pour des motifs de, inter alia, race ou ethnicité. L’article 5(e)(i)(v) de la CIEDR oblige les Etats parties à éliminer toutes discriminations et à garantir l’égalité devant la loi et le droit à l’éducation. Les discriminations sur des motifs de race ou d’appartenance à une ethnie sont aussi interdits par un cer­tain nombre d’autres instruments internationaux, y compris, l’article 2(1) de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ; l’article 2(2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ; et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
236
La situation actuelle des tsiganes et voyageurs dans le secteur de l’éducation est, toutefois, bien loin de ces larges garanties légales d’égalité. Tout le monde s’accorde sur le fait que la participation scolaire des enfants de voyageurs et de tsiganes est dramatiquement faible : de nombreux enfants ne vont pas à l’école et de nombreux au­tres sortent tôt du système. Un nombre anormalement faible d’enfants de plus de douze ans vont en classe et ce n’est qu’une très faible minorité qui termine le secondaire. De plus, même lorsqu’ils vont en classe, tsiganes et voyageurs semblent ne recevoir qu’une éducation médiocre, ne leur offrant même pas les compétences de base.471
De plus, même si la politique officielle du Ministère de l’Education nationale vise la scolarisation des enfants de tsiganes et de voyageurs dans le système éducatif général, diverses formes de scolarisation impliquant la ségrégation restent une réalité.
Avec la circulaire du 25 avril 2002, le Ministère de l’Education nationale a mis en place une politique claire visant à améliorer la situation des tsiganes et voyageurs au sein du système éducatif. Toutefois, les effets concrets de cette circulaire ne sont pas encore visibles.
10.1 Des taux de participation scolaire dramatiquement bas
L’ERRC a sans succès essayé de trouver des statistiques nationales qui donne­raient une image précise des taux de participation des enfants de tsiganes et de voy­ageurs, et ce pour les différents niveaux du système éducatif. Ces données semblent
Les commentaires du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) sur l’article 13 de PIDESC indiquent que l’un des composants du droit à l’éducation est que celle-ci doit être « ac­cessible à tous en droit et en fait, notamment aux groupes les plus vulnérables, sans discrimination fondée sur une quelconque des considérations sur lesquelles il est interdit de la fonder. » De plus, alors que de nombreuses composantes du droit à l’éducation (comme de nombreux droits de la PI­DESC) sont sujets à une réalisation progressive, l’interdiction des discriminations requiert une mise en application immédiate et complète. Voir Conseil Economique et Social. Le Droit à l’Education (Art.13) : 08/12/99 dans « Récapitulation des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme », HRI/GEN/1/Rev.5, 26 avril 2001, p. 74, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.aidh.org/ONU_GE/Comite_Drteco/Images/Observ_gene2001.pdf.
471 Robert Ziegler, Président de l’association tsigane Goutte d’Eau a dit à l’ERRC qu’il estimait le nom­bre de tsiganes sachant lire et écrire autour de 60-70%. 237 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
être soit non existantes soit non disponibles au public. Cette situation permet de cacher au maximum le fait que les tsiganes et les voyageurs sont exclus du système scolaire français. Toutefois, diverses études, bien que manquant d’acuité statistique, donnent une idée de l’étendue de l’exclusion dont les tsiganes et les voyageurs sont victimes dans les écoles françaises.
Les estimations nationales officielles les plus récentes datent du Rapport Dela­mon en 1990.472 D’après ce rapport, seulement 5% des enfants de voyageurs en âge d’être scolarisés allaient à l’école maternelle. Par ailleurs, 50% de ceux qui voyagent et 85% des sédentaires allaient à l’école élémentaire. Le rapport estimait également à 8% ceux âgés de 12 à 16 ans allant au collège.473 Des informations plus récentes ont été apportées par le Ministère de l’Education nationale dans le périodique Inter­face au printemps 2001. Bien que les données concernant la fréquentation des écoles primaires ne soient pas fournies, le Ministère déclare que « les enfants tsiganes en âge d’être scolarisé en école primaire sont de plus en plus inscrits dans les écoles lo­cales, dans des classes ordinaires… » Le Ministère note aussi que la fréquentation de l’enseignement secondaire s’améliore et estime qu’« environ 15 à 20% des enfants de tsiganes en âge d’être scolarisés dans le secondaire fréquentent les collèges. Cer­tains élèves sont intégrés dans les classes d’enseignement général et en fin de compte suivent un enseignement technologique ou professionnel. »474
Une autre estimation fut fournie à l’ERRC par Mme. Elisabeth Clanet, responsable de la scolarisation des enfants de voyageurs au Centre National d’Enseignement à Dis­tance (CNED). Elle a dit à l’ERRC que 60% des enfants de 6 à 12 ans allaient en cours mais que la plupart n’y allait pas régulièrement. Elle a estimé qu’ils y allaient environ 30 à 40% du temps. Par exemple, les enfants vont à l’école pendant 15 jours et n’y vont
472 Delamon, Arsène. « La situation des ‘Gens du Voyage’ et les mesures proposées pour l’ameliorer ». Rapport de Mission de Monsieur Arsène Delamon à Monsieur le Premier Ministre. 13 Juillet 1990.
473 Le système éducatif français se compose des écoles maternelles, écoles primaires, collèges et lycées. Les enfants vont à l’école primaire de six à onze ans et étudient cinq cours, un par an. Les enfants continuent alors dans le secondaire avec le collège jusqu’à quinze ou seize ans où ils étudient pendant quatre ans. A la fin du collège, les étudiants présentent un examen, le brevet des collèges. Ensuite les étudiants soient vont au lycée jusqu’à 18 ans, où ils étudient en vue du baccalauréat, soit ils suivent un enseignement professionnel qui conduit à des diplômes professionnels. L’enseignement secondaire est obligatoire jusqu’à seize ans.
474 « Information File : France. » Interface, Number 39, Spring 2001, pp. 14-17. 238 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
plus du tout pendant 15 autres jours. Ces chiffres ne s’appuient pas sur une étude scien­tifique, mais sur les tentatives de Mme Clanet, en coopération avec d’autres collègues, pour comparer les données et arriver à avoir une vue d’ensemble de la situation.475
Aucune des statistiques existantes ne peut, toutefois, être considérée comme pré­cise. La collecte des données se heurte à des obstacles considérables dus à la croyance répandue qu’il est illégal de collecter quelque forme que ce soit de données « eth­niques », ainsi que de l’ambiguïté du terme « voyageur » qui rend difficile de savoir quelle est exactement la population concernée par les études existantes. De plus, le simple fait qu’on considère que les enfants vont en cours laisse ouverte la question de la régularité avec laquelle ils y vont et de la qualité de l’éducation réellement reçue.
Il semble y avoir eu un certain nombre d’initiatives locales visant à rassembler des donnés statistiques détaillées à propos de la participation des tsiganes et des voyageurs dans les écoles locales. Par exemple, M. Hervé Londeix, un inspecteur de l’Inspection académique de Gironde, responsable des voyageurs, a conduit une étude de la participation scolaire des voyageurs en Gironde afin de pouvoir allouer les ressources en personnel nécessaires pour les cours et le soutien. Il a bien souligné à l’ERRC que les résultats de ses recherches n’étaient en aucun cas scientifiques, du fait, particulièrement, de la difficulté d’obtenir des chiffres locaux concernant une population qui se déplace, des imperfections du questionnaire lui-même, et du fait que certaines écoles n’ont pas renvoyé de réponses.
Il a découvert qu’en Gironde, où la population totale de voyageurs est estimée à 13 000476 personnes, il y a pour l’année scolaire 2002/2003 environ 120 enfants de voyageurs qui vont en maternelle, 730 à l’école primaire, 260 vont dans le secondaire, 200 au collège et 60 dans des filières SEGPA.477 Ceci fait un total de 1 100 enfants de voyageurs qui vont en cours soit dans le primaire soit dans le secondaire, dont 60%
475 Entretien de l’ERRC avec Elisabeth Clanet, le 30 novembre 2004, à Paris.
476 Préfecture de la Gironde et Conseil Général de la Gironde. Schéma Départemental d’Accueil des Gens du Voyage. Février 2003, p. 21. Le schéma départemental prévoit, toutefois, que ces esti­mations doivent être prises « avec beaucoup de prudence car si les stationnements sauvages ou les terrains familiaux sont « lisibles », il est difficile de quantifier le nombre de familles tsiganes dont le mode de vie ne se démarque pas particulièrement de reste de la population. »
477 Les SEGPA Sections d’Enseignement Généraux et Professionnels Adaptés sont une forme d’ensei­gnement spécialisée pour les enfants ayant des difficultés sérieuses, éducatives ou sociales.239 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
issus de familles qui ne voyagent pas régulièrement. Par ailleurs, les camions des écoles mobiles accueillent environ 400 étudiants chaque année, avec un nombre total de jours d’école allant de moins de 10 à plus de 50 demi journées.478 M. Londeix a noté qu’il est « probable qu’un nombre d’enfants du voyage significatif mais difficile à estimer échappe, partiellement voire totalement à l’obligation de scolarisation et par conséquent au champ de l’enquête. »479 Il a dit à l’ERRC que parmi ces enfants de familles qui voyagent en Gironde, environ 400 à 500 enfants n’ont pas été scolarisé ou très peu. Plus généralement, il pense que ce nombre représente environ 1/3 de la population de tsiganes/voyageurs. Il a ajouté « il y a énormément de défections entre le CM2 (fin de l’école primaire) et le collège. »480
D’après les calculs de l’ERRC, ces chiffres indiquent qu’il y aurait probablement des milliers d’enfants en âge d’être scolarisés qui n’iraient pas à l’école, et ceci pour le seul département de la Gironde. La taille d’une famille moyenne de voyageurs est estimée à 4 à 5 personnes par famille et la population y est jeune (45% des membres du foyer au­raient moins de 16 ans).481 Ceci signifie qu’il y a une forte probabilité que sur les 13 000 voyageurs de Gironde, au moins 4 000 soient des enfants en âge d’être scolarisés. Si seulement 1 500 enfants vont à l’école dans le département (en comptant ceux des cami­ons écoles mobiles), il reste environ 2 500 enfants qui ne vont pas à l’école, dont certains sont sans doute inscrits à l’Enseignement à Distance. Il est difficile d’estimer combien d’enfants n’allant pas à l’école dans le département ont plus de 12 ans.
Mme Marie Cannizzo, personne ressource pour les enfants de voyageurs à l’Inspection Académique du Rhône, a conduit une étude similaire sur la scolarisation
478 Les camions écoles, gérés par l’association gouvernementale Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes et autres jeunes en difficulté (ASET) dont les enseignants, rémunérés par l’Education Na­tionale, essayent d’offrir une scolarité minimale aux enfants qui se déplacent constamment, généra­lement d’expulsions en expulsions, et qui, par conséquent, éprouvent de grandes difficultés à aller en cours dans le système ordinaire.
479 Londeix, Hervé. « La Scolarisation des Enfants du Voyage en Gironde : Bilan de l’année scolaire 2002-2003. » p.5.
480 Entretien de l’ERRC avec M. Hervé Londeix, le 05 mars 2004, à Mérignac.
481 Voir le rapport Delevoye. Sénateur Jean-Pierre Delevoye, Rapport No. 188, présenté lors de la session ordinaire du Sénat français 1999-2000, session du 26 janvier 2000, disponible sur Internet à l’adresse suiv­ante : http://www.senat.fr/rap/l99-188/l99-1881.html. Voir aussi la Commission Justice et Paix, dis­ponible sur Internet à l’adresse suivante : www.diocese-poitiers.com.fr/documents/gensvoyage.html. 240 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
des enfants de voyageurs dans le département pour l’année 2003/2004. Elle l’a fait afin d’être en meilleure position pour allouer les ressources en personnel nécessaires. Elle a trouvé que dans le Rhône, où une estimation basse de la population totale de voyageurs tourne autour de 9 000, un total de 1 355 enfants de voyageurs sont scolar­isés. Parmi ce total, 991 enfants de voyageurs vont à l’école maternelle ou primaire. Parmi ceux-ci, 621 vont dans les écoles ordinaires (479 sont classés « sédentaires » et 142 « itinérants ») et 370 sont classés «itinérants » et vont en cours dans les cami­ons écoles mobiles. Pour l’enseignement secondaire, 230 enfants de voyageurs sont scolarisés dans le département. Parmi ceux-ci, 35 vont dans des collèges ordinaires, 19 en SEGPA et 176 dans les camions écoles mobiles. En plus de cela, 134 étudiants sont inscrits à l’enseignement à distance.482
Bien qu’il y ait des différences entre ces différents chiffres, ils confirment tous le haut pourcentage d’enfants qui ne reçoivent aucune éducation dans les écoles français­es. Parmi ceux qui y vont, le taux d’abandon de l’école à 12 ans est dramatique. Ceux qui finissent le collège et vont au lycée (général ou professionnel) sont évidemment une petite minorité. Mme Marie-Paule Nauleau, une éducatrice qui a travaillé pendant plus de 30 ans pour une association non gouvernementale à Toulouse venant en aide aux tsiganes et aux voyageurs,483 a dit à l’ERRC : « Ceux qui vont au lycée à Toulouse se comptent sur les doigts des deux mains – j’en connais un. Parmi ceux qui vont au collège je n’en connais que 15 qui sont allés jusqu’au bout… en 30 ans. »484
10.2 Les obstacles rencontrés pour l’inscription à l’école des enfants qui voyagent
La circulaire du 25 avril 2002 dit que : « Les enfants de parents non sédentaires sont, comme tous les autres enfants, soumis à l’obligation scolaire entre six et seize ans. Ils ont droit à la scolarisation dans les mêmes conditions que les autres enfants, quelles que soient la durée et les modalités du stationnement, et dans le respect des mêmes règles, d’assiduité notamment. Le fait que la famille soit hébergée de manière
482 Cannizzo, Marie. Accueil et scolarisation des enfants du voyage dans le département du Rhône. Inspection Académique du Rhône, 5 novembre 2004. Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Marie Cannizzo, 25 novembre 2004, Paris.
483 L’association non gouvernementale s’appelle maintenant Comité de Coordination pour la Promotion et en Solidarité des Communautés en Difficulté : migrants tsiganes (CCPS).
484 Entretien de l’ERRC avec Mme. Marie-Paul Nauleau, lundi 8 mars 2004, Toulouse. 241 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
provisoire sur le territoire d’une commune est sans incidence sur le droit à scolari­sation. En effet, c’est la résidence sur le territoire d’une commune qui détermine l’établissement scolaire d’accueil (article L. 131-6 du code de l’éducation). »
Les recherches de l’ERRC montrent qu’en dépit des instructions de cette circu­laire, il est très difficile pour les tsiganes et les voyageurs d’inscrire leurs enfants à l’école quand ils voyagent. L’extrême précarité de leur existence, marquée par de constantes expulsions, rend illusoire l’idée de scolariser les enfants. En fait, il est dif­ficile d’imaginer comment les enfants pourraient bien aller à l’école où que ce soit, régulièrement, lorsque leurs familles ne peuvent stationner nulle part suffisamment longtemps. Cathie Winterstein s’est exprimée sur ce problème auprès de l’ERRC : « Je veux envoyer mes enfants à l’école, mais je ne peux pas. On ne peut jamais rester au même endroit… Je voudrais bien pouvoir rester quelque part et envoyer mes enfants à l’école, mais c’est impossible lorsque l’on doit bouger sans cesse. » Elle a dit à l’ERRC qu’elle était très heureuse lorsqu’ils pouvaient rester quelque part sans être expulsés assez longtemps pour que sa fille puisse aller trois mois à l’école. Son fils, qui a 12 ans, n’a pu être scolarisé que quelques jours.485
Bien que les familles aient le droit, mais aussi l’obligation légale d’envoyer leurs enfants à l’école jusqu’à l’âge de 16 ans, les maires et la police s’occupent en général bien plus de l’expulsion des tsiganes et voyageurs du territoire de leurs communes que de faire en sorte que les enfants aillent à l’école. Chaque fois qu’a lieu une expul­sion alors les enfants sont inscrits à l’école locale, l’expulsion du territoire communal interrompt aussi la scolarité des enfants. Lorsque les familles essaient d’expliquer ça aux autorités locales ou à la police, l’argument pèse peu aux yeux de la plupart des autorités municipales qui considèrent simplement tsiganes et voyageurs comme une nuisance et une menace contre la paix et la sécurité des villes. Dans un climat de rac­isme rampant dirigé contre les tsiganes et voyageurs, les maires trouvent générale­ment plus opportun d’expulser un groupe de caravanes que d’inscrire leurs enfants dans les écoles locales.
Déjà entravée par les expulsions constantes, la scolarité des enfants l’est en plus par les conditions déplorables (manque d’infrastructures de base) dans lesquelles de nombreuses familles de tsiganes et de voyageurs sont forcés de s’arrêter. Sans eau courante ni électricité, il est difficile pour les enfants de se préparer pour aller
485 Entretien de l’ERRC avec Mme. Cathie Winterstein, le 2 mars 2004, Bordeaux. 242 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
à l’école, et encore plus de faire leurs devoirs. De plus, les lieux marginaux dans lesquels sont relégués tsiganes et voyageurs nuisent un peu plus aux possibilités de scolarisation des enfants. Par exemple, lorsque les caravanes stationnent dans une zone industrielle ou aux limites d’une ville, l’école la plus proche est souvent trop loin pour pouvoir y aller à pied. De même, lorsque les caravanes stationnent entre des artères autoroutières à fort trafic, il est dangereux pour les enfants d’aller à l’école à pied. Ainsi, si les familles ont besoin des véhicules familiaux tôt le matin pour aller travailler (comme c’est souvent le cas), les enfants n’ont aucun moyen d’aller à l’école. L’ERRC n’a trouvé aucun cas de bus scolaires assurant le ramassage des enfants de familles stationnant temporairement dans la commune.
Chaque fois que des voyageurs arrivent à un nouvel endroit et veulent envoyer leurs enfants à l’école locale, ils doivent les inscrire à la fois à la mairie et à l’école elle-même. Ils doivent produire un certain nombre de documents incluant générale­ment : le livret de famille avec le certificat de naissance de l’enfant ; une preuve de résidence dans la commune ; le carnet de santé de l’enfant prouvant que ses vaccins obligatoires sont à jour ; et un certificat prouvant que l’enfant a été radié des registres de l’école où il était précédemment.
Légalement, un enfant dont la famille stationne sur le territoire communal doit être accepté dans les écoles de la commune, même si les parents ne peuvent produire immédiatement tous les documents requis.486 De nombreuses mères nous ont toute­fois informé que les maires et les directeurs d’établissements refusaient fréquemment d’inscrire leurs enfants dans les écoles locales.
Mme. M.J. Daumasse, voyageuse, a ainsi résumé ce problème récurrent : « Chaque fois qu’on arrive dans une ville et qu’on veut inscrire nos enfants à l’école, on doit aller à la mairie. Si on se gare dans les champs, ils nous refusent le droit
486 « Pour l’école primaire, selon les dispositions de la circulaire n°91-220 du 30 juillet 1991, même si la famille ne peut pas, lors de la demande d’inscription à l’école, présenter un ou plusieurs des docu­ments nécessaires, l’enfant doit bénéficier d’un accueil provisoire, dans l’attente de la présentation, dans les plus courts délais, de ces documents qui permettront d’effectuer l’inscription de l’enfant à l’école. Au cas où le directeur d’école se trouverait dans l’impossibilité absolue d’admettre l’enfant par manque de place dans l’école, il conviendra qu’un rapport soit adressé, dans un délai maximum de trois jours, par la voie hiérarchique, à l’inspecteur d’académie du département. Celui-ci en in­formera le préfet et prendra toutes dispositions utiles pour rendre cet accueil possible. » Circulaire n°. 2002-101 du 25 avril 2002 « Scolarisation des enfants du voyage et de familles non sédentaires. » 243 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
d’envoyer nos enfants a l’école parce qu’on n’est pas sur une place. Mais on n’a pas de places. ceux qui veulent vraiment que leurs enfants aillent a l’école doivent faire un parcours du combattant… »487
Une autre voyageuse, Mme Feron, a dit à l’ERRC que de nombreuses écoles demandaient à ce que les parents fournissent une adresse de résidence dans la com­mune pour accepter les enfants. Si les parents ne peuvent pas le faire, l’école refuse d’inscrire les enfants.488 Lorsque l’ERRC a rencontré Mme Feron le 4 mai 2004, elle venait de réussir à s’arrêter avec sa famille à Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône) pour environ cinq mois. Toutefois, ses enfants n’avaient pas été acceptés à l’école locale, et ce bien qu’elle fut à 500 mètres à peine de l’endroit où la famille s’était arrêtée. Elle a dit qu’elle avait réussi à inscrire les enfants dans une école située plus loin, mais qu’elle avait des problèmes pour les y amener le matin, quand les hommes prennent les véhicules pour aller travailler.489
Lors d’une visite de l’ERRC à l’aire d’accueil officielle du « Realtor » à Aix-en-Provence, un groupe de mères nous a dit qu’elles habitaient sur l’aire d’accueil officielle pour le bien des enfants même si cela ne leur plaisait pas. Pendant la période de deux mois pendant laquelle ils peuvent rester sur l’aire d’accueil, les enfants peuvent aller à l’école locale. Toutefois, dès que la période de deux mois arrive à terme, leurs enfants sont immédiatement renvoyés de l’école, même s’ils restent dans la commune.490
Le jour suivant, l’ERRC a rencontré une voyageuse, Mme R.D., sur l’aire of­ficielle de Saint- Menet à Marseille. Ses deux enfants, l’un âgé de 10 ans et l’autre de huit ans, avaient été renvoyés de l’école proche du Realtor au bout de deux mois, avant même que la famille ne quitte l’aire d’accueil. D’après Mme R.D., la direc­trice de l’école a téléphoné à l’aire d’accueil pour les informer qu’elle avait déjà préparé le certificat official indiquant que les enfants n’étaient plus inscrits à l’école. La directrice a dit à la famille : « Je ne veux pas de familles sédentaires – 2 mois, c’est 2 mois. » Quand la famille a quitté le Realtor, ils se sont arrêtés dans un autre
487 Entretien de l’ERRC avec Mme M.J. Daumasse, le 4 mai 2004,à Aix-en-Provence.
488 Bien que de telles pratiques soient contraires au droit français, y compris en ce qui concerne la Cir­culaire du 25 avril 2002, elles restent cependant communes.
489 Entretien de l’ERRC avec Mme Feron, le 4 mai 2004, à Aix-en-Provence.
490 Visite de l’ERRC à l’aire d’accueil du Realtor, le 04 mai 2004, à Aix-en-Provence. 244 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
endroit, près du Realtor, mais les enfants ne pouvaient plus aller à l’école à moins que la famille n’aille à la mairie les réinscrire. La famille pensait qu’il était peu prob­able que les enfants soient acceptés étant donné que le maire d’Aix-en-Provence est connu pour être particulièrement vigilant pour expulser les familles s’arrêtant hors de l’aire d’accueil officielle. Au lieu de cela, la famille a quitté Aix-en-Provence.491
De nombreuses familles craignent de demander l’inscription de leurs enfants dans les écoles locales par crainte non seulement que leurs enfants soient refusés, mais aussi que la famille soit expulsée de la commune. Mme Marie Cannizzo492 a parlé à l’ERRC d’une expulsion qui a pris place en septembre 2003. Un groupe de familles comprenant une vingtaine d’enfants en âge d’être scolarisés s’était arrêté sur un site de la Ville de Saint-Pierre-de-Chandieu pendant plus d’un an. Le maire n’avait pris aucune mesure pour les expulser. Les enfants n’allaient pas à l’école locale. Au lieu de cela, ils allaient parfois à l’école dans un camion école mobile. L’école locale était prête à les accepter. Mme Cannizzo a accompagné les familles à une rencontre avec le maire afin de faire en sorte que les enfants puissent aller à l’école et manger à la cantine. Quelques jours plus tard, la police expulsait les familles de la commune par la force.493
M. Joseph Poirier, enseignant dans un camion école mobile a parlé à l’ERRC d’un incident similaire qui est arrivé à Eysines en Gironde : « J’avais fait la demande d’inscription scolaire pour la famille. Il y avait un enfant à inscrire. L’école locale était prête. Le maire a refusé ; comme la commune savait que la famille était là hors-la-loi, ils ont expulsé les caravanes le lendemain matin. »494
D’après Mme Danielle Mercier, représentant de l’association non gouvernemen­tale USETA,495 les refus par les écoles d’inscrire des enfants de voyageurs qui se sont arrêtés dans leurs environs sont parfois causés par des protestations d’associations de parents d’élèves locales. Elle a dit : « Ils vont voir les Directeurs d’établissements et leur disent : « si vous inscrivez des enfants de gens du voyage, je vais retirer mes enfants de l’école. Ils ne savent pas s’exprimer et sont sales. » Et les parents vont
491 Entretien de l’ERRC avec Mme. R.D., le 5 mai 2004, à Marseille.
492 Personne resource pour les enfants du voyage à l’Inspection académique du Rhône.
493 Entretien de l’ERRC avec Mme Marie Cannizo, le 25 mars 2004, à Lyon.
494 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Poirier, le 5 mars 2004, à Mérignac.
495 Union Socio-Educative Tsigane d’Aquitaine.245 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
parfois voir les maires et leur disent : « Augmentez la sécurité autour de l’école pour empêcher les enfants de gens du voyage d’entrer ; il y a des caravanes devant. » Ces sortes de choses sont souvent prononcées mais jamais écrites. »496
M. Joseph Poirier a parlé à l’ERRC d’un exemple récent où une association de parents l’a approché à St. Loubes (Gironde), hors de la zone où il va normalement avec son camion école. Il y avait un groupe de caravanes qui stationnait dans cette ville et parmi eux 3 ou 4 enfants qui souhaitaient aller à l’école locale. Les parents voulaient que M. Poirier aille enseigner aux enfants avec le camion école mobile afin que ceux-ci n’aillent pas à l’école locale. Il a refusé.497
D’après Mme V.R., une fonctionnaire de l’Education nationale qui a travaillé avec les voyageurs pendant plus de 30 ans, les Académies rencontrent de considérables dif­ficultés à faire respecter le droit des enfants de voyageurs à aller dans les écoles locales, du fait du climat politique et des pouvoirs des maires. Elle a dit à l’ ERRC : « Le jour ou l’Académie veut scolariser un groupe d’enfants de voyageurs, le problème devient public. Si un inspecteur d’académie décide de faire respecter la loi de scolarisation sans tenir compte du maire, t’es sûr que 2 heures après, le recteur mute l’inspecteur. Le recteur ne veut pas de vagues. C’est quelqu’un de politique qui représente le gou­vernement. Du coup, l’inspecteur d’académie veut faire respecter la loi, mais c’est un dossier politique donc il faut ménager la chèvre et le chou. L’inspecteur d’académie est pris entre la loi de scolarisation d’un coté, et de l’autre les lois relatives au logement – et à la sécurité quand il s’agit d’immigrants. On est pris entre plusieurs feux… »498
10.3 Les obstacles créés par les autorités locales afin d’empêcher l’inscription scolaire des enfants de voyageurs et de tsiganes
Les familles de voyageurs et de tsiganes qui achètent un terrain dans une com­mune rencontrent aussi des obstacles créés par les autorités locales quand elles veulent inscrire leurs enfants dans les écoles locales. Les autorités présentent de nombreuses raisons pour refuser d’inscrire les enfants, allant d’un manque de place dans les écoles
496 Entretien de l’ERRC avec Mme. Danielle Mercier, le 1er mars 2004, à Pessac.
497 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Poirier, le 05 mars 2004, à Mérignac.
498 Entretien de l’ERRC avec Mme. V.R., le 25 mars 2004.246
Ecole ségréguée pour voyageurs dans l’aire de stationnement officielle d’Avignon.
PHOTO: LANNA YAEL HOLLO247 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
aux infractions au Code de l’urbanisme commises par les familles (quand elles rési­dent sur des terrains non constructibles). Les autorités locales sont légalement obligées d’accepter dans les écoles les enfants résidant sur le sol de leur commun, sans se préoc­cuper du fait que les familles soient considérées en infraction avec les réglementations urbaines ou toute autre loi, étant donné que la scolarisation est un droit autant qu’une obligation. Toutefois, les familles de tsiganes et de voyageurs doivent souvent se battre avec les autorités locales et même parfois se pourvoir en justice, afin de pouvoir inscr­ire leurs enfants dans les écoles locales.
L’association non gouvernementale USETA499 a dit à l’ERRC que les principales dif­ficultés rencontrées par les familles viennent du fait que la première chose que demandent les fonctionnaires de la mairie est une facture de gaz ou d’électricité comme preuve de la résidence de la famille dans la commune. Souvent, c’est cette même mairie qui a refusé le raccordement des familles aux réseaux d’eau et d’électricité, considérant les familles comme en infraction avec les réglementations urbaines. Ainsi les autorités locales at­tachent plus d’intérêt aux réglementations urbaines qu’au droit d’un enfant à l’éducation.
Voici un exemple typique. En septembre 2002, le maire de l’Isle Saint-Georges a refusé d’inscrire douze des petits-enfants de Mme. J. Winterstein à l’école locale. Les enfants étaient venus vivre plusieurs mois avec leurs grands parents, lesquels possèdent un terrain à l’Isle Saint-Georges depuis 1990. Mme Winterstein pense qu’il est important que ses petits-enfants reçoivent une éducation et voulait donc les envoyer à l’école locale. Elle a dit à l’ERRC que lorsqu’elle avait demandé leur inscription à la mairie, le maire, M. Jean-André Lemire, avait refusé et menacé d’expulser la famille de leur terrain.
M. Lemire a dit à l’ERRC que prendre 12 enfants de voyageurs était difficile pour les enseignants. La petite école de la ville n’a que trois salles de classes et compte seulement 55 enfants âgés de trois à dix ans. Il a fait les commentaires suivants : « quand il n’y avait qu’un ou deux enfants de voyageurs c’était gérable, mais avec 12 enfants c’était une autre histoire… Je ne sais pas s’il est bon pour eux de se trouver au milieu d’enfants qui ont le même niveau scolaire qu’eux mais sont plus jeunes. De plus, les enseignants n’ont pas les moyens nécessaires pour gérer la situation. »500
499 USETA aide les enfants de voyageur à s’inscrire dans les écoles dans la région Aquitaine.
500 Entretien de l’ERRC avec M. Jean Andre Lemire, le 4 mars 2004, à l’Isle Saint-Georges.248 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
La famille a assigné la commune au Tribunal administratif de Bordeaux et a ga­gné. Le tribunal a ordonné à la commune d’inscrire les enfants dans l’école locale et l’a condamnée à une amende de 100€ par enfant refusé.501
D’après Mme Danielle Mercier, même après le jugement, M. Lemire ne voulait pas accepter les petits enfants de Mme Winterstein dans l’école locale. Elle a dit à l’ERRC : « Le maire de l’Isle Saint-Georges leur a dit d’aller s’inscrire à Saint-Médard-d’Eyrans.502 Mais le maire de cette ville leur a dit qu’il y avait un jugement et que les enfants devaient aller à l’école à l’Isle Saint-Georges. On a écrit au Ministre de l’Education nationale et 3 semaines plus tard il y avait de la place dans l’école de l’Isle Saint-Georges. » Dans le cadre de ses efforts pour faire respecter le jugement, Mme Mercier a aussi téléphoné à la directrice de l’école de l’Isle Saint-Georges ; elle lui au­rait dit qu’elle était folle de vouloir y inscrire des enfants de 10 ans qui n’avaient jamais été scolarisés et que l’école ne pourrait rien faire d’enfants de cet âge.503
Finalement, les 12 enfants furent placés dans une classe séparée dans une « salle d’évaluation » généralement utilisée pour des activités spéciales. M. Lemire a dit à l’ERRC : « on est obligé d’utiliser cette salle et on a réussi à obtenir un professeur sup­plémentaire qui s’occupe des enfants. » L’ERRC a demandé au maire s’il était sûr qu’ils avaient un retard. Il a répondu qu’il ne savait pas, qu’il était maire et pas enseignant.504
Mme Sandra Bayer, tsigane propriétaire de son terrain dans la ville de Gouvernes, a raconté à l’ERRC les difficultés qu’elle a rencontrées pour inscrire ses enfants à l’école locale. En novembre 2000, lorsqu’elle s’est installée dans la commune de Gouvernes avec son mari et ses enfants, elle voulu inscrire à l’école ses deux enfants, Kevin, 9 ans et Skipper, 11 ans. Elle est allée voir le directeur de l’école qui lui a dit qu’il y avait de la place pour ses enfants dans l’école. Elle est alors allé à la Mairie pour voir le maire, M. Toni Vincent. La secrétaire du Maire lui a tout de suite dit : « Non, on ne les ac­ceptera pas. » Mme Bayer a répondu que c’était une obligation légale que d’accepter tous les enfants dans les écoles et à insisté pour voir le maire, M. Vincent. Elle a obtenu
501 Entretien de l’ERRC avec Mme. Winterstein, le 4 mars 2004, à l’Isle Saint-George.
502 C’est une ville voisine qui a une école avec une classe séparée pour les enfants de tsigane et de voyageurs.
503 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Danielle Mercier, le 30 novembre 2004, à Paris.
504 Entretien de l’ERRC avec M. Jean Andre Lemire, le 04 March 2004, à l’Isle Saint-Georges.249 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
un rendez-vous pour le lendemain. M. Vincent lui a dit qu’il n’y avait pas de place dans l’école pour ses enfants. Elle a demandé comment cela était possible puisque le directeur de l’école lui a dit qu’il y avait de la place. D’après Mme Bayer, le Maire lui aurait dit : « De toutes façons on ne prendra pas vos enfants dans l’école. Vous devriez les laisser dans l’école où ils sont déjà, car je ne les prendrai pas. »
Le même jour, Mme Bayer avait un rendez vous avec le directeur de l’école de la ville voisine de Saint-Thibault-les-Vignes, où vivait avant la famille, afin de recevoir un certificat prouvant que ses enfants n’étaient plus scolarisés dans cette école (certificat de radiation). Ce document est nécessaire pour inscrire les enfants dans une autre école. Lorsqu’elle est arrivée à l’école, le directeur lui a dit qu’il ne lui donnerait pas le certificat car il avait reçu un appel de M. Vincent. Mme Bayer est retournée voir M. Vincent, une fois de plus. Elle lui a demandé pourquoi il avait téléphoné au directeur de Saint-Thibault-les-Vignes pour lui dire de ne pas lui donner le certificat. D’après Mme Bayer, M. Vincent lui aurait dit : « Je ne veux pas de vos enfants dans l’école. De toutes façons vous êtes ici illégalement et vous ne resterez pas. »505 Elle lui a dit qu’il n’avait pas le droit de refuser ses enfants. Il aurait répondu : « J’en ai le droit parce que l’Inspecteur d’Académie, M. Rougasse, m’a conseillé de ne pas les prendre, et que j’en avais le droit. »
Pendant la semaine, elle a essayé d’inscrire ses enfants à l’école. Mme Bayer les a amenés à l’école tous les matins avec leurs cartables et leurs livres scolaires dans l’espoir qu’ils finiraient par être admis. Après sa dernière conversation avec M. Vincent sur le sujet, elle a informé le préfet de la situation et a appelé les journalistes locaux. Elle a raconté à l’ERRC que le préfet avait dit à M. Vincent qu’il était obligé d’accepter les enfants. M. Vincent a refusé de parler avec les médias, mais il aurait téléphoné à un journaliste du journal Le Parisien qui préparait un article. Il lui aurait demandé de ne pas le publier et qu’il prendrait les enfants. M. Vincent est alors allé voir la belle-soeur de Mme Bayer qui vit aussi à Gouvernes. Il lui a dit de dire à son frère, M. Titus Bayer (le mari de Sandra), que les enfants pourraient aller à l’école.506 M. Vincent n’a répondu à aucun des messages de l’ERRC lui demandant un entretien.
505 Les Bayer ont été continuellement en procès avec la commune qui a cherché à les expulser de leur terrain et refuse de les approvisionner en eau. Voir les pages 156-160 de ce rapport.
506 Entretien de l’ERRC avec Mme. Sandra Bayer et M.Titus Bayer, le 10 février 2004, à Gouvernes. 250 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
10.4 Des comités d’examens pratiquant la discrimination
Il y a des rapports inquiétants faisant état de discriminations à l’égard des tsiganes et voyageurs durant les examens scolaires. Tel est le cas, par exemple, de Mlle Laura Hugues, une voyageuse de 16 ans, qui aurait été traitée de manière humiliante durant un examen dans le cadre du baccalauréat STT, examen auquel elle a finalement échoué.507
Mlle Hugues a suivi des cours avec l’enseignement à distance (le CNED). Elle s’est présentée le 02 juin 2004 à l’heure indiquée par sa convocation devant le comité d’examen du Lycée Notre Dame du Voeu à Hennebont. D’après Mlle Hugues, la première chose que lui aurait dite l’un des examinateurs aurait été : « On va com­mencer tout de suite, pas de préparation, on a pris du retard ce matin et il a bien fallu qu’on aille déjeuner. Vous devez être Laura Hugues, l’étudiante du CNED, nous venons juste de parler de votre frère. » En regardant les différents sujets préparés par Laura durant l’année scolaire, dont l’un avait pour sujet les voyageurs, l’un des ex­aminateurs a dit : « Vous allez être interrogée sur le sujet n°5 intitulé « l’étude d’un produit » car le sujet « gens du voyage » serait un peu trop facile, nous raconter votre vie… et ce n’est pas ma tasse de thé. »
Une partie de l’examen se faisait sur ordinateur. On a demandé à Laura d’utiliser le logiciel Excel. Elle n’avait pas pu l’acheter faute de moyens suffisants et il ne lui était donc pas familier. Une examinatrice aurait immédiatement fait cette re­marque : « C’est normal, on n’a pas pu s’entraîner, on n’a pas d’ordinateur dans une caravane. » Ensuite elle a dit : « vous n’auriez pas pu rester chez votre frère ? » (le frère de Laura vend sur les marchés, les fêtes et les ventes aux enchères dans la région et a un style de vie sédentaire). Laura ignore comment les examinateurs ont obtenu des informations sur les mouvements de sa famille.508
L’association Regards a expliqué à l’ERRC que ce cas est des plus sérieux car Laura est un modèle pour des centaines de jeunes de sa communauté. Ces mauvaises expériences dans le cadre de sa tentative de passer le baccalauréat vont avoir un impact
507 Baccalauréat sciences et technologies tertiaires. Ce Baccalauréat est spécialisé dans le commerce et la gestion Voir à ce sujet le site du Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Disponible à l’adresse suivante : http://www.education.gouv.fr/sec/baccalaureat/bactechno.htm.
508 Mme. Laura Hugues. Lettre au président de l’association Regards, le 09 juin 2004. 251 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
sur le désir des autres de continuer leurs études. Regards a reçu de nombreux appels émanant d’adolescents, dont beaucoup ont fait état de cas de discrimination similaires lors des examens scolaires.509 Regards a envoyé des lettres de plainte concernant ce cas aux autorités responsables, notamment à la toute nouvelle Halde (Haute autorité pour la lutte contre les discriminations et pour l’égalité). Le rectorat de Rennes enquête sur cette affaire. Les deux examinateurs ont répondu à ces accusations par écrit. Ils ont certifié que Laura a menti au sujet de ce qui s’est passé. D’après eux, ils ne savaient pas du tout qu’elle était tsigane. De plus, ils ont affirmé que même s’ils l’avaient su, « il est choquant de penser qu’ils l’auraient penalisée pour son appartenance à une commu­nauté donnée, quelle qu’elle soit.» Ils ont ensuite expliqué que sa présentation avait été faible, ce qui a conduit à son échec à l’examen. Au moment de l’écriture de ce rapport, aucune action d’investigation supplémentaire n’a été entreprise.510
10.5 Une éducation de médiocre qualité
Durant ses recherches l’ERRC a rencontré au moins vingt adolescents qui lui ont dit qu’ils allaient régulièrement à l’école mais ne savaient toujours ni lire ni écrire.
Quand l’ERRC leur a demandé pourquoi, certains des adolescents ont haussé les épaules et ont dit qu’ils n’en savaient rien. D’autres on dit que les enseignants les ignoraient ou les mettaient au fond de la classe. Par exemple, Mlle. G. M., qui a appris à lire et à écrire durant une formation qu’elle suivit entre 16 et 21 ans a dit à l’ERRC : « Par chance, j’ai appris à lire et à écrire. Je suis allée à l’école pendant 16 ans mais je n’ai rien appris. On était au fond de la classe. »511 De même, M. Stéphane Puzio, représentant de Regards à Lamonzie-Saint-Martin, a dit à l’ERRC que les enfants locaux allaient en général en cours d’octobre à avril, mais n’apprenaient rien. Il a aussi dit : « On leur dit de s’asseoir au fond de la salle et dessiner. Dans toute la France, vous trouverez des classes comme celle-ci. »512
509 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Dany Peto-Manso, le 20 décembre 2004, à Paris. Voir aussi la « lettre à M. Hugues et M. Peto-Manso », Rennes, 17 janvier 2005, copie disponible à l’ERRC.
510 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Dany Peto-Manso, le 20 décembre 2004, à Paris. Voir aussi la « lettre à M. Hugues et M. Peto-Manso », Rennes, 17 janvier 2005, copie disponible à l’ERRC.
511 Entretien de l’ ERRC avec Mme G.M., le 09 mars 2004, à Toulouse.
512 Entretien de l’ERRC avec M. Stephane Puzio, le 29 février 2004, à Bergerac. 252 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Trois ou quatre adolescents que l’ERRC a rencontré juste à la sortie de Bordeaux ont montré leurs cahiers à l’ERRC lesquels contenaient surtout des images à colorier.
M. Paul Piccirillo, travailleur social, chargée de la gestion d’un centre social implanté dans un complexe d’habitations où la population gitane représente un fort pourcentage a précisé à l’ERRC que : « L’école n’est pas adaptée à la population gitane. Mais pas à tout le monde non plus… La tendance première c’est de rejeter ces enfants. J’ai vu ces mêmes enfants qui ne marchaient pas à l’école, prendre un crayon et écrire au centre social... Il y a un problème dans la façon d’enseigner et dans les choses qu’on apprend. Par exemple, on ne leur parle jamais de l’histoire de leur peuple ou de leur mode de vie à eux. »513
10.6 Les enfants de tsiganes et de voyageurs sont victimes de ségrégations dans le cadre de leur scolarisation
Le ministre de l’Education nationale a clairement annoncé que des mesures doiv­ent être prises afin de s’assurer que les enfants de tsiganes et de voyageurs jouissent pleinement de leur droit à l’éducation en suivant la voie générale d’enseignement.
Le 25 avril 2002, une circulaire a clairement établi que priorité devait être donnée à la scolarisation des enfants non sédentaires, dans des classes ordinaires, et que les mesures visant spécifiquement ces populations ne devaient être que temporaires et agir comme des passerelles vers l’enseignement général :
À l’école élémentaire, il importe aussi que l’accueil s’effectue dans le cad­re des classes ordinaires. Des dispositifs spécifiques peuvent, si nécessaire, être envisagés à titre transitoire, mais uniquement comme passerelles vers la scolarisation en milieu ordinaire (classes d’adaptation dans des écoles de quartier, écoles spécifiques dans un quartier proche du lieu de stationnement ou sur le lieu de stationnement, par exemple). Si la maîtrise de la langue française dans ses usages oraux et écrits est une priorité, l’apprentissage du vivre ensemble constitue une autre finalité essentielle de l’école. Ainsi, l’intégration en milieu ordinaire constitue non seulement un principe ou un objectif mais aussi la modalité principale de scolarisation…
513 Entretien de l’ERRC avec M. Paul Picarillo, le 08 mai 2004, à Marseille. 253 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
La finalité des dispositifs itinérants (camions-écoles par exemple) qui prennent en charge la scolarisation des enfants échappant à toute inscrip­tion à l’école à cause de la trop grande itinérance des parents est aussi, à terme, de conduire à la fréquentation des classes ordinaires.514
La circulaire détaille ensuite un panel de méthodes innovantes, lesquelles ont été développées localement en différents endroits du pays, méthodes qui devraient être ap­pliqués plus généralement afin que les écoles primaires ordinaires puissent faire face aux besoins d’enfants très mobiles. Par la suite, elle met l’accent sur l’éducation dans les collèges et précise que priorité devrait être donné à la scolarisation des enfants dans le cadre général d’enseignement et présente un ensemble de mesures qui peuvent être mises en place afin d’offrir aux enfants en retard ou en difficulté le soutien nécessaire.
En dépit de cette circulaire, les recherches de l’ERRC révèlent que de nombreux tsiganes et voyageurs sont toujours scolarisés à part (écoles spéciales, classes spé­ciales et camions écoles ne s’occupant que des enfants de voyageurs).515
Par exemple, sur l’aire d’accueil officielle d’Avignon, gérée par l’association non gouvernementale AREAT, l’ERRC a trouvé une école entièrement destinée aux enfants dont les familles résident sur l’aire d’accueil. L’école reçoit des enfants de 3 à 12 ans, a deux classes et une équipe de deux professeurs et un assistant social.
José Brun de l’association tsigane Regards a dit à l’ERRC que ses écoles sur les aires d’accueil remontaient à une tendance à la mode dans les années 80. « Si, dans les années 80 ils avaient pu construire des Mc Donalds sur les aires d’accueils, il y en aurait maintenant. Ils construisaient de tout sur les aires d’accueil. Ils se sont vite rendus compte que c’était une erreur », a-t-il dit.516
514 Circulaire N° 2002-101 du 25 avril 2002 « Scolarisation des enfants du voyage et des familles non sédentaires ».
515 La Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (« CDE ») de l’UNESCO, signée à Paris en 1961, prévoit une interdiction spécifique de la discrimina­tion raciale dans le domaine de l’enseignement, dont la définition comprend : « instituer ou de main­tenir des systèmes ou des établissements d’enseignement séparés pour des personnes ou des groupes « . L’article 1(d) du CDE interdit ensuite le fait de « limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un groupe ». La France a ratifié le CDE le 11 septembre 1961.
516 Entretien de l’ERRC avec M. José Brun, le 23 février 2004, à Tours. 254 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
La stratégie officielle a changé maintenant et les enfants des voyageurs résidant dans des aires d’accueils doivent être intégrés dans les écoles locales. Toutefois les écoles d’aires d’accueil existent encore en un certain nombre d’endroits. Le ministre de l’Education nationale a indiqué en 2001 que de telles écoles existent en Avignon et à Dijon, Pau, Orléans, et Strasbourg.517
La plus grande école située sur une aire d’accueil est à Dijon. Créée en 1974, l’école reçoit environ 350 étudiants chaque année, agés de quatre à seize ans. Les enfants qui vont dans cette école viennent de familles vivant sur le site mais aussi de voyageurs et de tsiganes vivant ailleurs dans Dijon. La plupart des enfants allant à cette école ont été peu ou pas scolarisés. Les étudiants vont dans cette école pendant des périodes de temps variable, allant de 2 jours à six mois.518 Mme Virginie Repaire, qui a récemment écrit une thèse de doctorat sur cette école, a expliqué à l’ERRC que cette école ne devrait pas simplement être perçue comme une école ghetto. L’école a développé des méthodes pédagogiques innovantes qu’il serait intéressant de dével­opper plus généralement dans d’autres écoles. Néanmoins, elle a souligné le fait qu’il était évident que l’une des raisons pour lesquelles la ville de Dijon donnait des ressources considérables à cette école était que cela lui permettait d’éviter d’avoir à scolariser ces enfants dans les écoles ordinaires. Cette école doit donc aussi être perçue comme étant le produit d’une logique de discrimination et de ségrégation.519
Des écoles « ségrégatives » existent aussi en dehors des aires d’accueil, parfois près d’aires d’accueil officielles ou simplement près de quartiers à forte proportion de tsiganes ou de voyageurs. L’association USETA, en Gironde, a dit à l’ERRC qu’elle aimerait voir l’école « ségrégative » de Toulenne transformée en une école tout à fait normale, avec toutes sortes d’enfants. L’école, qui est isolée du reste de la ville, se trouve dans une zone rurale sans rien autour, excepté la zone industrielle voisine. Elle existe depuis 20 ans et reçoit des enfants de tsiganes et de voyageurs âgés de six à dou­ze ans. Il y a trois classes de différents niveaux. Les voyageurs ont dit à l’USETA que les autres écoles ne voulaient pas d’eux, aussi sont-ils revenus dans cette école même si l’aire d’accueil qu’il y avait avant dans le voisinage est maintenant fermée.520
517 « Information File : France. » Interface, Number 39, Spring 2001, pp. 14-17.
518 « Information File : France. » Interface, Number 39, Spring 2001, pp. 14-17.
519 Entretien de l’ERRC avec Mlle Virginie Repaire, le 24 novembre 2004, à Paris.
520 Entretien téléphonique de l’ERRC avec Mme. Danielle Mercier, 17 septembre 2004, à Paris.255 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
L’association non gouvernementale CCPS,521 basée à Toulouse, a dit à l’ERRC qu’il y avait eu une école dans l’ancien camp de Ginestous à Toulouse. Cette école, l’école de la Glacière, a été déménagée en dehors du camp au début de l’année scolaire 1991, mais la population de ses élèves est restée entièrement constituée d’enfants de tsiganes de la région de l’aire de Ginestous. En 2001, les enfants de plus de 9 ans ont été mis dans d’autres écoles autour de Toulouse, toutefois ceux de moins de 9 ans vont toujours à l’école de la Glacière.522
Un grand nombre de tsiganes et de voyageurs sont scolarisés dans des camions écoles. Ceci est particulièrement le cas de ceux dont les familles sont particulière­ment mobiles, que ce soit par choix ou du fait de fréquentes expulsions.
Par exemple, d’après une étude concernant l’assiduité des enfants de voyageurs dans le Rhône, conduite par Mme. Marie Cannizzo,523 environ 60% des enfants de voyageurs scolarisés en primaire ou en maternelle l’étaient dans des camions écoles. Si seulement les enfants « itinérants » sont pris en compte, ce pourcentage monte alors à 72%. Le terme itinérant regroupe différentes situations allant des enfants qui voyagent fréquemment parce que leurs familles ont choisi de le faire, aux enfants qui restent en fait dans une zone géographique restreinte mais bougent beaucoup du fait des expulsions forcées. Etant donné que les catégories telles que « sédentaire » et « itinérant » ne reflètent pas de manière adéquate la situation de la plupart des tsi­ganes et voyageurs, la catégorie « itinérant » comprend aussi des enfants qui passent plusieurs mois par an au même endroit.
D’après le Ministère de l’Education nationale, division de l’Enseignement scolaire, en 2001 il y avait 35 camions écoles mobiles dans le pays.524 La majorité de ces écoles est gérée par une ONG, Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes et autres jeunes en difficulté. (ASET),525 qui gère un réseau de 30 camions écoles répartis dans l’ensemble
521 Comité de Coordination pour la. Promotion et en Solidarité des Communautés en Difficulté. Migrants/Tsiganes.
522 Entretien de l’ERRC avec Mlle Marie-Paul Nauleau, lundi 8 mars 2004, à Toulouse.
523 L’étude couvre l’année scolaire 2003-2004.
524 « Information File : France. » Interface, Number 39, Spring 2001, pp. 14-17.
525 Aide à la Scolarisation des Enfants Tsiganes et autres jeunes en difficulté.256 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
de la France. Les enseignants sont recrutés par le Ministère de l’Education nationale, mais l’ONG elle-même est gérée de manière privée. Les camions écoles vont là où les caravanes s’arrêtent pour de courtes périodes. Ils visitent différents groupes d’enfants pendant la semaine, leur consacrant chacun une demi-journée. De nombreuses familles ont le numéro de téléphone du camion école et téléphonent aux enseignants chaque fois qu’ils sont expulsés pour les informer de leur nouvelle adresse.
D’après M. Joseph Poirier, enseignant dans un camion école en Gironde et Prési­dent de l’ASET, le camion école tente de fournir aux enfants une scolarisation mini­male. Il leur apprend à lire, écrire et compter. Chaque camion école peut recevoir environ 12 enfants à la fois. M. Poirier a dit à l’ERRC :
On ne peut pas considérer ça comme une vraie éducation. C’est très difficile. Ces populations vivent dans des conditions très difficiles. Ils sont tout le temps en situation illégale et souvent expulsés. Ils sont to­talement dépourvus des commodités élémentaires… En Gironde, nous sommes deux enseignants à enseigner dans les camions écoles et nous voyons ensemble 400 enfants durant l’année, dont 200 sur une base régulière. En dix ans, je n’ai pas vu un seul enfant obtenir un diplôme, même professionnel. Ils apprennent à lire et compter et c’est tout.526
Même les enseignants les plus motivés n’arrivent pas à compenser le nombre d’heures limité qu’ils peuvent passer avec chaque groupe d’enfants et les conditions précaires et indécentes dans lesquelles sont obligées de vivre ces familles.
M. Dany Peto-Manso, président de l’association tsigane Regards, a dit à l’ERRC : « j’appelle ça une réponse garage – une école pour fabriquer des sous-hommes… Si les enfants n’allaient pas à l’école ça reviendrait à peu près au même ».527
M. Joseph Charpentier, Président de l’Association Nationale et Européenne S.O.S. Gens du Voyage528 a ainsi commenté la situation : « Les camions écoles nous marginalisent, ils empêchent nos enfants d’être avec les autres. » En revanche, il a
526 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Poirier, le 05 mars 2004, à Mérignac.
527 Entretien téléphonique de l’ERRC avec M. Dany Peto Manso, le 29 novembre 2004 à Paris.
528 Association Nationale et Européenne S.O.S. Gens du Voyage.257 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
aussi fait remarquer que pour ceux qui éprouvent des difficultés à trouver un endroit où s’arrêter, c’est une bonne chose que le camion suive les caravanes.529
D’autres voyageurs, dans la région de Bordeaux, bougeant chaque fois qu’ils sont expulsés, ont dit à l’ERRC qu’ils appréciaient les camions écoles parce que au moins leurs enfants étaient ainsi scolarisés. Ils restent dans le secteur de Bordeaux couvert par les camions écoles autant qu’ils le peuvent. Ainsi, leurs enfants peuvent continuer leurs études.530
L’existence même de ces camions témoigne du degré d’exclusion des écoles ordi­naires de nombre d’enfants de tsiganes et de voyageurs. Les camions écoles sont une solution rustine créée par une ONG afin de remédier partiellement à l’inaptitude et au manque de volonté patent des écoles ordinaires en ce qui concerne les réponses à ap­porter aux besoins des enfants qui voyagent. Ils sont aussi une réponse à la profonde in­stabilité créée par les autorités et la police qui expulsent continuellement les familles.
Les camions écoles apportent en effet un niveau minimal de scolarisation à des en­fants qui sinon seraient exclus du système éducatif. Ces écoles n’ont pas les ressources ni les conditions d’environnement nécessaires pour fournir une éducation plus poussée aux enfants dont elles s’occupent. Néanmoins, pour les nombreuses familles qui se dé­placent d’une expulsion forcée à l’autre et ne sont jamais sûres de savoir où elles pour­ront passer la nuit, ces écoles sont devenues la seule option praticable permettant à leurs enfants d’apprendre à lire et écrire. De plus, lorsque les enfants de voyageurs dont les familles sont temporairement arrêtées dans une commune se voient refuser l’entrée dans les écoles ordinaires, ces camions leur fournissent une alternative à l’absence de scolarité totale pendant un moment. Certaines de ces écoles ont aussi été des centres d’innovation pédagogique, par exemple en ce qui concerne les supports de cours et les outils permet­tant d’assurer la continuité de l’éducation des enfants lorsqu’ils voyagent.
Toutefois, les camions écoles mobiles restent néanmoins une forme d’éducation minimale et créent une ségrégation. Ils sont actuellement une option trop souvent imposée par défaut aux familles du fait des nombreux obstacles les empêchant de scolariser leurs enfants dans les écoles ordinaires. La circulaire du 25 avril 2002 est
529 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Charpentier, le 29 octobre 2004, Bobigny.
530 Entretien de l’ERRC avec Mme Dolores Azais et Mme Nathalie Gaubert, le mardi 2 mars 2004, à Bordeaux. 258 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
une indication positive de la volonté du Ministère de l’Education nationale d’assurer que la norme consiste en la scolarisation des enfants de tsiganes et de voyageurs «itinérants» avec les autres enfants. Cette circulaire est aussi une affirmation de la volonté du Ministère de l’Education nationale de promouvoir des mesures positives afin de répondre aux besoins spécifiques de ces enfants dans les écoles ordinaires. Pour le moment, toutefois, ces directives et conseils demeurent un but lointain. La réalité locale reste celle où de nombreux enfants de tsiganes et de voyageurs sont fréquemment scolarisés dans des camions écoles ou d’autres structures créant de la ségrégation.
10.7 Les enfants de tsiganes et de voyageurs sont mis dans des classes spéciales
Il est largement connu qu’un nombre disproportionnellement élevé d’enfants parmi ceux qui continuent leur scolarité après l’âge de 12 ans sont scolarisés en Sec­tion d’Enseignement Professionnel Adapté (SEGPA).
Ces classes apportent un enseignement spécialisé élaboré spécialement pour les enfants rencontrant de sérieuses difficultés à apprendre du fait de raisons sociales, culturelles, ou intellectuelles (Q.I. inférieur à 80). M. Hervé Londeix, inspecteur à l’Inspection académique de Gironde, à dit à l’ERRC : « Aujourd’hui on propose aux étudiants connaissant des difficultés significatives un soutien scolaire spécial et on les oriente vers des classes SEGPA. Ils savent parfois à peine lire. Souvent, ils ont de légères déficiences intellectuelles et la plupart des cas relèvent de problèmes sociaux ou culturels. Ce sont des enfants qui n’ont pas le bagage culturel qui leur permettrait de suivre une orientation scolaire normale vers le collège. »531
Le but des classes SEGPA est de préparer les étudiants à la formation profes­sionnelle. Les étudiants suivent l’enseignement en SEGPA pendant quatre ans et les meilleurs d’entre eux vont dans un lycée professionnel, où ils peuvent préparer un diplôme professionnel. Les étudiants qui arrêtent leurs études après les classes SEGPA ne reçoivent aucun diplôme.532
531 Entretien de l’ERRC avec M. Hervé Londeix, le 5 mars 2004, à Mérignac.
532 Voir Eduscol – le site pédagogique du Ministère de l’Education nationale «Enseignements adaptés dans le second degré», disponible à l’adresse suivante : http://eduscol.education.fr/index.php?./D0081/segpa.htm. Voir aussi la circulaire : « Enseignement adapté – Mise en oeuvre de la rénova­tion des enseignements généraux et professionnels adaptés dans le second degré » 19 juin 1998,259 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
Les étudiants sont orientés vers ces classes sur décision d’une commission533 composée de personnes représentant l’Inspection académique, la Direction dépar­tementale des affaires sanitaires et sociales, un directeur d’institution spécialisée et des représentants d’une association de parents d’enfants handicapés. La commission inclut notamment des médecins, psychologues et travailleurs sociaux.534
Dans le cas des enfants de tsiganes et de voyageurs, ce qu’on appelle leur prob­lème social ou culturel, c’est leur niveau scolaire insuffisant à l’âge d’entrer au col­lège. Ainsi la racine du problème vient bien d’un mode de scolarisation inadapté des jeunes enfants de tsiganes et voyageurs. Comme les classes de collège ordinaire n’ont en général pas les programmes de soutien scolaire nécessaires pour ces enfants, ils sont dirigés vers des classes SEGPA.
M. Joseph Poirier, Président de l’ASET, a dit à l’ERRC : « Eux leur handicap, c’est le retard scolaire... Au lieu de les mettre au collège où il n’y a rien pour les accompagner, on les mets en SEGPA. » Il a noté qu’en fonction de la manière dont se déroule la scolarité en SEGPA, les étudiants peuvent acquérir des compétences qui leur seront utiles. Il a souligné qu’en ce sens, leur orientation n’est pas seule­ment négative. « Un enfant qui ne sait pas lire ou écrire en 6ème fera simplement de la présence au Collège étant donné que le collège ne dispose pas de programmes de soutien spéciaux… Mais, c’est aussi une façon de les marginaliser, » a-t-il dit.535
M. Londeix a commenté de manière similaire : « Il y a évidemment en SEGPA des enfants qui ne devraient pas y être... C’est assez tentant pour les enseignants de pro­poser une orientation vers un SEGPA plutôt qu’un collège. Ils savent que si un enfant va au collège mais souffre déjà d’un retard scolaire, il ne va rien apprendre.. On sait que là au moins, en SEGPA, il peut acquérir des compétences professionnelles. »536
disponible à l’adresse suivante : http://www.education.gouv.fr/bo/mentor/word//1998/bo26/r5.doc ; et Circulaire « Enseignement adapté – Orientations pédagogiques pour les enseignements généraux et professionnels adaptés dans le second degré » 19 juin 1998, disponible à l’adresse suivante : www.education.gouv.fr/bo/mentor/word//1998/bo26/r6.doc.
533 Commissions de circonscription du second degré (CCSD)
534 Site Internet « L’aide aux élèves, l’adaptation et l’intégration scolaires », disponible à l’adresse sui­vante : http://www.aideeleves.net/reglementation/cdes.htm.
535 Entretien de l’ERRC avec M. Joseph Poirier, le 5 mars 2004, à Mérignac.
536 Entretien de l’ERRC avec M Herve Londeix, le 5 mars 2004, à Mérignac. 260 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
Bien que les étudiants puissent effectivement acquérir des compétences profes­sionnelles en classe de SEGPA, le curriculum n’est en aucun cas équivalent à celui des classes de collège normales. Au mieux, il ne donne aux enfants qu’un choix d’orientation professionnelle limité. Pour la plupart des enfants de tsiganes et de voyageurs, qui arrêtent leur scolarité avant la fin des quatre ans de SEGPA ou qui ne vont pas plus loin que la dernière année, ces études ne débouchent sur aucune quali­fication professionnelle formelle.
Le nombre disproportionnellement élevé d’enfants de tsiganes et de voyageurs qui vont en classes SEGPA témoigne en fait de l’échec des écoles ordinaires – aussi bien les écoles primaires que les collèges – qui ne parviennent pas à répondre aux besoins des enfants de tsiganes et de voyageurs.
Les différentes personnes avec lesquelles l’ERRC a parlé de ce problème ont souligné le fait que le système éducatif français est fait d’une manière telle que si un enfant ne parvient pas à rentrer dans le moule traditionnel, il est alors dirigé vers des voies spécialisées qui au mieux conduisent à un diplôme professionnel. Il y a un manque général d’options dans le système éducatif ordinaire pour les enfants qui ne rentrent pas dans la norme.
M. José Brun, de l’association tsigane Regards, a fait le commentaire suivant, expliquant que les enfants sont orientés vers des classes SEGPA « parce qu’il n’y a pas d’autre solutions. On ne dit pas que l’enfant a une déficience. Simplement, le système ne prévoit pas le cas de jeunes adolescents insuffisamment scolarisés. »537
Les classes SEGPA sont un palliatif médiocre et marginalisant aux mesures qui doivent être prises dans le cadre du système éducatif ordinaire afin d’assurer que les en­fants de tsiganes et de voyageurs puissent pleinement exercer leur droit à l’éducation.
10.8 La mise en application de la circulaire du 25 avril 2002 relative à la scolarisation des enfants du voyage et de familles non sédentaires
La circulaire du 25 avril 2002 vise très clairement l’augmentation de la scolari­sation des enfants de tsiganes et de voyageurs et leur inclusion dans les structures
537 Entretien de l’ERRC avec M Jose Brun, le 23 février 2004, à Tours. 261 Les violations du droit à l’éducation des enfants de voyageurs et de tsiganes
générales. Elle propose des mesures positives à prendre, là où cela est nécessaire, afin de mieux adapter l’éducation à un style de vie de voyage. La mise en applica­tion de cette circulaire représenterait clairement un pas en avant significatif en ce qui concerne le droit des enfants de tsiganes et de voyageurs à l’éducation.
Toutefois, pour le moment, cette circulaire semble plus être un pas en avant sym­bolique que pratique. Durant ses recherches, l’ERRC n’a pas trouvé, bien qu’ayant essayé, un plan d’action clair ou une quelconque forme de coordination décidée par le Ministère de l’Education nationale afin d’assurer que les lignes directrices présentées dans la circulaire soient mises en pratique à l’échelon local.
Le professeur Jean-Paul Liégois a longtemps étudié la situation des tsiganes et voyageurs en ce qui concerne l’éducation. Il a dit à l’ERRC qu’il ne pensait pas que cette circulaire ait apporté de changements concrets. Il croit qu’elle a simplement reconnu formellement différentes initiatives locales mises en place de manière dis­persée et non coordonnée ces dernières années. Il a souligné qu’il n’y a pas eu de tentatives de coordination et d’harmonisation de ces mesures au niveau national. Il a fait les commentaires suivants : « En France, nous avons tous les avantages de la centralisation, sans en avoir aucun des bénéfices qu’elle pourrait impliquer. »538
L’ERRC était en fait surprise de découvrir que les études statistiques conduites en Gironde par M. Londeix, et dans le Rhône par Marie Cannizzo n’étaient que des initiatives locales non reconduites à l’échelon national. De telles études statistiques clarifiant les taux de scolarisation, les taux de réussite et le type d’écoles ou de classes dans lesquelles sont placés les enfants de tsiganes et de voyageurs, semblent être une première étape nécessaire permettant à l’Education nationale de reconnaî­tre l’étendue de l’exclusion et de la ségrégation dont sont victimes les enfants de tsiganes et de voyageurs. De telles études permettraient également de développer et de mettre en oeuvre des mesures permettant d’accueillir ces enfants dans les écoles ordinaires. Ces donnés devraient évidemment être collectées en accord avec les principes de confidentialité et d’auto-identification des individus.
De plus, il semble que ce soit avant tout dans les structures spéciales « sé­gréguées » que les directeurs et les enseignants aient développé des méthodes péda­gogiques innovantes ainsi que des outils éducatifs conçus de manière à permettre une
538 Entretien de l’ERRC avec le professeur Jean-Pierre Liégois, le 24 novembre 2004, à Paris.262 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
continuité des études des enfants qui voyagent. Mais il n’y a pas d’indications d’une quelconque approche coordonnée du Ministère de l’Education nationale visant à in­corporer de telles méthodes dans les écoles et les classes ordinaires. Au lieu de cela, il semble que ces initiatives restent dépendantes de volontés locales, lesquelles, c’est le moins que l’on puisse dire, n’existent pas toujours. 263 Les lois anti-discrimination
11. LES LOIS ANTI-DISCRIMINATION
L’ERRC pense qu’un cadre juridique efficace se donnant pour but de combat­tre la discrimination raciale est indispensable pour promouvoir l’égalité entre les tsiganes et les voyageurs, d’un côté, et le reste de la population, de l’autre. Non seulement un tel cadre permettra que les victimes de discriminations puissent obtenir réparation, mais il jouera aussi un rôle dissuasif. De plus, des lois anti-discrimination efficaces aideront à révéler des problèmes de discrimination qui autrement restent cachés. Enfin, la fonction éducative de telles lois ne doit pas être sous-estimée : ces lois envoient à l’ensemble de la société un message disant que la discrimination ra­ciale ne sera pas tolérée.
L’obligation faite aux Etats de mettre en place un cadre légal interdisant les dis­criminations dans des secteurs clefs est fermement ancrée dans le droit international. Au niveau international, l’Article 6 de la CIEDR539 en est l’expression la plus com­plète et prévoit que :
Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’Etat compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, vi­oleraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination.
Les réparations adéquates n’incluent pas uniquement l’ìmposition d’une sanc­tion à l’auteur de la discrimination, mais également des compensations morales et matérielles pour les victimes.540
539 HYPERLINK « http://www.ohchr.org/french/law/cerd.htm » Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
540 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR), Observation générale No XXVI, cinquante-sixième session, 2000, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.minorityrights.org/translated-pubs/IcerdFrancais.pdf.
Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
264
Ces dernières années, au niveau européen, les obligations légales faites aux Etats de mettre en place des lois anti-discrimination efficaces ont connu une rapide évolu­tion avec l’élaboration de normes détaillées. En juin 2000, le Conseil de l’Union Eu­ropéenne a adopté la directive 2000/43/EC « relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique » laquelle devait être transposée dans les systèmes juridiques des Etats membres (France y comprise) en juin 2003.541 De plus, en février 2003, la Commis­sion européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié la recommanda­tion de politique générale n° 7 de l’ECRI sur « la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale ». Cette recommandation apporte des détails supplémentaires concernant les composantes substantielles et procédurales devant être incluses dans les lois luttant contre les discriminations raciales.542
De plus, le 04 novembre 2000, le Conseil de l’Europe a ouvert à signature par les Etats membres le « Protocole n°12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ». Désormais, grâce à ce protocole, un droit général et autonome de la non-discrimination sera applicable par la Cour Européenne des droits de l’Homme. Ceci élargit considérablement l’étendue des garanties prévues à l’article 14 de la CEDH, lesquelles sont de nature accessoire, s’appliquant uniquement aux droits déjà garantis par la convention. Le Protocole 12, d’autre part, s’applique à « tout droit prévu par la loi » (Art 1(1)). Ce protocole
541 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, Journal officiel n° L 180 du 19/07/2000 p. 0022-0026 disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0043:FR:HTML.
Une seconde directive plus spécifique s’appliquant également aux états members de l’UE a également été adopée : « Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. » Journal officiel n° L 303 du 02/12/2000 p. 0016-0022, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://europa.eu.int/eur-lex/lex/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0078:FR:HTML. Cette directive couvre aussi les cas de discriminations sur des critères de croyance ou de religion, d’handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle.
542 Recommandation de politique générale n° 7 de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale, disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.coe.int/T/F/Droits%5Fde%5Fl%27Homme/Ecri/1-ECRI/3-Th%E8mes_g%E9n%E9raux/1-Recom­mandations_de_politique_g%E9n%E9rale/Recommandation_n%B0_7/3-Recommandation_7.asp#TopOfPage. 265 Les lois anti-discrimination
est entré en vigueur le 1er avril 2005. Toutefois, il ne s’applique qu’aux Etats par­ties qui l’ont ratifié.
La France a violé ses obligations légales internationales en matière d’égalité pendant de nombreuses années, par un défaut de lois anti-discrimination efficaces. Toutefois, ces dernières années, en réponse aux développements européens, des étapes importantes ont été franchies par l’introduction de nouvelles lois anti-discrim­ination et par l’amélioration des lois déjà existantes. Bien qu’encore insuffisants, ces changements sont les bienvenus. Ils étaient indispensables pour pouvoir lutter contre les discriminations anti-tsiganes et voyageurs.
Le droit pénal français interdit les discriminations dans certains secteurs : fourniture de biens et services, obstruction à l’exercice normal d’activités économiques, différents aspects du travail et de l’emploi, apprentissage… qu’elles soient le fait d’acteurs publics ou privés.543 De plus, une personne « dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice de ses fonctions » est pénalement responsable de discrimination si elle refuse d’accorder un bénéfice prévu par la loi.544
Ces dispositions ont été largement critiquées comme étant plus symboliques qu’effectives pour ce qui est de venir en aide aux victimes de discrimination. Par exemple, dans son second rapport sur la France, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a déclaré que « ces dispositions sont toutefois rare­ment appliquées… la principale difficulté à laquelle on se heurte étant – comme dans la plupart des autres pays d’établir la preuve de l’acte de discriminatoire. »545
Ces dernières années, il y a cependant eu des améliorations en ce qui concerne l’application de ces dispositions. Ainsi, dans son troisième rapport sur la France, l’ECRI note que « les cas de condamnations pour discrimination raciale vont en augmentant, notamment concernant les discriminations dans l’accès aux biens et services. Ce phénomène est en partie dû à l’acceptation par la justice pénale de la méthode dite du « testing » comme moyen de preuve. … La Cour de cassation546 a
543 Voir Article 225-1 à 225-4 du Code Pénal français.
544 Voir Article 432-7 du Code Pénal français.
545 ECRI. Second rapport sur la France, adopté le 10 décembre 1999 et rendu public le 27 juin 2000.
546 Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 juin 2002, Sos racisme. 266 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
admis qu’un tel moyen de preuve ne pouvait pas être considéré comme illicite ou déloyal, en application du principe de la liberté des preuves en matière pénale. »547
En dépit des ces améliorations, les condamnations demeurent trop peu nombreuses en comparaison de l’étendue des problèmes de discrimination raciale. Par exemple, les données officielles indiquent qu’en 2001, il y eu un total de 7 condamnations pour dis­crimination dans le cadre d’une offre de bien ou de services sur des critères d’origine, de nationalité ou de race, un total de 24 en 2002 et un total de 9 en 2003. En ce qui concerne le marché du travail (offres d’emplois, embauche, licenciement), il y a eu un total de 6 condamnations en 2001, 2 condamnations en 2002 et 9 condamnations en 2003 pour discrimination sur des critères d’origine, de nationalité ou de race.548
Bien que les recherches de l’ERRC indiquent que la discrimination contre les voyageurs et les tsiganes soit monnaie courante dans les secteurs couverts par le droit pénal, tels que l’accès aux biens et aux services, l’ERRC n’a pas eu connaissance d’une seule affaire concernant un tsigane ou un voyageur dans laquelle une partie aurait été condamné sur ces bases. La plupart des personnes avec lesquelles l’ERRC a été en entretien n’ont tout simplement pas porté plainte pensant que leurs plaintes n’auraient pas de résultats. Toutefois, les quelques personnes qui l’ont fait en furent clairement découragées par la police dans le cadre de l’instruction de la plainte. Elles ont ensuite été informées par les autorités judiciaires que leur affaire avait été classée sans que soit donnée la moindre explication quant aux raisons de cette décision.549
De manière plus générale, le droit pénal est largement considéré comme étant inadéquat en ce qui concerne la lutte contre la discrimination.550 Il est très difficile
547 ECRI. Troisième rapport sur la France adopté le 25 juin 2004 et rendu public le 15 février 2005. Dis­ponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.coe.int/T/F/Droits%5Fde%5Fl%27Homme/Ecri/1-ECRI/2-Pays-par-pays/France/France_CBC_3.asp#TopOfPage.
548 Voir La lutte contre le racisme et la xénophobie, 2003, Rapport de la Commission Nationale Consult­ative des Droits de l’Homme, Annexe 2 «les condamnations inscrites au casier judiciaire en 2002», p. 559. Statistiques 2003 fournies par le Ministère de la Justice durant une réunion du CEDR, Genève, le 18 février 2005.
549 Voir par exemple les cas de Mme Ca. M. et Mme C.M. au page 219-220 de ce rapport.
550 Il y a un certain nombre de problèmes spécifiques au droit pénal ; (I) la charge de la preuve : le droit pénal requiert généralement que le délit supposé soit prouvé sans qu’il ne reste de doute raisonnable (s’opposant ainsi à l’équilibre des probabilités du droit civil). Ce standard est souvent prohibitif pour267 Les lois anti-discrimination
d’engager des poursuites pour des cas de discrimination indirecte via le droit pénal et d’incorporer d’importantes mesures procédurales, telle qu’un partage de la charge de la preuve entre la victime et l’auteur d’une discrimination raciale, ainsi que requis par la directive 2000/43/EC.551
La France a récemment introduit d’importantes lois et mesures anti-discrimina­tions dans son droit civil et administratif, dans certains domaines. La loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations interdit les discriminations directes ou indirectes dans différents aspects du monde du travail, de l’apprentissage au licenciement. Les critères de discriminations interdites inclu­ent l’origine, les coutumes, l’apparence physique, le patronyme, l’appartenance ou la non appartenance, réelle ou supposée à une ethnie ou nation. Cette loi prévoit un
les victimes de discrimination parce que les preuves sont entièrement entre les mains de la personne s’étant rendue coupable de discriminations ; (II) le recours au droit pénal dépend de l’attitude des autorités judiciaires. Bien souvent les minorités n’ont pas suffisamment confiance en la police pour déposer une plainte. De plus, à moins qu’il n’y ait de statut légal des groupes anti-racistes, les déci­sions concernant la mise en oeuvre de la procédure, en particulier la décision de poursuivre ou non le coupable supposé, dépendent entièrement de la police ; la victime risque de se retrouver dépourvue de contrôle sur l’affaire ; (III) compensations : le droit pénal peut ne pas offrir de compensation directe à la victime, réduisant ainsi en premier lieu les motivations de dépôt de plainte. (voir les discussion sur ce sujet dans « European Union Anti-Discrimination Policy : From Equal Opportunities between Women and Men to Combating Racism », Chapter 2. Directorate-General for Research Working Document, Public Liberties Series LIBE 102 EN, Parlement européen, Decembre 1997, disponible à l’adresse suivante : http://www.europarl.eu.int/workingpapers/libe/102/text2_en.htm#N_70_.
551 Dans son « Exposé des motifs relatif à la Recommandation de politique générale n°7 de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale », L’ECRI affirme : « L’ECRI pense qu’une législation appropriée pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale doit comprendre des dispositions dans toutes les branches du droit, à savoir le droit constitutionnel, le droit civil et le droit pénal. Seule une telle approche intégrée permettra aux Etats membres d’aborder ces problèmes autant que possible d’une manière exhaustive, efficace et satisfaisante du point de vue de la victime. Dans le domaine de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, le droit civil et administratif offre souvent des moyens juridiques souples, qui peuvent faciliter le recours en justice des victimes.. » Voir Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), Recommandation de politique générale n°7 de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discri­mination raciale , adoptée par l’ECRI le 13 décembre 2002, Exposé des Motifs relatif à la Recomman­dation de politique générale n°7 de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale , paragraphe 3, disponible à l’adresse suivante : http://www.coe.int/T/F/Droits_de_l%27Homme/Ecri/1-ECRI/3-Th%E8mes_g%E9n%E9raux/1-Recommandations_de_poli­tique_g%E9n%E9rale/Recommandation_n%B0_7/3-Recommandation_7.asp#P170_16494.268 Hors d’ici ! Anti-tsiganisme en France
modernisation sociale » du 17 janvier 2002 a introduit l’interdiction des discriminations dans le cadre de l’accès à la location de logements sur des critères d’origine, de patronyme, d’apparence physique, de moeurs, de race ou de nationalité et prévoit également le partage de la preuve entre le plaignant et la partie défenderesse. Il n’y a pour le moment aucune statistique accessible au public concernant l’efficacité de ces partage de la charge de la preuve entre les personnes se disant victimes de discrimi­nations et l’auteur du supposé acte discriminatoire. Le tribunal peut ordonner toute forme d’enquête jugée nécessaire afin de prendre sa décision. De plus les syndicats peuvent intenter des actions en justice pour le compte des victimes si celles-ci le souhaitent, enfin les inspecteurs du travail peuvent apporter tout élément ou infor­mation pouvant être utile afin de fournir la preuve d’une discrimination. La « loi de ­nouvelles dispositions permettant de l’évaluer avec précision.
De plus, la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) améliore sen­siblement l’arsenal juridique français en ce qui concerne la lutte contre les discrimi­nations.552 Cette loi crée un organe spécialisé ayant mandat pour lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité. Elle étend la protection anti-discrimination déjà existante afin de couvrir les discriminations, directes ou indirectes, dans tous les aspects de la vie prévus par la directive 2000/43/EC. Elle prévoit aussi un partage de la charge de la preuve.553
552 Loi n°. 2004-1486 du 30 décembre2004 « Loi portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ».
553 L’article 19 prévoit que : « En matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d’avantages procurés par elle, ainsi que d’accès à l’emploi, d’emploi et de travail indépendants ou non salariés, chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou non-apparte­nance vraie ou supposée à une ethnie ou une race. »
Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte en ces domaines étab­lit devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le précédent alinéa ne s’applique pas devant les juridictions pénales.
Publication au JORF du 31 décembre 2004, loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004, « Loi portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ».269 Les lois anti-discrimination
Même en tenant compte de ces louables développements, l’appareil juridique de lutte contre les discriminations ne couvre toujours pas tous les aspects de la vie ainsi qu’il est requis par les engagements internationaux de la France. Cet arsenal jurid­ique doit être étendu afin de couvrir de nombreux autres droits tels que :
• L’administration et la justice, y compris la protection de la sécurité de la personne (ICERD 5 (a) et (b)/ECHR Arts. 5, 6,13,14) ;
• La participation politique, y compris le droit de vote, de se présenter à une élection, de prendre part au gouvernement et à la conduite des affaires pub­liques, à quelque niveau que ce soit, ainsi que l’égal accès à la fonction pub­lique. ; (ICERD, 5 (c)) (ECHR Art. 14 et Protocole No. 1 Art. 3) ;
• Le droit à la liberté de mouvement et de résidence à l’intérieur des frontières de l’Etat (ICERD, 5(d)(i)/ECHR Protocole No.4 Art. 2 et Art. 14) ;
• Le droit à la liberté d’assemblée pacifique et le droit à la liberté d’association. (ICERD, 5(d) (ix)/ECHR Arts. 11 et 14).
La mise en application efficace de la loi du 30 décembre 2004, ainsi que celle d’autres lois anti-discrimination constituerait une étape importante dans le combat contre les discriminations en France. L’ERRC espère que ces nouvelles lois ne res­teront pas purement formelles mais se traduiront par des résultats concrets. Ceci signifie que les victimes de discriminations ont besoin de recevoir des compensa­tions et des remèdes pour les préjudices subis du fait de discriminations directes ou indirectes. Ceci veut aussi dire que le public français doit devenir conscient que de telles discriminations sont inacceptables et que les actes de discriminations seront sanctionnés par les tribunaux. Enfin, ceci signifie que les autorités, à tous les niveaux du système judiciaire français, y compris la nouvelle autorité pour l’égalité, devront jouer un rôle actif en mettant en oeuvre ces lois. Ces développements sont urgents afin de mettre fin à l’état d’impunité dans lequel se produisent les discriminations contre les tsiganes et les voyageurs en France. 271 Les migrants roms sont soumis à des traitements inhumains et dégradants

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire