Droit du sport
- SUR LES ARTICLES 60 ET 61
L’article 60 introduit un article L. 332-16-1 dans le code du sport qui permet au ministre de l’intérieur, par arrêté, d’« interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ».
L’article 61 introduit, lui, un article L. 332-16-2, dans le même code, qui autorise les préfets de départements, par arrêté, à « restreindre la liberté d’aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ».
Il est également prévu que ces arrêtés énoncent, dans le premier cas, « la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent, ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s’applique », et dans le second, « la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique ».
Enfin, il prévoit une peine de 6 mois d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, en cas de violation desdits arrêtés.
Les requérants ne peuvent qu’adhérer aux objectifs poursuivis par le législateur visant à combattre le fléau des violences perpétrées à l’occasion de certaines manifestations sportives. En atteste le fait que, dans aucun de leurs recours déposés à l’encontre des lois précédentes contenant des dispositions « anti-hooligan », ils n’ont mis en cause lesdites dispositions[1]. Ils ne sauraient souscrire en revanche au dispositif ici en cause qui va bien au-delà de ce que peut justifier la préservation de l’ordre public, et qui porte en lui des risques trop importants pour les libertés individuelles, particulièrement celle d’aller et venir, en raison de l’imprécision des dispositions en cause (1), et du manque d’encadrement des pouvoirs de police administrative ainsi conférés au ministre de l’intérieur et aux préfets (2).
1. Quant à l’imprécision des dispositions déférées
Les requérants font ici grief à ces disposition de ne pas respecter le principe de légalité tel qu’inscrit à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par son manque de clarté et de précision quant à la définition des personnes susceptibles d’être visées par les arrêtés en question.
Qu’en effet, l’« objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi » impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » afin de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (2004-509 DC du 13 janvier 2005, cons. 25).
Or la notion de « personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel » n’a pas d’équivalent dans le code du sport qui ne connaît que les « associations de supporters » (L. 332-17), ou les groupements « de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive » (L. 332-18).
Ainsi, cette définition recouvrirait non seulement les membres d’association de supporters ou les membres de groupements de fait, mais également toute personne qui soutient de près de ou de loin une équipe de football – puisque c’est ce sport en particulier qui est manifestement visé – et ce indépendamment de son comportement passé ou actuel propre, indépendamment de la menace qu’elle représente pour l’ordre public.
Mais en réalité, en l’absence de définition plus précise, c’est toute personne qui se trouvera à proximité d’un stade et que les forces de police ou de gendarmerie considéreront comme relevant de la catégorie de supporter qui tombera sous le coup de l’arrêté. Ainsi l’application de ces dispositions dépendra-t-elle exclusivement de la l’appréciation des autorités administratives, ministérielles, préfectorales et policières, sans qu’aucune garantie légale ne vienne prémunir le risque d’arbitraire dans leur mise en œuvre.
2. Quant au manque d’encadrement des pouvoirs conférés
De surcroit le législateur est resté manifestement en deçà de sa compétence, alors que lui incombe « d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 » ((2004-500 DC du 29 juillet 2004, cons. 13). Que s’agissant de la préservation de l’ordre public dans le cadre de la police administrative, il lui appartient ainsi « de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » (2010-604 DC du 25 février 2010, cons. 22).
Ainsi les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties doivent-elles être justifiées par une menace réelle pour l’ordre public, reposant sur des circonstances particulières caractérisant le risque de trouble à l’ordre public dans chaque espèce (cf. notamment 93-323 DC du 05 août 1993, cons. 9 ; 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. 9 ; 2010-13 QPC du 09 juillet 2010 cons. 8).
Or, ce n’est pas la menace directe à l’ordre public qui est visée par les dispositions contestées, ni le fait que les personnes en cause menacent par des éléments objectifs cet ordre public, mais leur « présence (…) susceptible d’occasionner des troubles graves à l’ordre ». C’est dire la marge d’appréciation ainsi octroyée aux autorités administratives en l’absence d’un cadre légal plus contraignant.
De plus, le législateur a renvoyé à ces mêmes autorités administratives le soin de définir elles-mêmes les limites à l’exercice de leur propre pouvoir de police. Ce sont ainsi elles qui seules apprécieront la durée de l’interdiction ou de la restriction de circulation, sans qu’il ne leur soit imposé une durée maximale, ni même que cette durée soit limitée à un temps strictement nécessaire. De même que ce sont elles qui apprécieront le périmètre de la restriction de la liberté d’aller et venir qui, à défaut de limite légale, pourra aussi bien concerner les abords immédiats d’un stade, que le territoire entier d’une commune, voire d’un département.
S’agissant du cas particulier des mesures d’interdiction individuelle de déplacement, la loi ne prévoit même pas les conditions dans lesquelles l’arrêté du ministre de l’intérieur devra être notifié à la personne visée ; au risque pour cette dernière de tomber sous le coup de la loi sans en avoir été préalablement avisé.
De manière générale, si conformément à l’article 34 de la Constitution c’est à la loi de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, en revanche « la mise en œuvre des garanties déterminées par le législateur relève du pouvoir exécutif », et, au sein du pouvoir exécutif, au Premier ministre qui a « le soin d'assurer l'exécution des lois et (…) d'exercer le pouvoir réglementaire » (2009-580 DC du 10 juin 2009, cons. 33, et 2003-485 DC du 04 décembre 2003, cons. 31-35).
Dans le cas présent, il eut donc fallu, à tout le moins, que le législateur renvoya à un décret pris en Conseil d’Etat le soin de fixer les modalités d’application des dispositions contestés, et non les laisser à la discrétion du ministre de l’intérieur ou des préfets de départements.
Le défaut de clarté dans les termes de la loi qui ne permettent pas de déterminer avec suffisamment de précision les personnes potentiellement concernées, lié à cette absence de cadre strict ou au moins réglementaire pour l’exercice de ces prérogatives de police administrative, font peser sur la liberté individuelle d’aller et venir un risque réel et sérieux.
C’est la raison pour laquelle vous ne manquerez pas de constater que le législateur a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, qu’il se devait d’assurer (2005-532 DC du 19 janvier 2006, cons. 9), au point de porter une atteinte excessive à la liberté individuelle (93-323 DC du 05 août 1993, cons. 16).
[1] Cf. les recours précédents contre la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, et la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public. Et l’absence de recours contre la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.
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