Comment se défausser
de la question rom sur l’Europe
Nicolae Gheorghe
avec Bertrand du Puch, Alan Clark et Rupert Wolfe Murray
cet article a été publié dans la revue projet http://www.revue-projet.com/articles/2010-6-le-mythe-du-rom-nomade/
cet article a été publié dans la revue projet http://www.revue-projet.com/articles/2010-6-le-mythe-du-rom-nomade/
Nicolae Gheorghe était l’un des rares sociologues roms lors de la révolution roumaine de 1989. Il
a travaillé avec les gouvernements de la période post-communiste et a créé la principale Ong rom :
le Centre rom pour l’intervention sociale et les études, Romani Criss, en 1993. Premier expert rom
auprès de l’Osce, il est désormais consultant à Bucarest pour le think-tank rom Pakiv-Européen, qui
participe au Forum pour l’intégration des Roms.
Bertrand du Puch, Alan Clark et Rupert Wolfe Murray, qui vivent à Bucarest, participent à la
gestion des projets du programme d’aide communautaire aux pays d’Europe centrale et orientale.
Ce texte doit beaucoup à une présentation faite à Bucarest lors d’une conférence (les 12 et 13 octobre
2010) sur « la contribution des Fonds européens à l’intégration de la population rom ».
Ces mois derniers, la question de la mobilité internationale des Roms
a pris une tournure explosive, dans les médias et les forums de l’Union
européenne (UE). Selon les textes de la Commission européenne à propos
des Roms, le groupe qui a attiré les foudres du président Sarkozy est
défini comme celui des « Roms mobiles, citoyens d’un des pays membres
de l’UE, et installés provisoirement sur le territoire d’un autre État membre
». Or les médias et les leaders politiques français et roumains ont utilisé
un autre adjectif, l’étiquette péjorative de « nomades » pour parler des
Roms récemment expulsés de France. Mais il n’y a virtuellement plus de
« nomades » en Roumanie, même si l’on peut toujours trouver, comme en
France, des groupes qui « sont mobiles » pour échapper à une très grande
pauvreté.
Je voudrais montrer comment ceux que l’on appelle les Roms « nomades
» ont émergé dans l’histoire moderne de la Roumanie, comment la
question a ressurgi et avec quelle brutalité on a voulu la résoudre. Le
mythe du Rom « nomade » est aujourd’hui utilisé par différents gouver-
nements qui cherchent à se défausser du problème sur l’Europe. J’aimerais
expliquer comment envisager autrement la « dimension européenne », qui
existe, de la question rom.
L’émergence du Rom « nomade »
Le terme « nomade » se réfère à l’histoire des arrangements ancestraux
sur les pâturages. Il était adopté pour décrire ceux qui faisaient paître
leur bétail sur les prés communaux. Il désignait les bergers et les vachers
qui se déplaçaient d’un pâturage à l’autre, souvent avec leurs tentes, leurs
familles, leur culture de clan. Ce n’est que récemment que l’étiquette
« nomade » a été accolée aux Roms.
Dans les principautés roumaines d’autrefois, les Roms étaient des esclaves.
Ceux qui étaient sédentaires étaient la propriété des nobles ou des
monastères, tandis que les artisans itinérants appartenaient pour l’essentiel
au prince. C’est ce second groupe que l’on connaît désormais sous le nom
de « nomades ». Dans les années 1850 et 1860, les esclaves roms furent
libérés par les principautés roumaines . Depuis lors, la division entre itinérants
et sédentaires s’est consolidée. Les itinérants ont conservé des professions
liées au voyage : travail du métal, du bois, musique, négoce, alors
que les Roms sédentaires menaient un mode de vie rural en constituant
des villages entiers de Roms.
Une histoire marquée par la répression
Dans les années 1930, l’Union soviétique a commencé à interdire aux
artisans roms et à leurs familles de se déplacer à travers le pays pour chercher
du travail. Les autorités soviétiques recouraient au qualificatif de
« nomades » pour justifier la répression de ces Roms itinérants. Dans les
années 1950, cette étiquette était reprise dans toute l’Europe centrale et
orientale.
Parallèlement, dans les régions sous influence allemande, un débat
émergeait sur la façon dont les Roms « nomades » contaminaient la
société . Cette accusation a conduit à la déportation de quelque 30 000
. L’abolition de l’esclavage des Roms faisait partie des négociations à la fin de la guerre de Crimée.
C’était une des clauses pour que l’Angleterre et la France reconnaissent l’union des deux principautés
roumaines. En septembre 2010, le Sénat roumain a rejeté la proposition de faire de la libération
des esclaves une fête nationale.
. Parallèlement à ce débat, un débat sur le statut des Juifs dans la Grande Roumanie faisait encore
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Roms roumains pendant la Seconde guerre mondiale. Les soi-disant
« nomades » Roms ont été déportés de façon collective, tandis que les
Roms sédentaires l’étaient individuellement.
Dans les années 1950, les nouveaux régimes communistes d’Europe
centrale ont considéré le « nomadisme » comme un problème sérieux. Les
régimes proposaient de les assimiler, de les « humaniser », de faire d’eux un
« nouvel être socialiste ». En Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie, en Serbie
et en Roumanie, les Roms ont été assimilés dans des secteurs de l’industrie,
de l’agriculture et des services. En Roumanie, les Roms itinérants sont
parvenus à garder une certaine autonomie durant la période communiste.
Nombreux sont ceux qui ont conservé des pratiques de clan, le cadre des
échanges familiaux, ainsi que des métiers et des noms traditionnels.
Ouverture des frontières
Après la révolution roumaine de 1989, les Roms ont perdu leurs principales
sources de revenus : les grosses entreprises et fermes d’État ont réduit
leurs effectifs et les employés roms ont été les premiers mis à la porte. La
fermeture d’un grand nombre de fermes d’État a conduit à un chômage
massif. Aussi le « problème tsigane » des années 1930 et la « question
rom » des années 1950 ont-ils continué de ressurgir sous de nouvelles
formes.
La période de préadhésion à l’UE les a placés au coeur du débat : l’amélioration
de la situation des Roms était d’ailleurs un des deux critères politiques
sur lesquels la Roumanie devait progresser pour être admise dans
l’Union. Le second était la protection des orphelins et des enfants des rues.
En 2001, le gouvernement a alors développé une stratégie : une agence
nationale des Roms était créée, ainsi qu’un parti politique rom représenté
au Parlement ; des représentants roms ont été nommés à l’échelon des
autorités locales ; de nombreuses Ong roms ont été créées ; une petite élite
intellectuelle rom a émergé, qui a commencé à faire entendre ses demandes
en faveur des droits de l’homme et des minorités.
Ce mouvement a contribué à augmenter la visibilité de la classe
moyenne rom, dont je fais partie. Nous sommes allés à l’école et le taux
d’alphabétisation des Roms est bien plus élevé en Europe centrale et de
plus polémique. À cette époque, vous pouviez vous rendre auprès d’une « Commission de roumanisation
» pour obtenir un certificat prouvant que vous étiez membre de la société roumaine à part
entière. Une nouvelle catégorie est apparue : celles des « Tziganes roumanisés ». L’expression est
encore utilisée aujourd’hui par certains groupes. Pendant la seconde guerre mondiale, elle permettait
d’échapper à la déportation.
Le mythe du Rom « nomade »
Chronique européenne
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l’Est qu’en Europe de l’Ouest, où la question de l’éducation a été ignorée.
Le paradoxe est que ma génération (celle des grands-parents) est plus éduquée
que nombre de jeunes des communautés roms des pays d’Europe de
l’Est aujourd’hui.
Au début des années 1990, des milliers de Roms sont venus demander
l’asile politique en Allemagne. Mais en 1992, l’Allemagne et la Roumanie
signaient un accord de rapatriement, visant principalement les Roms roumains.
Des dizaines de milliers d’entre eux ont été renvoyés d’Allemagne
par ce qu’on a appelé dans les médias le « Zigeuner Protocol », le « protocole
gitan ». Durant cette période, certains Roms itinérants se sont aussi
installés en Italie, en France ou en Espagne.
Avec l’adhésion de la Roumanie à l’UE en janvier 2007 est apparue
la liberté de circulation à l’intérieur de l’Union, que nous considérons
comme l’aspect le plus bénéfique de l’adhésion. Beaucoup de Roumains
en ont profité pour travailler, étudier ou prendre des vacances à travers
l’UE. Et certains groupes de Roms ont commencé à explorer les nouveaux
espaces de l’UE. Ceux qui ont le mieux tiré parti de cette fantastique
opportunité étaient les groupes itinérants roumains (les soi-disant
« nomades ») ; ils avaient l’expérience de la déportation et du voyage. Ils
étaient mieux préparés à ce type d’aventure que les Roms sédentaires. Ils
ont trouvé des niches où tirer parti des allocations, de la solidarité et de la
tolérance. Au départ, ils faisaient spontanément appel aux autorités locales,
à la population, aux associations caritatives et aux Églises. Pour beaucoup,
en particulier ceux qui trouvèrent refuge dans des camps improvisés,
parfois illégaux, en bordure des métropoles européennes, c’était comme
arriver en terre promise.
Tout ceci s’est déroulé spontanément, et nombreuses sont les réussites
individuelles, pour ceux qui ont étudié, travaillé, comme négociants ou
travailleurs agricoles, et appris de nouvelles langues. En général, les Roms
s’adaptent facilement et sont habiles. Beaucoup d’entre eux ont su valoriser
leurs expériences de la période communiste dans l’industrie, les fermes
collectives et l’élevage.
Migration en chaîne et trafics
Avec le temps, ce qui était d’abord une migration spontanée est devenue
une migration en chaîne : voisins, familles au sens large et clans entiers
ont suivi. En Roumanie et en Bulgarie, des villages entiers de Roms ont
été vidés par ce phénomène. À l’Ouest, la solidarité et la tolérance qui
existaient auparavant pour des groupes de dix à quarante personnes ont
81
Chronique européenne
commencé à faiblir avec l’augmentation drastique du nombre de Roms
demandant de l’aide.
Mais ces personnes de nationalités et d’origines différentes, et j’inclus
les Roms pour lesquels l’expérience migratoire des années 1990 et du
début des années 2000 a été réussie, entraînent à présent les pauvres de
leur communauté locale. Par exemple, à un moment donné à Naples, en
Italie, presque toute la communauté rom roumaine de Naples était exclusivement
composée du clan Spoitori , un ancien groupe itinérant venu de
la ville de Calarasi, au sud-est de la Roumanie. Aujourd’hui, les Spoitori
organisent la migration vers Naples des Roms musulmans de Calarasi, qui
sont dans une détresse bien plus grande que la leur.
Plus sérieux est le problème du trafic qui, lui, est de nature criminelle.
Il implique des intermédiaires, des prêteurs sur gage, des organisateurs
de transport, la vente d’informations, des taux d’intérêt exorbitants, la
location de logements… Il implique l’exploitation d’hommes exerçant
tout type de métiers, de femmes qui se prostituent ou encore d’enfants
travaillant dans le secteur informel ou pratiquant la mendicité. Beaucoup
de victimes de ces trafics sont innocentes, manipulées pour participer à
des activités illégales.
L’instrumentalisation du nomadisme
Dès lors, ce qui inquiète, ce sont les tentatives de politiciens d’enfermer
les Roms dans la catégorie des nomades, stigmatisant ainsi l’ensemble de
la population rom. Pour le Président roumain, Traian Băsescu, les Roms
sont tout simplement des nomades : « Nous avons un problème qui doit
être connu et qui rend difficile l’intégration des Roms nomades. Très peu
d’entre eux veulent travailler. La plupart, et ce par tradition, vivent de vols.
Tant que nous ne reconnaitrons pas honnêtement les problèmes de cette
ethnie et les problèmes que nous avons à comprendre cette ethnie, nous
ne trouverons pas de solution au problème » . Son style, à la fois direct et
autoritaire, a un impact important sur le processus de décision du pays.
On voit poindre, encore, l’instrumentalisation du nomadisme dans la
. Les Spoitori vivaient traditionnellement de la galvanisation des récipients en métal.
. À ce propos, un appel, « Les droits des enfants d’abord : dire non à l’exploitation et à la discrimination
des enfants roms. », rédigé par Hvzi Cazim (Macédoine, Belgique), Lorne Walters (Canada,
Belgique) et Nicolae Gheorghe (Roumanie), a circulé lors du deuxième sommet européen consacré
à la population rom, les 8 et 9 avril 2010, à Cordoue (Espagne) et lors de la conférence d’examen
de l’Osce de Varsovie, pendant la session dédiée à l’application du plan d’action de l’Osce pour les
Roms et les Sinti, le 6 octobre 2010.
. Déclaration du président Băsescu au cours d’une discussion avec des journalistes, le 3 novembre
2010, après une discussion avec son homologue slovène.
Le mythe du Rom « nomade »
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confusion qui règne autour des conditions d’entrée de la Roumanie et de
la Bulgarie dans l’espace Schengen, prévue pour fin mars 2 011. Comme
je l’avais prévu, la France propose de repousser cette entrée et les Roms
risquent être utilisés comme bouc-émissaires.
Mais c’est précisément dans le contexte actuel d’expulsions, de populisme
et de préjugés qu’il peut être trompeur, sinon dangereux, de parler
du « problème rom » comme d’un « problème européen », nécessitant une
« solution européenne », comme l’illustre la partie de ping-pong à laquelle
se sont livrées la France et la Roumanie au cours de l’été 2010. Car la responsabilité
est avant tout celle des pays dont les Roms ont la nationalité
ou dans lesquels ils résident légalement depuis longtemps. Il s’agit donc,
en ce qui nous concerne, d’un problème roumain. En parler comme d’une
question européenne est une grossière tentative des hommes politiques
roumains d’échapper à leurs responsabilités vis-à-vis de leur minorité, à
laquelle ils ne parviennent toujours pas à procurer les services publics
essentiels. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de « dimension européenne » à la
question. Au contraire, j’en ai fait ma carrière depuis vingt ans.
La dimension européenne
Les Roms ont besoin de lois et de mécanismes institutionnels pour garantir
leurs droits, car le niveau des préjugés à leur égard est très élevé, l’histoire
de leurs persécutions est profonde et ils n’ont pas d’État-nation qui
peut leur offrir protection et plaider leur cause. La Hongrie, elle, a réussi
à améliorer les droits des minorités hongroises en Roumanie, en Slovaquie
et en Serbie. C’est là qu’intervient la dimension européenne de la question
rom. Au cours de ces dix dernières années, les activistes roms (dont je fais
partie) sommes parvenus à faire adopter des résolutions et des engagements
politiques concernant les Roms par l’UE, le Conseil de l’Europe,
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Osce) et la
Commission des droits de l’homme de l’Onu. Par ailleurs, la « Décennie
pour l’inclusion des Roms », 2005-2015, est une initiative intergouvernementale
lancée et soutenue par douze gouvernements, la plupart d’Europe
centrale ou d’Europe du Sud-Est, par l’Open Society Institute , la Banque
mondiale et le Fonds pour l’éducation rom.
Cette approche s’appuie sur le « principe de subsidiarité » de l’UE,
selon lequel les questions doivent d’abord être résolues au niveau local.
La véritable citoyenneté se traduit alors de bas en haut, du niveau local
. Association financée par le milliardaire George Soros.
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Chronique européenne
vers le niveau national et la citoyenneté européenne devient un élément
de « valeur ajoutée ». L’UE est contactée si les ressources nationales font
défaut, et à condition que les autorités locales ou nationales aient l’humilité
de demander son assistance.
Selon ce principe, et à condition que soit respectée la notion de ressortissant
de pays d’origine, le pays de destination partage avec le pays
d’origine la responsabilité de procurer des services aux citoyens ou aux
migrants, ce qui implique des prestations de services publics par le pays
d’origine et une bonne communication entre les agences des différents
pays concernés.
Dans la récente « Déclaration de Strasbourg sur les Roms » , le Conseil
de l’Europe déclare : « Si la responsabilité première de promouvoir l’intégration
incombe aux États membres dont les Roms sont ressortissants ou
dans lesquels ils résident durablement et légalement, les développements
récents concernant les Roms en Europe ont montré que certains des défis
auxquels nous sommes confrontés ont des implications transfrontalières et
appellent par conséquent une réponse paneuropéenne. »
La délégation roumaine a adopté la Déclaration de Strasbourg, tout
en émettant une « réserve interprétative » selon laquelle la responsabilité
d’intégrer les Roms incombe au pays d’accueil dès lors qu’ils y séjourneraient
légalement au moins trois mois. Le secrétaire d’État français aux
Affaires européennes, Pierre Lellouche, s’est dit « surpris » de cette réserve.
Selon la position française, un individu est libre de voyager, d’étudier et
de travailler, mais pas de s’installer indéfiniment s’il n’a pas les moyens de
subvenir à ses propres besoins...
La Roumanie se défausse sur l’UE
L’approche roumaine de la citoyenneté (et de l’élaboration des politiques
publiques) va du haut vers le bas, à l’encontre du principe de subsidiarité.
Elle pérennise la tradition très centralisée du processus de décisions de l’ère
communiste. Le gouvernement roumain a vu dans la « citoyenneté européenne
» l’occasion de réduire sa responsabilité vis-à-vis de son importante
minorité rom.
En 2001, le gouvernement a adopté une stratégie pour « l’amélioration
de la condition des Roms en Roumanie », dans l’urgence, à l’occasion de la
visite du commissaire de l’UE, Günter Verheugen. Mais elle est restée très
. « Déclaration de Strasbourg sur les Roms », Conseil de l’Europe, réunion de Strasbourg sur les
Roms du 20 octobre 2010.
Le mythe du Rom « nomade »
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rhétorique, suscitant une attente chez les Roms, créant certes des obligations
pour les ministères mais pour des mesures non budgétées ni discutées
de manière convenable. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle stratégie
politique, comme en 2001, mais d’un système efficace, d’une administration
publique qui fonctionne pour tout le monde et consente un réel
effort pour que les Roms aient le même accès que les autres citoyens aux
services publics et à l’emploi. Une nouvelle stratégie ouvrirait peut-être de
nouvelles voies, mais elle serait surtout utilisée comme monnaie d’échange
dans les négociations sur Schengen.
Le défi pour les législateurs est d’associer les compétences et le dynamisme
des Roms à des activités légitimes, à de l’entreprenariat dans l’économie
formelle : travail indépendant, commerce international d’artisanat
et autres activités qui s’inscrivent dans le contexte de libre circulation des
capitaux, des biens, des services et des personnes. Une réussite dans ce
domaine conforterait d’ailleurs l’autre grande priorité des Roms : l’accès
à l’éducation.
« Se débarrasser des gitans », ce fut une obsession roumaine depuis les
déportations de la Seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, la majorité de
la population tolère l’idée que les Roms puissent « devenir européens »,
dans l’espoir qu’ils partiront et que les Occidentaux prendront en charge
le fardeau. Les leaders roumains, au plus haut niveau, sont prêts à réinventer
dans ce but le terme de « nomades » : « Nous avons ici un groupe
de nomades qui n’aiment pas travailler, mais qui aiment voyager ; nous
les appelons les Roms ! » Le danger est que cette idéologie se traduise en
pratiques administratives.
Reconnaître nos concitoyens
L’enjeu est d’imaginer comment nous, citoyens roumains, pouvons mettre
en pratique notre responsabilité envers ces soi-disant « nomades » roms.
Car il s’agit d’abord de les reconnaître comme nos concitoyens, et non
comme des étrangers. C’est à nous, Roumains et Roms roumains, qu’incombe
la responsabilité de trouver une solution.
Aujourd’hui les obstacles sont multiples. Intérêts particuliers, suspicion,
fragmentation, compétition entre les agences chargées de l’exécution
des projets, théorie du complot et rumeurs, échec des Ong, manque de
compétence et de responsabilité, accusations de détournement de « l’argent
européen pour les Roms », jeu de la culpabilisation et formes diverses
de corruption.
Pour inverser le processus, l’approche doit se faire à partir d’autres
notions : communication, leadership, confiance, transparence. Nous
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Chronique européenne
avons besoin de structures qui s’appuient sur ce que nous avons atteint,
qui instaurent le dialogue, créent des partenariats. Il est question de
« transformer » les Roms, mais quelles transformations pour nous-mêmes,
qui sommes supposés concevoir et mettre en place le processus, tenir le
rôle de facilitateurs ?
L’avenir, c’est l’émergence d’une culture rom paneuropéenne, dont le
fondement serait une population rom diverse, à travers l’Europe. Chacun
aurait l’assurance d’une citoyenneté individuelle solide, propre à son pays
d’origine, avec le choix entre plusieurs possibilités : soit une vie d’itinérants
pratiquant leurs métiers, soit une vie de sédentaires, y compris dans
de grandes communautés roms bien localisées, bénéficiant de services
municipaux et de degrés divers d’autogestion et payant leurs impôts
comme tout citoyen européen.
Nicolae Gheorghe,
avec Bertrand du Puch, Alan Clark et Rupert Wolfe Murray
Traduit de l’anglais par Aurore Chaillou
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