dimanche 27 février 2011

A quoi servent les titres de circulation ?


 

Cette enquête publiée par la Gazette des communes présente les titres de circulation vus par le bout de la lorgnette  des fonctionnaires territoriaux et quelques usagers. Nous reviendrons sur ce sujet avec d’autres enquêtes auprès d’autres catégories de professionnels.
Gens du voyage
Les titres de circulation, des papiers sans valeur ?
Par Olivier Berthelin, Gazette des communes du 7 février 2011
n Sur le terrain, policiers municipaux et gardes champêtres confirment la difficulté, voire l'inutilité, du contrôle.
n Les gens du voyage dénoncent ces titres spéciaux qu'ils jugent discriminatoires.
«Ce n'est que lorsque le dialogue n'est plus possible et que les comportements ne sont plus acceptables que nous demandons aux gens du voyage de nous montrer leurs titres de circulation. Je n'ai connu une telle situation que deux ou trois fois en vingt-sept ans de carrière », constate Jacques Armesto, garde champêtre chef à La Salvetat-sur-Agout (Hérault) et président de la Fédération nationale des gardes champêtres. « Les nomades considèrent que ces documents spéciaux les désignent de manière négative et vivent ces contrôles comme des signes de méfiance », ajoute-t-il en s'appuyant sur son expérience et celle de ses collègues. Pour expliquer l'extrême sensibilité des voyageurs vis-à-vis des titres de circulation, instaurés en 1969, il rappelle que ces citoyens ordinaires sont obligés de se rendre tous les trois mois au commissariat de police ou à la gendarmerie, pour justifier de leurs activités et faire tamponner leurs papiers.
Une source de tensions.
« Nous n'avons pas besoin de contrôler les papiers pour identifier des personnes qui vivent en caravane. La consultation du fichier des cartes grises à partir du numéro d'immatriculation nous confirme le nom du propriétaire. Si nous ne constatons pas d'infractions, nous n'avons aucune raison de les traiter avec plus de suspicion que les autres administrés et de créer des tensions », explique le garde champêtre.
Disposant, en vertu du statut de la police rurale, de la possibilité de contrôler les identités hors de la présence d'officier de police judiciaire, il n'utilise ce pouvoir qu'en cas de nécessité. « Le statut nous importe moins que le comportement de la personne. Nous connaissons les voyageurs qui viennent tous les ans. Ils font des efforts pour donner une bonne image d'eux-mêmes, travaillent comme forains ou sur les marchés environnant. Nous constatons moins de délits qu'avec d'autres publics », précise-t-il.
A Tours, Grenoble, Rennes, Bordeaux, dans l'Hérault, les policiers municipaux confirment globalement ce constat, en nuançant selon le degré de conflictualité des situations et la personnalité des protagonistes. Prudents, ils refusent de s'impliquer dans les polémiques sur la stigmatisation des gens du voyage.
Privilégier le dialogue.
L'action des polices municipales vis-à-vis des gens du voyage se concentre sur la gestion des stationnements, les contrôles des titres de circulation représentant un facteur de tension supplémentaire. « Même lorsque les élus nous donnent des consignes de répression systématique, nous ne nous intéressons aux titres de circulation que lorsque nous intervenons en soutien de la gendarmerie dans des opérations d'envergures », précise Jean-Charles Glatigny, secrétaire national de la Fédération autonome de la fonction publique territoriale chargé de la police municipale.
Le responsable brosse le tableau très conflictuel du département des Alpes-Maritimes, qui ne compte que deux aires d'accueil et dans lequel les élus engagent systématiquement des procédures d'expulsion. « Avec les groupes qui tentent de s'imposer, nous devons établir des relations de dialogue, car, pendant les délais des procédures d'expulsion, nous devons protéger le site contre des riverains très remontés et veiller à ce que tout se passe le moins mal possible », explique-t-il en notant que ces situations peuvent durer 72 heures, lorsque la commune, ayant respecté ses obligations, utilise avec succès l'expulsion administrative, ou se prolonger jusqu'à 15 jours, lorsque le juge donne raison aux voyageurs.
« Nous sommes dans des situations extrêmement délicates, car nous devons d'abord signifier le désaccord des autorités, sans pouvoir nous opposer physiquement, dans certains cas, à plusieurs centaines de personnes ayant loué des engins de chantier pour détruire les obstacles qui interdisent l'entrée des terrains. Ensuite, nous devons vivre avec eux, au quotidien, jusqu'à leur départ. Prendre l'initiative de demander les carnets ne ferait qu'envenimer inutilement des situations déjà tendues, sans rien apporter en terme de maintien de l'ordre », raconte le policier municipal.
Sans doute majoritaires, ces pratiques, en situation de conflit, privilégiant le dialogue au contrôle des titres de circulation ne font pas l'unanimité. Sous formes de confidences en expliquant que la méthode est condamnable, des maires et un gendarme à la retraite avouent avoir utilisé la menace de confiscation des titres de circulation pour chasser des voyageurs récalcitrants. Ils faisaient l'économie de longues, aléatoires et onéreuses procédures légales. La méthode, inapplicable avec les grands groupes structurés défendus par des avocats, est réputée particulièrement efficace contre les familles isolées du fait des peines, allant de 1 500 euros à un an de prison, encourues par le voyageur incapable de produire son titre.
Moyen de pression.
« Ces chantages touchent surtout les plus démunis, qui savent que, s'ils résistent ou se plaignent, ils ne seront pas entendus, même lorsque ceux qui les menacent enfreignent la loi. Alors, plutôt que de risquer des ennuis graves, ils vont chercher à stationner ailleurs », confirme le pasteur Désiré Vermeersch, président de l'Association sociale nationale internationale tsigane (Asnit).
Dans des contextes moins conflictuels, policiers municipaux et gestionnaires d'aires d'accueil ne se préoccupent quasiment pas des titres de circulation. Ainsi, la police municipale de Tours, qui dispose de 290 emplacements en aire d'accueil et prépare avec les intéressés, dès le mois de décembre, les étapes estivales de six à huit groupes de grands passages, ne s'intéresse aux titres de circulation que dans le cadre de ses trente marchés.
« Depuis 2010, des cartes professionnelles de commerçants non sédentaires remplacent les titres de circulation, mais comme elles ne sont pas encore généralisées, nos placiers continuent à demander, comme par le passé, les titres de circulation et les registres du commerce », explique la mairie de Tours.
Effets pervers.
« Sur nos aires d'accueil, nous demandons, comme dans les campings, les références d'une pièce d'identité, qui n'est pas obligatoirement un titre de circulation, et une photocopie de la carte grise », explique Dominique Careil, responsable du pôle « habitats spécifiques » du bailleur social Aquitanis, qui gère 14 aires totalisant 150 emplacements sur le département de la Gironde. Reste que les pratiques divergent d'un gestionnaire à l'autre. Certains exigent les titres, d'autres non. Or, ce sésame administratif ne suffit pas toujours.
Soumis malgré lui à l'obligation de détenir un carnet de circulation, Jean-Marie Magister dénonce les effets pervers du statut de gens du voyage. Même avec son carnet, il ne pouvait accéder aux aires d'accueil : dans son cas, ces places-là se révélaient très chères. Nullement itinérant dans son mode de vie, ayant dû laisser son logement après un licenciement, devenu sans ressources, il avait demandé une aide au CCAS de la commune où il se trouvait.
« Ils ne voulaient rien savoir car, pour eux, je n'étais pas SDF puisque j'avais un véhicule. N'étant pas domicilié dans la commune, je ne relevais pas des compétences du CCAS. Ils acceptaient seulement que mon fils soit scolarisé », explique Jean-Marie Magister. Ne pouvant plus le laisser stationner dans la commune, les policiers municipaux l'avait envoyé à la préfecture, qui lui avait attribué un carnet de circulation.
« Cela n'a rien arrangé, au contraire. On me considérait alors avec méfiance, comme un Tsigane, et j'aurais même dû attendre trois ans pour pouvoir voter de nouveau », déplore Jean-Marie Magister. Un « cas loin d'être exceptionnel » observe Fernand Delage, vice-président de l'Union française des associations tsiganes (lire son témoignage, p. 31).
« Supprimer l'obligation de faire viser les titres et donner le droit de vote est indispensable pour consolider la citoyenneté des gens du voyage. Mais supprimer les titres et l'ensemble de la loi risque de remettre en cause la reconnaissance légale du droit à un mode de vie itinérant », conclut Denis Klumpp, directeur de l'Association régionale d'études et d'actions auprès des Tsiganes (Areat).
LES POINTS CLÉS
Carnet anthropométrique Créé en 1912 pour les nomades, le carnet anthropométrique a été modernisé en 1969 sous la forme d'un titre de circulation.
Livret et carnet Destiné aux personnes ayant des revenus fixes, le livret est visé tous les ans. Le carnet, qui concerne les personnes ayant des revenus aléatoires, est visé tous les trimestres. Ni l'un ni l'autre n'ont la valeur de papier d'identité.
Carte de commerçant ambulant La carte professionnelle de commerçant ambulant a été créée en 2010.
Fernand Delage, vice-président de l'Union française des associations tsiganes (Ufat) - « Ces titres qui font de nous des demi-citoyens »
« Il faut abolir ces titres qui font de nous des demi-citoyens. Ils sont les héritiers des carnets anthropométriques, sur la base desquels nos grands-parents et parents ont été enfermés pendant la Seconde Guerre mondiale. Certains disent qu'ils sont notre identité et qu'ils garantissent notre mode de vie ; au contraire, ils nous donnent plus de devoirs que de droits et nous désignent de manière négative. Le gouvernement prétend que c'est notre seul contact avec l'administration, mais nous sommes en permanence en contact avec des policiers, des travailleurs sociaux et les services qui s'occupent des entreprises, des taxes. Les règles de stationnement doivent être améliorées. Sédentaires et itinérants sont complémentaires et sont faits pour vivre ensemble. »
Un statut complexe et controversé
La loi du 3 janvier 1969 « relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe » instaure des titres de circulation obligatoires à partir de l'âge de 16 ans, pour les personnes circulant plus de six mois dans l'année. Elle possède deux volets : économique et administratif. Dans le domaine économique, la carte professionnelle de commerçant non sédentaire, instaurée par l'arrêté du 21 janvier 2010, remplace les titres de circulation pour les activités économiques itinérantes. Mais elle n'abolit pas l'usage administratif de ces titres, l'obligation de les détenir et de les faire viser par les forces de police, tous les ans pour les livrets et tous les trois mois pour les carnets. Ils ne remplacent pas une carte d'identité mais assignent une commune de rattachement et imposent un délai de trois ans pour être inscrits sur les listes électorales. Néanmoins ceux qui, étant en difficulté économique, sont éligibles à la domiciliation peuvent voter comme les autres citoyens. Ils doivent cependant continuer à faire viser leurs titres. Cet usage en tant que document de police est dénoncé, par la Halde, comme une stigmatisation d'une partie de la population, considérée comme dangereuse. Associations et partis réclament une abolition de la loi. Pourtant, de nombreux Tsiganes y restent attachés : ils craignent que la disparition des titres n'implique l'interdiction du voyage et la perte de leur identité.
AVIS D'EXPERT - Jean-François Restoin, directeur du groupement d'intérêt public « Accueil des gens du voyage en Ille-et-Vilaine » - « 90 % ont la nationalité française »
« La loi du 5 juillet 2000 associe clairement les aires d'accueil et les titres de circulation définis par la loi du 3 janvier 1969. Mais réserver un équipement public à une seule catégorie de la population est une forme de discrimination. Même si la France ne reconnaît pas les minorités et que, sous certaines conditions, des étrangers peuvent recevoir des livrets de circulation, il faut reconnaître que plus de 90 % des personnes soumises à la loi de 1969 sont françaises et, pour leur très grande majorité, tsiganes. Mais, dans chaque famille, certains membres n'ont plus de titres de circulation car ils voyagent moins de six mois. Or ils doivent aussi pouvoir accéder aux aires d'accueil. En outre, la commune de rattachement, où se déroulent les démarches d'état civil, est rarement la même que celle de domiciliation, où se passent toutes les démarches sociales et professionnelles. »

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