mardi 15 février 2011

La Loppsi2 devant le conseil constitutionnel


Droit des étrangers centres de rétention
-         SUR L’ARTICLE 101

Cette disposition vise à autoriser à ce que l’audience de prolongation d’une mesure de rétention administrative au-delà de 48 heures ait lieu « au sein » du centre de rétention.

Cette justice « sur place » ou « dans les murs » ne satisfait ni les règles du procès équitable (1), ni les exigences de publicité des débats (2).

1.      Quant au procès équitable

Comme vous avez eu l’occasion d’en juger, « le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 », et implique « notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ». Vous ajoutiez « qu'en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde » (95-360 DC du 2 février 1995, cons. 5).
Or, si la séparation des autorités de poursuite et de jugement concourt à la réalisation du procès équitable, il en va a fortiori de la séparation des autorités de police et de jugement, mais encore de la séparation entre les lieux de rétention et les lieux de jugement.
Vous avez validé la disposition de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 qui avait institué la possibilité que cette audience de prolongation ait lieu dans une salle d'audience spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention. Si vous l’aviez fait, c’est uniquement parce que le législateur avait « expressément prévu que ladite salle devra être « spécialement aménagée » pour assurer la clarté, la sécurité et la sincérité des débats » (2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 81). Mais il s’agissait alors d’une salle aménagée à « proximité » du centre de rétention.
Or, ainsi qu’en a jugé la Cour de cassation, proximité n’est pas promiscuité, et selon ses termes, « la proximité immédiate exigée par L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est exclusive de l’aménagement spécial d’une salle d’audience dans l’enceinte d’un centre de rétention » (première chambre civile, arrêt n° 561 du 16 avril 2008).
Cette exclusivité est fondamentale. Imposer au contraire au tribunal de se rendre dans un lieu relevant exclusivement de la police mettrait gravement en doute l’indépendance et l’impartialité de la justice qui sont au cœur du procès équitable. Quels que soient les aménagements spéciaux qui seront apportés, il n’en demeura pas moins que la justice sera rendue dans les locaux de la police, ce qui sera de nature à créer une légitime suspicion chez les personnes concernées. Or en ce domaine les apparences sont essentielles.
Vous pourrez à cet égard utilement vous référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle, s’agissant de l’impartialité, « il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Dans le cadre de la démarche objective, il s’agit de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des juges, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure ». En la matière, « l’optique d’une partie entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions en cause peuvent passer pour objectivement justifiées » (Kleyn et autres c. Pays-Bas, 6 mai 2003, nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, §§ 191 et 194).
Or vous ne pourrez que constater que le fait d’être jugé dans un local policier constitue, non seulement aux yeux de la personne en cause, mais aux yeux de tous, un élément objectif de nature à faire naitre une légitime appréhension quant à l’impartialité du tribunal.
Ainsi, la disposition contestée n’apporte-elle pas, quant au respect d’un procès juste et équitable, des garanties équivalentes à celles dont la personne aurait bénéficié si l'affaire avait été portée devant un tribunal hors les locaux du centre de rétention administrative (cf. mutatis mutandis 2002-461 DC du 29 août 2002, cons. 81).
2.      Quant à la publicité des débats
La justice applicable aux étrangers ne saurait être étrangère à la justice. Comme vous l’avez rappelé avec force, « si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ».
Or parmi ces droits fondamentaux figurent le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement. Comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme, la « publicité de la procédure des organes judiciaires (…) protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public », et « constitue aussi l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser (…) le procès équitable » (Axen c. Allemagne, 8 décembre 1983, no 8273/78, § 25).
Cette publicité, vous en êtes également les gardiens. Ainsi avez-vous considéré qu'il résultait « de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 que le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l'objet d'une audience publique » (2004-492 DC du 02 mars 2004, cons. 117).
Alors certes, comme vous l’aviez déjà constaté à propos de la loi de 2003, le législateur a pris soin de prévoir expressément que le juge des libertés et de la détention statuera « publiquement » (2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 81).
Mais comme l’a relevé à juste titre le Rapporteur de la Commission des Lois du Sénat, « la publicité des audiences, bien qu’expressément rappelée par la rédaction de l’article, serait affectée dans ses modalités d’application concrète » (rapport n° 517 (2009-2010), p. 173).
En réalité, il s’agit là d’un doux euphémisme. In concreto, cette publicité sera de nature purement virtuelle, s’agissant de l’accès à des lieux privatifs de liberté qui, par définition, sont nécessairement difficiles d’accès. Cette garantie purement formelle ne permet donc en rien de donner à la publicité des débats la même garantie qu’offrirait une audience dans un lieu relevant du seul ministère de la justice.
Enfin, aucun « souci de bonne administration de la justice » ne saurait justifier cette situation, et, ce, d’autant moins, qu’il est fort à parier que les nombreux présidents de tribunaux qui ont déjà refusé de siéger dans les salles d’audience aménagées à proximité des centres de rétention, refuseront a fortiori de siéger dans des salles installées en leur sein.

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