mercredi 5 janvier 2011

La Yourte d’Arrout de nouveau sur la sellette



Les habitants de la Yourte installée à Arout (Ariège) se retrouveront de nouveau devant les tribunaux le 17 février prochain. Retour sur les épisodes précédents de cette guerilla administrative qui illustre les enjeux des débats autour de l’habitat hors normes et de l’aménagement des territoires ruraux.




Courrier des maires

Tom et Léa ont installé leur yourte à proximité d’une source qui fournit l’eau nécessaire à leur consommation et à l’entretien de leur potager.
C. BELLAVIA

Soutenu par tout un village, un couple d’irréductibles a planté sa tente sur une parcelle non constructible. Les élus cherchent à désamorcer le conflit avec l’Etat.
Les faits
Guérilla autour d’une yourte
Depuis 2008, la yourte instal­lée par un jeune couple à Arrout (Ariège) sur une par­celle non constructible, mais béné­ficiant d’un puits d’eau potable et de l’énergie solaire, suscite pério­diquement des polémiques avec les services de l’Etat en charge de l’urbanisme. Condamné en pre­mière instance à démonter son ha­bitation, le jeune couple, soutenu par le conseil municipal et des as­sociations militant en faveur du libre choix de son mode d’habitat, a fait appel. Dans l’éventualité d’un échec, les habitants de la yourte af­fichent une ferme volonté d’utiliser tous les recours légaux possibles.
La nature équivoque de leur habita­tion facilement démontable les place en position de force. Condamnés par les juges, ils peuvent démonter leur habitation, mais aussi la remon­ter à quelques mètres de là en toute légalité, sans autorisation, pour une période de trois mois. Et entamer un nouveau parcours judiciaire…
« Une zone grise du droit »
« Nous sommes dans une zone grise du droit. Comme les caravanes, les habitations légères peuvent être uti­lisées ponctuellement sans autori­sation ni du maire ni de la DDE (1). Au bout de trois mois, celle-ci peut être refusée. Mais nul ne peut empê­cher un propriétaire de jouir pério­diquement de son bien », remarque Fabien Dechavanne de la Halde (2). « La préfecture a des arguments pour refuser une construction sur cette parcelle. Mais pour l’instant, cette yourte est la seule solution de logement qu’a pu trouver ce jeune couple. Ils travaillent tous les deux mais n’ont pas les moyens d’acheter une parcelle constructible et nous ne disposons pas de logements sociaux », explique Christiane Vi­gneau, maire du village. « Comme maire, je tiens à rester neutre. Nous avons besoin de la collaboration des agents de la DDE pour traiter de tous les autres dossiers concernant la commune mais nous ne voulons pas voir partir ces jeunes adminis­trés, dynamiques et bien intégrés dans le village », insiste l’élue. Sans se désolidariser de la motion pro­testant contre l’injonction de dé­montage de la yourte, votée par son conseil municipal le 10 octobre 2008, elle comprend que les ser­vices de l’Etat et du tout nouveau parc naturel régional tiennent à li­miter la dissémination dans la mon­tagne d’habitats ne correspondant pas aux canons de l’architecture py­rénéenne traditionnelle.
Olivier Berthelin
(1) Devenue la DDT (direction départementale des territoires)
(2) Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité
CONTACT. Mairie d’Arrout : 05.61.96.81.80.

C. BELLAVIA


George Garié, adjoint au maire d’Arrout (09), en charge du dossier
« L’ORDRE PUBLIC N’EST PAS TROUBLÉ »
1Agir quand l’Etat ne répond pas
« Lorsque Tom et Léa sont venus demander à la mairie l’autorisation d’installer une yourte et de dévelop­per leur projet, nous avons posé la question à l’Etat. Faute de réponse, nous avons donné notre accord. Pour la municipalité, la pro­position de ces jeunes ne présentait que des avantages. L’installation, discrète dans le paysage, offre des conditions de vie plus décentes que bien des vieilles maisons. Elle dispose d’un point d’eau potable, de toilettes sèches et ses habitants produisent l’énergie dont ils ont besoin grâce à des panneaux solaires. En plus, ils entretiennent un terrain en friche depuis long­temps et désirent payer une taxe d’habitation.
2Ne pas dramatiser la situation
Nous ne risquons pas de voir les yourtes se multiplier car il s’agit du seul terrain techniquement déquat pour accueillir une telle installation grâce à la source qui fournit l’eau pour l’habitation et le potager. Nous sommes en montagne, le foncier constructible s’arrache à prix d’or. Nos cinq logements sociaux sont occupés et nos administrés en yourte ont des revenus faibles, mais trop éle­vés pour être prioritaires.
3Travailler à une régularisation
L’argument de l’absence de zone de retournement pour les véhicules de pompier ne peut justifier le démontage de la yourte car le site est, grâce à ses habitants, entretenu contre les risques d’incendie. L’ha­bitation répond à toutes les normes d’hygiène et de sécurité et ses occupants ne troublent pas l’ordre public. En en faisant une question de principe pour ou contre la yourte, la DDE d’un côté et les militants qui soutiennent ce type d’habitat de l’autre empêchent une sortie de crise qui ne peut être trouvée dans le cadre actuel de la loi. »


L’Etat et le ministère
La DDE* a tardé à répondre au maire, laissant la voie libre à l’installation de la yourte. Depuis, le secrétariat d’Etat au Logement reste vigilant, l’affaire pouvant faire jurisprudence. La DDE a engagé les poursuites contre les occu­pants de la yourte. « Les yourtes sont des habitations légères de loisirs. Elles peuvent être utilisées ponctuellement mais ne correspondent pas aux critères d’un logement et ne peuvent devenir des résidences principales permanentes sauf si elles perdent leur mobilité et sont sur une parcelle constructible avec un permis de construire », explique-t-on au cabinet du ministre.
* Aujourd’hui, la direction départementale des territoires (DDT)
L’association Halem
Les habitants de la yourte font partie de l’association Habitants de logements éphémères ou mobiles (Halem), adhérente à l’association Droit au logement. Selon Halem, les yourtes, cabanes et caravanes sont souvent plus confor­tables que nombre d’habitations classiques avec un impact sur l’environne­ment moindre. « Nous militons pour l’habitat choisi, explique un responsable. Ceux qui vivent dans des caravanes ou des mobile homes parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement doivent pouvoir accéder à un logement social. Mais ceux qui adoptent l’habitat mobile ou léger doivent aussi pouvoir pratiquer leur mode de vie. Les normes définissant un logement doivent tenir compte des spécificités techniques de chaque type d’habitat. »
www.halemfrance.org
Le conseil général de l’Ariège
Le conseil général suit l’affaire sans s’y impliquer en première ligne. Les habi­tats atypiques, yourtes ou chalets ne représentent pas un phénomène de grande ampleur. « Un ou deux cas par an », remarque Marie-Françoise Ledantec, chargée de mission logement. L’habitat hors norme n’est pris en compte par les services sociaux que dans des cas de grande précarité et de marginalité. Les élus du département laissent aux spécialistes de l’archi­tecture le soin de déterminer si une yourte est ou non compatible avec le bâti pyrénéen traditionnel, mais affichent leur volonté de ne pas voir les habitations se développer hors des villages afin de ne pas entraver une éven­tuelle renaissance des activités agricoles dans cette zone de montagne.
Le propriétaire du terrain
Un contrat de location lie le propriétaire du terrain et ses occupants. Ceux-ci s’engagent à entretenir le terrain, une friche devenue un potager. Le proprié­taire soutient les actions en faveur d’une régularisation de l’occupation


Un défi aux règles d’habitat
Habitat innovant. Les normes définissant un logement tiennent compte de la surface habitable par rapport au nombre d’habitants et des équipements liés à l’hygiène. Considérée comme un im­meuble rond à ossature bois, une yourte non seulement répond à ces critères mais, selon la qualité de son montage, elle offre des performances énergétiques qui la font entrer dans la catégorie des constructions HQE. Seule la possibilité d’être démontée l’em­pêche de devenir logement. Non soumise à la taxe d’habitation, elle ne peut être considérée comme un domicile principal, sauf sur dérogation du maire comme à Arrout.
Habitat indigne. « Si les habitations mobiles ou légères deviennent des logements, le risque est grand de voir s’arrêter les efforts en faveur des logements sociaux. Aucun critère technique ne permet de différencier une yourte HQE d’un abri de fortune, la résidence mobile d’un industriel forain d’une caravane pourrie », alerte la Fon­dation Abbé Pierre. Craignant qu’un assouplissement de la législa­tion ne réduise les droits à l’accès aux logements sociaux, elle demande qu’il ne soit tenu compte de la liberté de choisir son type d’habitat et son mode de vie qu’au cas par cas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire