Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage (nos 3042, 3105).
La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales, mes chers collègues, la proposition de loi que nous soumettons à l’Assemblée a pour but d’abroger la loi du 3 janvier 1969 qui réglemente la circulation de certaines catégories de citoyens.
La loi de 1969, qui faisait suite à une loi de 1912, impose aux gens du voyage, aux nomades, trois titres de circulation : le premier est un carnet réservé à ceux qui sont sans ressources et qui doivent le faire viser tous les trois mois par les services de la gendarmerie ; le deuxième est un livret de circulation pour ceux qui ont des ressources et qui doivent le faire viser tous les ans ; le troisième est le livret de commerçant, dont il existe deux versions et qu’il était nécessaire de faire viser par les autorités consulaires des chambres de commerce – obligation supprimée en 1988.
Dans une décision de 2007, la Haute autorité de lutte contre les discriminations a considéré que les obligations qui pèsent sur cette catégorie particulière de nos concitoyens qu’on appelle les « gens du voyage » relevaient d’un traitement discriminatoire. Il l’est, en effet, à trois titres. D’abord, ces restrictions à la liberté de circulation ne sont pas imposées à la totalité de la population, mais à une seule catégorie de citoyens, et elles ne se fondent sur aucune raison particulière de sécurité.
Ensuite, la mention de la commune de rattachement sur la carte nationale d’identité en désigne infailliblement le titulaire comme appartenant à une catégorie de population qui se rattache aux gens du voyage. Ce signe distinctif est discriminatoire.
Enfin – et c’est peut-être le plus grave –, la loi de 1969 est discriminatoire en ce qui concerne le droit de vote. Les gens du voyage ne peuvent bénéficier du droit de vote dans leur commune de rattachement que trois ans après s’y être déclarés. En effet, la loi de 1969 n’a pas seulement prévu des titres de circulation particuliers, elle a imposé l’obligation de se rattacher à une commune. C’est le préfet qui, au niveau départemental, organise la gestion du dispositif, proposant aux communes le rattachement d’un certain nombre de gens du voyage. Les communes peuvent accepter ou refuser, mais le préfet a la possibilité d’imposer sa décision : toutefois, en aucun cas le nombre de titulaires d’un titre de circulation ne peut excéder 3 % de la population municipale de la commune de rattachement. L’inscription sur les listes électorales et le droit de vote sont subordonnés à une durée minimale de rattachement de trois années. Le code électoral prévoit, pour les personnes sans domicile stable, une procédure d’élection de domicile qui permet l’inscription sur les listes électorales au bout d’un délai de six mois. Dans les deux cas, ces personnes sont dans la même situation, puisqu’elles n’ont pas de domicile stable. Trois ans pour les uns, six mois pour les autres : le traitement réservé aux gens du voyage est bel et bien discriminatoire.
Il nous semble urgent, nécessaire et opportun, de mettre fin à cette discrimination. C’est même d’autant plus opportun qu’elle ne sert à rien. On pourrait invoquer des raisons d’ordre public, considérer que les sédentaires sont plus faciles à contrôler puisqu’ils ont une adresse et que ceux qui ne sont pas sédentaires doivent pouvoir être contrôlés plus facilement. Mais, en réalité, ces dispositions sont en très grande partie tombées en désuétude. Les services de gendarmerie que nous avons interrogés reconnaissent que cette législation ne sert à rien : bien souvent, les gens du voyage ne font pas apposer les visas, les gendarmes ne dressent pratiquement pas de procès-verbaux et les tribunaux ne sont plus saisis – quand bien même ils le seraient, sans doute ne prononceraient-ils pas de condamnations pour des infractions aussi bénignes.
On ne peut pas non plus invoquer les graves événements qui se sont déroulés cet été à Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher : ils impliquaient des gens qui se sont comportés comme des délinquants et qui doivent être stigmatisés, poursuivis et condamnés comme tels. Ces événements ne peuvent en tout cas nullement justifier un traitement discriminatoire à l’encontre de l’ensemble d’une communauté.
J’ajoute que, plus on discrimine, plus on a tendance à renforcer les comportements communautaires, en marge du comportement ordinaire.
Il serait extrêmement simple de mettre fin à cette discrimination : il suffirait d’abroger la loi de 1969. Et il ne serait pas utile de la remplacer par un nouveau dispositif particulier. Nous retrouverions simplement le droit commun : la procédure de l’élection de domicile, qui vaut pour les gens sans résidence stable, pourrait bénéficier aux gens du voyage, lesquels auraient ainsi la possibilité d’exercer plus facilement leur droit de vote. De même, elle permettrait aux gens du voyage d’avoir une adresse ou d’être rattaché à une commune sans le mécanisme de la loi de 1969.
La seule objection que l’on pourrait nous opposer concerne la compatibilité de cette abrogation avec la loi Besson sur les aires d’accueil. Mais rien n’interdit de prévoir que l’accès de ces aires est réservé à ceux qui sont nomades tout au long de l’année et qui, pour une cotisation plus ou moins symbolique, ont adhéré à une association nationale. Ainsi, les aires d’accueil ne risqueraient pas d’être assimilées à des terrains de camping.
Il est urgent d’abroger la loi de 1969, car n’importe quel citoyen peut, en faisant jouer le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, demander au Conseil constitutionnel de statuer sur un procès-verbal dressé en application de cette loi. Avons-nous vraiment envie de nous retrouver dans la situation où nous avons été à propos de la garde à vue ? Nous avons été obligés de réformer dans l’urgence, parce que nous n’avions pas pris à temps les mesures nécessaires et n’avions ainsi pu éviter une condamnation du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation.
Je n’ignore pas que la mission sur l’application de la loi Besson n’a pas encore rendu son rapport. Les calendriers se télescopent, mais il s’agit d’un simple hasard, n’y voyez aucune manœuvre, aucune mauvaise manière. Du reste, cela ne change rien : il sera toujours temps de revenir sur les questions générales du stationnement des gens du voyage, des aires d’accueil, de la sédentarisation, du traitement social ou des droits et des devoirs. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un traitement discriminatoire, et c’est l’honneur de la République que de considérer que tous les citoyens sont égaux et doivent être traités de la même manière. C’est pour cela que le groupe socialiste vous demande de voter ce texte qui ferait du bien à notre République, tout simplement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales.
M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux d’avoir, à la faveur de la discussion de cette proposition de loi déposée par Jean-Marc Ayrault, Pierre-Alain Muet et plusieurs de leurs collègues socialistes, l’occasion de m’exprimer, au nom du Gouvernement, sur les perspectives d’évolution de la loi du 3 janvier 1969 « relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe ».
Comme vous l’avez rappelé dans votre rapport, monsieur le rapporteur, le statut des gens du voyage a longtemps été régi par la loi du 16 juillet 1912 qui obligeait certains, parmi les gens du voyage, à posséder un carnet anthropométrique mentionnant « la hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique, la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaire gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux ». On se demande comment on avait pu en arriver là.
Cette loi de la IIIe République cédait de manière tout à fait déraisonnable à la suspicion. Elle n’était pas respectueuse des personnes. Elle devait donc être abrogée. Elle l’a été le 3 janvier 1969, et ce fut, à l’époque, un progrès important, qui permit de fixer un nouveau régime de droits et de devoirs pour la communauté des gens du voyage. Ce fut, en particulier, l’institution de la « commune de rattachement », grâce à laquelle les gens du voyage purent – dans des conditions certes dérogatoires par rapport au droit commun – accéder aux prestations de sécurité sociale et obtenir l’inscription sur les listes électorales. Ce fut également, vous l’avez rappelé, la création de trois titres de circulation distincts : le livret spécial de circulation, le livret de circulation et le carnet de circulation.
Plus de quarante ans après la loi de 1969, le régime qu’elle instituait a incontestablement vieilli : il mérite d’être revu et modernisé. Les choses sont donc claires, mesdames, messieurs les députés : le Gouvernement est tout à fait disposé à engager la refonte de la loi du 3 janvier 1969. En revanche, monsieur le rapporteur, vous me permettrez de marquer mon désaccord avec vous à la fois sur la méthode et sur le fond de votre proposition.
Sur la méthode, tout d’abord, je m’étonne que vous présentiez votre proposition sans attendre les conclusions et recommandations des missions parlementaires conduites en ce moment même, sur le sujet, par plusieurs de vos collègues.
Je pense, en premier lieu, à la mission d’information sur la législation relative aux gens du voyage constituée par votre commission des lois. Je m’étonne d’autant plus de votre hâte à légiférer, monsieur le rapporteur, que vous faites vous-même partie de cette mission aux côtés du député Charles de La Verpillière et sous la présidence du député Didier Quentin.
Il me semble qu’il aurait été normal et logique d’attendre les conclusions de cette mission qui devraient intervenir, si mes informations sont correctes, au mois de février ou de mars prochain. Mais je pense aussi, monsieur le rapporteur, à la mission confiée par le Premier ministre au sénateur Pierre Hérisson sur proposition du ministre de l’intérieur. En nommant votre collègue parlementaire en mission auprès du ministre de l’intérieur, le Premier ministre lui a confié la tâche de réfléchir à des propositions concrètes concernant la modernisation du régime juridique des gens du voyage.
Le sénateur Hérisson, en sa qualité de président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, dispose d’une grande expérience sur ces sujets et a la capacité de mener une concertation approfondie avec l’ensemble des associations représentant les gens du voyage.
Cette mission est la traduction concrète de la volonté du Gouvernement d’engager la refonte de la loi du 3 janvier 1969 et, là encore, il m’aurait paru logique, pour ne pas dire courtois, d’en attendre les conclusions, prévues pour le 1er avril prochain.
Entre février, mars et avril, plusieurs documents importants, plusieurs réflexions de qualité devraient donc permettre de compléter vos analyses.
Considérant ces deux missions en cours, je comprends mal, monsieur le rapporteur, votre initiative et votre volonté de précipiter les échéances. Il me semble au contraire que, sur ce sujet, nous devrions privilégier une démarche sereine, transpartisane et respectueuse des concertations engagées avec les associations des gens du voyage.
Sur le fond, ensuite, je regrette le caractère quelque peu radical de votre proposition qui ne projette rien de moins que l’abrogation pure et simple de l’ensemble de la loi du 3 janvier 1969.
Vous affirmez, en premier lieu, que cette loi serait contraire à notre Constitution. Il faut pourtant relever que le Conseil constitutionnel, saisi tout récemment d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur deux articles de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, a reconnu – décision du 9 juillet 2010 – que les dispositions de cette loi ne sont pas contraires au principe d’égalité et qu’elles « sont fondées sur une différence de situation entre les personnes, quelles que soient leurs origines, dont l’habitat est constitué de résidences mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant et celles qui vivent de manière sédentaire ; qu’ainsi la distinction qu’elles opèrent repose sur des critères objectifs et rationnels ». Non seulement il ne me revient pas de mettre en cause les décisions du Conseil constitutionnel, mais il me paraît tout à fait adéquat de les respecter.
M. Pierre-Alain Muet. Mais il s’agit là de la loi de 2000, pas de la loi de 1969 !
M. Philippe Richert, ministre. En deuxième lieu, votre proposition revient à supprimer le dispositif de la « commune de rattachement ». Comme pour les autres dispositions prévues par la loi du 3 janvier 1969, le Gouvernement est prêt à envisager l’évolution de ce dispositif.
En particulier, je suis ouvert à une réflexion sur l’utilité et l’effectivité du seuil de 3 % de la population municipale, au-delà duquel les personnes détentrices d’un titre de circulation sont invitées à choisir une autre commune de rattachement. Mais l’intégralité du dispositif ne doit pas pour autant être abrogé. En effet, produisant les effets attachés au domicile, le dispositif de la « commune de rattachement » maintient le lien administratif avec les personnes ayant adopté un mode de vie non sédentaire et leur ouvre un certain nombre de droits.
M. René Couanau. Bien sûr !
M. Philippe Richert, ministre. Je ne peux vous suivre lorsque vous indiquez que le système de domiciliation prévu par le code de l’action sociale et des familles semble suffisant pour pallier la suppression du dispositif de la commune de rattachement. J’attire votre attention sur le fait que ce système de domiciliation ne constitue à ce jour nullement une obligation. On ne peut donc supprimer du jour au lendemain la procédure de rattachement administratif à une commune sans en évaluer les effets réels pour les intéressés.
C’est en outre ce rattachement obligatoire qui permet l’accès aux droits civiques, certes dans des conditions différentes de celles applicables aux personnes sans domicile stable. Et je vous rejoins sur un point : la différence qui existe aujourd’hui entre gens du voyage et personnes sans domicile fixe quant à la durée minimale de rattachement à la commune pour l’inscription sur les listes électorales n’a sans doute plus lieu d’être et mérite d’être corrigée.
M. Pierre-Alain Muet. Eh oui !
M. Jean-Claude Viollet. C’est ce qu’a dit la commission !
M. Philippe Richert, ministre. Mais il n’est pas utile d’abroger la loi du 3 janvier 1969 pour procéder à cet alignement.
En troisième lieu, vous proposez la suppression de l’ensemble des titres de circulation. Si je comprends les griefs formulés à l’égard de ces titres, vous savez comme moi que les associations représentant les gens du voyage sont partagées sur cette question. Certaines d’entre elles tiennent à conserver un tel document, notamment pour l’accès aux aires d’accueil. Il convient de tenir compte de leur position et de tenter de dégager, dans la concertation, une solution consensuelle.
Ce qui est certain, c’est que ce régime des titres de circulation a perdu de sa cohérence et qu’il doit être articulé avec l’intervention de nouvelles législations relatives, par exemple, à l’exercice de la profession de commerçant ou au statut d’auto-entrepreneur. On pourrait, par exemple, envisager la fusion des différents titres de circulation existants et aligner la périodicité des visas.
De même, comme vous l’avez souligné, les peines encourues en cas de circulation sans carnet de circulation semblent excessives et mériteraient d’être ramenées à de plus justes proportions.
Vous le voyez, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, sur tous ces sujets, le Gouvernement n’est pas fermé, mais il refuse d’agir dans la précipitation.
M. Jean-Patrick Gille. On ne peut tout de même pas dire qu’il soit très ouvert !
M. Philippe Richert, ministre. Chacun des aspects du régime instauré par la loi de 1969 mérite un examen approfondi. À ce stade, l’option d’une abrogation pure et simple de l’ensemble de la loi du 3 janvier 1969 m’apparaît donc prématurée et n’est pas nécessairement pertinente.
Enfin, je voudrais revenir un instant sur une problématique ignorée par la loi du 3 janvier 1969, celle du stationnement des gens du voyage. Trois textes de loi sont venus combler progressivement cette lacune de la loi du 3 janvier 1969. Ils ont bâti un délicat équilibre entre les obligations des gens du voyage, qui ne doivent pas s’installer n’importe où et doivent respecter la propriété d’autrui, et les obligations des collectivités territoriales qui doivent respecter les prescriptions légales et se mettre en conformité avec les obligations inscrites dans les schémas départementaux d’accueil des gens du voyage.
L’application de ces dispositions, nous le savons tous, reste encore insuffisante. Ainsi, au 1er janvier 2010, concernant la création des aires d’accueil, 298 communes et 163 EPCI étaient toujours défaillants malgré les subventions de l’État – 287 millions d’euros au total – et la décision de reporter par deux fois les échéances, jusqu’au 31 décembre 2008. Concernant les aires de grand passage, seules 117 aires sur un objectif de 335 étaient réalisées à cette date. Face à cette situation, l’État a souhaité donner une nouvelle impulsion à la politique de création d’aires d’accueil et de grand passage.
Le contexte, d’abord, s’y prête particulièrement bien, puisque la grande majorité des schémas départementaux arrivent à échéance et doivent être révisés. D’ores et déjà, le 28 août dernier, le ministre de l’intérieur et le secrétaire d’État au logement ont adressé une circulaire conjointe aux préfets pour qu’ils se saisissent de cette occasion pour relancer systématiquement la réalisation d’aires supplémentaires.
Parallèlement, au niveau national, le ministère de l’intérieur et le secrétariat d’État au logement ont la volonté d’étudier de nouvelles possibilités d’adaptations législatives ou réglementaires pour surmonter les difficultés auxquelles se heurte la réalisation de ces aires. À cette fin, une mission d’inspection du Conseil général de l’environnement et du développement durable a rendu ses conclusions en octobre 2010. Elles sont, aujourd’hui, à l’étude dans les deux ministères. Les conclusions de votre mission d’information sur la législation relative aux gens du voyage viendront par ailleurs éclairer les décisions que pourra arrêter le Gouvernement dans les prochains mois.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement est mobilisé sur cette question. Il entend à la fois moderniser la loi du 3 janvier 1969 et mieux faire appliquer la législation sur l’accueil et le stationnement des gens du voyage. Cette mobilisation suppose un effort non seulement de l’État, mais aussi des collectivités territoriales et des membres de la communauté des gens du voyage eux-mêmes.
M. Alain Néri. Les collectivités territoriales, vous les asphyxiez !
M. Philippe Richert, ministre. Vous connaissez tous la responsabilité des départements. J’ai moi-même été président de conseil général et président, avec le préfet, de cette commission départementale. Je sais donc de quoi je parle !
Nous devons bâtir, en étroite concertation avec les associations qui représentent cette communauté, un cadre équilibré et modernisé entre des droits et des obligations, respectueux du choix d’un mode de vie non sédentaire. Le Gouvernement est déterminé. Des travaux sont en cours et je crois que, sur ce sujet, un consensus républicain pourrait utilement s’établir.
M. René Couanau. De part et d’autre !
M. Philippe Richert, ministre. Je souhaite que nous y parvenions ensemble. C’est pourquoi j’inviterais volontiers les auteurs de cette proposition de loi à la retirer. À défaut, je demanderai à votre assemblée de la rejeter.
M. Alain Néri. Votez-la pour qu’il y ait consensus !
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Alain Muet.M. Pierre-Alain Muet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à mettre fin à ce qui constitue à la fois un anachronisme et une discrimination incompatible avec les principes de notre République. Les gens du voyage qui, comme tous les citoyens français, peuvent circuler partout en Europe avec un passeport, ne peuvent pas le faire librement dans leur propre pays, puisqu’ils doivent détenir un livret de circulation ou un carnet de circulation.
La loi du 3 janvier 1969, toujours en vigueur, exige en effet de toute personne ayant une résidence mobile la possession, soit d’un livret de circulation si elle dispose de ressources régulières, soit d’un carnet de circulation si elle n’a pas de ressources régulières. Il s’agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d’une carte d’identité ne suffit pas pour être en règle.
La HALDE a souligné, dans sa délibération de décembre 2007, que cette loi était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme qui, dans son article 14, interdit toute discrimination dans le droit de circuler ou de choisir sa résidence. Comment refuser à des citoyens français ce droit fondamental inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
À cette atteinte à la liberté de circulation s’ajoute une discrimination en matière de droits civiques : les gens du voyage doivent avoir été rattachés trois ans à la même commune pour pouvoir y exercer un droit de vote, alors qu’une personne sans domicile fixe peut exercer ce droit au bout de six mois.
Je me tourne vers nos collègues de la majorité – ils ne sont pas très nombreux ! – dont je sais que beaucoup partagent notre point de vue sur cette loi de 1969 mais qui nous ont dit, en commission, qu’il était urgent d’attendre. Il faut attendre, en effet, le rapport de la mission sur l’accueil et l’adaptation des gens du voyage. Outre que cette mission aurait dû déjà remettre son rapport en décembre, il n’y a pas de lien direct entre ses travaux, qui portent principalement sur les aires d’accueil, et le sujet dont nous parlons.
Nous avons déjà entendu ce discours – « il est urgent d’attendre » – il y a un peu moins d’un an lorsque nous avons présenté une proposition de loi pour imposer la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue. Depuis, le Conseil constitutionnel a obligé le Gouvernement à légiférer et, la semaine dernière, nous avons examiné ici un projet de loi dont l’un des articles reprenait précisément ce que vous aviez refusé il y a moins de un an. La même chose pourrait se produire en ce qui concerne les discriminations dont sont victimes les gens du voyage.
Maintenant que le dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité existe, il est évident que, tant au regard du droit de circuler librement qu’au regard du droit de vote, les dispositions de la loi de 1969 sont appelées à être déclarées inconstitutionnelles.
En abrogeant la loi du 3 janvier 1969, on ne créerait aucun vide juridique, puisqu’on remplacerait le système du rattachement par celui de l’élection de domicile déjà en vigueur. Quant à la question de l’accès aux aires d’accueil, elle pourrait très simplement être réglée par l’adhésion volontaire à une association dont je salue les représentants qui sont dans ces tribunes.
Avant de conclure, je voudrais saluer aussi la mémoire d’une adjointe au maire de Lyon, Guylaine Gouzou-Testud, membre du groupe Europe Écologie et militante inlassable de la lutte contre toutes les formes de discrimination, dont les obsèques ont lieu en ce moment même à Lyon.
Les représentants des associations nous ont rappelé tout à l’heure que beaucoup des gens du voyage étaient français depuis le xve siècle. Être français, c’est d’abord assumer l’héritage d’une nation métissée, qui se veut indivisible, d’une République qui accueille, éduque, rassemble, sans distinction de race, d’origine, de couleur, de religion ou de mode de vie.
Les gens du voyage ne demandent ni passe-droit ni discrimination positive. Ils demandent simplement le droit à l’indifférence, c’est-à-dire le droit de ne plus être considérés comme des étrangers dans leur propre pays. Ils demandent à être des citoyens ordinaires, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
C’est le sens de cette proposition de loi, et notre assemblée s’honorerait à abroger dès maintenant une loi contraire aux principes de notre République, plutôt que d’attendre une censure du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.
Mme Marie-Hélène Amiable. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, en abrogeant la loi de 1969, cette proposition de loi supprime de fait quatre discriminations subies par les gens du voyage. Premièrement, la loi de 1969 oblige les gens du voyage à être en possession soit d’un livret de circulation, soit d’un carnet de circulation si elles n’ont pas de ressources régulières. Le titulaire d’un livret de circulation doit le faire viser chaque année par la police ou la gendarmerie ; le contrôle est trimestriel pour les carnets de circulation. Deuxièmement, les gens du voyage sont soumis à un système de commune de rattachement. Troisièmement, le nombre de personnes détentrices d’un titre de circulation et rattachées à une commune ne doit pas dépasser 3 % de la population municipale, ce qui engendre des difficultés supplémentaires, souvent insurmontables. Quatrièmement, enfin, l’inscription des gens du voyage sur les listes électorales n’est possible qu’après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, alors même que ce délai est de six mois pour les personnes sans domicile fixe. C’est donc très utilement que nos collègues ont déposé cette proposition de loi.
Au cours de l’histoire, les modes de vie nomades ont bien souvent suscité le rejet, voire la haine, de la part des sédentaires, comme si l’absence de lieu de résidence fixe faisait des gens du voyage des personnes différentes, comme si ce mode de vie devait se payer par une différence de traitement de la part des administrations.
Les gens du voyage ont souffert du traitement réservé aux Roms durant l’été et à la rentrée 2010. Aujourd’hui, entre 2 et 4 % des Roms sont des gens du voyage ; il ne faut donc pas confondre les uns avec les autres. Mais la stigmatisation par les autorités, elle, ne fait pas de détail. Car, au-delà de cette vieille loi de 1969, c’est bien la politique de l’actuel Gouvernement qui porte en elle les germes de la discrimination : « Dis-moi d’où tu viens et je te dirais ce que tu es et ce que tu deviendras », telle semble être votre devise.
Les discriminations qui touchent les gens du voyage sont d’autant plus paradoxales que les chantres du libéralisme et de l’Union européenne qui composent ce gouvernement sont habituellement des fervents partisans de la liberté de circulation. Mais il est vrai que seule les intéresse la libre circulation des capitaux ! Lorsque l’absence de résidence fixe correspond à un mode de vie, à des traditions, elle n’est plus valorisée mais devient source de discriminations. Si la circulation des hommes ne se réduit plus à celle de la main-d’œuvre, si le voyage n’est plus motivé par des impératifs économiques de rentabilité ou de mobilité, alors tout est fait pour multiplier les entraves.
Ce sont d’ailleurs, comme l’ont souligné mes collègues socialistes, les instances européennes elles-mêmes qui risquent de sanctionner la France pour non-respect du droit conventionnel.
D’autre part, une question prioritaire de constitutionnalité déposée sur ces dispositions aurait toutes les chances d’entraîner la censure du Conseil constitutionnel. Nous sommes en effet en présence de ruptures manifestes de l’égalité entre les citoyens.
Nous partageons donc le constat formulé par nos collègues socialistes, et il nous apparaît même nécessaire de l’élargir. En effet, il n’y a pas que les gens du voyage qui souffrent de discrimination du fait de leur résidence, il y a aussi les sédentaires qui vivent dans certains quartiers. Des études récentes ont en effet montré que certains citoyens encouraient des discriminations du fait de leur lieu de résidence. Il existe donc au sein de notre République des discriminations territoriales. Elles touchent les habitants de certaines communes, souvent stigmatisées par la presse à sensation, mais aussi par les pouvoirs publics qui les dénomment improprement « quartiers sensibles » ou « quartiers difficiles ».
De même que les gens du voyage, parce qu’ils n’ont pas de résidence fixe, se voient pénalisés sur le plan administratif, les habitants des quartiers populaires, parce qu’ils y résident, subissent des discriminations et ne bénéficient ni des mêmes droits ni des mêmes chances que leurs concitoyens. C’est pour lutter contre ce phénomène que les députés communistes et du parti de gauche ont cosigné la proposition de loi de François Asensi visant à interdire ce type de discrimination.
Si la loi française retient aujourd’hui dix-huit critères de discrimination, le critère de résidence n’y est pas mentionné. Or, celui-ci, outre qu’il pourrait s’appliquer au cas des habitants des quartiers populaires, permettrait également de lutter contre les discriminations subies par les gens du voyage. C’est bien en raison de leur résidence changeante que ceux-ci doivent observer des règles d’un autre âge, présenter des livrets de circulation, et qu’ils ont toutes les peines du monde à s’inscrire sur les listes électorales.
Bien sûr, ajouter un nouveau critère de discrimination ne saurait suffire à faire disparaître les stigmatisations. Cela peut cependant être un point de départ. La commission des lois a scandaleusement rejeté ce texte, sous le prétexte qu’un rapport allait bientôt être publié sur le sujet et que le débat ne pouvait avoir lieu avant. Mais, puisqu’il s’agit de discrimination, l’abrogation de cette loi ne souffre aucun délai. C’est d’autant plus hypocrite que le rapport de la mission d’information sur la législation relative aux gens du voyage semble – vous l’avez dit, monsieur le ministre – aller dans le même sens que cette proposition de loi. Vous l’aurez donc compris, les députés communistes, républicains et du parti de gauche voteront la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Quentin.
M. Didier Quentin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous revient d’examiner la proposition de loi visant à mettre fin au traitement prétendument discriminatoire des gens du voyage, déposée par le groupe socialiste, dans le cadre du droit d’initiative parlementaire.
Permettez-moi tout d’abord de redire que la commission des lois de l’Assemblée nationale a décidé, fin 2009, de créer une mission d’information sur le bilan et l’adaptation de la législation relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, afin de procéder à un bilan de la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », afin d’envisager d’éventuelles adaptations.
M. Alain Néri. Vous n’allez tout de même pas nous reprocher d’aller plus vite que vous ! C’est un comble !
M. Didier Quentin. Dans le cadre de cette mission que j’ai l’honneur de présider, nous tâchons de privilégier la recherche d’un équilibre entre le nécessaire maintien de moyens de contrôle et l’impérieuse exigence du respect des libertés fondamentales.
Est-il besoin de rappeler que la loi du 5 juillet 2000 avait pour objet principal la création d’aires d’accueil permanentes, afin de répondre au mieux aux besoins des gens du voyage et de mettre un terme aux stationnements anarchiques, qui provoquent de nombreuses tensions ?
Les travaux de la mission ont permis de dégager plusieurs pistes pour améliorer la situation. Nous aurons l’occasion de présenter nos propositions à nos collègues de la commission des lois au début du mois de mars. Elles seront complétées par les conclusions de la mission que le Premier ministre vient de confier au sénateur Pierre Hérisson.
Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la question des titres de circulation. Ce débat fait suite à la délibération de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, en date du 17 décembre 2007. Celle-ci a en effet considéré l’obligation de détenir un titre de circulation comme contraire au principe de libre circulation et à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au principe de non-discrimination.
Néanmoins, l’opportunité d’un tel débat me paraît contestable, alors que les conclusions du rapport de notre mission d’information sur les gens du voyage ne sont toujours pas arrêtées. Cette initiative me semble donc pour le moins prématurée, même si, comme l’a indiqué notre collègue Charles de La Verpillière devant la commission des lois, le 19 janvier dernier, le dispositif issu de la loi du 3 janvier 1969 ne nous semble pas strictement conforme aux exigences constitutionnelles, voire aux exigences conventionnelles.
Il convient donc certainement de le réformer. Je tiens néanmoins à rappeler que, à l’époque, l’adoption de cette loi avait été considérée comme un véritable progrès pour les personnes sans résidence fixe, puisqu’elle mettait un terme à la loi de 1912 imposant la possession d’un carnet anthropométrique.
M. Jean-Claude Viollet. Bien sûr !
M. Didier Quentin. La loi du 3 janvier 1969 prévoit pour toute personne de plus de seize ans n’ayant pas de domicile ou résidence fixes de plus de six mois dans un État membre de l’Union européenne l’obligation d’être munie d’un livret spécial de circulation, délivré par les autorités administratives.
Ces titres de circulation sont de deux types. Un livret de circulation, destiné aux personnes qui justifient de ressources régulières « leur assurant des conditions normales d’existence, notamment par l’exercice d’une activité salariée », doit être visé à des intervalles qui ne peuvent être inférieurs à trois mois par la police ou la gendarmerie nationales. Un carnet de circulation, destiné aux personnes qui ne justifient pas de ressources régulières, doit être visé tous les trois mois par la police ou la gendarmerie nationales.
Cette loi prévoit aussi que la délivrance d’un titre de circulation n’est possible que si le demandeur indique la commune à laquelle il souhaite être rattaché, le rattachement étant prononcé par le préfet ou le sous-préfet, après avis motivé du maire, sachant que, d’une part, l’article 8 de la même loi limite à 3 % de la population municipale le nombre de personnes titulaires d’un titre de circulation rattachées à une commune et que, d’autre part, le rattachement vaut élection de domicile en matière de célébration de mariage, d’inscription sur la liste électorale, à la demande des intéressés. Mais, après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, celle-ci devient le lieu d’accomplissement des obligations fiscales, sociales ou du service national.
Le régime des titres de circulation est cependant très contraignant, nous en convenons volontiers. En effet, le non-respect des obligations de visa est passible d’une contravention de cinquième classe, et le fait de circuler sans carnet de circulation constitue un délit puni de trois mois à un an d’emprisonnement. À cet égard, notre mission d’information réfléchit à certaines adaptations et simplifications comme, par exemple, un allégement important des contraintes inhérentes au régime des titres de circulation.
M. Jean-Claude Viollet. Ils sont français !
M. Didier Quentin. Cela pourrait conduire, premièrement, à l’allongement de la durée de validité des titres, actuellement limitée à cinq ans ; deuxièmement, à l’allongement du délai de visa des carnets de circulation, actuellement de trois mois ;…
M. Alain Néri. Est-ce que cela s’applique aussi à vous, monsieur Quentin ?
M. Didier Quentin. …troisièmement, à la simplification du dispositif par la fusion des titres ; quatrièmement, enfin, à la suppression de tout caractère délictuel pour le non-respect des obligations précitées.
M. Alain Néri. Mêmes droits, mêmes devoirs !
M. Didier Quentin. Ce dispositif permet cependant un contrôle d’identité adapté à la situation objective particulière des gens du voyage.
En outre, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2000, le titre de circulation est générateur de droits.
M. Jean-Claude Viollet. Il fallait oser le dire !
M. Didier Quentin. il est effectivement le moyen d’accès aux aires permanentes d’accueil. Sa suppression pure et simple pourrait donc avoir paradoxalement des conséquences négatives pour les gens du voyage.
D’autre part, il joue un rôle de référent culturel, actant l’appartenance à la communauté des gens du voyage. De fait, de très nombreuses personnes issues de familles de « voyageurs » et aujourd’hui sédentarisées continuent d’en demander la délivrance, et certaines associations auditionnées n’en demandent pas formellement la suppression.
Enfin, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi du 5 juillet 2000 conforme aux exigences constitutionnelles, et en particulier au principe d’égalité inscrit à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
J’en rappelle la teneur, telle que dégagée par la jurisprudence constante de notre Haute Cour : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. » Or, les différences de traitement résultant du statut des gens du voyage sont fondées sur une différence de situation entre « les personnes dont l’habitat est constitué de résidences mobiles et qui ont choisi un mode de vie itinérant » et « celles qui vivent de manière sédentaire ».
Aussi, sans dire comme un orateur précédent, qu’il est urgent d’attendre, j’affirme que le maintien du titre de circulation, assorti des assouplissements que j’ai indiqués, notamment en matière de délivrance de visa, permettrait de faire évoluer ce dispositif et de le considérer comme un instrument d’accès au droit…
M. Jean-Claude Viollet. Mais ils sont français !
M. Didier Quentin. …et non plus comme un outil répressif.
Voilà pourquoi, dans l’attente – mais cette attente sera de courte durée et ne saurait excéder quelques semaines – des conclusions de la mission d’information, dont Dominique Raimbourg est membre actif et co-rapporteur, je vous invite, au nom du groupe UMP, à repousser cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Alain Néri. Comme à chaque fois qu’il y a une mission, il faut repousser notre proposition de loi et attendre la vôtre, qui sera moins bonne ! Cela devient une mauvaise habitude !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Touraine.
M. Jean-Louis Touraine. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors même que notre droit devrait toujours conforter les mesures de lutte contre la discrimination, une discrimination très grave, une injustice, une stigmatisation incompréhensible perdure depuis 1912, et sous une forme renouvelée depuis la loi de 1969, à l’encontre de certains citoyens français, les gens du voyage. Ils ont d’ailleurs été maintenus dans des camps d’internement jusqu’en 1946, et ce souvenir est présent dans leur mémoire collective.
Les gens du voyage sont, pour la plupart, français depuis de nombreuses générations. Mais ils n’ont pas les mêmes droits que les autres citoyens français. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Ils doivent en effet – eux et eux seuls – tenir à jour des livrets ou des carnets de circulation, selon qu’ils ont ou non des ressources régulières, et faire viser ces documents tous les trois à douze mois par la gendarmerie ou la police, faute de quoi ils sont passibles de peines d’emprisonnement. De plus, ils subissent des restrictions de droits civiques : ils ne peuvent se faire inscrire sur les listes électorales qu’après trois ans de rattachement continu dans la même commune, alors que ce délai n’est que de six mois pour les personnes sans domicile fixe. Le nombre de « voyageurs » inscrits dans une commune de rattachement est limité à moins de 3 % de la population de celle-ci. Enfin, ils sont confrontés à des difficultés pour scolariser leurs enfants et à diverses autres mesures discriminatoires.
Cela est si vrai que la HALDE, le commissaire européen aux droits de l’homme, le Conseil constitutionnel ont tous fait observer que ces dispositions injustes ne respectent pas les droits de l’homme, non plus que le principe d’égalité des citoyens à l’accès aux droits.
Avant que le Conseil constitutionnel ne censure la loi ou que le commissaire européen ne nous rappelle à l’ordre, il serait bien que la France se mette spontanément en conformité avec les impératifs des droits de l’homme, avec sa Constitution et avec les réglementations européennes. Rien ne peut justifier le maintien, même transitoire, des mesures iniques qui frappent les gens du voyage. Ni le contrôle des personnes ni la sécurité n’en sont améliorés, de l’avis même des autorités chargées de ces questions. Il serait incompréhensible, coupable et attentatoire au principe de l’égalité des citoyens de tarder quelques mois de plus pour légiférer en attendant le résultat d’une mission d’information sur un sujet différent, celui de l’accueil des gens du voyage dans les aires prévues à cet effet.
Monsieur le ministre, c’est un euphémisme de dire que la loi de 1969 n’est plus adaptée à notre temps. Elle est intolérable, et il y a urgence à l’abroger. Toute frilosité, sous prétexte que l’on attend les conclusions d’une, deux, trois ou quatre missions ou groupes de travail, serait coupable. Vous avez dit ne pas être fermé à plusieurs de nos propositions, concernant notamment le plafond de 3 % de gens du voyage inscrits dans la commune de rattachement, et le délai de trois ans de rattachement continu pour l’exercice du droit de vote, qui est incompréhensible. Nous vous remercions de bien vouloir nous présenter les amendements du Gouvernement pour entériner dès maintenant ces avancées.
Notre pays s’honorera en envoyant un message de justice et d’humanisme aux « voyageurs » français, dont les enfants ne peuvent légitimement pas attendre plus longtemps pour être traités comme les autres Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.
M. Patrice Martin-Lalande. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes probablement très nombreux, sur tous les bancs de cette assemblée, à partager le constat qu’il faut faire évoluer un certain nombre de règles législatives concernant les gens du voyage. Mais nous sommes nombreux aussi à considérer que ces questions sensibles méritent mieux qu’une simple abrogation et qu’il est nécessaire de s’appuyer, pour améliorer la loi existante, sur les conclusions prochaines de la mission d’information créée à ce sujet par notre commission des lois, dont Didier Quentin a rappelé le travail important.
J’observe que nos collègues des groupes communiste et socialiste demandent souvent le renvoi d’un texte en commission pour y travailler davantage. Mais, quand une commission ou une mission d’information travaille, ils souhaitent ne pas attendre les résultats pour légiférer.
Pour aller à l’essentiel, je dresserai un rapide inventaire des principaux problèmes que nous continuons de rencontrer en matière d’accueil et de condition de vie des gens du voyage, comme j’ai pu m’en rendre compte à nouveau cet été dans ma circonscription à Saint-Aignan-sur-Cher, à Thésée et à Couddes, deux villages dont les mairies ont été incendiées.
En ce qui concerne d’abord les aires d’accueil, les deux tiers des places prévues par les schémas ont été financées à la fin 2009. Il reste à réaliser un tiers des places d’aires d’accueil et les deux tiers des aires de grand passage. Pour aller plus loin, il faudrait rendre moins fortes les pressions locales, qui existent certes, et mieux répartir les coûts de l’équipement : pour cela, il faudrait rendre obligatoire l’exercice par les communautés de communes de la compétence en matière de politique d’accueil et d’habitat des gens du voyage.
Il faut aussi résoudre le problème du financement par l’État, puisque le délai de 2004, fixé par la loi Besson du 5 juillet 2000 avait été repoussé en 2007 et a finalement expiré au 31 décembre 2008. Toutes les aires n’ont pourtant pas été réalisées à cette date, mais l’État n’a plus à financer 50 % des aires d’accueil et 100 % des aires de grand passage. Une nouvelle aide de l’État est nécessaire. La mise en place des aires d’accueil conditionne en effet largement la décision du juge en cas d’occupation illégale.
Enfin, il existe un problème spécifique aux zones urbaines denses où la pression foncière complique la recherche d’un terrain. Là aussi, l’intercommunalité est probablement la meilleure solution.
En ce qui concerne ensuite de la sédentarisation des gens du voyage, une sédentarisation réussie, qu’elle soit partielle ou totale, se réalise trop souvent en marge de la loi – certes sur des terrains dont ils sont devenus propriétaires – mais, comme j’ai pu le constater dans ma circonscription, souvent en construisant sans respecter la règle imposée aux autres propriétaires sur des terrains similaires. Une intégration réussie ne passe-t-elle pas par l’aménagement de terrains familiaux gérés au niveau intercommunal ?
Troisièmement, la scolarisation des enfants de la communauté des gens du voyage est très insuffisante. Le respect de l’obligation de scolarisation est pourtant essentiel pour assurer une éducation donnant à ces enfants les mêmes chances d’intégration dans notre société que les autres élèves.
Quatrièmement, la question du livret ou du carnet de circulation est effectivement très sensible et exige qu’on révise la loi. Certains membres de la communauté des gens du voyage souhaitent cependant leur maintien. Didier Quentin a développé l’état actuel des travaux de la commission. C’est tout le problème de reconnaître des spécificités sans opérer de discrimination.
Cinquièmement, la représentation des gens du voyage est mal assurée. Les pouvoirs publics peinent à dialoguer avec des interlocuteurs qualifiés. Les pasteurs évangélistes ont souvent réussi à se faire valoir dans ce rôle. Certes, ces relais comblent en quelque sorte un vide représentatif. Mais, dans notre République laïque, il ne faut pas réduire une communauté à un culte ni s’abriter derrière la nécessaire liberté de culte que chacun doit respecter pour ne pas respecter la loi, en refusant – comme cela arrive trop souvent, j’ai pu le constater – de stationner dans les lieux prévus pour les rassemblements.
Sixièmement, l’inscription sur les listes électorales est également une question très complexe puisqu’il va nous falloir trouver une solution qui concilie, d’une part, l’existence d’un vrai lien durable avec la commune, bien que les intéressés n’y vivent que par intermittence et n’y possèdent aucun ancrage immobilier, et, d’autre part, la nécessité de favoriser l’intégration rapide dans notre société des gens du voyage comme des sans domicile fixe, intégration qui passe par la possibilité de choisir facilement un lieu où mener sa vie, y compris sa vie civique.
En conclusion, oui, il faut lutter contre toutes les discriminations : contre celles qui pénalisent injustement les gens du voyage, et il nous faudra faire rapidement œuvre législative ; mais aussi contre celles qui pénalisent injustement les autres citoyens français. Je veux ici porter témoignage que bon nombre de nos concitoyens s’estiment victimes d’une discrimination lorsqu’ils constatent que, par exemple en matière d’urbanisme ou de sécurité routière, on leur impose des sanctions auxquelles échappent un certain nombre de gens du voyage qui ont commis la même faute.
Oui, il nous faut travailler tout à la fois pour rendre la loi plus juste et pour faire respecter la loi par tous.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien entendu, cette proposition de loi ne peut laisser aucun d’entre nous insensible. Je pourrais reprendre à mon compte ce qu’ont dit les uns et les autres, tant ce texte éveille d’échos en nous, à propos du nomadisme et de l’appartenance à un territoire par sédentarisation.
Monsieur le ministre, vous rappeliez que vous avez été président de conseil général ; pour ma part, je n’ai pas eu cet honneur, mais, en tant que président de l’association des maires des Pyrénées-Atlantiques, j’ai pu constater les grandes difficultés que suscitaient très souvent dans notre département frontalier les rencontres entre « deux formes de société ».
J’ai aussi été très sensible à ce qui nous est arrivé il y a une semaine : comme nombre de mes collègues l’ont déjà rappelé, il a fallu légiférer dans l’urgence sur la garde à vue. Il me semble que les députés de la nation doivent éviter ce type de pratiques. Il faut légiférer lorsque le moment est venu, et pas sur l’injonction de quelque organisation extérieure que ce soit.
Monsieur le ministre, votre exposé m’a permis de mieux connaître ce dossier ; j’ai bien noté que des commissions travaillent actuellement sur le sujet et sur les réponses à apporter à ces questions. Néanmoins, dans la mesure où il s’agit ici d’êtres humains, nous ne pouvons pas conserver plus longtemps l’attitude de ségrégation qui est la nôtre aujourd’hui. Le grand pays qu’est la France, avec tout ce qu’il véhicule de positif, non seulement à l’intérieur de ses frontières,…
M. Jean-Claude Viollet. À l’égard de ses propres enfants !
M. Jean Lassalle. …mais aussi dans le monde entier, ne peut pas souffrir la moindre égratignure.
Je ne méconnais pas les difficultés, notamment celles relatives à la question très sensible de la mise en place des aires d’accueil ; il n’en demeure pas moins que nous ne pouvons pas permettre qu’un citoyen doive avoir passé trois années sur le territoire d’une commune avant de pouvoir y être électeur. Je ne parle même pas des problèmes de scolarisation ou de la différence, fondée sur les ressources de la personne, entre le carnet et le livret de circulation.
Monsieur le ministre, comme cela arrive heureusement parfois dans cette assemblée – ce fut le cas à propos de la garde à vue –, je souhaite que nous parvenions à un accord qui nous honorerait tous. C’est la raison pour laquelle je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Line Reynaud.
Mme Marie-Line Reynaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois, le mercredi 8 avril 2009, une délégation d’associations de gens du voyage a été reçue à l’Assemblée nationale, à l’occasion de la journée mondiale des Roms. J’ai eu l’honneur de les accueillir avec une émotion partagée. Ils m’ont remis leur « décalogue du Palais Bourbon », qui contient dix revendications, dont une, la cinquième, concerne les entraves à la libre circulation.
L’appellation « gens du voyage » est une création administrative qui désigne, depuis la fin des années soixante, les populations tziganes, manouches, gitanes, roms, sintis ou yéniches. Or ces populations, que nous traitons comme des étrangers, sont aussi françaises que vous et moi – en fait, elles le sont très souvent depuis plus longtemps que moi. Malheureusement, depuis quelques années, et plus encore depuis mai 2007, l’expression « gens du voyage » est trop souvent utilisée par certains responsables politiques de la majorité afin de stigmatiser nos compatriotes.
Les gens du voyage aiment la France et font partie intégrante de l’histoire de notre pays, auquel ils sont fiers d’appartenir. Je les salue. Fortement attachés, comme nous tous, aux valeurs de la République, ils se sont engagés et ont défendu avec courage leur pays, dans les heures les plus sombres de notre histoire, en particulier lors de la Première Guerre mondiale, de la guerre en Indochine ou encore de la guerre d’Algérie. Ils ont enfin payé le lourd tribut de la folie nazie, période pendant laquelle plusieurs d’entre eux furent internés dans les camps de la mort dont très peu sont revenus
La loi du 3 janvier 1969 prévoit que toute personne âgée de plus de seize ans et n’ayant pas de domicile ou de résidence fixe doit être en possession d’un carnet de circulation si elle n’a pas de ressources régulières, ou d’un livret de circulation si elle exerce une activité professionnelle. La possession du carnet de circulation est obligatoire. Celui-ci doit être visé régulièrement par la police ou la gendarmerie, sous peine d’une contravention de cinquième classe. Selon la juriste Marguerite Gille, cette disposition présente des connotations raciales et criminalise ces minorités en les assimilant à des délinquants de droit commun.
Dans sa délibération du 17 décembre 2009, la HALDE a considéré que ces dispositifs étaient contraires à la Déclaration des droits de l’homme. En définitive, les gens du voyage peuvent circuler librement dans l’Union européenne, mais pas dans leur pays. En effet, l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantit un droit de circuler et de stationner pour toutes les personnes, indépendamment de leur identité culturelle, de leur moyen de mobilité ou de tout autre critère. Toute entrave à ces droits est considérée comme un acte de discrimination et d’infraction.
De plus, si les dispositions de la loi de 1969 devaient être déférées devant le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, il est quasiment certain que la censure serait prononcée par les sages pour non-respect du principe de liberté. La majorité présidentielle l’a d’ailleurs reconnu à demi-mot lors des débats en commission des lois.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, pour s’exonérer de ses échecs en matière de sécurité, le Gouvernement et le Chef de l’État désignent trop souvent les minorités comme étant responsables de tous les maux. Vous considérez qu’une bonne loi doit être régressive, répressive, stigmatisante et enfermante.
M. Philippe Richert, ministre. Vous plaisantez ? Voilà qui est incroyable !
Mme Marie-Line Reynaud. Votre comportement face aux minorités est indigne et intolérable au regard de l’idée républicaine que nous portons. Doit-on privilégier l’exclusion plutôt que l’intégration, le rejet plutôt que la tolérance ? En la matière, l’affichage politique du Gouvernement est clair et vise à stigmatiser toujours plus les minorités pour manipuler l’opinion publique. Il est temps que cela cesse.
Les gens du voyage ont le droit de vivre décemment et celui de ne pas être des sous-citoyens. Ils doivent relever du droit commun et être des citoyens français à part entière en matière d’éducation et de droit de vote ainsi que dans tous les autres domaines.
Mes chers collègues, il est temps d’abroger cette loi discriminatoire, non respectueuse de nos valeurs républicaines, et très souvent inappliquée. Nous n’avons pas besoin d’une énième mission ou commission pour que nos concitoyens soient tous égaux devant la loi selon les grands principes de notre République.
Il a fallu cinquante-sept ans pour changer la loi de 1912 ; celle adoptée en 1969 s’applique déjà depuis plus de quarante ans. Si, comme vous le disiez vous-même, ce thème vaut mieux qu’une abrogation, que voulez-vous précisément conserver de la loi de 1969 ? N’attendons pas plus longtemps ! Je vous invite à adopter notre proposition de loi pour rendre à nos concitoyens leur honneur et leur dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.
M. Jean-Claude Viollet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour avoir été, plusieurs années durant, l’un des représentants de notre assemblée à la Commission nationale consultative des gens du voyage, je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi, dont je suis signataire, et qui vise à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage en abrogeant purement et simplement la loi du 3 janvier 1969.
En effet, si ce texte supprimait l’obligation faite aux gens du voyage, par la loi du 16 juillet 1912, d’être porteurs d’un carnet anthropométrique, il continue de contraindre les personnes sans domicile ni résidence fixe et qui « logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile » à détenir et à soumettre régulièrement au contrôle un carnet ou un livret de circulation.
La loi du 3 janvier 1969 maintient donc bien un régime restrictif de la liberté d’aller et venir puisque celle-ci est conditionnée par la possession de titres de circulation dont la délivrance et la prorogation impliquent un examen de la vie privée par les autorités. Ce faisant, elle soumet les gens du voyage à un statut dérogatoire du droit commun en faisant d’eux des « étrangers de l’intérieur » alors que, dans leur immense majorité, ils sont français depuis de nombreuses générations.
Il s’agit d’une restriction de droit contraire à la Constitution de notre République, qui est notre loi fondamentale. En effet, les travaux du Conseil constitutionnel ont régulièrement conclu que la liberté d’aller et venir était un principe de valeur constitutionnelle, corollaire de la liberté individuelle.
Mais, au-delà, vous le savez, l’existence de tels titres de circulation est également en contradiction avec nombre de dispositions en vigueur au niveau de l’Union européenne ainsi qu’avec plusieurs conventions internationales que notre pays a ratifiées.
Les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 relatives aux titres de circulation reposent sur un critère prohibé par la loi et entraînent un désavantage particulier pour les gens du voyage : autant d’éléments constitutifs d’une discrimination indirecte à leur égard. Il convient donc d’y renoncer pour s’en remettre au droit commun.
Cette évolution ne saurait plus supporter quelque délai que ce soit, puisque, dès 1969, un commentateur avisé du Bulletin annoté des lois et décrets estimait que la nouvelle loi « serait sans doute appelée à être remaniée à nouveau assez prochainement en application du traité de Rome ». Aujourd’hui, il est donc plus que temps d’agir.
Mais il y a, dans cette même loi du 3 janvier 1969, d’autres désavantages particuliers, sur lesquels il convient également de revenir, en ce qu’ils constituent autant de discriminations, s’agissant notamment du droit de vote lié au choix de la commune de rattachement. En effet, toute personne qui sollicite la délivrance d’un titre de circulation est tenue d’indiquer « simultanément la commune à laquelle elle désire être rattachée et le motif du choix de la commune ».
Tout d’abord, la loi limitant à 3 % de la population de la commune choisie le nombre maximum de personnes détentrices d’un titre de circulation susceptibles d’y être rattachées, nous sommes, une fois encore, en contradiction avec le principe général de libre choix de la résidence pour tout individu.
Ensuite, cette disposition a une incidence directe sur l’exercice, par les gens du voyage, de leur droit de vote, puisque l’inscription sur les listes électorales pour les titulaires d’un titre de circulation n’est possible qu’après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, contre six mois seulement pour tous les autres citoyens français.
La situation ainsi faite aux gens du voyage est donc, une nouvelle fois, discriminatoire, le Conseil constitutionnel ayant établi que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et d’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité.
En novembre 2006, j’avais déjà attiré l’attention du Gouvernement sur ce frein à l’exercice du droit de vote des gens du voyage, qui ne pouvait, de mon point de vue, que contribuer à renforcer le communautarisme, contraire à l’esprit même de notre République laïque qui ne reconnaît que des citoyens, à égalité de droits et de devoirs.
En février 2007 – j’insiste sur la date, monsieur le ministre –, il m’avait été répondu que « ce délai dérogatoire au droit commun pouvait effectivement paraître injustifié » et que « Pierre Hérisson, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, ayant fait des propositions visant à aligner le régime d’inscription sur les listes électorales des gens du voyage sur le droit commun, ces propositions étaient à l’étude et les suites qui y seraient données seraient connues dans les prochains mois ». Nous étions en février 2007 ; quatre ans plus tard, il est temps d’agir.
Notre assemblée s’honorera de procéder au rétablissement des gens du voyage dans leur pleine citoyenneté, à égalité de droits et de devoirs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Vandewalle.
M. Yves Vandewalle. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, nous examinons une proposition de loi déposée par les députés socialistes et qui vise à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage, qui, dans leur grande majorité, sont français.
Chers collègues socialistes, l’intention est louable, mais votre proposition est d’une portée bien modeste. En effet, que proposez-vous, si ce n’est la suppression du carnet de circulation ? Vous mettez en avant les traitements discriminatoires qui portent atteinte aux droits civiques des gens du voyage et à leur liberté de circulation, en soulignant l’obligation qui leur est faite de choisir une commune de rattachement, mais vous ne proposez pas vraiment de solution. Vous insistez sur le manque d’égalité dont ils sont victimes. Vous exigez la fin de leur stigmatisation et leur intégration dans la société par l’application du droit commun. Vous avez raison. Qui pourrait souhaitait le contraire ? Les gens du voyage doivent être assurés de bénéficier des mêmes droits que chaque citoyen français ; ils doivent aussi être tenus de respecter les mêmes devoirs.
C’est dans cette perspective que j’ai déposé une proposition de loi qui vise à rendre facultatif pour les collectivités territoriales l’entretien des aires d’accueil des gens du voyage et à en assurer le financement par leurs utilisateurs. En effet, si la mise en place des aires d’accueil, prévue dans la loi du 5 juillet 2000, a pris un retard important, c’est notamment en raison des charges supplémentaires imposées aux communes et, par conséquent à leurs habitants, pour leur réalisation et leur fonctionnement. Aussi, afin d’encourager l’achèvement rapide du schéma national des aires d’accueil, qui n’est qu’à demi réalisé, je propose de transformer l’obligation de gestion et d’entretien qui pèse sur les communes en une faculté. Cette pratique a d’ailleurs parfois déjà cours, en dehors du cadre légal, certes, mais elle produit de bons résultats.
Les gens du voyage doivent être, et veulent être, des citoyens ordinaires. Très bien. Mais pourquoi bénéficieraient-ils d’un traitement différent des autres citoyens français ? Pourquoi ne s’acquitteraient-ils d’aucune obligation financière liée à leur lieu de résidence, même choisi, même de passage, alors que les populations sédentaires, y compris les catégories sociales les plus modestes, doivent soit acquérir un terrain et y construire, soit supporter les charges de tout locataire d’un logement ? La plupart des membres de la communauté des gens du voyage disposent de moyens suffisants pour assumer les charges liées au stationnement sur les aires d’accueil : eau, assainissement, électricité, prestations de service. Pourquoi imposer à des sédentaires, qui ont parfois du mal à accéder à certains services, une solidarité envers une catégorie de la population qui, elle, en serait exemptée sous prétexte de son mode de vie ?
Ce faisant, l’État n’agit-il pas de façon discriminatoire au détriment des populations sédentaires ? Vous vous rallierez donc, j’en suis certain, à cette proposition de loi afin qu’elle puisse bientôt voir le jour et que tous les Français soient égaux en droits et en devoirs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.
M. Jean-Patrick Gille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons vise à revenir sur une grave discrimination inscrite dans notre droit et dont je ne suis pas certain qu’elle soit connue de tous nos concitoyens. Au moins notre débat aura-t-il le mérite de les éclairer sur ce point. Il est en effet intolérable de constater que, en 2011, en France, subsiste une loi telle que celle du 3 janvier 1969, dont les rédacteurs pensaient eux-mêmes qu’il faudrait la revoir rapidement.
Stigmatisés, associés aux vols et à la délinquance, faisant l’objet d’attaques en tous genres, victimes d’une mauvaise réputation, ceux que l’on regroupe sous l’appellation de « gens du voyage » subissent une discrimination organisée et encouragée par la loi elle-même, qui, à l’heure de l’ouverture des frontières, continue de leur imposer d’être en possession d’un titre de circulation qui doit être visé tous les trois mois. La survivance de cette disposition crée dans notre droit une catégorie de citoyens français qui ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres. Elle est contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose que « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État », et elle a été dénoncée par la Commission européenne ainsi que par la HALDE. Une question prioritaire de constitutionnalité établira aisément qu’elle ne respecte pas le principe d’égalité républicaine. Il est donc de notre responsabilité, pour ne pas dire de notre honneur, de parlementaires de l’abolir avant que le juge constitutionnel ne nous y oblige.
Pourtant, l’exécutif hésite à le proposer – nous avons encore pu le constater en écoutant vos propos, monsieur le ministre –, car il a lui-même réactivé, ces derniers mois, les vieux préjugés dont ont toujours souffert les manouches… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Oh !
M. Patrice Martin-Lalande. Ce n’est pas vrai !
M. Philippe Richert, ministre. C’est de la provocation !
M. Jean-Patrick Gille. …perçus comme des populations marginales de par leur choix de vie.
Cet été, le Président de la République n’a pas hésité à rapprocher, dans son discours de Grenoble, la délinquance, les étrangers en situation irrégulière, les Roms et les gens du voyage. Faut-il lui rappeler que ces derniers sont Français depuis 400 ans ? Comment une autorité telle que le chef de l’État, censé garantir la cohésion nationale, peut-elle se permettre de formuler des amalgames aussi douteux et dangereux ? N’est-ce pas précisément parce que nous avons maintenu dans notre droit une catégorie administrative de citoyens français de seconde zone, qui sont les seuls à avoir des papiers spécifiques et à être soumis à des contrôles réguliers, comme des présumés délinquants récidivistes ?
Ressortissants français au même titre que n’importe lequel d’entre nous, les gens du voyage doivent avoir accès à des droits civiques aussi fondamentaux que la possession d’une carte nationale d’identité, le choix de leur résidence et l’accès au droit de vote. Or cette loi de 1969 leur impose un statut administratif particulier, nettement plus restrictif que pour les autres citoyens français.
S’il leur est possible d’obtenir une carte d’identité, nombreux sont les témoignages que nous avons reçus qui tendent à prouver le contraire ou, au moins, les difficultés que les personnes concernées rencontrent lorsqu’elles entament cette démarche. Lorsqu’elles y parviennent, il se trouve que l’adresse est mentionnée de telle manière sur le document que, à sa lecture, on identifie immédiatement le titulaire de la carte comme un membre de la communauté des gens du voyage.
Un tel traitement tend à ethniciser une population, ce qui est contraire à tous les principes de notre République. Ainsi, le dispositif des titres de circulation obligatoires s’appliquant aux descendants dès l’âge de seize ans, il se transmet de facto de génération en génération. Posséder un carnet de circulation est, non pas un choix, mais une obligation, une assignation discriminatoire. De la même façon, comment peut-on encore tolérer le maintien de restrictions s’agissant de l’inscription sur les listes électorales ? La HALDE elle-même a prévu un délai de six mois pour l’inscription sur les listes de toute personne sans domicile stable, délai dont ne peuvent bénéficier les gens du voyage, en raison précisément de l’existence d’un régime particulier qui prévoit, dans leur cas, un délai de trois ans.
Outre l’aspect profondément stigmatisant de ces dispositions, cette volonté de maintenir les contrôles – exprimée par certains, notamment par le ministre – évoque des pratiques appartenant aux sombres heures de l’histoire de France. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Allons donc !
M. Didier Quentin. Vous avez le sens de la mesure !
M. Jean-Patrick Gille.Le livret de circulation – et vous l’avez reconnu, d’une certaine manière – s’inscrit dans la droite ligne de l’ancien carnet anthropométrique, qui a conduit à l’arrestation des tziganes en France en 1940.
M. Philippe Richert, ministre. N’importe quoi !
M. Jean-Patrick Gille. Je ne peux que vous inviter à voir, si ce n’est déjà fait, Liberté, l’excellent film que Tony Gatlif a consacré à la persécution du peuple tzigane par les forces de l’ordre sous Vichy.
M. Didier Quentin. Nous l’avons tous vu. Arrêtez les amalgames !
M. Jean-Patrick Gille. Ce n’en est pas un. Les amalgames, j’ai dit de quel côté ils étaient venus.
Mes chers collègues, en tant qu’élus de la nation, défenseurs de la liberté de circulation et de l’égalité des droits, nous avons le devoir d’abroger cette loi inutile et discriminatoire qui n’honore pas la France. C’est pourquoi je vous invite à voter notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Pour quelques instants de modération et de pondération ! (Sourires.)
Mme Sandrine Mazetier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédents orateurs de mon groupe ont rappelé en quoi la loi que nous proposons d’abroger est parfaitement discriminatoire. Cette survivance du passé ne saurait plus être tolérée dans notre République. Pourtant, la majorité semble prête à la tolérer encore quelque temps.
Dois-je rappeler que l’Assemblée nationale a voté, le 11 mai dernier, une résolution destinée à réaffirmer son attachement aux valeurs de la République et à la promotion de l’égalité, dans laquelle nous nous sommes engagés à faire de la lutte contre la discrimination un élément central de toutes les politiques publiques ? Eh bien, nous y sommes ! Nous vous offrons l’occasion, monsieur le ministre, de lutter contre les discriminations, en approuvant notre proposition.
Rien ne justifie que la loi de 1969 continue de priver des citoyens de l’Union européenne et des ressortissants français de la liberté fondamentale de circulation et d’établissement, en les soumettant à l’obligation de détenir un carnet de circulation, en prévoyant un délai particulier pour leur inscription sur les listes électorales et en fixant un quota de 3 % de la population, susceptible de les empêcher de s’établir dans la commune de leur choix. Des droits fondamentaux, reconnus à tous nos concitoyens et aux ressortissants de l’Union européenne, sont bafoués quand il s’agit des gens du voyage.
Au nom des engagements que, toutes et tous, nous avons pris dans une résolution votée il y a quelques mois, et au nom des démarches entreprises actuellement par le Gouvernement pour corriger les graves atteintes portées à la directive sur la libre circulation dans l’Union européenne dans le cadre du projet de loi relatif à l’immigration, je vous demande d’adopter cette proposition de loi. J’ajoute qu’il serait étonnant, monsieur le ministre, que, au moment où nous allons reconnaître le droit des ressortissants européens à circuler et à s’installer librement en France, nous en privions nos propres concitoyens. Le vote de ce texte – est-il besoin de le rappeler ? –, ne présente aucune difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Remiller.
M. Jacques Remiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage que nous examinons à l’initiative de nos collègues socialistes pourrait paraître de prime abord assez séduisante. À l’heure de la libre circulation des Européens dans l’espace Schengen, certains de nos concitoyens peuvent en effet être choqués de constater que les gens du voyage sont soumis à des dispositions particulières, comme le titre de circulation ou la restriction de l’accès au droit de vote.
En janvier 2008, saisie de nombreuses plaintes émanant des gens du voyage, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a adressé au Gouvernement des recommandations afin que soit rétablie l’égalité de traitement à l’égard de cette population. Bien que citoyens français, les gens du voyage, qui ont adopté un mode de vie nomade, sont en effet victimes de discriminations qui résultent aussi bien de comportements individuels que de textes en vigueur, notamment la loi du 3 janvier 1969.
Ainsi, en vertu de cette loi, toute personne de plus de seize ans n’ayant pas de résidence fixe doit être en possession d’un carnet de circulation si elle n’a pas de ressources régulières ou d’un livret de circulation si elle exerce une activité professionnelle. Le premier doit être visé tous les trois mois par un commandant de police, de gendarmerie ou une autorité administrative, le second tous les ans. Tout retard dans le renouvellement entraîne de lourdes amendes. Toute personne qui ne serait pas en possession de ce document est même passible d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement.
Ce dispositif est, selon la HALDE, contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Convention européenne des droits de l’homme, car il enfreint le droit à la liberté de circulation des personnes et crée une discrimination dans la jouissance de ce droit. Certes, la CEDH prévoit que des restrictions peuvent être apportées à l’exercice d’une liberté dès lors qu’elles sont justifiées par des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la sécurité publique ou au maintien de l’ordre public – ce qui est le cas, par exemple, de l’interdiction du port du voile intégral. Mais la réglementation applicable au carnet de circulation apparaît comme mettant en œuvre des moyens de contrôle disproportionnés, que ce soit au regard de leur fréquence ou au regard de la gravité des peines encourues. Je partage donc l’idée qu’il faut redéfinir les conditions de délivrance et de suivi de ce titre de circulation, et revoir les peines encourues pour défaut de présentation.
Pour ce qui est du droit de vote, je ne comprends pas non plus pourquoi on exige toujours trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, alors que les personnes sans domicile fixe ne doivent, elles, justifier que d’un rattachement de six mois.
Néanmoins, je ne peux pas voter ce texte, car j’estime qu’il faut attendre le rapport de la mission d’information, qui aboutira très certainement à un texte validé par les groupes politiques. Je suis, en effet, nettement plus favorable à une modernisation de la législation, plutôt qu’à une abrogation pure et simple des dispositions en vigueur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai quatre brèves remarques.
Premièrement, l’existence de la mission ne fait pas obstacle à ce que nous adoptions ce texte.
M. Patrice Martin-Lalande. D’habitude, vous dites le contraire !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. C’est par un hasard du calendrier que ce texte est examiné aujourd’hui : alors que nous souhaitions attendre que la mission dépose son rapport, elle a décidé, lors de sa réunion du 14 décembre dernier, de proroger ses travaux. Or, compte tenu des délais d’inscription dans ce que nous appelons des « niches » parlementaires, il était nécessaire que nous déposions ce texte avant le 14 décembre. Je me devais d’apporter cet éclaircissement sur la façon dont ce texte vient devant vous : comme je l’ai indiqué tout à l’heure, il ne faut y voir ni manœuvre, ni mauvaise manière, mais simplement un facteur impondérable.
M. Patrice Martin-Lalande. Dont acte !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Sur le fond, il n’y a pas d’opposition à ce que nous sortions ce texte de la mission : du fait de sa spécificité, le sujet dont il est question peut parfaitement être traité à part.
Deuxièmement, je crois que vous avez eu raison, monsieur le ministre, de rappeler le texte de la loi de 1912. Avec près de cent ans de recul, nous ne pouvons que trouver extraordinaire que le législateur de l’époque ait osé rédiger et adopter un tel texte.
M. Philippe Richert, ministre. Tout à fait !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Cependant, si nous considérons le texte actuel avec un certain recul, nous risquons de trouver tout aussi extraordinaire que l’on ait pu laisser perdurer plus de quarante ans des dispositions que, tous – il y a en effet consensus sur le fond, sinon sur la méthode –, nous estimons bien difficiles à défendre en raison de leur caractère discriminatoire.
Troisièmement, j’entends bien les arguments évoquant les obstacles techniques à notre proposition qui, si elle était adoptée, serait créatrice de droit – la question la plus préoccupante étant celle de l’accès aux aires d’accueil. Cela dit, le texte était amendable, et l’on aurait pu prévoir un dispositif spécifique : l’adhésion à une association, par exemple, aurait pu permettre de faire en sorte que les aires de stationnement ne soient pas assimilées à des terrains de camping.
M. Patrice Martin-Lalande. Vous auriez pu amender vous-mêmes !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Nous avons envisagé d’amender le texte, mais il nous a semblé que les dispositions concernées étaient de nature réglementaire plutôt que législative, ce qui fait que nous y avons renoncé.
Enfin, j’ai noté avec satisfaction que le texte allait être repris et amendé. Tous les orateurs s’accordent sur la nécessité de modifier le dispositif actuel, et ce consensus m’inspire deux remarques. D’une part, il me semble qu’une communauté nationale se construit petit à petit, par des gestes chaque jour renouvelés qui donnent le sentiment d’une communauté de destins et d’appartenance – disons-le, le sentiment d’une certaine fraternité. D’autre part, je me permets de recommander que, mardi prochain, nous adressions un signe fort d’appartenance à la communauté, plutôt que de nous perdre dans des détails techniques. En adressant un signe positif à notre société, que l’on dit parfois souffrante, nous pourrions conforter la communauté nationale et lutter contre le communautarisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, comme vient de le faire M. le rapporteur, je fais le constat que nos analyses sont très largement convergentes. Ainsi, nous nous accordons à reconnaître que nous avons, vis-à-vis de la communauté des gens du voyage, un devoir, mais aussi un besoin de proximité et de reconnaissance – comme à l’égard de l’ensemble des membres de la communauté nationale. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur ce point.
M. Patrice Martin-Lalande. Très bien !
M. Philippe Richert, ministre. J’ai été étonné de l’interprétation que M. Gille a pu faire de mes propos : elle me paraît procéder d’une analyse tronquée, à moins qu’il ne s’agisse, de sa part, d’une volonté d’engager une polémique stérile. Lorsqu’on est confronté à un problème, il est plus constructif d’essayer de le résoudre que de dresser les uns contre les autres. Pour ma part, c’est l’attitude que je privilégie, aussi bien à titre personnel que dans le domaine politique, où il faut savoir s’affranchir des clivages habituels pour agir.
Par ma voix, le Gouvernement a pris position sur le fond du dossier, mais aussi sur ses aspects pratiques, à savoir l’abrogation de la loi existante. Je ne suis pas favorable à cette mesure, pour deux raisons. Premièrement, il n’est pas d’usage de déposer une proposition de loi sur un sujet lorsqu’une commission est en train de travailler sur le même sujet : en principe, on attend que la commission dépose son rapport. Deuxièmement, une mission a été confiée par le Gouvernement à un parlementaire, en l’occurrence le président de la Commission nationale consultative sur les gens du voyage. Ceux d’entre vous qui connaissent Pierre Hérisson – je suis moi-même de ses amis – savent qu’il ne saurait être suspecté d’avoir, sur la question qui nous intéresse, une position contraire à celle qui fait consensus au sein de votre assemblée. La mission qui lui a été confiée ne peut donc, en aucun cas, être vue comme une manœuvre dilatoire.
Deuxièmement, si nous sommes d’accord sur le fond, il convient d’admettre que l’appartenance à la communauté des gens du voyage n’entraîne pas seulement la reconnaissance d’une égalité de droits, mais aussi l’octroi de droits supplémentaires. Si cela ne me pose pas de problèmes majeurs, il me semble que, comme l’a suggéré M. Vandewalle, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un vrai débat, afin de déterminer dans quelles conditions ces droits peuvent être accordés. Nous sommes en retard sur ce point, et devons donc progresser efficacement.
Tout à l’heure, M. Lassalle a affirmé qu’il n’était pas tolérable de conserver le texte actuel…
M. Jean-Paul Bacquet. C’est évident !
M. Philippe Richert, ministre. …ce qui, à ses yeux, justifiait que l’on adopte la proposition de loi visant à sa suppression.
Pour ma part, je ne suis pas favorable à une suppression pure et simple des dispositions existantes, qui constituent un cadre juridique certes imparfait, mais qui a le mérite d’exister. Ainsi, si nous supprimons ces dispositions, comment les gens du voyage sauront-ils dans quelle commune, dans quelle circonscription ils doivent aller voter ? Un travail de réflexion devant être accompli sur ce point par la mission d’information et par M. Hérisson, il me paraît préférable d’attendre que la mission ait rendu son rapport avant de prendre position. En tout état de cause, la suppression du dispositif actuel me paraît tout à fait prématurée, comme je l’ai dit à l’ouverture de ce débat.
Article unique
Mme la présidente. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi.La parole est à M. Pierre-Alain Muet, inscrit sur l’article.
M. Pierre-Alain Muet. Il existe, au sein de notre assemblée, un consensus pour considérer que le livret et le carnet de circulation sont inacceptables en l’état – comme il est inacceptable que les gens du voyage soient obligés d’attendre trois ans après leur rattachement pour exercer leur droit de vote, alors que les personnes sans domicile fixe peuvent voter au bout de six mois. Nous avons donc décidé de déposer une proposition de loi visant à la suppression des dispositions relatives à ces deux questions. Toutefois, approfondissant notre réflexion, nous nous sommes dit que, finalement, aucune des dispositions de la loi actuelle ne méritait d’être conservée.
La question du droit de vote peut être réglée au moyen du principe de domiciliation, qui peut s’appliquer à tout Français ne disposant pas d’un domicile fixe – donc, a fortiori, aux personnes ayant un domicile mobile. Quant au carnet de circulation, s’il confère quelques droits, il impose en contrepartie des restrictions absolument inacceptables au regard des principes de notre République. La préservation des droits accordés par le carnet de circulation – c’est-à-dire, principalement, la possibilité d’accéder à une aire d’accueil – peut s’obtenir très simplement, par l’adhésion à une association, ce qui ne relève même pas du domaine législatif, mais du domaine réglementaire. Nous en sommes donc arrivés à la conclusion qu’il était préférable d’abroger purement et simplement la loi existante, le droit commun assorti de quelques mesures réglementaires permettant de répondre à toutes les questions susceptibles de se poser.
Vous dites, monsieur le ministre, que vous préférez attendre le rapport de la mission. Or ce rapport qui devait être déposé en décembre ne l’a toujours pas été ; par ailleurs, la mission confiée à M. Hérisson n’a pas pour objet principal les questions de citoyenneté que constituent le carnet de circulation et le droit de vote. Je ne vois donc pas ce qui pourrait justifier que nos collègues de la majorité ne votent pas l’abrogation proposée. Peut-être vous faudra-t-il, mes chers collègues, plus de temps que nous pour en arriver aux mêmes conclusions, et peut-être la semaine qui vient sera-t-elle suffisante pour vous faire changer d’avis avant le vote sur notre proposition de loi. Je le souhaite et, en tout état de cause, suis persuadé d’une chose : il est important que notre assemblée s’honore à légiférer elle-même sur ce sujet, plutôt que d’avoir à le faire après un avis du Conseil constitutionnel. Si j’en crois les propos tenus par les orateurs de la majorité, chacun sait parfaitement que les dispositions actuelles sont contraires à la Constitution et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, et que nous serions bien obligés de légiférer si un recours était formé. Je vous invite donc, mes chers collègues, à mettre vos actes en cohérence avec vos discours. Il me semble qu’une position unanime de notre assemblée constituerait une belle réponse de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’article unique de la proposition de loi auront lieu le mardi 1er février, après les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente. La séance est suspendue.(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
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