mercredi 19 janvier 2011

Contrôleur des lieux de privation de liberté

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Flash infos du 19 janvier 2011


Colloque Défenseur des Droits






Le contrôle des lieux de privation de liberté
Pour répondre à la question sur la meilleure manière de parvenir, aujourd’hui, en France, à faire progresser la cause des droits et libertés pour les citoyens, il convient d’examiner, notamment au regard de l’origine internationale de l’actuel Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la spécificité de la mission de prévention qui lui incombe dans des établissements fermés.
A/ - Les conventions internationales
La loi du 30 octobre 2007 a sa source dans l’obligation qui est celle de la France depuis qu’elle a signé, puis ratifié, le Protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la torture (baptisé OPCAT) de 2002. Il n’est donc pas indifférent de se reporter au texte de ce traité, dont les articles 17 à 23 sont relatifs au « mécanisme national de prévention » contre la torture.
Le traité rend possible dans chacun des Etats signataires l’existence ou bien d’un mécanisme partie intégrante d’un organe déjà existant (c’est ce qu’a fait l’Espagne en associant la tâche de prévention de la torture au Defensor del Pueblo1) ou bien d’un organisme entièrement nouveau (cas de l’Allemagne fédérale). La France a choisi la seconde hypothèse. Certes, au regard du traité, elle demeure parfaitement libre d’en changer.
1 Exemple qui a manifestement inspiré le « comité Balladur » à l’origine de la création du Défenseur des droits.
2 Le choix espagnol s’explique aisément puisque, dès l’origine, le Defensor del pueblo s’est vu investir de la compétence de connaître le milieu carcéral. Il a, de surcroît, été à l’origine d’un changement très substantiel et rapide des établissements pénitentiaires. Il aurait été paradoxal, après l’OPCAT, de le dépouiller de cette mission.
B/ - La pratique des Etats
Il existe aujourd’hui, dans le cadre du Conseil de l’Europe (seule géographie dans laquelle la comparaison a un sens) une vingtaine de « mécanismes nationaux de prévention » créés en application de l’OPCAT.
La grande majorité d’entre eux ont été intégrés à des organismes préexistants, le plus souvent à l’ombudsman ou ce qui en tient lieu. Mais il faut être circonspect dans les conclusions à en tirer.
D’une part, il existe des pays dont la taille et, par conséquent, le nombre d’établissements à visiter, ne justifient pas l’existence d’une institution ad hoc. Tel est le cas, par exemple, de l’Estonie, de la Slovénie ou du Luxembourg.
D’autre part, les pays plus vastes qui ont choisi cette solution (à la seule exception de l’Espagne, précisément2) sont des Etats de l’Europe centrale et orientale. Or, Note Défenseur des droits Page 2
l’histoire politique de ces pays n’est pas indifférente. On peut aisément comprendre que la question des droits de l’homme soit si récente dans son application qu’elle implique nécessairement que soit déterminée avant tout une institution qui en assure la lisibilité.
Enfin le problème ne se pose pas de la même manière dans les pays de démocratie plus ancienne. Ce qui y importe n’est pas la question de la lisibilité des droits de l’homme que la question de leur spécialité, sur laquelle on va revenir. Il faut assurer le mieux possible la mise en pratique (effectivité) qui est au coeur de la question des droits de l’homme, dans des pays où leur proclamation est peu ou prou ancienne. En ce sens, la création d’un organisme particulier est certainement plus appropriée : c’est ce qu’ont réalisé, outre l’Allemagne, la France, l’Angleterre et la Suisse3.
3 Les Pays-Bas n’ont pas encore de mécanisme. Pas plus que la Suède, dont on rappelle que la fonction de l’ombudsman est scindée en trois organes distincts, ou la Belgique.
4 Souligné par nous.
Mais, en tout état de cause – comme il a été indiqué dans le rapport pour 2009 du contrôle général accessible sur www.cglpl.fr – même dans le cas où un organisme unique a prévalu, les représentants des « mécanismes européens », réunis au Conseil de l’Europe le 5 novembre 2009, ont tous convenu que la part « prévention de la torture » de leur activité devait faire l’objet d’une présentation autonome, distincte du reste de leurs missions, à raison de sa particularité. On voit d’ailleurs d’ores et déjà que cette « part autonome » est, de l’aveu des intéressés, parfois difficile à conquérir.
Quoiqu’il en soit, c’est à la définition de la mission propre (particulière) du contrôle général et de ses homologues étrangers qu’il faut venir à présent venir, puisque c’est là le facteur évidemment déterminant.
C/ - Une mission différente
Le Défenseur des droits a, de manière générale, la responsabilité de mettre fin aux différends dont les protagonistes (personnes physiques très majoritairement) décident de le saisir, différends qui les opposent à une personne publique ou à une personne privée (gestionnaire d’un service public ou non, en particulier en matière de discrimination) exprimés dans des réclamations.
Autrement dit, il s’agit de régler un litige par divers moyens : règlement amiable, médiation, transaction. Ainsi s’explique que, comme on l’a relevé ci-dessus, l’auteur de la saisine soit d’abord contraint, avant de s’adresser au Défenseur, de tenter lui-même de mettre fin au litige, en s’adressant à la personne morale avec laquelle il est en désaccord.
L’article 4 du projet de loi organique énumère les cas dans lesquels le Défenseur est compétent. Il mentionne les hypothèses correspondantes, respectivement, aux activités actuelles de la Défenseure des enfants, de la CNDS et de la Halde et la commission des lois ajouté celles du CGLPL. Mais il pose en principe, à l’article 5, que « toute personne physique ou morale s’estimant lésée4 dans ses droits et libertés par le Note Défenseur des droits Page 3
fonctionnement5 d’une administration… peut saisir le Défendeur… ». Cette expression de « personne lésée » revient à l’article 8. Enfin la mission du Défendeur est définie de manière similaire à l’article 21 : il « peut faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la personne lésée… », d’où il peut tirer, bien entendu, des recommandations à caractère général débordant du différend initial.
5 Id.
La nature des tâches du contrôle général est différente.
Il convient de revenir ici au droit international, qui est parfaitement limpide en la matière et qui, sur ce point en revanche, nous lie entièrement. Depuis la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984, il est centré exclusivement sur la prévention de celle-ci et des traitements « cruels, inhumains et dégradants ». Ce thème a été répété à l’envi par toutes les conventions subséquentes (universelles ou du Conseil de l’Europe) et leurs commentateurs. Il est, par conséquent, impossible de comprendre autrement la mission du contrôle général.
Certes, le législateur français a inscrit cette mission de prévention de la « torture » dans le contexte plus large du « respect des droits fondamentaux » des personnes privées de liberté. Mais cet élargissement ne change nullement la dimension préventive de la mission (autrement la loi du 30 octobre 2007 serait au moins pour partie contraire au traité qui la fonde) : elle en accroît seulement le spectre.
C’est ce que traduit l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007, qui commande au contrôle général, dans la rédaction de ses rapports de visite, de se préoccuper non des différends entre les gardés et les gardiens, mais de « l’état, l’organisation ou le fonctionnement du lieu visité ainsi que [de] la condition des personnes privées de liberté ». Il n’est ici nullement question de litiges ni de personnes lésées, mais au contraire d’état et de condition. Le contrôle général s’intéresse aux institutions privatives de liberté et à ceux qu’elles abritent tels qu’ils sont. Cette précision, qui est au coeur de la mission du contrôle général a disparu du projet de loi organique adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Certes, la loi du 30 octobre 2007 prévoit aussi un mécanisme de saisine directe du contrôle général par toute personne physique et certaines personnes morales. Il se peut que, de fait, ces saisines portent aussi sur des différends. Mais, d’une part, elles peuvent comporter aussi des éléments purement descriptifs des faits, en-dehors de toute lésion de l’auteur de la saisine (cas de membres du personnel qui écrivent, par exemple ou de détenus qui se bornent à décrire leurs conditions de détention, comme il arrive souvent) ; d’autre part, lorsqu’elles mentionnent des différends, ou bien ceux-ci s’inscrivent dans le contexte général d’un traitement contraire aux droits fondamentaux ou bien s’ils relèvent de circonstances particulières, elles peuvent être transmises à une autre autorité (cf. ci-après). Par conséquent, les saisines contribuent aussi au travail de prévention (ne serait-ce que parce qu’elles peuvent orienter le choix des visites à faire). Note Défenseur des droits Page 4
De manière simple, on peut exprimer la différence entre Défenseur et contrôle général de la manière (métaphorique) suivante. En l’absence de toute saisine, ou de tout différend qui le conduirait à se saisir d’office (article 5 du projet), le Défenseur est dépourvu d’activité. En l’absence de toute saisine ou de tout différend dans les lieux de privation de liberté, tout le travail du contrôle général est encore à faire.
Cette métaphore a une part de réalité ; on peut différencier d’ores et déjà les deux approches dans la comparaison des tâches qui incombent, dans les lieux de détention, aux actuels délégués du Médiateur de la République – présents et généralisés en vertu de la convention de 2005 passée avec le garde des sceaux – et au contrôle général lors de ses visites. Les premiers agissent sur plaintes, viennent rencontrer les auteurs aux parloirs, essaient de trouver un règlement avec la direction ou avec d’autres services publics lorsqu’ils l’estiment nécessaire. Le second vient lorsqu’il le souhaite dans tous les secteurs de l’établissement, y passe en revue toute l’existence quotidienne, rencontre des détenus et des agents qui ne l’ont pas forcément demandé et s’efforce de démêler, dans « l’état » des lieux et la « condition » des personnes ce qui est favorable ou défavorable à l’exercice des droits fondamentaux.
En définitive, le Défenseur offre une intermédiation pour un exercice défaillant de la défense des droits et libertés. Le contrôle général se préoccupe de faire obstacle aux défaillances éventuelles. Si ces missions étaient confondues pour des motifs d’organisation apparente, chacune d’entre elles y perdrait sur le fond.
D/ - Un principe de spécialité
La privation de liberté met en jeu des droits fondamentaux de la personne. Elle se traduit pourtant par une technicité relativement forte, comme on le voit dans des domaines aussi différents que l’aménagement de la peine, la détermination de la règle de sécurité, la nature des soins à assurer. S’il n’est pas souhaitable que le respect des droits fondamentaux inspire des revendications aussi générales que vaines, si le dialogue conduit avec les personnes privées de liberté comme avec les responsables des lieux veut être productif, si l’on veut enfin que l’expérience de ces lieux transcende les silences et les dissimulations, alors la spécialité reprend tout son intérêt.
Elle doit avoir naturellement pour contrepartie la clarté de la répartition des missions entre organismes pour le citoyen. On ne saurait revendiquer la spécialité sans clarté. C’est pourquoi, conformément d’ailleurs au voeu qui en avait été exprimé au Parlement lors des travaux préparatoires de la loi du 30 octobre 2007, et comme il l’a fait savoir dans ses rapports annuels, le contrôle général a passé des conventions avec les autorités administratives indépendantes dont il a estimé le rôle le plus proche du sien : elles ont pour but, en cas de saisine erronée de l’une d’entre elles, d’orienter cette correspondance immédiatement, son auteur en étant avisé, vers l’autorité compétente. La rapidité de la procédure est en effet une exigence dans les lieux de privation de liberté : l’attente exacerbe les frustrations, donc les tensions. C’est la raison pour laquelle des Note Défenseur des droits Page 5
conventions ont été passées successivement avec la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la Défenseure des enfants, le Médiateur de la République, la Halde et enfin la CNIL.
Ces conventions fonctionnent : des saisines sont régulièrement réattribuées par le contrôle général à l’une des autorités signataires de conventions ; et réciproquement. La spécialité ne joue donc pas contre la simplicité. Elle ne s’érige pas en ignorance absurde de la complémentarité. Mais, en sauvegardant la technicité, elle gagne en crédibilité et en efficacité.
E/ - Quelques motifs d’opportunité
Depuis plusieurs années, contrairement à des périodes plus anciennes où ces sujets n’apparaissaient que par éclipses, la psychiatrie, la prison, la rétention et la garde à vue sont des sujets permanents du débat collectif.
Le Parlement s’en est montré préoccupé à de nombreuses reprises en particulier au cours de la dernière décennie. L’idée d’un contrôle externe s’est peu à peu imposée depuis le rapport Canivet. Elle figure dans les règles pénitentiaires européennes (n° 9).
Une des réponses que le législateur a données à ces préoccupations a été, en 2007, la création du contrôle général. Lors de la nomination du Contrôleur, l’année suivante, le souhait a été exprimé de conserver son originalité (alors même que l’idée du Défenseur des droits était connue). On ne voit pas quels dysfonctionnements du contrôle général, ou quelles altérations des données des lieux de privation de liberté, ou encore quelles modifications du paysage institutionnel, iraient aujourd’hui à l’encontre d’un souhait clairement exprimé de maintien de l’institution, qui s’est d’ailleurs encore traduit lors du vote de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (cf. son article 4).
En revanche, on voit bien, alors que le contrôle général a d’évidence, désormais, étendu la réalité de son contrôle aux yeux de beaucoup de personnes privées de liberté et de personnels chargés de leur surveillance mais aussi de leurs soins, de leur éducation et de leur prise en charge, la « perte de chance » que représenterait à leurs yeux une éventuelle confusion de sa fonction avec celle du Défenseur. Pour des motifs qui ne seraient pas tirés de la pratique, mais d’une logique institutionnelle dont on a montré précédemment les limites, cette confusion ne serait vraisemblablement guère comprise et ferait naître, sur le terrain, un sentiment de fermeture duquel, d’évidence, les pouvoirs publics n’auraient rien à gagner.
d'un collège. Et loin de donner plus de cohérence et de lisibilité à ce nouvel ensemble institutionnel, la disparition des autorités concernées n'était pas de nature à améliorer leur visibilité.
Lors de la remise du rapport annuel de la HALDE au Président de la République, au printemps 2008, et encore au printemps 2009, nous avons reçu des assurances de survie de la HALDE, compte tenu de la notoriété acquise par l'institution, et des résultats obtenus.
Rassérénée, rassurée sur son propre avenir, la HALDE a donc assisté, avec la compassion que l'on imagine, à « l'agonie » du Défenseur des enfants et de la CNDS...
2°)Le cas de la HALDE
Il est vrai que nous affichions des résultats satisfaisants : 10 545 réclamations enregistrées et traitées en 2009, soit une augmentation de 20% par rapport à 2008 ; 412 délibérations adoptées par le collège, soit une augmentation de 48% par rapport à l'année précédente ; 78 % des observations présentées devant les tribunaux ont connu une suite favorable ; 109 correspondants locaux étaient installés fin décembre 2009 ; 54 % des personnes interrogées affirmaient connaître l'existence de la HALDE dans les sondages d'opinion, et 83 % jugeaient son action utile.
Et puis les choses se sont gâtées, à la fin de l'année dernière, lorsque, dans les débats sur la loi organique au Sénat, certains sénateurs ont brusquement envisagé d'intégrer, dès maintenant, la HALDE dans le champ de compétence du Défenseur des Droits.
A dire vrai, la démarche est beaucoup moins juridique que politique : la HALDE dérange... Un grand quotidien du soir, dans son édition du 6 mars 2010, titrait en première page : « Discriminations : l'Elysée songe à placer la HALDE sous tutelle ».
C'est assez curieux : tout se passe comme si les gouvernements, soucieux d'avoir bonne conscience, créaient des autorités indépendantes en forme de « poil à gratter », pour se plaindre ensuite d'en ressentir quelques démangeaisons...
La conjonction dans le temps de ce débat parlementaire avec la fin du mandat de Louis SCHWEITZER, qui avait réussi à installer la HALDE dans le paysage institutionnel, nous a été fatal. Vous avez en mémoire le débat sur la personne de son successeur (et la polémique née des déclarations de Monsieur LONGUET), la vacance du poste de président pendant deux mois, et les difficultés que l'institution a connues pendant la dernière période. Ceux qui pensaient encore sauver la HALDE dans sa forme actuelle comprennent donc que ce combat est perdu, et qu'il faut à présent réfléchir à ce que pourrait être la lutte contre les discriminations dans le nouveau cadre du Défenseur des Droits.
3°) La lutte contre les discriminations dans le cadre du DDD
C'est donc dans le rapport de Monsieur GELARD, présenté le 19 mai 2010, au nom de la commission des lois du Sénat, qu'apparaît officiellement cette proposition d'intégration de la HALDE, peu argumentée au demeurant, car on trouve, en page 32 du rapport, une seule idée , qui est celle de donner « une plus grande visibilité et un retentissement plus important » à la lutte contre les discriminations. La HALDE aurait-elle démérité en ce domaine ?...
Mais réunir dans un même ensemble quatre autorités indépendantes aux philosophies, aux pouvoirs, aux fonctionnements différents n'est pas simple : et la première impression qui se dégage à la lecture du texte de la commission des lois, puis à celle du texte adopté par le Sénat, est celle d'un étonnant « patchwork ». Pour ma part, je partage volontiers l'opinion exprimée par Robert BADINTER dans sa question préalable du 27 mai 2010, soulignant tous les inconvénients de la réforme.
Le texte du projet de loi organique adopté par le Sénat pose, en tout état, de cause un problème de constitutionnalité :
J'ai rappelé, au seuil de mon propos, la rédaction du nouvel article 71 – l ,alinéa 1, de la Constitution, qui ne vise expressément que les personnes morales publiques, alors que le champ d'intervention de la HALDE est manifestement plus large : les réclamations reçues par la HALDE
dans le domaine de l'emploi privé, en matière de biens et services privés, et dans le domaine du logement privé, représentent près de la moitié des réclamations reçues et traitées. Dans une lecture stricte de l'article 71–1, qui paraît exclure du champ du DDD les personnes privées, c'est donc près de la moitié des affaires actuellement traitées par la HALDE qui seraient hors du champ de compétence du Défenseur des Droits.
Pour régler cette difficulté, le Sénat a imaginé que le Défenseur des Droits pourrait également connaître des situations mettant en cause des personnes physiques ou morales privées. C'est l'article 4 - (2ème alinéa) qui énonce : « le Défenseur des Droits peut être saisi des agissements des personnes privées lorsque l'auteur de la réclamation invoque la protection des droits de l'enfant, un manquement aux règles de la déontologie dans le domaine de la sécurité, ou une discrimination ».
Le problème, c'est que si la loi organique peut prévoir un aménagement du texte constitutionnel, elle ne peut le modifier en profondeur : or en l'espèce, cette extension de compétence du DDD aux personnes privées remet en cause la définition constitutionnelle du champ d'intervention du DDD, qui, en l'état, ne vise que des personnes publiques...Le changement n'est pas mince...
A la lecture du texte du projet de loi organique proposé par la commission des lois de l'Assemblée Nationale, qui vient d'être déposé ce 1er décembre 2010, on constate que le législateur a, prudemment, décidé de ne rien dire, et de faire l'impasse sur ce sujet : en effet, l'article 4 a été entièrement réécrit, le 2ème alinéa que j'évoquais plus haut a disparu, et il faut solliciter l'interprétation de ce même article 4 nouveau, et de l'article 15 (qui évoque « toute personne physique ou morale mise en cause devant lui ») pour comprendre que le DDD pourrait avoir ce champ de compétence élargi, que la Constitution n'avait pas prévu... Qu'en pensera le Conseil Constitutionnel ?
La deuxième question sérieuse concerne la régression des garanties offertes aux victimes de discriminations.
L'article 1er de la Constitution, qui assure à tous les citoyens l'égalité devant la loi, comporte un objectif de lutte contre les discriminations ; donc, toute régression en matière de protection garantie au citoyen en ce domaine peut apparaître comme contraire à la Constitution (c'est « l'effet cliquet »).
Or, la conception du Défenseur des Droits repose sur l'autorité morale d'une seule personne, et sur sa possibilité de statuer en équité et en opportunité. Si cette architecture convient à la matière visée par l'article 71–1 de la Constitution, elle n'est pas adaptée en matière de lutte contre les discriminations. Alors que le président de la HALDE n'est pas un organe décisionnel, et que les délibérations sont adoptées par le collège, le nouvel article 12 bis du projet dispose que le DDD « peut consulter un collège qu'il préside »; ce collège est uniquement consultatif, et n'est plus un organe délibérant et décisionnel. Et si ,dans l'article 20, l'adverbe « souverainement » a disparu, dans le dernier état des choses, l'esprit initial demeure : « le Défenseur des Droits apprécie si les faits qui font l'objet d'une réclamation, ou qui lui sont signalés, appellent une intervention de sa part ». Alors qu'aujourd'hui la HALDE traite toutes les réclamations qu'elle reçoit, le DDD sera appelé à choisir les dossiers qui l'intéressent. Et il n'aura plus à motiver ses refus de donner suite, si l'on suit les propositions de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale.
Il n'est donc pas excessif de dire qu'en matière de discriminations, ce dispositif apparaît comme une régression dans la protection des droits.
Je signale également un autre danger potentiel : le risque d'aboutir à hiérarchiser entre des discriminations jugées plus prioritaires que d'autres. Alors qu'aujourd'hui la HALDE considère que les 18 critères de discrimination, énoncés dans le Code pénal, sont à traiter sur le même pied (car il s'agit, finalement, dans tous les cas, d'un rejet de l'Autre, dans ce qu'il a de différent), le nouveau système pourrait permettre d' »oublier » certains types de discriminations, ce qui là encore constitue une régression par rapport au droit actuel.
Telles sont quelques unes des questions qui se posent en l'état actuel du débat législatif.
Mais je ne doute pas que l'intelligence, et l'imagination, de nos parlementaires sauront apporter des remèdes aux nombreuses imperfections du texte actuel...

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