vendredi 17 décembre 2010

16 décembre 2010 Séance à l’assemblée nationale sur l’article 32 TerA de la Loppsi 2


Article 32 ter A M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 76 rectifié et 317, visant à supprimer l’article 32 ter A.
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour soutenir l’amendement n° 76 rectifié.
M. Patrick Braouezec. Les auteurs de cet amendement s’opposent à la création d’une procédure d’évacuation d’exception, expéditive et arbitraire, pour expulser soit les habitants installés de manière illicite dans des bidonvilles, des habitats de fortune ou un habitat choisi, soit les gens du voyage, en voie de sédentarisation ou non, soit les habitants de maisons ou de locaux sans permis de construire. Le recours à l’habitat de fortune est lié à une augmentation des situations d’exclusion par le logement, la mise en œuvre de la loi DALO étant insuffisante pour résoudre ce problème au regard de l’ampleur de la crise du logement, en particulier en région Île-de-France.
L’article 32 ter A prévoit également l’éventualité de la démolition des habitations, ce qui peut provoquer un risque majeur de violation du droit de propriété. Nombreux sont ceux qui risquent d’être victimes de cette disposition répressive : SDF vivant sous des tentes ou dans des cabanes, gens du voyage en voie de sédentarisation, habitant parfois sur des terrains leur appartenant ou qui leur sont concédés mais dans des locaux sans permis, gens du voyage traversant des communes qui refusent de construire des aires d’accueil, ou occupants d’habitats alternatifs.
Cet article organise la répression de la frange la plus exclue et la plus précarisée de notre population, comme les SDF, et de celle dont le mode de vie est souvent considéré comme marginal par les institutions et qui, en raison même de ce mode de vie, sont l’objet de discriminations, alors même que les dispositions prévues pour permettre de diminuer les discriminations dont ces populations sont victimes en matière d’accès au logement et d’habitat sont insuffisamment appliquées.
Si cet article était adopté, il créerait une nouvelle discrimination concernant la protection du domicile, et traiterait comme des coupables ceux qui, en réalité, sont victimes de l’incurie des institutions et de l’État en matière de logement et en matière d’accueil.
M. le président. La parole est à M. François Pupponi, pour soutenir l’amendement n° 317.
M. François Pupponi. Nous abordons, avec l’article 32 ter A, un sujet sensible qui a largement alimenté l’actualité cet été. Nous assistons actuellement à un développement des campements, constitués de personnes venant d’autres pays, mais aussi de Français qui, ne pouvant plus se loger, se retrouvent dans des bidonvilles situés en périphérie des grandes villes. Ce phénomène est dû non seulement à une situation sociale extrêmement précaire, mais également à la dure réalité de la crise du logement dans notre pays.
Des procédures sont mises en œuvre par un certain nombre de municipalités : il entre en effet dans les attributions du maire de prendre un arrêté de péril ou d’insalubrité, dans le respect du droit de propriété. L’autorisation de la justice obtenue, le maire fait en sorte, en concertation avec l’autorité préfectorale, que l’évacuation des habitats précaires s’effectue dans le respect des individus qui y vivent.
Vouloir précipiter les choses me paraît dangereux, car cela risque de remettre en cause le respect de l’individu, de la propriété privée et de la légalité qui sont de règle à l’heure actuelle. Je crains, si cette disposition est adoptée, que certains préfets ne soient tentés d’agir trop vite, sans se préoccuper du sort des populations concernées. Ainsi, la nouvelle procédure ne prévoit rien en matière de relogement : lorsque les personnes auront été évacuées et leurs habitats détruits, elles n’auront d’autre choix que de se réinstaller un peu plus loin, en reconstruisant des habitations précaires. Quelque temps après, le préfet lancera une nouvelle procédure, et tout recommencera : comme on le voit, c’est un cycle sans fin. C’est pour éviter cela que nous proposons la suppression de l’article 32 ter A.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Ciotti, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements. L’article 32 ter A tend à introduire un dispositif visant les habitations destinées à une résidence durable, similaire à celui applicable aux résidences mobiles en vertu de la loi du 5 mars 2007, notamment en ce qui concerne l’installation de gens du voyage en dehors des aires d’accueil dans les communes ayant aménagé de telles aires.
Ce dispositif concerne l’évacuation forcée des campements illicites lorsque leur installation « comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ». Je suis convaincu de l’utilité de ce dispositif, qui répond à des situations d’insalubrité et d’insécurité touchant de nombreuses personnes. Il est légitime que le préfet puisse disposer d’un outil d’intervention à effet immédiat, afin de protéger les personnes menacées.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Le Gouvernement est du même avis que la commission.
Je veux attirer l’attention de M. Braouezec sur le fait que cette mesure s’accompagne de très fortes garanties. Premièrement, sa mise en œuvre est subordonnée à l’existence de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Deuxièmement, le texte prévoit l’intervention du juge dans un très bref délai, afin que le sort du campement illicite soit réglé sous son contrôle, dans le respect du droit des personnes concernées.
Renoncer à cet article, monsieur Pupponi, aurait pour conséquence de laisser l’État impuissant face aux situations d’occupation illicite.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
M. Jean-Jacques Urvoas. Ce qui me gêne dans cette disposition introduite au Sénat, c’est qu’elle aboutit à un contournement progressif de l’esprit de la loi SRU adoptée en juillet 2000. Cette loi – qui, certes, n’est pas vraiment appliquée – avait pour but d’inciter les collectivités locales à se doter d’aires d’accueil pour les gens du voyage, afin de leur permettre de disposer d’un habitat salubre et conforme à leur mode de vie ; dans le même temps, elle permettait aux communes dotées d’aires d’accueil de procéder à des expulsions. Le nouveau dispositif propose d’étendre à toutes les communes la possibilité de procéder aux expulsions, ce qui vide de son sens la loi de 2000.
Par ailleurs, même si M. le ministre vient de dire le contraire, il me semble que le préfet a la possibilité d’expulser sans jugement, contre l’avis du propriétaire ou à sa place, sans obligation de relogement – ce qui constitue une mesure d’exception allant à l’encontre de la tradition de la trêve hivernale et de la loi DALO.
Je m’interroge également quant à l’affirmation selon laquelle cette mesure offrirait de fortes garanties. En réalité, le texte prévoit qu’une simple mise en demeure du préfet suffit : l’occupant ne dispose alors que de quarante-huit heures pour quitter les lieux, faute de quoi il est passible d’une amende de 3 750 euros, ce qui constitue une très forte incitation à partir. Certes, un recours devant le tribunal administratif est prévu, mais comme nous le savons, ce type de recours est extrêmement complexe et difficilement accessible aux personnes concernées.
Enfin, le préfet se substitue au propriétaire du terrain, le cas échéant contre son gré, sur la base de motivations extensibles à l’envi et applicables à toutes sortes de situations que le préfet, et lui seul, aura choisi d’éradiquer.
(Les amendements identiques nos 76 rectifié et 317 ne sont pas adoptés.)
(L’article 32 ter A est adopté.)

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