lundi 1 novembre 2010

Les noms des Rroms

        
Contribution d’acteur

Alain Fayard, responsable de l’antenne de Haute Savoie de l’ANGVC nous communique ce texte….Regard d’un Voyageur sur les gens du voyage
                                                     


Les noms des Rroms

   Devant la multitude des dénominations plus ou moins heureuses servant, dans la vie courante comme dans les médias, à désigner la/les population(s) dont il est question lorsque l'on parle de près ou de loin de Rroms, il est tout naturel que le commun des mortels ait du mal à trouver des repères.

   Certains "spécialistes" eux-mêmes se complaisent à renforcer la confusion incommode existant déjà afin d'épaissir le "mystère" qui entourerait l'objet de leur travail, croyant de la sorte se valoriser.

   Les intéressés eux-mêmes peuvent se présenter à quelques minutes d'intervalle et indifféremment comme "Rroms", "gitans", "tsiganes", "gens du voyage", "manouches" ou autres, le plus souvent pour éviter de s'enfermer dans une dénomination risquant de déplaire à l'interlocuteur et pour tester du même coup ce dernier, afin d'identifier celui des termes qui sera le plus susceptible d'optimaliser la relation avec lui. Bien entendu, après des décennies d'usages chaotiques, les mots se vident de leur sens et deviennent interchangeables, renforçant comme dans un cercle vicieux la confusion et ses dramatiques conséquences.
   Tel n'est pourtant pas le cas si l'on s'adresse à leur signification véritable, chacun correspondant à une notion ou à un regard bien spécifique.

   Les noms des Rroms

   Le peuple sans territoire compact qui nous intéresse ici au premier chef est bien entendu celui des Rroms, proclamé nation européenne sans territoire par la bouche du président de l'Union Rromani Internationale, le docteur Emil Ščuka au Congrès de Prague en juillet 2000.

     Sur le plan historique, les Rroms ont quitté l'Inde du Nord en 1018 et représentent les descendants des quelques 53.000 habitants de la ville de Kannauj, capturés par le sultan Mahmoud de Ghazni et vendus comme esclaves à des commerçants du Khorassan, d'où ils se sont échappés pour se rendre dans l'Empire byzantin (avec lequel les Kannaujias avaient entretenu des relations depuis des siécles), puis en Europe et au delà.

   Le mot "Rrom" est attesté dès 1384 (relation du voyage de Lionardo Niccolo Frescobaldi).

   Si la très grande majorité des Rroms s'est implantée dans les Balkans dès son arrivée en raison des conditions socio-économiques favorables à l'époque, ceux qui ont atteint la Moldavie et la Principauté roumaine (Ţara romaneascặ ou Valachie) ont été sur le champ réduits en esclavage et donc pour la plupart immobilisés même s'ils vivaient souvent en tentes pour diverses raisons pratiques, sociales ou juridiques.

   Une partie a poursuivi vers les Carpates et les régions baltes ainsi que le nord de la Russie, où un petit nombre a gardé jusqu'au début du 20eme siècle une grande mobilité, vivant sous des tentes et circulant en fonction des opportunités économiques. Toutes ces personnes se reconnaissent sous le nom de; Rroms, sans exception, mot d'origine indienne (selon toute vraisemblance provenant de omba ou ombé « artiste » au sens très large du terme, certains traduisent par « créateurs ».

   De l'ensemble carpato-balte s'est détaché il y a très longtemps un groupe qui s'est répandu sur les territoires de langue allemande et en Italie du nord : les Sintés.

 Les Sintés ont continué leur progression vers l'Ouest et certains vivent depuis près de six siècles en France.

   S'adressant aux Français, ils ne se présentent plus comme Sintés, mais comme Manouches (Sinto semble être apparenté à arabe Sind, persan Hind et grec ionien Indoi, tandis que manuś est le mot indien signifiant "être humain").

   Un troisième groupe s'était détaché plus tôt encore du tronc commun balkanique et, traversant pour la plupart l'Europe à pied ou bien échoués sur les côtes espagnoles après avoir été chassés de Byzance sur des vaisseaux sans rames, sans voiles et sans gouvernail, a peuplé la péninsule ibérique : il s'agit des Kalés (les "noirs") que les Espagnols appellent Gitanos. Ceux-la, à la suite des persécutions sanglantes qu'ils ont endurées surtout aux XVII et XVIII siècles, ont abandonné le rromani comme langue familiale et leurs enfants ont grandi en langue espagnole (andalou), catalane et basque.

   Une fois adolescents, les jeunes gens entraient dans la vie active avec leurs ainés, qui continuaient à communiquer entre eux en rromani, et apprenaient d'eux quelques mots de la langue ancestrale, qu'ils mêlaient à l'espagnol, au catalan ou au basque qu'ils pratiquaient. Le parler secret ainsi composé s'appelle kalo ou chipi kali "langue noire" et il est incompréhensible pour un locuteur de rromani ou de sinto.

   Le kalo du Portugal et du Brésil est davantage à base d'andalou que de portugais. Malgré cette perte de langue, les Kalés gardent une vive conscience de leur identité Rroms.
   Les Rroms qui ont migré vers la Finlande se dénomment aussi Kālés, tandis que ceux des Iles Britanniques s'appellent Romanishals (< rromani sel "peuple rrom") et parlent la paggerdi ćhib, qui s'est formée comme les variétés de kalo avec des mots rromani dans une phrase anglaise.

   Tous les noms que nous avons évoqués jusqu'ici sont des endonymes, c'est-à-dire des
appellations que les intéressés se donnent eux-mêmes, à l'exception de Gitanos qui est l'exonyme par lequel les populations ibériques non-rroms désignent ceux des Rroms qui vivent sur leur sol.

   Le mot Gitan désigne donc exclusivement les Rroms de la péninsule ibérique, y compris ceux qui en sont repartis en direction de la France ou des Amériques.

   Un titre de film comme "Le temps des Gitans" pour parler de Rroms yougoslaves ne traduit donc que l'ignorance d'un traducteur peu soucieux des affaires rroms (le titre originel était Dom za vešanje "Institution pour pendaison").

   Tout comme l'exonyme Gypsy, celui de Gitano vient d'Agupt[an]oi par confusion avec les vrais Egyptiens arrivés mille ans avant les Rroms dans l'Empire byzantin et populairement connus sous le nom d'Ashkalis.

    ll est important de souligner que lorsque l'on parle d'exonymes, il s'agit de noms donnés par les gens qui sont vraiment extérieurs aux questions rroms, comme des agriculteurs, des marins, des employés de banque ou des présentateurs de télévision, c'est-à-dire des personnes pour qui l'identité des peuples sans territoire compact n'a ni intérêt, ni importance.

   En principe, il n'y a pas de conséquences notables.

   Le problème apparait lorsque des gens qui, de par leur activité, « administrations et enseignements » sont en relation avec des Rroms professent la même ignorance par rapport à l'identité de ces derniers.

   Un autre exonyme très répandu est tsigane, ţigan, cigany, cikan, ciganin, zingari, Zigeuner,цыган, čigonų, cingene etc... toutes formes dérivées du grec Athigganoi "non touchés" qui désignait initialement une secte manichéenne errante provenant de Perse. Les membres de cette secte pratiquaient la magie, ils s'estimaient "purs" et donc évitaient le contact physique des autres, comme les Bogumiles, les Patarini et les Cathares ou Bonsomes (toute analogie avec les intouchables indiens est donc erronée). Devenue trop puissante au IX siècle à la cour, cette secte fut persécutée et elle disparu au XI siècle, non sans avoir profondément impressionné les imaginations; c'est la raison pour laquelle, à l'arrivée des Rroms en Asie mineure deux siècles plus tard, son nom fut réactivé et appliqué aux nouveaux venus en raison d'analogies superficielles.

   Enfin il convient de citer une série d'exonymes euphémiques qui depuis "Bohémien" jusqu'à "Yougoslave" en passant par "Hongrois" et "Roumain" ont servi de "cache-Rrom"sous un nom de nation ayant pignon sur rue, comme si l'identité rromani proprement dite avait été honteuse.

   On doit rappeler en outre que le mot ciganin (tsigane/Gypsy) a été largement utilisé pour désigner les pillards incontrolés qui hantaient les ruines des agglomérations détruites en Bosnie-Herzegovine pendant la guerre des années 1990; il va sans dire que ce vocable argotique ne faisait référence ni a un peuple, ni à une quelconque identité ethnique (on peut comparer avec la désignation ironique de "Tchetchenes" appliquée aux montagnards en Albanie, et qui n'a rien d'une désignation scientifique).
   La réapparition du mot ciganin lors de l'exode des Albanais de Dardanie en 1999, mal comprise par des journalistes et des médias incompétents, a conduit à des violences graves vis-a-vis des vrais Rroms cossovars, innocents pour leur part des pillages attribués aux cigani. On voit donc la différence entre d'une part les endonymes, précis, définis et pertinents, et de l'autre les exonymes issus de l'ignorance parfois méprisante des populations côtoyées vis-a-vis des Rroms sur la base de vagues ressemblances, réelles ou imaginées.

   Plus encore que les connotations insultantes, pourtant flagrantes dans de nombreuses langues.

   C'est l'amalgame froid, indifférent et soi-disant réaliste d'identités sans rapport entre elles qui est vicieux: Certains Rroms avec des Beas, des Ashkalo-Egyptiens, des Travellers et des Yéniches, en une vague catégorie qui ne convient à aucun d'entre eux, ceci sur la seule base du fait que les Européens ignorants les ont au Moyen-Age confondus dans un commun mépris.

   Or, distinguer, identifier, c'est reconnaitre, c'est déjà commencer à respecter.

            C'est aussi donner à chacun la perspective de s'affirmer et de développer son identité propre, à laquelle il a droit, indépendamment des étiquettes médiévales qui continuent de le poursuivre.

Que dirait-on si l'on appelait les Français des noms d'infidèles et de mécréants, vocables sous lesquels les Européens étaient désignés par la moitié de l'humanité connue jadis ?

   Doit-on aussi, pour se conformer à la vision réelle du peuple, confondre Arméniens et Juifs sous le nom de Yahoudis, parce que c'est ainsi que font de nombreux ignorants dans les Balkans ?

   La connaissance est la pour dépasser les vagues impressions héritées du passé, si la connaissance historique doit nous éclairer pour les autres peuples, elle doit le faire aussi pour le nôtre.

Or, l'Histoire a souvent montré comment des confusions de dénominations de peuples ont conduit à des discriminations parfois sanglantes et le maintien des confusions implique la responsabilité de ceux qui les maintiennent.

   Les Yeniches pour leur part se réclament certes du voyage mais en aucun cas d'une apparentée aux Rroms, qu'ils appellent du reste "Hongrois".

   Ils disent que c'est par erreur ("irrtumlich") qu'on les confond avec les Sintes et Rroms.

   Il est vrai qu'en France la situation est compliquée du fait que certains Manouches se perçoivent, sous l'influence à la fois du jacobinisme français, de l'oubli de la langue ancestrale et de leur mobilité, plus proche des forains et des Yeniches que des Rroms alors qu'ils sont de même origine que ces derniers, qu'eux aussi appellent souvent "Hongrois".

   Pour eux prévaut l'identité liée au mode de vie sur l'identité linguistique et culturelle, ce qui s'explique par le fait qu'ils ont intègré le tabou officiel français de négation des identités ethniques.

   En effet, Rroms/Sintes/Kales fait référence aux trois grandes branches d'une même population rromani au sens large.

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