Texte publié dans la revue études tsiganes
Ce document rédigé en 1999 par Éric Paul Meyer, professeur d’Histoire du monde
indien et vice président de l’INALCO de 1994 à 2009, n’avait pas à l’origine vocation à être publié. L’article d’Elisabeth Clanet, publié dans ce numéro, répond en grande part aux suggestions formulées par l’auteur il y a une décennie.
Les thèses communément admises sur l'origine indienne des Rroms
et sur les routes qui les ont menés en Europe sont répétées à l'identique
depuis près d'un siècle (le mémoire de De Goeje qui les énonce de façon
systématique date de 1903)i, sans qu'on ait cherché dans les progrès de la
recherche historique de nouvelles pistes pour comprendre les circonstances
et les mécanismes de la migration. Ces thèses reposent d'abord sur l'analyse
linguistique, indispensable et toujours valable, qui prouve l'origine nordindienne
des éléments fondamentaux de la langue rromani. D'autre part sur
le rapprochement entre le nom du peuple Rrom et celui de la communauté
des Dom encore présente de nos jours dans la plaine du Gange et dans
certaines vallées himalayennesii. Et enfin sur des allusions légendaires.
dans des textes d'auteurs arabes et persans des Xème et XIème siècles
(Hamza et Firdousi), à des communautés d'origine indienne, Zott et Louri,
établies au Moyen Orient au cours du premier millénaire de l'ère
chrétienne. On trouvera dans le petit livre de Jules Bloch (Les Tsiganes,
Paris, PUF, 1953) une mise au point honnête et complète de l'état de la
question il y a un demi-siècle: depuis, la recherche n'a guère progressé, et
l'on ne connaît guère mieux les mouvements de population entre l'Inde et le
Moyen Orient avant le XIIème siècle. Est-ce faute de documents inédits, ou
faute de questionnements nouveaux?
Avant même d'envisager si une telle recherche est possible, il convient de
se demander si elle est justifiable. L'histoire, comme l'a écrit Paul Valéry,
est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait jamais
élaboré. Elle peut tout justifier, comme on le voit dans l'actualité brûlante
des Balkans, mais aussi du sous-continent indien. D'un sens, les Rroms ont
été d'une grande sagesse, d'une sagesse très indienne comme on le verra, en
ne conservant guère le souvenir de leurs origines. Cultiver la mémoire
historique, ou pire la réinventer, est un penchant des chercheurs européens;
et en particulier de soi-disant orientalistes, qui en a conduit certains à la
perversion nazie fondée sur les élucubrations de la pseudo-science
allemande concernant l'histoire des 'Aryens', et qui a permis à d'autres de
justifier des opérations politiques telles que le mouvement sioniste, la
partition Inde-Pakistan et les violences intercommunautaires qui l'ont
prolongée, et l'épuration ethnique dans les Balkans. Parmi les peuples sans
territoire de la période moderne, les Rroms sont les seuls à n'avoir pas
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succombé à l'obsession des origines, et à n'avoir pas tenté de construire une
identité nationale sur l'idée fixe du foyer territorial. Cela représente, à mon
sens, une véritable chance historique, et donne aux Rroms un droit à la
parole dans un monde qui se voudrait "post-national". L’historien (qu'il
appartienne ou non à la communauté à laquelle il consacre ses travaux) se
trouve donc placé devant une question déontologique, au même titre que le
biologiste qui expérimente sur le vivant. S'il sait à l'avance que ses
recherches seront utilisables comme un argument dans un discours
identitaire, voire comme une arme dans une lutte politique, ne lui vaut-il
mieux pas s'abstenir, ou se contenter comme le font les "post-modernistes"
de déconstruire les discours sur le passé, plutôt que d'y ajouter un nouveau
discours à prétention scientifique et à visée hégémonique? Mais s'interdire
de chercher aujourd'hui peut aussi laisser la place demain à une recherche
directement pilotée par les considérations utilitaires de ceux qui, réagissant
contre le nihilisme intellectuel des "post-modernes", se mettront de toute
façon en quête d'arguments identitaires, Ne vaut-il pas mieux mener à froid
une recherche honnête, exigeante et critique, qu'à chaud une opération de
sauvetage à coup d’arguments médiatiques ? En outre, placer cette
recherche dans la perspective de l'histoire de l’Inde et des migrations
indiennes - de l'antiquité à nos jours, en 'descendant' le cours de l'histoire
au lieu de le remonter, peut écarter la tentation de la quête des origines. Ces
arguments peuvent encourager une recherche, mais ne dispensent pas celui
qui la conduit et qui en publie les résultats de les accompagner de
précautions d'emploi et de les transmettre à travers une relation de dialogue
- et là encore l'absence de sacralisation de l'écrit dans la culture rrom est un
avantage.
Quelques remarques préliminaires
Les remarques qui suivent ne prétendent pas imposer une nouvelle thèse
mais plutôt suggérer quelques pistes de recherche qui n'ont pas été jusqu'à
présent suffisamment explorées, et inviter à les tester un(e) historien(ne)
qui aurait non seulement une connaissance approfondie de la langue et de
la culture des Rroms, mais aussi un savoir solide sur l'histoire médiévale de
l'Inde, de l'Iran et des régions environnantes, fondé si possible sur des
compétences linguistiques en arabe et persan classiques. Il faut souligner
que la production par les Indiens eux-mêmes de textes à caractère
historique est extrêmement limitée avant le XIème siècle de l'ère
chrétienne, alors que les auteurs s'exprimant en arabe et en persan ont laissé
une très abondante littérature descriptive et analytique, qui est loin d'avoir
été intégralement exploitée par les chercheurs s'intéressant à l'histoire
sociale de l'Inde, du Moyen-Orient et de l'Asie Centrale.
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La faible valorisation de la dimension temporelle, dans la civilisation de
l'Inde ancienne, est généralement attribuée à l'influence des brahmanes, qui
avaient le monopole de la culture savante (le veda) et qui pensaient la
société en termes d'agencement intemporel de ses parties (en termes
structuralistes, dirions-nous aujourd'hui) et non en termes de genèse et
d'évolution des groupes qui la composent. Pour ce qui concerne les
migrations, les nouveaux arrivants en Inde étaient absorbés, au moins
jusqu'au Xème siècle, dans le système des castes, et les nouveaux pouvoirs
issus de la conquête (par exemple les dynasties Rajput) étaient représentés
comme issus d'anciennes lignées déchues, que les brahmanes se faisaient
fort de réhabiliter à coup de rituels et de généalogies fictives. Il y avait bel
et bien invention d'une tradition historique, mais nul ne prétendait l'affubler
d'un statut scientifique: le mythe et l'épopée se situaient dans un passé
indéfini, leur véracité résidait dans la logique interne de leur intrigue et non
dans leur rapport aux faits. Par contre les moines bouddhistes accordaient
plus d'attention que les brahmanes à la conservation écrite des traces de
leur passé: héritiers de l'enseignement d'un personnage historique, et
conscients de la fragilité de leur tradition, ils étaient davantage tributaires
de la protection continue des rois, ce qui explique par exemple la
conservation de chroniques ininterrompues de l'histoire de Sri Lanka
depuis le IIIème siècle avant l'ère chrétienne.
La situation changea surtout à partir du XIème siècle avec l'arrivée en Inde
de conquérants turcs islamisés, dont les exploits, contrairement à ceux de
leurs prédécesseurs, étaient relatés par des chroniqueurs à leur service. De
leur côté, les savants musulmans du Moyen-Orient, héritiers de la tradition
grecque, accordaient une attention particulière à la géographie, à l'histoire
et aux mythes des pays qu'ils visitaient. Le chercheur dispose donc d'une
information précise sur l'histoire politique et militaire de la période et sur
l'état du monde asiatique médiéval - qu'il faut naturellement passer au
crible de la critique objective. Mais cette abondance de textes n'est pas
nécessairement d'un grand secours pour l'étude des mouvements de peuples
n'ayant pas abouti à la formation d'Etats, et qui plus est, pour la
connaissance de migrations en sens inverse de celui qu'empruntaient les
nouveaux détenteurs du pouvoir.
En effet, autant l'immigration et l'intégration, voire l'assimilation de
peuples venus d'Asie centrale est un phénomène très ordinaire dans
l'histoire de l'Inde ancienne et médiévale, autant apparaît exceptionnelle
l'émigration sans retour d'une communauté capable de conserver des
éléments essentiels de sa langue et de sa culture. La question de l'exode des
Rroms doit être posée en termes sociologiques, avant d'envisager les
circonstances historiques particulières qui ont pu la déclencher. Le
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problème est le suivant: quels sont les facteurs qui peuvent expliquer
d'abord la mobilité à longue distance d'un ou de plusieurs groupes en sens
inverse, 'à rebrousse-poil' des grands courants migratoires, ensuite leur nonretour
dans leur région d'origine, enfin leur non-assimilation dans les
régions d'arrivée?
On peut concevoir deux types de réponses: les unes présupposent une forte
cohérence et une mobilité intrinsèque de ces groupes, antérieurement à leur
grande migration; les autres postulent l'existence de mécanismes de
coercition ayant contraint des groupes non nécessairement nomades ni
homogènes à une mobilité sans retour, et les ayant portés à accentuer leur
identité en guise de défense. C'est exactement la problématique soulevée
par l'étude des diasporas indiennes plus récentes, où l'on voit se différencier
assez nettement les migrations marchandes libres et les migrations de
'coolies' asservis aux trafiquants de main d'oeuvre et aux plantations qui les
emploient: en appliquant ce questionnement aux périodes plus anciennes,
que peut-on supposer au sujet de cette première grande diaspora d'origine
indienne qu'est celle des Rroms?
L’hypothèse de la migration de groupes intrinsèquement nomades.
C'est celle qui a été généralement retenue par les chercheurs, qui tous
s'efforcent de faire descendre les Rroms de groupes/castes de marchands
caravaniers (comme les Banjara), de guerriers mobiles des régions arides
(comme les Rajput), d'éleveurs des plaines de l’Indus (comme les Jat),
d'artisans itinérants (notamment forgerons, mais aussi vanniers), de
musiciens et jongleurs voyageurs, ou d’aborigènes non-agriculteurs issus
des franges forestières de la vallée du Gange (comme les Dom). De Goeje
fait des ancêtres des Rroms "des musiciens et forgerons ayant suivi les Jat
nomades". Et la plupart des auteurs font grand cas de la légende des
musiciens Louri venus de Kanauj à la cour persane de Bahram V au Vème
siècle après J.C., telle qu'elle est rapportée par Firdousi dans son Livre des
Rois (terminé en 1011), ainsi que de la présence de zott [jat] du Sindh
établis à Bahrein et en Iraq au VIIIème siècle.
Cette hypothèse est construite sur un raisonnement analogique: sachant
quelles sont les caractéristiques des groupes Rroms à leur arrivée dans les
régions méditerranéennes, on cherche dans la société indienne
contemporaine, voire postérieure à l'événement, des groupes aux
caractéristiques analogues: si l'on n'y prend pas garde, l'analyse peut
déraper. C'est ainsi que les coloniaux du siècle dernier qualifièrent de
Gitans (Gypsies) des groupes indiens nomades du Deccan classés par
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l'administration britannique dans la vaste catégorie des 'tribus criminelles'
et soumis à une législation d'exception: mais le parallélisme du traitement
des Rroms en Europe et des 'Criminal Tribes' en Inde - qui mérite à lui seul
une étude qui pourrait s'inspirer de la démarche de Michel Foucault -, ne
prouve en aucune manière une filiation entre ces groupes. Il ne s'agit pas
pour autant de récuser toute hypothèse de ce type. Mais il faut savoir qu'en
dépit des règles de la société de castes édictées comme un idéal normatif
par les brahmanes, les groupes sociaux de l'Inde ancienne n'étaient pas
figés. Les vicissitudes climatiques on politiques faisaient osciller certains
groupes entre sédentarité et nomadisme, et il n'est pas rare que telle caste
ou telle tribu ait eu plusieurs cordes à son arc, et que dans le corps social
une nouvelle fonction ait créé un nouvel organe: ce qui rendait possible
l'adaptation d'un groupe à des conditions nouvelles.
II convient aussi de noter que les groupes censés être intrinsèquement
nomades se déplaçaient généralement dans une aire bien définie: la
circulation des marchands indiens dans le cadre d'un réseau de marchés
dont la tête restait leur région d'origine, représente un cas typique; la
transhumance des éleveurs, la mobilité des artisans, des artistes, des gens
du spectacle, des pèlerins, suivait plus on moins le même modèle, et
s'appuyait sur des lieux de référence, oasis, palais ou temples. En aucun cas
la migration ne conduisait à une rupture du lien avec la tête de réseau.
Une approche peut-être fructueuse, qu'il faudrait fonder sur un substrat
théorique solide, consisterait à comparer le destin de la langue rromani aux
cas d’isolats linguistiques pouvant résulter de phénomènes migratoires (et
non circulatoires) à l'intérieur de l'espace indien: les deux exemples les plus
connus étant celui des Brahui dravidophones du Balouchistan, et des
Singhalais locuteurs d'une langue d'origine indo-aryenne, à Sri Lanka. Dans
chaque cas il semble que la migration soit le fait non d'un groupe social ou
professionnel particulier, mais d'une société assez différenciée pour
conserver l'usage de sa langue en situation isolée.
L’hypothèse de l’esclavage de guerreiii.
Les peuples qui ont créé des mythes de migration les ont souvent construits
selon un schéma narratif qui met en scène des rois comme initiateurs de la
migration, qu'il s'agisse d'attirer un groupe, de l'exiler, ou de le conduire.
On peut certes interpréter ces mythes comme une représentation visant à
associer un groupe à de grands personnages, à transformer une 'petite
tradition' en 'grande tradition' pour valoriser le processus migratoire, ou à
dissimuler des motivations supposées mesquines. Cette position me semble
inutilement réductrice. Il est plus intéressant de s'interroger sur ce que ces
mythes révèlent de l'élément de contrainte présent dans tonte mobilité,
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surtout si par ailleurs des récits historiques irréfutables montrent ces
processus à l'oeuvre. Le commerce des esclaves d'origine indienne est
attesté dès le VIIème siècle, mais est probablement antérieur; il s'agissait
alors d'hommes issus des régions de la basse vallée de l’Indus, rassemblés à
Multan, la 'ville-frontière' de l’Inde; certains étaient employés comme
soldats en Perse et jusqu'en Asie Mineure, et d'autres sans doute plus
nombreux comme domestiques, éleveurs et riziculteurs; mais ils furent
absorbés dans la société locale sous le nom de Zott et de Sayabija. Après la
prise du Sindh par Muhammad Al Kasim en 712, le nombre des esclaves de
guerre se gonfla, mais avec l'arrêt de la conquête, le flux se tarit pour plus
de deux sièclesiv.
Par contre les conditions changèrent durant la période troublée du XIème
siècle de l'ère chrétienne, marquée par les raids des Ghaznévides basés dans
ce qui est aujourd'hui l'Afghanistan, entre Kaboul et Kandahar. Les
historiens ont généralement insisté sur le caractère destructeur de ces raids,
les pillages et les massacres qui les ont accompagnés, sans assez souligner
que l'un des buts principaux des conquérants turcs était de se procurer les
esclaves nécessaires à la mise en valeur de leurs conquêtes. Lors des
incursions répétées en Inde de Mahmoud de Ghazni, entre 1001 et 1026,
selon le témoignage d'Al Utbi, chroniqueur de la conquête ghaznévide,
presque contemporain de l'événement, un nombre très élevé des captifs
était ramené avec le butin, de sorte que l'abondance de l'offre fit baisser le
prix des esclaves. Concernant le raid de 1018-19 sur l'ancienne capitale de
Kananj [Kanyakubja], dans la haute vallée du Gange, Utbi écrit:
" Les 53.000 prisonniers [du raid effectué sur Kanauj] furent conduits à
Ghazni, et des marchands vinrent de cités éloignées pour les acheter, si
bien que les pays de Nawara an-Nahr [la Transoxiane, actuel Uzbekistan],
de l’Iraq et du Khorassan [nord-est de l'actuel Iran] furent remplis
d’Indiens; les gens de teint clair et de ceux de teint sombre, les riches et les
pauvres, tous étaient mêlés dans une commune condition d'esclaves."
Outre l'information géographique précise sur les zones où ces Indiens sont
conduits, et l'insistance sur le nombre des prisonniers (qui est toujours
gonflé), le plus intéressant de notre point de vue est cette mention du
caractère socialement composite de la population captive, où étaient
représentés des gens de tontes origines de caste, brahmanes et rajput au
teint clair, shudra, intouchables et tribaux au teint sombre. Le témoignage
se poursuit en précisant que certains de ces esclaves furent incorporés dans
les armées ghaznévides, où les Rajput étaient plus estimés que les Turcs; il
est probable que d'autres avaient trouvé à employer leurs talents d'artisans,
d'artistes etc. A cet égard, il n'est pas indifférent que la rédaction par
7
Firdousi du Livre des Rois soit exactement contemporaine des grands raids
de Mahmoud: par l’évocation de l’histoire vieille d'un demi-millénaire des
musiciens indiens envoyés par le roi de Kanauj à la cour de Perse, il
fournissait comme c’était courant à l’époque une représentation mythique
d’un fait contemporain.
Une autre notation permet de retrouver la route suivie par les Rroms et de
rendre vraisemblable l'hypothèse de l'esclavage de guerre: c'est le fait qu'en
langue persane, selon l’historien Bosworthv, le terme de kabuli était
régulièrement employé pour désigner les esclaves d’origine indienne;
tandis qu'à Kaboul, c'est le terme multani qui était utilisé, Multan étant le
principal entrepôt pour l'exportation d'esclaves vers l'ouest, via Kaboul ou
via Kandahar. Selon André Wink citant W.J. Fischel, les négociants juifs
de Bagdad et d’Ispahan, après la chute du califat, se seraient tournés vers le
financement des marchands de main d'oeuvre servile et se seraient établis
en grand nombre à Ghazni, à Ghor et à Kaboul entre le Xème et le XIIIème
siècle, y devenant les principaux trafiquants d'esclaves, au point qu'une
confusion s'établira durablement entre Juifs et Afghans. Cet auteur n'appuie
pas ses spéculations sur des documents incontestables, mais il est clair que
dès cette époque, les trafics de main d'oeuvre étaient devenus une activité
fort lucrative en Asie centrle et occidentale et que les marchands juifs y
avaient leur part.
Trois siècles après les grands raids, vers 1335, le plus célèbre des grands
voyageurs arabes, Ibn Battuta, attribuait l'étymologie suivante à l'Hindou
Kouch, la chaîne de montagnes situées entre Kaboul et l'Asie Centrale; que
cette étymologie soit authentique ou fantaisiste nous importe peu, ce qui est
de la plus grande signification est le commentaire qu'en fait le voyageurvi:
"Nous devions traverser la montagne Hindû Kûsk, ce qui veut dire ‘tueuse
d'Indiens’: les esclaves, hommes et femmes, qu’on amène de l'Inde
meurent en grand nombre sur cette route à cause de l'intensité du froid et de
l'épaisseur de la neige."
Ces montagnes qu’avaient pourtant dû traverser tous les peuples migrants
venus d'Asie Centrale n'étaient donc pas associées dans l'esprit des gens du
début du XIVème siècle à l'image de la mobilité des conquérants, mais à
celle des populations conquises emmenées en esclavage. Ces épreuves
endurées dans la traversée des montagnes, dont les migrants ont dû
conserver longtemps le souvenir, a pu les dissuader de refaire le chemin en
sens inverse.
L'exportation d'esclaves par les conquérants se poursuivit, notamment à
l'occasion du sac de Delhi par Timur Lam (1398). Certains marchands du
Panjab, les Ghakkar, échangeaient couramment à la fin du XVIème siècle
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sur les marchés de Kaboul des esclaves indiens contre des chevaux des
steppes de l'Asie centrale. La chasse aux esclaves était encore pratiquée en
Inde du nord, aux alentours d'Agra et de Kanauj, au détriment des
populations tribales et des paysans rebelles, au temps de l'empereur moghol
Jahangir, au début du XVIIème siècle, d'après les récits de Monserrate, W.
Finch, Pelsaert, et les mémoires de Jahangirvii. Mais le volume en avait
certainement diminué, et aucun groupe nombreux caractérisé par une
origine indienne n'est attesté en Asie centrale et occidentale après cette
date, à l'exception des groupes marchands du Sindh.
La genèse de l'identité rrom.
Cette nouvelle hypothèse de migrations forcées ne répond cependant qu'à
une partie des questions formulées au départ. On s'explique mal que tous
ces prisonniers ne se soient pas assimilés linguistiquement si en effet ils ont
été vendus individuellement ou par petits groupes sur les marchés de
Multan, de Kaboul ou de Boukhara et sont devenus les dépendants de
maîtres de maison ou de domaines turcs on iraniens. Mais il est très
probable que, comme les coolies du XIXème siècle, ils se sont efforcés de
rester groupés sous la conduite de l'un des leurs: c'est ce que suggèrent des
documents plus tardifs, qui les mentionnent comme formant l'essentiel de
la main d'oeuvre dans les villages royaux d’Iran au début du XIVe siècle, et
une description précise d'un domaine près de Boukhara vers la fin du
XVème siècle qui donne une liste d'esclaves, tous Indiens, employés pour
creuser des canaux et produire des ustensiles métalliquesviii.
On peut aussi supposer que certains d'entre eux ont échappé d'emblée à la
servitude en se constituant en groupes autonomes, sans pour autant pouvoir
revenir dans leur pays d'origine, on que les circonstances historiques ont
permis à un grand nombre d'entre eux de s'émanciper rapidement. Dans
cette hypothèse, il serait indispensable d'analyser les conditions créées par
la conquête seldjoukide à partir du milieu du XIème siècle, puis par
l'apparition des Mongols en Asie centrale un siècle plus tard et par
l'établissement de leur empire au début du XIIIème siècle. A une période et
dans un espace où mobilité géographique et mobilité sociale allaient de
pair, et où la défense du groupe était conditionnée par sa double aptitude à
se déplacer rapidement et à conserver des liens familiaux forts, ont dû se
constituer certains caractères distinctifs de la culture rrom. Il est à craindre
qu'on ne trouve jamais de documents d'époque permettant de reconstituer
les étapes de ce qu'on pourrait qualifier de seconde naissance, mais la
recherche du moindre indice mérite cependant d'être menée dans les textes
persans, turcs, arméniens et dans les récits des nombreux voyageurs ayant
sillonné les routes de l'empire mongol. Par contre il est clair que l'analyse
9
des emprunts linguistiques doit se faire dans une perspective historique
focalisée sur la période XIe - XIVe siècles, en portant l'attention sur le
lexique des termes d'origine persane, turque et arménienne distingués des
termes d'origine indienne.
Paris, 1999
i M.J. De Goeje, Mémoire sur la migration des Tsiganes d’Inde en Europe. Leiden,
1903
ii La célèbre chronique du Kasmir rédigée par le brahmane Kalhana au XIIème siècle
mentionne en détail un épisode mettant en scène des Dom ou Domba musiciens et
jongleurs, qui prennent pratiquement le contrôle de la cour du roi du Kashmir Partha
(env. 906-921) avant d’en être chassés brutalement : Rajatarangini, 5ème Taranga, v.
359-413 (trad. fse de A. Troyer, Paris, 1840-1852)
iii A. Wink, Al Hind, The making of the Indo-islamic world. Leiden, 1990, pp. 172-173
iv La plupart des historiens de l’Inde, de l'Iran et de l'Afghanistan au 'Moyen-Age'
consacrent quelques pages à l'esclavage; voir notamment:
- C.E. Bosworth, The Ghaznavids, their empire in Afghanistan and northern Iran, 994-
1040, Edinburgh, 1963; The later Ghaznavids, splendour and decay, the dynasty in
Afghanistan and northern India, 1040~1186, Edinburgh, 1977; The mediaeval islamic
underworld, Leiden 1976, 2 vols.
- A. Wink, op. cit.
Les textes de la plupart des chroniqueurs arabes et persans concernant l’Inde ont été
traduits en anglais (plus on moins bien) par H.M. Elliott et J. Dowson, The history of
India as told by ils own historians, Londres, 1867-1877; voir aussi la traduction
française partielle de la grande somme encyclopédique de Al Biruni, L’Inde, (extraits
trad. par V. Monteil). Paris, Sindbad, 1996 (en intégrale: E.C. Sachau (trad.), Al Biruni's
India. rééd. Delhi, 1964.)
Sur le chroniqueur Utbi, voir la thèse sontenue à l'Université de Paris III en 1989 par A.
Alami: ‘Les conquêtes de Mahmud al-Ghaznavi d'après le Kitab al Yamini de 'Utbi’.
Un volume a été consacré à l'esclavage dans l’Inde médiévale dans une optique
militante antimusulmane, par K.S. Lal, The Muslim slave system in 1ndia. Delhi, 1992
Enfin pour une période plus récente, on trouve des informations extrêmement
intéressantes dans D. Kolff, Naukar, Rajput and Sepoy: the ethnohistory of the military
labour market in Hindustan, 1450-1850, Cambridge, 1990.
Mais aucun de ces travaux ne fait de rapprochement entre l'histoire de l'esclavage et
celle du peuple rrom.
10
v C.E. Bosworth, The mediaeval islamic underworld, Leiden 1976, vol 1, p. 169 et suiv.;
A. Wink, op. cit. Leiden, vol l, p. 91 et suiv.
vi Ibn Battuta, Voyages et périples (Rihla) dans Voyageurs arabes, trad. P. Charles-
Dominique, Paris, Gallimard, collection de la Pléiade, 1995, p. 739
vii D. Kolff, Naukar, op. cit, chap. 1.
viii voir l'intéressant article de J. Aubin, 'L'ethnogénèse des Qaraunas' Turcica l, 1969,
p. 68, qui mentionne que les Mongols sous la direction de Sali Noyin, continuent ces
razzias d'esclaves indiens qu'on établit dans les villages royaux (inju), et dont les
femmes donnent naissance à des métis qualifiés de 'noirs' (qarauna) qui s’organisent en
bandes armées vite célèbres pour leurs déprédations, mais qui toutefois s’assimilent aux
Turcs au cours du XIIIème siècle; voir aussi Kolff, op. cit. , chap 1.
1/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Fils du « Vent de l’Histoire »
Un autre approche sur l’histoire de la migration des ancêtres des Rroms, Sinté et Kalé
Si la question de l’origine des ancêtres des quelques dix millions de descendants d’Indiens,
ayant fait souche depuis plusieurs siècles en Europe, fait toujours couler beaucoup d’encre,
les circonstances et conditions précises dans lesquelles se seraient déroulées ces migrations
n’ont guère passionné les spécialistes.
La place laissée aux légendes et au mystère a fini par fortement conditionner les relations
entre ces populations migrantes « nées sous X » et celles des terres « d’accueil ». D’aucuns,
s’inquiétant d’une réputation persistante d’éternels étrangers, préfèrent même ne pas évoquer
cette origine lointaine craignant ainsi de provoquer des réactions du type « Ils n’ont qu’à
rentrer chez eux ! ». Tout en comprenant leur prudence, je crois néanmoins que le temps est
venu de sortir des approximations pour entreprendre sereinement une démarche scientifique
s’appuyant sur des données linguistiques et des événements historiques précis.
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C’est par l’étude de la langue rromani, à partir de la fin du XVIIIe siècle, que débuta la
première approche scientifique de la question de l’origine et de la migration de ces
populations. Seul « monument » témoignant de l’histoire de la migration de ses locuteurs, le
rromani est une langue dont l’élément principal est indo-aryen1. Au-delà de ce fonds lexical2,
on trouve des inclusions de racines persanes, arméniennes et grecques. Des séjours plus ou
moins prolongés en Perse, puis en Arménie, et finalement dans l’Empire byzantin
expliqueraient les emprunts à ces différentes langues. Aucune racine turque n’apparaissant
dans la langue rromani, ces migrations se seraient produites avant l’arrivée des Turcs en Asie
Mineure au XIe siècle. A partir de ces constatations, une hypothèse va alors se révéler comme
la plus séduisante, il s’agirait de :
« Migrations successives de parias nomades3, originaires du nord du souscontinent
indien, entre le Ve et le Xe siècle, parlant une langue dérivée du
sanskrit. »
1 Les langues indo-aryennes appartiennent au groupe indo-iranien, la branche la plus orientale de l’indoeuropéen.
Elles sont originaires du nord du sous-continent indien. Les langues dravidiennes, cantonnées dans le
sud de l’Inde (exception faite du brâhui parlé en Afghanistan), n’ont aucune parenté avec les langues indoeuropéennes.
2 Celui-ci est loin d’être négligeable puisqu’il comprend près de 900 racines A titre de comparaison, la Thora, ne
comporte qu’environ 500 racines.
3 De nombreux « tsiganologues » font dériver l’ethnonyme Rrom du terme indo-aryen Ḍomb, désignant diverses
castes considérées comme « intouchables » et plus ou moins nomades, vivant dispersées dans le sous-continent
indien, mais sans réel liens de parenté ethniques ou linguistiques entre elles. Le domari d’où viendrait le rromani
n’est parlé que par quelques centaines de milliers de personnes actuellement en Inde et au Pakistan.
Platts John Thompson 1884, A
dictionary of Urdu, classical Hindi, and English. London: W. H. Allen & Co.
2/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Cette (hypo)thèse a fini par s’imposer comme « LA » vérité historique et on la retrouve
presque systématiquement jusqu’à nos jours dans la plupart des ouvrages sur les Rroms, Sinté
et Kalé.
Or, au fur et à mesure de mes recherches, entreprises maintenant depuis une quinzaine
d’années, cette (hypo)thèse, au premier abord crédible, m’est apparue de moins en moins
plausible, et ce, non seulement pour des raisons linguistiques, mais également culturelles et
religieuses. Par ailleurs, un élément important de l’histoire du sous-continent indien mis en
lumière, il y a une dizaine d’années, par le professeur Eric Paul Meyer4, ayant trait aux
invasions et aux déportations d’esclaves par les Turcs, est venu apporter une clef permettant
de donner une « cohérence » historique à ce phénomène migratoire.
C’est l’ensemble de cette réflexion que je me propose d’exposer ci-dessous, étape par étape.
L’hypothèse de migrations successives de nomades : une voie sans issue
Eléments linguistiques
L’unicité des racines persanes, arméniennes et grecques
L’élément déclencheur décisif de mes interrogations fut la constatation que les emprunts au
persan, à l’arménien et au grec, témoignant du trajet migratoire de ces populations, étaient
identiques dans toutes les variantes du rromani :
persan arménien5 grec
rromani khangeri bov 3oro drom
sinto (gaśkeno) kangri bop mojlézla /Maulesel
allemand drom
kalo (du Brésil) cangueri _ 3urõ drõ
français église four, poêle mulet route
4 Éric Paul Meyer est historien et spécialiste du Sri Lanka et du sous-continent indien, professeur d’Histoire de
l’Asie du Sud et vice président de l’INALCO de 1994 à 2009.
5 Longtemps attribuée à l’arménien, la racine gra- (cheval, monture) - grast en rromani, graj en sinto, granim en
kalo du Brésil, serait, à mon avis, à rapprocher du sanskrit grasta, vulg. grast, participe du verbe grāsnā (capturé,
possédé).
Platts John Thompson 1884, A dictionary of Urdu, classical Hindi, and English. London: W. H. Allen & Co.
3/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Il était donc mathématiquement impossible que des petits groupes, arrivant par vagues
successives à des époques différentes, aient emprunté exactement le même vocabulaire à
chacune de ces langues. Il ne pouvait donc s’agir que de la migration d’un groupe humain
particulièrement compact s’étant déplacé à la même époque d’un même lieu vers un autre.
Ce constat rejoignait ainsi, à la fois les travaux de Marcel Courthiade démontrant la cohérence
linguistique du fonds indo-aryen du rromani, impliquant une même origine géographique des
Rroms, Sinté et Kalé, mais aussi ceux de Ian Hancock : « If the population left India in small
groups spread out over several centuries as has been claimed, how did those groups manage
to find each other and regroup subsequently? »6
En 1927, l’anglais Sir Ralph Turner7 mettait en évidence l’appartenance probable du rromani
au groupe central des langues du nord de l’Inde parlées dans la Moyenne Vallée du Gange.
Par ailleurs, les recherches de Ian Hancock8 situaient la séparation du proto-rromani des
autres langues indo-aryennes vers l’an mil au moment de la disparition du neutre dans la
plupart des prakrits.
Précisons encore que les racines persanes présentes dans le rromani sont en réalité du néopersan9.
Ainsi, du fait de la présence de racines néo-persanes dans la langue rromani, cette
migration ne pouvait donc avoir eu lieu qu’après le IXe siècle. Mes observations et celles de
Ian Hancock sur la datation du départ de l’Inde convergeaient à nouveau : « If the migration
through Persia and the acquisition of Persian words took place in the 5th century, why are all
such items in Romani, Lomavren and Domari from Modern (i.e. post- 9th to 10th century)
Persian? »10
6 « Si la population qui a quitté l’Inde par petits groupes au long de plusieurs siècles comme on l’a affirmé,
comment ces mêmes groupes ont-ils réussi à se retrouver et à se regrouper par la suite. » HANCOCK, Ian
(2006). « On Romany Origins and Identity – Questions for discussion » in Gypsies and the problem of Identities,
Swedisch Research Institut in Istanbul, Istanbul,, p. 86.
7 TURNER Ralf (1927). « The Position of Romani in Indo-Aryan », in Gypsy lore society. Monographs, N°4.
8 HANCOCK, Ian op.cit, p.72 à 77.
9 « Création » des Samanides (dynastie iranienne régnant du IXe au XIe siècles sur le nord de l’Iran et sur le
Turkménistan actuels) à partir du IXe siècle, le néo-persan fut largement diffusé en Asie Centrale et en
Afghanistan par les Turcs Ghaznévides puis jusqu’en Asie Mineure par les Seldjoukides. Ces derniers en
favorisèrent l’épanouissement en l’imposant comme langue officielle dans le sultanat de Roum (de l’arabe rum, -
le pays des romains -, c'est-à-dire l’Empire romain d’orient ou Romanie Byzantine en Asie Mineure). Langue de
l’Empire Moghol - Turco-mongols -, le néo-persan demeurera langue officielle administrative de l’Inde jusqu’en
1947. Il a, par ailleurs, influencé durablement le turc ottoman - plus de 50 % de son lexique - jusqu’à sa « returquisation
» décrétée par Mustapha Kemal, en 1932).
10 « Si la migration à travers la Perse et l’emprunt de mots persans avaient eu lieu au Ve siècle, comment
expliquer la présence de toutes ces occurrences du néo-persan (IXe au Xe siècle) en rromani, lomavren et
domari ? » op. cit., p.86.
4/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Cette migration n’était donc pas si ancienne. Comment expliquer alors qu’un groupe compact
et nombreux11 dont le déplacement se situait dans une période bien connue des historiens, ait
pu passer « inaperçu » et ne pas avoir été évoqué par les chroniqueurs de l’époque ? Ce
silence serait-il lié au statut particulier de ses membres ?
L’éloignement géographique d’une langue vernaculaire indo-aryenne
L’implantation d’une langue vernaculaire indo-aryenne sur le sol européen, très éloignée de sa
« base » géographique (fig. 1), est surprenante. En effet, à l’exception du singhalais vers le Ve
siècle av. J.-C 12 et du népali au XVe siècle, aucune langue vernaculaire n’avait pris racine
hors de l’Inde avant le début du XIXe siècle13.
Fig. 1 - ©Google map
Les langues indo-aryennes, comme la plupart des langues, possèdent plusieurs registres
sociolinguistiques14. La langue des Védas15, dont l’exactitude de la prononciation est
essentielle à l’accomplissement des rituels et sacrifices, est appelée par les brahmanes vak (la
parole)16. L’appellation sanskrit que l’on pourrait traduire par bien formé, raffiné, hautement
élaboré, dérivée de la racine sam(s)kar- (faire) kr (ensemble) sam- (composer, arranger),
n’apparaît que vers le IVe siècle av. J.-C. au moment de la formalisation (acrolectalisation) de
11 Ce groupe devait forcément avoir été suffisamment nombreux pour avoir engendré une descendance estimée
aujourd’hui à environ dix millions de personnes. Voir estimations statistiques en annexe.
12 La seule entreprise de conquête et de colonisation d’envergure attestée dans l’Histoire de l’Inde, est celle du
Sri Lanka commencée au Ve siècle av. J.-C.
13 L’abolition de l’esclavage et le besoin en main d’oeuvre conduisirent les gouvernements britannique, dès 1834,
et français, à partir de 1848, à développer une politique de recrutement de travailleurs en Inde : les coolies qui se
retrouvèrent disséminés au quatre coins des ex-empires coloniaux. Très peu sont ceux qui parviendront à
maintenir leur langue.
14 Dans un continuum, on distingue les registres des langues vernaculaires et des langues « savantes ». Les
langues vernaculaires sont constituées par le basilecte, ou langue de connivence, (de 1 500 à 3 000 mots
environ) et par le mésolecte, ou langue de communication (de 5 000 à 10 000 mots environ). Vient ensuite
l’acrolecte, le registre des langues savantes de domination idéologique (au delà de 50 000 mots). A titre
d’exemple 200 000 en français, 600 000 en anglais et 1 500 000 en sanskrit. L’acrolectalisation d’une langue est
toujours « artificielle » et fait suite à une volonté idéologique et à une décision politique.
15 Textes sacrés du brahmanisme (entre 1800 et 1500 av. J.-C.). De tradition purement orale, les textes védiques
se transmettent jusqu’à nos jours, de génération en génération, dans des écoles et au travers de techniques de
mémorisation hautement spécialisées.
16 A rapprocher du verbe rromani vakerav (faire parole) = parler.
5/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
la langue des Védas par le grammairien Panini. Le sanskrit est la langue savante et sacrée de
la liturgie dont les seuls locuteurs sont un nombre restreint de brahmanes lettrés, les pandits.
Le peuple, quant à lui, s’exprime en langues vernaculaires appelées prakrits (non évolués,
basiques). Certaines d’entre elles, possédant des expressions littéraires (mésolectes
supérieurs), sont à l’origine des langues indo-aryennes modernes17 qui à partir du XIXe siècle
ont emprunté au sanskrit de nombreuses racines lors de leur acrolectalisation18. Déjà au IIIe
siècle av.J.-C, s’était opéré un phénomène similaire. Les bouddhistes, soucieux de s’affranchir
de la tutelle des brahmanes, hissèrent un prakrit au statut d’acrolecte, le pali, qui est devenu le
« véhicule » du bouddhisme Theravada19.
La langue rromani, comme toutes les autres langues indo-aryennes modernes, ne « descend »
donc pas, comme on le présente souvent, du sanskrit, mais d’un prakrit, c'est-à-dire d’une
langue vernaculaire.
La diffusion d’un acrolecte – « véhicule » idéologique comme nous l’avons déjà souligné20 –
n’est pas forcément la conséquence d’une migration21. Le sanskrit et le pali furent largement
diffusés en Asie du Sud-Est sans installation massive notoire de populations venues de
l’Inde22. Alors qu’un acrolecte est généralement véhiculé par les hommes, comme par
exemple des moines ou des missionnaires en direction de leurs disciples, une langue
vernaculaire est essentiellement transmise par les femmes vers leur descendance.
17 Comme par exemple le bengali, le marathi, le gudjurati, le penjabi ou encore le hindi.
18 Le hindi officiel (acrolecte) est lourdement sanskritisé et quasi étranger aux hindiphones qui ne dominent qu’un
mésolecte, voire un basilecte.
19 Ceci est à rapprocher du travail de Luther concernant l’allemand. Jusqu’au XVIe siècle en occident, seuls le
latin, le grec, l’hébreu et l’arabe – selon leur sphère d’influence – possèdent un acrolecte. En Europe occidentale,
pratiquement tout est écrit en latin. En rébellion contre Rome, Luther traduit la Bible de l’hébreu en allemand, en
s’appuyant sur les différents co-dialectes (mésolectes) du centre sud de l’Allemagne et en les enrichissant par
des emprunts au grec et au latin. Son travail est à l’origine de l’acrolecte de l’allemand, le « Hochdeutsch ».
20 Après des études de rromani à l’INALCO avec Georges Calvet puis avec son successeur Marcel Courthiade, je
me suis intéressée, d’une façon plus générale, aux statuts sociopolitiques des différents registres linguistiques et
en particulier au processus d’acrolectalisation - c’est-à-dire le passage de langue « vulgaire » à celui de langue
« illustre », tel que le définit Dante dans son ouvrage De Vulgari Eloquentia (1303-1305) - et de son impact sur la
question de l’illettrisme.
21 A titre d’exemple, l’arabe est présent en Indonésie, non pas en raison de l’implantation de populations arabes,
mais du fait de la propagation de l’Islam par le Coran.
22 La forte influence culturelle indo-aryenne en Asie du Sud-Est remonte au IIe siècle ap. J.-C. De nombreux
royaumes – tels le Fou-nan et le Champa, dans les Cambodge et Vietnam actuels, ainsi que d’anciens royaumes
situés aujourd’hui en Thaïlande, en Birmanie et en Indonésie – ont adopté les codes culturels, religieux et
esthétiques de l’hindouisme et surtout du bouddhisme. Les spécialistes de l’Histoire de l’Asie du Sud-Est
s’accordent pour dire que les échanges commerciaux ainsi que la présence de ligues de marchands ne suffisent
pas à expliquer ce formidable essor. Il s’agirait plutôt d’une « importation » culturelle et religieuse introduite, dans
un premier temps, par quelques brahmanes invités par les cours royales pour procéder aux sacrifices et rituels
nécessaires à la légitimation de leur pouvoir, comme cela s’était passé précédemment dans l’Inde dravidienne.
Mais cette sanskritisation des royaumes du Sud-Est asiatiques fut surtout l’oeuvre des nombreux missionnaires
bouddhistes très actifs depuis l’ère d’Ashoka au IIIe siècle av.J. -C.. Et sur ce terrain favorable et compatible, le
greffon a pris, donnant naissance à une extraordinaire floraison artistique et architecturale ainsi qu’à la diffusion
du sanskrit et du pali. Il s’agit là, en fait, d’une sorte de colonisation idéologique sans colonisateurs à l’instar de la
Byzantinisation de la Russie.
6/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Pour qu’une langue vernaculaire puisse perdurer dans le cadre d’une migration avec sa
cohérence lexicale, grammaticale et syntaxique, ses locuteurs - mais surtout ses locutrices -
doivent majoritairement parler la même langue de base, ceci n’excluant pas une éventuelle
présence, minoritaire, d’individus, de préférence de sexe masculin, issus d’autres régions et
parlant d’autres langues.
Ainsi, au vu de ces différentes recherches et observations, l’(hypo)thèse de départ avait
sensiblement évolué :
« Une seule migration d’un groupe compact et nombreux, de parias nomades,
(dont des femmes) originaires d’une région bien délimitée de la moyenne
vallée du Gange et parlant majoritairement la même langue vernaculaire, à
partir XIe siècle. »
Eléments culturels
De l’assertion de départ, un des seuls éléments qui restait inchangé était celui de « paria ».
Une meilleure compréhension ce que l’on appelle communément « le système des castes »,
me sembla alors incontournable. En effet, lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, au moment de
l’essor des études orientalistes et des récentes connaissances ethnologiques relatives à la
société indienne, on « découvrit » l’origine indo-aryenne des Rroms, Sinté et Kalé, des érudits
s’intéressèrent de plus près à ces populations « exotiques » et souvent misérables, sur
lesquelles ils projetèrent un profil de hors-castes.
Le mot « caste » tire son étymologie du portugais casto, castiço (pur, sans mélange), par
opposition à mestiço (mêlé) 23. Une caste, appelée jati (naissance), est, de façon schématique,
une organisation sociale endogamique observant des règles de pureté et d’impureté qui lui
sont propres 24. Aucune jati ne dépasse de frontière linguistique, chaque zone linguistique
ayant ainsi son propre système de jatis25. Au nombre d’environ 4 500 dans l’Inde
contemporaine, elles sont classifiées par ordre de pureté dans quatre varnas (couleurs) : les
Brahmanes, élite intellectuelle et religieuse ; les Ksatriyas, rois et militaires ; les Vaishyas,
propriétaires terriens, commerçants et artisans ; et les Śudras dont la condition est à
23 Les Portugais, et en particulier les Jésuites venus dans leur sillage et présents en Inde dès le début du XVIe
siècle, ont été parmi les premiers à observer et à décrire l’organisation de la société indienne. (A noter que ce
système avait déjà été observé et décrit par Mégasthènes au IIIe siècle av. J.-C. dans son ouvrage Indika.)
24 Subdivisée en lignées exogamiques – gotras ou Vansh (de Viś, Viśa : le clan dans le Rig-Veda) à l’origine des
patronymes issus d’un ancêtre illustre. (Possiblement à l’origine du mot Viça (famille, ascendance, lignée) chez
les Rroms kalderash.)
25 Les jatis présentent des analogies avec les corporations professionnelles héréditaires telles que nous les
connaissions dans l’Europe médiévale. Mais en réalité, si la question des professions est importante, elle n’est
pas primordiale. En effet, si deux jatis exercent la même profession mais dans deux zones linguistiques
différentes, il n’y aura pas de mariages entre elles, car elles ne partagent pas l’essentiel, à savoir les mêmes
règles de pureté et d’impureté.
7/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
rapprocher de celle des serfs. Certaines jatis, considérées comme trop impures26 pour être
classifiées, sont avarnas (hors-couleur, hors-classe). Ce sont les parias ou « intouchables »
que l’on nomme désormais, de façon politiquement correcte, les Dalits ou Scheduled castes
(SC). Śudras et Dalits représentent environ 70 % de la population indienne et sont
traditionnellement au service des trois varnas supérieurs27. Ce système, souvent présenté
comme parfaitement rigide, est relativement fluide et adapté à la réalité économique, sociale
et religieuse de chaque région28. Alors que l’Inde rurale maintient ses traditions, de nouvelles
jatis apparaissent pour répondre aux exigences de la vie moderne des centres urbains. Les
spécialisations professionnelles des jatis ne sont plus l’élément essentiel dans l’Inde urbaine
d’aujourd’hui. Un individu de la caste des forgerons peut être informaticien ou ingénieur,
mais il se définira cependant toujours comme venant de sa jati originelle et préfèrera un
mariage endogamique. Alors qu’un individu ne peut s’extraire de sa jati pour prétendre à une
ascension sociale, une jati tout entière, adoptant des règles de pureté de plus en plus proches
de celles des brahmanes, peut en revanche s’élever dans l’échelle varnique, c’est ce qu’on
appelle la brahmanisation.
Tout individu extérieur à ce système est un Mlechcha (Gora Blanc ou Sanvla Noir). Il se situe
hors du cycle des réincarnations et est donc impur.
Une donnée également importante pour comprendre la culture hindoue est celle des concepts
de dharma et de karma. Le dharma est l’ordre, le devoir, en quelque sorte la « feuille de
route » que l’on reçoit lors de sa naissance. Le karma (de la racine kr – faire) quant à lui est la
somme des actes effectués au cours de sa vie. Le bilan de son karma par rapport à son dharma
détermine la nature de sa prochaine naissance, dans une jati supérieure ou une jati inférieure,
ou même dans un animal. Pauvre ou riche, pur ou impur, chacun est « responsable » de sa
propre renaissance qui ne doit rien à l’oeuvre du sort29. On ne recherche pas une vie meilleure
26 L’origine de cette impureté peut avoir été décrétée par un tribunal de caste qui aura exclu cet individu et sa
descendance de façon définitive de la jati. Les tribunaux de caste et « l’intouchabilité » sont, en principe, abolis
depuis la constitution de 1947, mais continuent d’exister sous forme de « conseils des sages » dans certaines
diasporas comme par exemple celle des Gudjuratis au Portugal.
27 Excluant de ce fait généralement le recours à la main d’oeuvre esclave.
28 Dans le sud de l’Inde, par exemple, il n’y a que deux varnas : les Brahmanes et les Śudras. Il y a aussi des
avarnas (Dalits). Par ailleurs, bien que l’Islam et le Christianisme abolissent, par essence même, l’idée de
différence entre les croyants, musulmans et chrétiens indiens perpétuent des formes proches du système des
castes. « Os brâmanes só casam com brâmanes. É engraçado que os que se converteram ao catolicismo
renunciaram a tudo o resto, mas à casta não. » (Les brahmanes ne se marient qu’avec des brahmanes. C’est
drôle, ceux qui se sont convertis au catholicisme ont renoncé à tout le reste, sauf à leur caste.) – ROSALES
Marta (2007), « Os “Goeses de Moçambique”.Trajectórias, posicionamentos e estratégias de integração de um
conjunto de famílias brâmanes convertidas ao catolicismo»- CEMME- Centro de Estudos de Migrações e
Minorias Étnicas.
29 Paradoxalement, dans la culture hindou où l’hérédité semble être omniprésente, on n’est pas réellement le fils
de ses parents.
8/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
dans l’incarnation présente, mais dans la prochaine. L’idée d’échapper à son sort,
« forcément » bien mérité, en quittant son lieu de naissance à la recherche d’un avenir
meilleur, est étrangère à l’hindouisme.
Verrouillé au nord par les chaînes de l’Hindou Kusch et de l’Himalaya et plongeant dans
l’océan indien entre le Golfe du Bengale et la mer d’Oman, le sous-continent indien se trouve
de fait isolé du reste du monde, isolement renforcé par les interdits qui frappaient tous ceux
qui s’en éloignaient, ce qui ne favorisa pas l’émigration de ses habitants au cours de
l’Histoire.
Pour les hindous, l’Inde est, du nord au sud, irriguée par sept fleuves sacrés, à savoir l’Indus,
le Gange, la Yamuna, la mythique Sarasvatî, la Narmada, la Godaveri et la Kaveri. Au-delà
des sources et des embouchures de ces fleuves, le monde est impur et celui qui s’en éloigne
rompt le cycle des réincarnations, devenant à sa mort un bhut (un revenant). Il est alors déchu
de sa caste et considéré comme impur. Des rituels parfois éprouvants et de fortes sommes
d’argent versées aux gourous pourront lui permettre de ne plus souffrir le rejet et l’ostracisme.
Bien observé par les Portugais dès le XVIe siècle, le tabou de la Kala Pani (eau noire)
interdisant aux hindous de s’embarquer sur des bateaux sous peine de devenir impurs, a fait
l’objet de nombreuses études et spéculations et d’aucuns interprètent le nombre insignifiant de
déplacements de populations hors de l’Inde, jusqu’à une époque récente, comme la
conséquence de cet interdit tenace.30
Malgré ces éléments culturels et religieux peu favorables à une expansion indienne hors de
son cocon géographique, celui-ci ne resta pas étanche. Le sous-continent, immensément riche,
a aiguisé depuis l’Antiquité toutes les convoitises31. Il a subi de nombreuses invasions de la
part des Perses, des Macédoniens, des Koushans, des Arabes dans le Sindh et des Huns
30 Clin d’oeil au tabou de la Kala Pani, le Ramayana, composé environ à partir du Ve siècle av. J.-C. va en
quelque sorte justifier la conquête du Sri Lanka. Il relate, entre autres, le rapt de Sita, épouse du roi Rama, par le
démon Ravana qui la détient dans l’île. L’armée des singes conduite par Hanuman construira un pont, le
« Rama’s Bridge » (en réalité une chaîne de bancs de roches sédimentaires), afin de relier le sous-continent à
l’île de Lanka, permettant ainsi à Rama de passer à pied sec sans enfreindre l’interdit de la Kala Pani.
Les britanniques avaient d’ailleurs avec cynisme baptisé le grand pénitencier construit aux îles Andaman, il y a
une centaine d’années, du nom de Kalapani Jail, introduisant ainsi la « double peine » - privation de liberté et
privation de renaissance. Les coolies n’acceptaient de s’embarquer que sur des navires conduits par des
musulmans, dotés de pouvoirs particuliers sensés conjurer le tabou de la Kala Pani, et avec la présence à bord
indispensable de chaudrons remplis d’eau du Gange. Ils se définissaient eux-mêmes comme « Kalapains ».
31 Des relations culturelles et commerciales entre l’Inde et le monde gréco-romain ont existé depuis des temps
très reculés (ivoire, épices, …). Les Grecs ont largement été influencés par les sciences indiennes, en particulier
dans les domaines de la médecine et de l’arithmétique (invention du zéro, par exemple). Quelques mercenaires
indiens ont fait aussi route vers l’occident. Hérodote décrivant la composition de l’armée de Xerxès, lors de la
bataille des Thermopyles, évoque la présence d’un contingent de soldats indiens dans l’infanterie. Et en 323
av. J.-C., le cortège funéraire d’Alexandre le Grand fut escorté par des mahouts (cornacs) indiens conduisant des
éléphants de guerre. Ces derniers feront forte impression et seront quelques temps utilisés par les armées
grecques et macédoniennes.
9/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Hephtalites. A partir du XIe siècle, de nombreuses dynasties turques puis turco-mongoles s’y
sont succédées pendant près de huit cent ans. Les Européens – Portugais, à partir du XVIe
siècle, suivis par les Britanniques, les Hollandais et les Français – y ont joué un rôle
prépondérant et les marchandises indiennes ont inondé les marchés mondiaux.
N’étant pas soumis aux mêmes interdits que les hindous, ce sont essentiellement des
musulmans, des chrétiens, des juifs, des parsis et des bouddhistes qui ont occupé le terrain des
échanges culturels et commerciaux vers l’extérieur de l’Inde32.
Après toutes ces constatations, il me semblait improbable que des hindous, Dalits compris,
aient quitté l’Inde de leur plein gré en cherchant à échapper à leur dharma et en espérant
trouver une vie meilleure ailleurs que sur la terre sacrée de l’Inde, au risque de devenir des
bhuta.
Migration et nomadisme
Il me sembla important, à ce stade de ma réflexion, de mieux définir ce que l’on entend par
« migration » et « nomadisme », termes employés généralement pour qualifier les
déplacements des ancêtres des Rroms, Sinté et Kalé.
En effet, les facteurs conduisant des populations à l’éloignement, temporaire ou définitif, de
leur terre d’origine peuvent être multiples.
Parfois volontaires :
§ le déplacement de populations plus ou moins nombreuses à la recherche d’une vie
meilleure, c’est ce que l’on entend généralement par le terme de migration ;
§ des déplacements temporaires liés à des relations et implantations commerciales, à des
travaux saisonniers ou à des pèlerinages ;
§ des trajets circulatoires réguliers de nomades pastoraux ou d’itinérants commerciaux
et artisanaux ;
32 Essentiellement vers l’Asie Centrale, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique de l’Est. A titre d’exemple, le Mozambique,
étape importante du commerce portugais vers l’Inde, a attiré un nombre significatif d’Indiens. En majorité
originaires de Goa, ils sont venus avec femmes et enfants. Ces chrétiens occupent des postes subalternes dans
la fonction publique et dans la banque. Quelques uns ayant fait des études de droit ou de médecine occupent des
professions libérales. Ils constituent aussi une partie importante du clergé. Les autres Indiens sont
essentiellement, depuis le XVIe siècle, des commerçants. A part quelques Parsis, ils sont très majoritairement
musulmans (sunnites, mais aussi et surtout Bohra ismaéliens) et sont généralement appelés par les Portugais de
façon péjorative, les « Monhés ». Par ailleurs, des Baneanes (Banians) commercent également avec le
Mozambique depuis 1686, date à laquelle le gouvernement portugais crée la Compagnie des Mahajans de Diu à
laquelle il confère le monopole du commerce entre le Mozambique et Diu dans le Gudjurat. Les Banians ne
représentent pas plus d’un quart de ces commerçants d’origine indienne. En général tous ces commerçants sont
des hommes qui retournent régulièrement voir leurs épouses restées au pays. Si la majorité d’entre eux entretient
des concubines indigènes, seuls les musulmans sunnites reconnaissent leurs enfants métis. En 1894, le
recensement dans la ville de Lourenço Marques (Maputo) relevait la présence de 188 Indiens dont 59 hindous
« Baneanes » et 129 musulmans « Monhés ». En 1940, ils étaient environ 10 000 dont près de 80 % de
musulmans.
10/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
§ la conquête de nouveaux territoires avec son cortège de batailles, d’invasions et de
colonisations.
ou bien alors forcés :
§ un exode provoqué par des conditions climatiques ou politiques dramatiques ;
§ une exclusion donnant lieu à une expulsion ou un bannissement et à un exil ;
§ une déportation de captifs réduits ou non en esclavage.
Quant au terme grec nomades (νομάς - faire paître), il s’applique aux propriétaires de
troupeaux effectuant des déplacement cycliques avec leurs cheptels afin de les conduire sur
des pâturages. Ces déplacements se font de façon très structurée, les nomades pastoraux étant,
soit devant notaire soit devant les lois coutumières, « propriétaires » ou encore « locataires »
sous contrats des dits pâturages.
On utilise également le mot nomade pour désigner les artisans et les commerçants itinérants33
qui depuis des siècles ont sillonné, de façon cyclique, des territoires où ils retrouvent
périodiquement une clientèle fidélisée qu’ils se transmettent de père en fils. 34
On aurait certes pu imaginer, qu’à l’époque qui nous intéresse, une circulation d’artisans et de
commerçants se soit développée entre l’Inde et l’Asie Mineure, mais l’étude de l’histoire de
l’Inde exclut toute circulation de cet ordre. D’autre part et à la même époque, les nomades
indiens, en l’occurrence assez peu nombreux, disséminés en petits groupes sur tout le souscontinent,
n’étaient pas particulièrement victimes d’ostracisme ni de persécution justifiant un
départ en exil.
On conçoit donc mal comment plusieurs milliers de familles nomades, parlant toutes la même
langue, aient pu se regrouper pour entreprendre une migration en direction de l’Asie Mineure.
A nouveau, ces observations trouvaient un écho dans les interrogations de Ian Hancock : « If
the Indians left as entertainers, traders, etc., how did they get to Anatolia? »35
L’idée de circulation de commerçants indiens le long des routes caravanières qui relièrent
Orient et Occident pendant de longs siècles, pouvait paraître une piste intéressante. Mais en
33 Les Anglo-saxons les appellent « Peripatetic nomads », du grec περιπατητικός (peripatētikos: qui marche en
rond.)
34 Des bouleversements climatiques, économiques ou politique, affectant la marche habituelle des cycles de
déplacements, peut entraîner un dérèglement amenant des nomades pastoraux à quitter leur « territoire ». De
même, des artisans et commerçants ambulants suivent leur clientèle si celle-ci quitte sa région. Au XIXe siècle,
l’industrialisation et l’exode rural qui s’en est suivi ont amené de nombreux itinérants à se déplacer vers les villes
où leurs anciens clients étaient venus s’établir. En France, de nos jours et tous les ans, nombre de commerçants
et artisans ambulants se déplacent pendant l’été vers les zones touristiques ou de villégiature délaissant les villes
« désertées ».
35 « Si les Indiens ont quitté l’Inde en tant qu’artistes, commerçants, etc. comment sont-ils arrivés en Anatolie. »,
op.cit., p.86.
11/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
réalité, aucune route terrestre directe n’assurait la liaison entre le sous-continent et I’Asie
Mineure. De plus, chaque tronçon était contrôlé par un Etat ou une entité et les caravaniers ne
suivaient pas d’un bout à l’autre une route commerciale. Les marchandises étaient échangées,
lors de haltes dans les caravansérails ou les oasis, chacun repartant de son côté. Seuls les
esclaves, considérés comme marchandises, pouvaient être acheminés sur de plus longues
distances.36.
Il n’était donc pas envisageable que plusieurs dizaines de milliers de caravaniers parlant le
même prakrit aient, comme un seul homme, prolongé leur trajet habituel pour prendre le
chemin de l’Asie Mineure et ne jamais revenir.
La diaspora « ignorée »
Le gouvernement de l’Inde reconnaît officiellement l’existence d’une diaspora composée de
« Persons of Indian Origin » (PIO) et de citoyens de l’Union Indienne, les « Non-Resident
Indian » (NRI). Cette diaspora est estimée à 20 millions de personnes, ce qui, pour un pays de
plus d’un milliard d’habitants, est particulièrement insignifiant37. Un rapport minutieux,
publié en Inde en août 2000, détaille les différentes présences indiennes à l’extérieur de l’Inde
depuis l’Antiquité. Une seule et brève allusion aux Rroms se trouve dans le chapitre consacré
à la diaspora indienne en Italie : « The Romas or the Gypsies who migrate to Italy claim to be
persons of Indian origin.38 » Ceux-ci, bien que reconnus par l’Inde comme étant d’origine
indienne, ne sont pas comptabilisés dans cette diaspora. C’est ainsi que dans les statistiques
officielles du gouvernement indien, on ne trouve par exemple en Roumanie que 2 personnes
d’origine indienne (PIO) et 489 ressortissants indiens39. La prise en compte des quelques 10 à
12 millions de Rroms, Sinté et Kalé dispersés de par le monde, augmenterait de façon
considérable ces chiffres. Mais le déni d’Histoire de cette migration, ignorée, volontairement
ou involontairement, par l’Union Indienne, contribue à maintenir ces populations dans une
position inconfortable face à leur légitimité en tant que ressortissants des pays où ils ont fait
souche depuis plusieurs siècles déjà.
36 Il est important ici de souligner qu’il n’y avait pas eu, avant le XIe siècle et les invasions turco-musulmanes puis
turco-mongoles, de traite endogène organisée d’esclaves indiens. Ceci étant à nuancer parce que certaines
personnes se « constituaient » esclaves afin de payer une dette ou d’échapper à la misère et à la mendicité. Par
ailleurs, les captifs de guerre effectuaient un travail d’« esclave » jusqu’au paiement de leur rançon. Une forme de
servage prévalait du fait de la spécificité de l’organisation de la société indienne. A partir de l’islamisation de
l’Inde et surtout des razzias ghaznévides, les esclaves furent surtout destinés au marché indo-musulman.
Certains furent aussi acheminés vers l’Asie Centrale (déportation importante vers Samarkand d’artisans qualifiés
et de femmes destinées aux harems après le sac de Delhi en 1398 par Tamerlan).
37 A titre de comparaison : il y a 10,6 millions de Grecs en Grèce et 6,7 millions à l’étranger, 60 millions d’Italiens
en Italie et 57 millions à l’étranger, 3,5 millions de Libanais au Liban et 13 millions à l’étranger.
38 « Les Roms ou Gitans qui migrèrent vers l’Italie prétendaient être d’origine indienne. » Report of the High Level
Committee on Indian Diaspora, New Delhi, 2000, p. 153
39 On estime actuellement qu’il y aurait environ deux millions de Rroms en Roumanie.
12/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Ainsi j’étais arrivée, par éliminations successives, à l’hypothèse suivante :
« Un seul déplacement, possiblement contraint, d’un groupe compact et
nombreux d’hommes et de femmes, vraisemblablement non-nomades,
originaires d’une région bien délimitée de la moyenne vallée du Gange et
parlant majoritairement la même langue vernaculaire, à partir XIe siècle. »
La déconstruction du modèle, jusqu’alors communément admis, s’était peu à peu imposée à
moi, sans intention particulière au départ. Toutefois, l’ensemble de ces constatations ne
suffisait pas à me fournir de clef pour comprendre comment s’était produit ce phénomène
migratoire qui m’apparaissait, de plus en plus, comme tout à fait exceptionnel.
L’hypothèse de l’esclavage militaire : ébauche d’un modèle plausible
Eric Paul Meyer, indianiste de renom, pose en 199940 la question d’un lien éventuel entre les
ancêtres des Rroms et les importantes déportations d’esclaves indiens par les Ghaznévides au
tout début du XIe siècle. Il cite en particulier le Kitab al-Yamini d’Abu Nasr al-’Utbi qui relate
la déportation d’un nombre important d’habitants des royaumes de Kanauj et de Mathura
situés dans la Moyenne vallée du Gange. Ce lot, acheminé d’abord vers Ghazni, sera
exceptionnellement destiné à un marché extérieur :
« Les 53 000 prisonniers [du raid effectué sur Kanauj] furent conduits à Ghazni, et des
marchands vinrent de cités éloignées pour les acheter, si bien que les pays de Nawara
an-Nahr [la Transoxiane, actuel Ouzbékistan], de l’Iraq et du Khorassan [nord-est de
l’actuel Iran] furent remplis d’Indiens ; les gens de teint clair et de ceux de teint
sombre, les riches et les pauvres, tous étaient mêlés dans une commune condition
d’esclaves. »
Ceci m’apparut comme le point de départ d’une piste plausible qui trouvait un écho dans
toutes les observations et constatations que j’avais faites précédemment, à savoir, qu’il
s’agissait là d’un groupe compact et nombreux, issu d’une même région, précisément de la
40 MEYER Eric Paul (1999). « Questions et hypothèses sur la migration des Rroms depuis l’Inde », INALCO,
Paris. Ce document rédigé en 1999 par Éric Paul Meyer, professeur d’Histoire du monde indien et vice président
de l’INALCO de 1994 à 2009, n’avait pas à l’origine vocation à être publié. Je pris connaissance de son
hypothèse dans la traduction française d’un document rédigé par Marcel Courthiade en 2001 « Originea poporului
rrom — realitate ṣi legendǎ » In: Mircea Itu & Julieta Moleanu Cultură ṣi civilizaţie indiană, manual universitar.
Bucarest, 2001. – (L’Origine du peuple rrom : chroniques et légendes)
13/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Moyenne Vallée du Gange, parlant donc la même langue vernaculaire, qui se trouvait contre
son gré déporté à l’extérieur de la terre sacrée de l’Inde. De plus, la relation avec la question
de l’esclavage des descendants d’Indiens dans les principautés roumaines sous domination
ottomane, trois siècles et demi plus tard, s’avérait évidente41.
Se posaient alors les questions suivantes :
Quel était le lien entre les Turcs Ghaznévides et les Turcs Ottomans ?
Que se passait-il dans le Khorassan et en Transoxiane au début du XIe siècle ?
Qui avait besoin d’esclaves et pour quoi faire ?
Y avait-il eu commande d’esclaves et par qui ?
L’étude du contexte historique et des conditions d’esclavage en terre d’Islam nous
permettrait-elle d’avancer quelques éléments de réponse42 ?
Dans l’état actuel de mes recherches, un modèle, adossé à un contexte historique palpable,
s’ébauche peu à peu.
Au début du XIe siècle, la Transoxiane et le Khorassan passent sous la tutelle des Turcs
Seldjoukides, sunnites iranisés, d’abord alliés43 puis ennemis des Ghaznévides.
Le véritable dessein de l’armée seldjoukide est la guerre sainte contre les chiites Bouyides qui
dominent Bagdad et contre les Fatimides qui règnent sur le Caire. Ils entreprennent de se
constituer une armée puissante et multiethnique, comme le préconise Nizam Al-Mulk44 dans
son Seyasat-nameh (Traité de gouvernement), chapitre 24 :
Il est nécessaire d’avoir des troupes de races différentes
Il est très dangereux d'avoir une armée composée d'hommes ayant tous la même origine; ils n'auront
aucune émulation pour bien servir et susciteront des désordres. Il faudra donc que toutes les races de
l'empire fournissent des soldats. (…)
Voici quel était à ce sujet le système de Sultan Mahmoud. Il avait dans son armée des soldats de plusieurs
races différentes : des Turcs, des Khorassaniens, des Arabes, des Indiens, des Deïlémites et des gens de
Ghour. Lorsqu'on était en campagne, on désignait dans chaque troupe les hommes qui chaque nuit
devaient se livrer au repos. L'emplacement occupé par chaque nation était bien en vue et aucun
détachement n'osait bouger jusqu'au jour, par crainte de celui qui l'avoisinait.
Lorsque le combat était engagé, chaque race faisait preuve de vaillance et combattait avec plus de vigueur
pour conserver intacts son honneur et sa bonne renommée, afin que l'on ne vint à dire : « Pendant la
41 En effet, l’analyse qui consiste à considérer que ces familles aient pu être réduites subitement en esclavage
dès leur arrivée sur le sol roumain semblait peu vraisemblable, parce que l’esclavage implique des filières et un
véritable marché organisé qui, comme nous l’avons déjà évoqué, n’a jamais existé entre le monde indien et
l’Occident.
42 CLANET DIT LAMANIT Elisabeth (mars 2006). « Huit siècles d’esclavage oublié », communication au colloque
sur L’esclavage des Roms, Paris.
(2007). « Les Silences de l’Histoire », in L’esclavage des Roms, Etudes Tsiganes, n° 29, Paris.
(2007). « Teriam sido os antepassados dos Ciganos escravos militares dos Turcos? », in Ciganos e
Cidadania(s), Cadernos ICE, nº9, Setúbal.
43 Des troupes Seldjoukides accompagnent régulièrement Mahmoud de Ghazni lors de ses razzias en Inde.
44 Grand vizir des sultans seldjoukides Alp Arslan et Malik Shah Ier de 1063 à 1092.
14/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
bataille, telle race s'est comportée avec mollesse. » Toutes les troupes faisaient tous leurs efforts pour
l'emporter en courage l'une sur l'autre.
Se posait alors la question suivante : Quelles compétences particulières les Seldjoukides
recherchaient-ils en Inde45 ?
Les troupes Seldjoukides étaient composées de cavaliers légers Turkmènes et d’esclaves
militaires d’élite, les Ghulams46, cavaliers lourds et fantassins cuirassés hautement spécialisés
et entraînés. Mais les Turcs n’étaient pas très nombreux47 et chaque cavalier d’élite avait
besoin d’esclaves pour assurer les tâches subalternes. Certains en possédaient jusqu’à une
centaine. Les razzias Ghaznévides en Inde provoquèrent un afflux d’une nouvelle source
d’approvisionnement en main d’oeuvre esclave qui ne pouvait qu’intéresser une armée en train
de se constituer.
Mais les Turcs - qui ne produisaient ni les armes ni les armures, ni même le matériel
nécessaires aux campements 48 - recherchaient surtout des forgerons49 (et leurs auxiliaires,
récupérateurs et négociants en métaux50) détenteurs de techniques très pointues pour la
fabrication des armes et des armures. L’Inde était à cette époque le premier producteur
d’armes au monde et ses forgerons étaient considérés comme des techniciens et ingénieurs
hautement spécialisés.
Il est donc parfaitement imaginable que les Turcs aient recherché en priorité les compétences
et la main d’oeuvre qui leur faisaient défaut.
45 L’Inde possédait des compétences militaires particulières et enviées de tout temps, tels ses éléphants de
guerre. Autour de chaque éléphant, on trouvait des jatis très spécialisées : cornacs, vétérinaires, forgerons, mais
aussi musiciens – indispensables au dressage – et un nombre impressionnant de subalternes assurant
l’acheminement de tonnes de fourrage et de milliers de mètres cubes d’eau indispensables aux pachydermes,
ainsi que l’évacuation des déjections quotidiennes. Chaque éléphant était entouré et défendu par une infanterie
spécialement entraînée. Les Turcs étaient fascinés par ses véritables chars d’assauts vivants. Les éléphants de
guerre ne seront pas utilisés autant que prévu. Ils sont peu fiables, parce que sous l’emprise de drogues qui
déclenchent chez eux le « Musth » qui les met dans un état très agressif, ils se retournent souvent contre leur
propre camp, provoquant de terribles ravages. Mahmoud de Ghazni en capturera environ 8 000 lors de ses raids
(de Kanauj, les Ghaznévides déportèrent 350 éléphants, dont l’éléphant du Rajah qui se livra lui-même à
Mahmoud) et il les conduira jusqu’à ses écuries monumentales de Ghazni. Par contre, le climat indien ne permet
pas l’élevage de chevaux. On les importe massivement d’Asie centrale. Plus de 90% des chevaux meurent dans
les premiers mois de leur arrivée, les Indiens ne savent pas les soigner et leur donnent de la nourriture cuite.
Certes ils sont employés dans les armées en particulier comme garde rapprochée pour la protection des
éléphants, mais les Indiens n’ont pas, en tant que cavalier, le niveau très supérieur des Turcs.
46 Ce mot signifiant en persan « jeunes hommes » est utilisé pour désigner les esclaves militaires de hauts rangs,
formés dès leur plus jeune âge aux arts de la guerre, en particulier à la cavalerie lourde. Les croisés les appellent
« Angulani » et les décrivent avec leurs armures.
47 A l’époque, les Arabes expliquent le peu de naissances chez les Turcs par le fait qu’ils montent trop souvent à
cheval.
48 Des entreprises des sociétés sédentaires se spécialisent dans des productions destinées à ce marché
nomade.
49 Les armées nomades turques et mongoles les réduisent en esclavage et les font travailler jour et nuit. - PAUL
Jürgen., Perspectives nomades. État et structures militaires, Annales. Histoire, Sciences Sociales 2004/5-6, 59e
année - GOLDEN Peter Benjamin (2001) "The Terminology of Slavery and Servitude in Medieval Turkic" (Book
Chapter in Studies on Central Asian History in Honor of Yuri Bregel)
50 Pour que les forgerons puissent travailler il fallait leur apporter la matière première, c'est-à-dire les métaux.
Certaines castes étaient spécialisées dans la récupération et l’achat de métaux.
15/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
D’autres qualifications étaient-elles également recherchées comme celles de soigneurs et de
vétérinaires51 mais aussi de musiciens, toujours présents dans les armées, et en particulier
utiles au dressage et à l’entraînement des animaux de combat.
Il paraît, en tout cas, probable que l’on ait capturé et déporté, non pas « une ville entière »
avec vieillards et enfants, mais uniquement, comme lors des raids précédents, des jeunes gens
suffisamment vigoureux, mais aussi de nombreuses jeunes femmes52.
Il n’est par contre guère plausible que les Turcs se soient encombrés de Brahmanes53 dont les
compétences ne leur étaient d’aucune utilité, ni de Dalits, ce qui aurait considérablement
compliqué l’acheminement de ces esclaves du fait des interdits de cohabitation frappant les
différentes jatis entre elles.
Le seul document dont nous disposons à ce jour, témoigne de la déportation d’un important
lot d’esclave provenant du royaume de Kanauj, mais rien ne nous permet d’affirmer que tous
les esclaves indiens achetés par l’armée seldjoukides provenaient uniquement de cette razzia.
Il est hautement probable que l’on ait surtout recherché des castes mobiles traditionnellement
au service des armées et bien souvent originaires de l’Awadh 54 toute proche.
Après la bataille de Dandanakan en 1040, à l’issue de laquelle les Ghaznévides furent vaincus
par les Seldjoukides, ces derniers se mirent en marche vers Bagdad et libérèrent le Calife en
1055, de la pression des chiites Bouyides. Celui-ci donna à leur chef, Tugrul-Beg, le titre de
Sultan. Devenant garant de l’orthodoxie sunnite, sa mission était désormais de conquérir le
Caire où règnaient les chiites Fatimides. Mais le climat n’étant pas propice aux troupeaux55,
les Seldjoukides et leurs mercenaires Turkmènes investirent les régions septentrionales
51 Les blessures au combat sont fréquentes tant sur les hommes que sur les montures et la médecine
ayurvédique est bien plus avancée (sutures des plaies, réduction fractures, amputation, extraction de corps
étrangers, traitement de la fièvre, oedème, abcès….) que celle des chamanes turcs.
Ce sont d’ailleurs ces compétences de soigneurs des Ciganos, dits « Gregos » puis « Gringos », au Brésil -
mises au service de l’industrie esclavagiste dès le XVIe siècle pour soigner les esclaves africains qui sortaient des
cales de navires négriers, malades et couverts de plaies – qui les orientera vers une activité plus lucrative, celle
du commerce d’esclave, et ce, jusqu’à l’abolition de l’esclavage au Brésil, en 1888.
52 « Allah also bestowed upon his friends such an amount of booty as was beyond all bounds and all calculation,
including five hundred thousand slaves, beautiful men and women » Raid de Peshawar 1001-1002 in Jihad in
India’s History.
« On this occasion, the Muhammadan army brought to Ghaznín 200,000 captives, so that the capital appeared
like an Indian city, for every soldier of the army had several slaves and slave girls. » Tarikh-i Firishta XVIe siècle.
53 Les déportés, privés de leur Guru – et par là même de la transmission du sanskrit – et ayant foulé une terre
souillée hors de l’Inde, ne seront, ipso facto, plus des hindous.
54 A noter que l’awadhi est une langue très proche de la base indo-aryenne du rromani.
55 GUILLELMUS TYRENSIS, De ortu et prima origine gentis Turcorum « Gens igitur Turcorum, seu
Turcomannorum (nam ab eodem habuerunt originem) ab initio septentrionalis fuit […]. Migrantes autem,
universam secum suam substantiam transferebant, equitia, greges, et armenta, servos et ancillas. » Donc, cette
race Turque ou Turkmène (car ils ont la même origine) fut au début septentrionale […] Mais migrants, ils
transportaient avec eux leurs biens, leurs chevaux, leurs troupeaux de petit et de gros bétail, les esclaves et
servantes.
16/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
syrienne puis anatoliennes56 pour faire paître leurs bêtes. Les fréquentes incursions et pillages
des tribus Turkmènes en Anatolie toute proche inquiétèrent l’empereur romain d’Orient,
Romain Diogènes IV. Celui-ci massa des troupes en Arménie. 200 000 hommes du côté
byzantin contre 50 000 du côté seldjoukide s’affrontèrent à Manzikert en août 1071. Contre
toute attente, ce furent les Seldjoukides qui l’emportèrent. L’empereur fut capturé et humilié,
et sa libération négociée contre l’installation des Turcs en Romanie Byzantine. En 1086,
Nicée devint leur capitale.
« Meanwhile the Lord became filled with rage and sent many [foreign] peoples for vengeance. [He
brought] from the Mountains of the Moon and from the great river crossing northern India, wicked peoples
speaking foreign tongues to flood like gushing water over our lands; to establish their headquarters by the
shores of Ocean Sea [? Caspian Sea] and to pitch their tents opposite the great city, filling up our entire
land with blood and corpses and eliminating the orders and religion of Christianity.»
Aristakes Lastivertc’i57, Récit des malheurs de la nation arménienne (1072-1079) chap. 2558
« …le puissant satrape des Perses et des Assyriens, nommé Belpheth59, sortit des frontières les plus
reculées de l'Orient, traînant à sa suite une multitude de nations, dépourvues de toute croyance, qu'il serait
impossible d'énumérer, et qui eussent pu suffire à couvrir la face de la terre… »
Guillaume de Tyr 60
Cet événement fut l’élément déclencheur de la première croisade. Les Francs expulsèrent les
Turcs de Nicée en 1097 et les repoussent vers l’Est de l’Anatolie où ceux-ci fondèrent le
Sultanat de Roum61.
Trente-six ans seulement s’étaient écoulés entre le départ de l’Inde en 1018 de ces esclaves et
les premières incursions turques en Asie Mineure en 1054. Dix-sept ans plus tard, en 1071, ils
s’installaient durablement dans ces contrées62. Cette « migration » n’était pas passée
inaperçue et avait bien été évoquée par les chroniqueurs de l’époque, comme je le supposais
au tout début de mon étude.
56 Ils sont dès 1054 à Van, en 1057 à Malatya, en 1059-1060 à Sivas, 1062 à Malatya et Diyarbakir et prendront
Ani, la capitale de l’Arménie, en 1064, provoquant un exode massif de populations arméniennes qui se verront
attribuer par l’Empereur Byzantin, un territoire en Cilicie, que l’on appellera bientôt, la « Petite Arménie ».
57 Aristakes Lastivertc’i est un clerc et chroniqueur arménien du XIe siècle. Son Récit des malheurs de la nation
arménienne a été rédigé entre 1072 et 1079. Il y décrit les événements ayant eut lieu entre 1000 et 1071 et en
particulier les invasions seldjoukides à partir de 1047, la prise de la ville d’Ani en 1064 et la bataille de Manzikert
en 1071. Ses informations confirment et complètent les sources byzantines, arabes et iraniennes.
58 Traduction de Robert Bedrossian - Récit des malheurs de la nation arménienne (1072-1079) chap. 25 - (Alors
le Seigneur se mit en colère et envoya pour se venger de nombreux [étrangers]. [Il fit venir] des Montagnes de la
Lune et du grand fleuve qui traverse le nord de l’Inde des gens méchants parlant des langues étrangères qui se
répandirent comme des torrents d’eau sur nos terres pour établir leur commandement sur les bords de la mer
océane [la mer Caspienne ?]et planter leurs tentes en face de la grande ville, en recouvrant notre terre toute
entière de sang et de cadavres et en éliminant l’ordre,et la religion chrétienne.)
59Alp-Arslan, second sultan des Turcs seldjoukides, qui régna de 1063 à 1072.
60 Op.cit.
61 L’ancienne Romanie Byzantine (Asie Mineure).
62 L’Asie Mineure fut, à l’intérieur de l’immense empire Seldjoukide, l’unique territoire donnant lieu à un
mouvement de colonisation effective.
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Fig. 2 - ©Google map
A ce stade, mes recherches et les interrogations de Ian Hancock convergeaient une fois
encore :
If the Indians left as a military force, how did they get to Anatolia?
If, as Soulis and Fraser63 have said, the Seljuqs were undoubtedly responsible for the entry of
(pre-)Romanies into Anatolia, what were the circumstances of this? Where did the Seljuqs
find them and why would they have bothered with them if they didn’t already constitute part
of the Seljuq advancement? »64
Le sultanat de Roum, berceau de la langue rromani
Les Turcs se sédentarisent. Ils construisent des villes, des palais et des édifices grandioses. Le
commerce et l’artisanat se développent. On construit des routes, des caravansérails. Les
Seldjoukides vont faire de l’Anatolie la plaque tournante d’un commerce florissant dont ils
accordent le monopole maritime aux Vénitiens. Le Sultanat devient une des régions les plus
riches de l’époque.
Les esclaves vivent dans des quartiers à l’écart et sont tenus de porter un costume distinctif.
C’est là que va naître et se fixer une langue propre sur une solide base indo-aryenne, dont la
cohérence linguistique nous permet de supposer qu’une majorité de ses locuteurs, en tout cas
de ses locutrices, devaient venir de la même région et parlaient la même langue vernaculaire.
63 FRASER Angus M. (1992), “The Gypsies, Peoples of Europe Series”, Oxford, Basil Blackwell, p.46; SOULIS
George C., “The Gypsies in Byzantium and the Balkans in the Late Middle Ages”, Dumbarton Oaks Papers 15,
pp.142-165.
64 Si les Indiens sont partis en tant que force militaire, comment se sont-ils rendus en Anatolie ?
Si, comme l'ont dit Soulis et Fraser, les Seldjoukides ont été indubitablement responsables pour l'entrée des
(proto-)Rroms en Anatolie, quelles en ont été les circonstances ? Où les Seldjoukides les ont-ils trouvés, et
pourquoi se seraient-ils encombrés d'eux s'ils n'avaient pas déjà constitué une partie de l'avancement
Seldjoukide?" - HANCOCK, Ian, op.cit. p.86
18/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Celle-ci fut enrichie par les langues parlées en Anatolie, c'est-à-dire, le néo-persan, langue
officielle du Sultanat, mais aussi et le grec et l’arménien65.
Il n’est pas impossible qu’une partie, probablement minoritaire, de ces esclaves d’origine
indienne aient réussi à réinvestir leurs compétences (travail et commerce des métaux, soin et
commerce des chevaux) sur d’autres types de marchés et à s’enrichir suffisamment pour
racheter leur affranchissement66, alors que la grande masse de leurs compagnons d’infortune,
toujours sous le statut d’esclaves, continuait de croupir misérablement sous des bâches ou les
toiles des tentes avec lesquelles ils étaient arrivés67.
Emigration vers les Etat latins, l’Empire byzantin et les Comptoirs vénitiens
La poussée des Mongols Ilkhanides dans la seconde moitié du XIIIe siècle provoqua
d’importants mouvements de populations. De nombreuses tribus Turkmènes – parmi
lesquelles les futurs Ottomans – ainsi que beaucoup d’Iraniens et de Kurdes demandèrent
asile au Sultanat de Roum. C’est à cette époque que quelques compagnies d’origine indienne
(affranchies ?) commencèrent à s’installer, en tant qu’artisans ou militaires, à Constantinople
et en Thrace - à l’époque possessions latines – ainsi que dans les Comptoirs vénitiens où des
pèlerins occidentaux, en route vers la Terre Sainte, remarquent leur présence, à Candie en
1322, puis à Nauplie et Modon en 1350 et à Corfou en 1386. On les désigne déjà sous
plusieurs termes comme Tsigani ou Romiti, Romaivi ou encore Aegipti ou Gipti.
Ethnonymes
Mes recherches m’amènent à reconsidérer les hypothèses qui ont été avancées jusqu’à présent
et qui relèvent plutôt d’un lien avec une intouchabilité présupposé des ancêtres des Rroms,
Sinté et Kalé - telles que celle dérivant du nom attribué précédemment à une secte
manichéenne, les « Athinganoi », ou encore à la caste des Ḍomba - et à proposer d’autres
pistes étymologiques pour les ethnonymes les plus largement diffusés.
Le terme rrom désigne à la fois le mari, l’époux et également le « peuple » rrom. Ces deux
homonymes ont à la fois deux sens, et à mon avis, probablement deux étymologies
différentes. Le substantif rrom/rromni (l’époux/l’épouse) se retrouve en sanskrit
65 Les Seldjoukides, les Turkmènes et leurs esclaves indiens ne représentent pas plus de 10 % de la population
d’Anatolie qui continue à être composée majoritairement de Grecs et d’Arméniens.
66 Pour s’affranchir ils doivent se convertir obligatoirement à l’Islam. Hypothèse qui semble d’autant plus probable
qu’eux-mêmes déclarèrent, en arrivant au début du XVe siècle en Europe occidentale, être chrétiens mais avoir
été « Sarrasins » auparavant, c’est-à-dire musulmans.
67 Les bidonvilles n’étant pas une invention du XXe siècle, ont peut aisément imaginé qu’ils aient survécu
misérablement dans des quartiers « ghettoïsés » des grandes villes du Sultanat de Roum.
19/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
raman/ramani (l’époux/l’épouse) et en hindi (raman /ramni)68. Alors que l’ethnonyme
« Rrom » serait lié à l’installation prolongée et fondatrice de ces populations dans le Sultanat
de Roum69.
L’origine du terme Tsigane70, est à mon avis, plutôt à rapprocher du mot utilisé par les Turcs,
Çigan, lui-même dérivé du mot persan tchugan qui désignait le maillet utilisé dans le jeu de
polo et par extension ce sport lui-même, et qui donna tzykanion en grec et ciocan (le marteau)
en roumain71. Par glissement sémantique ce mot a pris le sens de jockey mais aussi de
marchand de chevaux, terme qui a pu être utilisé pour désigner certains de ces descendants
d’Indiens spécialisés dans le commerce des chevaux et étendu par la suite à une grande partie
de ces populations.
Quant à l’appellation « Egyptien », une piste à creuser serait peut-être la mise en relation avec
un épisode historique. Au moment de la poussée mongole, les Mamelouks d’Egypte
« s’allient » aux Etats Latins pour livrer bataille à Aïn Jalut en 1260. Ils recrutent des troupes
à Constantinople (Etat Latin de 1204 à 1261) et il n’est pas exclu que certaines d’entre elles
aient été d’origine indienne. Leur teint basané, plus proche de ceux des Egyptiens que des
Turcs ou des Arabes, serait peut-être à l’origine de ce « surnom » comme cela était fréquent
dans les armées72. Une ou plusieurs de ces compagnies, entrées au service des Latins, auraient
pris part aux conflits contre les Byzantins et se seraient vues récompensées, comme cela était
fréquent à l’époque73, par l’attribution d’une petite principauté ou d’un duché dit de « Petite
68
Platts John Thompson 1884, A dictionary of Urdu, classical Hindi, and English. London: W. H. Allen & Co.
69 Le terme Romaioi Pωμαίοι était d’ailleurs l’autonyme de n’importe quel habitant d’Asie Mineure. Les Rumi sont
les Grecs pour les Arabes, les Turcs pour les Indiens, et le terme Romaniote désignait les juifs hellénisés.
70 Τσιγγάνοι (grec) Цигани (bulgare) Ţigani (roumain), Cigány (hongrois), Цыгане (russe), Cigano (portugais)
71 Le jeu fut rapporté en France par les Croisés sous le nom de mail et le mot tzykanion évolua en chicane dans
le sens de manoeuvres processives. Je remercie, mon ami, Luίs Filipe Thomaz, philologue et historien de m’avoir
mis sur cette piste qui me paraît présenter une pertinence certaine.
72 On retrouve la même formation de surnoms dans d’autres régions d’Europe : les Flamencos servant dans
l’armée des Flandres, les Preistike Manuś servant l’armée prussienne, les Sinté Estreharja servant l’armée
d’Autriche Hongrie.
73 A titre d’exemple, les mercenaires bourguignons conduits par Henri de Bourgogne, fils cadet de grande famille
entré au service du roi de Léon, s’étaient vus récompensés en 1095 par l’octroi d’un petit comté, le Condado
Portucalense, embryon de ce qui deviendra plus tard le Portugal.
20/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Egypte »74 situé vers l’Epire. L’arrivée en Europe occidentale des Ducs et Comtes de Basse
Egypte aurait ensuite contribué à la diffusion de ce terme.75
Exil vers l’Europe occidentale
Ces populations, installées en terres byzantines ou latines, converties entre temps au
christianisme - et donc frappées d’apostasie et passibles de la peine de mort aux yeux des
musulmans - fuient en masse ces régions au fur et à mesure de l’avancée des armées
ottomanes dans les Balkans à la fin du XIVe siècle, provoquant deux grands exodes : l’un en
direction de l’Empire Austro-hongrois puis de l’Empire Germanique et l’autre vers le sud de
l’Italie.
Les premiers, provenant du Duché éphémère dit de « Petite Egypte » s’arrêtent, dès le danger
écarté, massivement en Hongrie, pendant que certains poursuivent leur route vers le Saint
Empire Romain Germanique, les Flandres et le Royaume de France. Les autres, traversant
l’Adriatique vers le sud de l’Italie, intégrée peu après au Royaume des Rois Catholiques,
rejoignent par des bateaux génois le sud de l’Espagne après la prise de Grenade (1492). Le
sud de l’Espagne vient d’être vidé d’une grande partie de ses habitants juifs et musulmans qui
refusent la conversion au christianisme. Cet espace déserté constitue un formidable appel
d’air pour ces réfugiés chrétiens dits « Grecs ». Dans le contexte politique de l’assimilation
générale, on les invite fermement à s’installer et à occuper rapidement les offices laissés
vacants par les juifs et les morisques et à abandonner leurs particularismes, c’est-à-dire leur
langue et leur costume singulier.
Leur insertion en Europe occidentale est chaotique et conditionnée par des politiques
contradictoires : persécutés ou contraints de circuler, après une période relativement faste
durant laquelle ils servent les armées privées de grands seigneurs féodaux (France,
Allemagne)76, sommés de s’assimiler (Espagne puis Hongrie), ou encore transportés vers les
colonies (Portugal vers le Brésil). Certains finissent par trouver leur place dans le tissu
économique en s’adaptant au « marché » : commerçants et artisans itinérants, maquignons et
même marchands d’esclaves au Brésil. Une partie d’entre eux partage les mêmes « niches »
économiques et le même mode de vie que les nombreuses populations itinérantes locales, les
ancêtres des Pirdés, Yéniches et autres Pavees.
74 Nom tiré de la présence importante de populations que l’on appelle Egyptiens, comme cela était courant à
l’époque, à l’instar de ce qui s’était passé en Cilicie devenue « Petite Arménie ».
75 En Catalan puis Castillan: Egiptano, Gitano – français : Gitan. Anglais : Gypsy
76 Comme l’ont mis en lumière François Vaux de Foletier et Henriette Asséo. - VAUX DE FOLETIER François
(1971). Mille ans d'histoire des Tsiganes, Fayard, Paris.- ASSEO Henriette (1994). Les Tsiganes, une destinée
européenne, Découverte, Gallimard, Paris.
21/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Esclaves livrés aux Valaques et Moldaves
Pendant ce temps, la majorité des descendants d’Indiens, toujours maintenue en esclavage en
Anatolie, est entraînée par les Ottomans dans leur conquête des Balkans et livrée massivement
aux Valaques et aux Moldaves poursuivant ainsi, sous d’autres formes, un esclavage qui aura
duré en tout près de 850 ans. Le trafic des esclaves étant assuré, pour le compte des Ottomans,
essentiellement par les Tatares de Crimée, il est vraisemblable que ces derniers aient récupéré
dans les décombres du Sultanat de Roum un grand nombre d’esclaves d’origine indienne77.
Quelques réflexions autour de l’identité ou des identités rromanis
Que reste-t-il aujourd’hui de « Mother India » ?
Quel est réellement l’héritage indien partagé par ces populations, résolument européennes,
sinon l’écho78 d’une langue qui s’est transmise depuis près de 1000 ans, en dehors de son
contexte linguistique et sans « récit » fondateur de référence, ce qui est un phénomène
exceptionnel ; mais également une « empreinte » de la jati ou plutôt du gotra79, c’est-à-dire, la
conscience d’appartenir à un groupe - souvent, mais pas toujours, lié à une spécialisation
professionnelle - ayant ses propres spécificités et valeurs.
En dehors d’Inde et au delà du Mont Meru entouré de son océan protecteur, se trouvent les
terres souillées et l’omniprésence de l’impur blanc : le Gor, le Gadjo. Constante à géométrie
variable, la figure du Gadjo80 est tour à tour le « sédentaire »81 ou tout simplement
« l’autre »82.
77 A noter que seuls ceux qui apparaissent sans religion sont réduits en esclavage. Les musulmans en sont donc
exclus.
78 Si le rromani proprement dit possède un vocabulaire très consistant, le gaśkeno sinto ne compte plus environ
que 1 500 termes d’origine indienne, persane, arménienne et grecque, le reste, à peu près 1 500 mots, est
emprunté à l’allemand. Pour ce qui est du kalo ibérique et suite aux interdictions de parler leur langue dont furent
victimes les Gitans d’Espagne, il n’y reste plus guère qu’une centaine de mots rromani, alors qu’au Brésil
certaines familles en conservent encore environ 500.
79 La viça. Ceci sans comparaison possible avec le système de classification varnique.
80 A noter que gadjo tire sans doute son étymologie du verbe 3ana (hindi), 3av (rromani) aller, tout comme le mot
gadja éléphant, c’est-à-dire celui qui va, qui se déplace. Les premiers Gora qu’ils rencontrent, les Turcs, ne sontils
pas justement nomades…
Ian Hancock propose une autre interprétation intéressante : « Military allusions are also found in the words for
non-Romanies. The most common, gadjo, derives from Sanskrit GaahRYa- garhya- via Prakrit GaaJw- gajjha
which means “domestic,” “non-military” or “civilian.” In Romani words for Romanies and non-Romanies. », 2004.
81 Pour les Voyageurs aussi bien Manouches que Pirdés ou Yéniches.
82 Petite liste « à la Prévert » non exhaustive de mots étonnamment similaires, désignant l’autre, le « non-nous » :
Gor, Gora (hindi), Giaour (persan), Guer (hébreu), Goï, Goïm (yiddish), Gaouri (arabe dialectal), Gaijin (japonais),
Guaïlos (cantonais), Ngoai (vietnamien), Gussak (inuit), Gabach (occitan), Gallois (Bretagne), Gachupines
(Mexique), Galego (Brésil, Argentine), Guero (Chili), Godo (Canaries), Gringo (Amérique Latine) - ce dernier
venant de Grego, en fait les premiers Kalé arrivés au Brésil… Il ne s’agit ici bien sûr que de coïncidences.
22/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
De l’extermination à l’expression d’une identité en tant que « peuple »
Si les ancêtres des Rroms, Sinté et Kalé étaient probablement issus majoritairement de la
même région et parlaient la même langue vernaculaire, il ne s’agissait pas d’une population
sociologiquement homogène et encore moins d’un « peuple » – notion anachronique dans le
contexte historique tant indien qu’européen de l’époque à laquelle se situe cette déportation.
Les persécutions nazies qui les désignaient comme « peuple », occasionnèrent une prise de
conscience identitaire et l’on assista, dans la seconde moitié du XXe siècle, à un mouvement
de renouveau linguistique et culturel, ainsi qu’à de nombreux échanges entre des
communautés qui ignoraient jusqu’alors leurs existences réciproques.
Tsiganité/Rromnipe entre menace et perpétuation
Les persécutions et le rejet ainsi que la permanence d’une forme de structure sociale parfois
encore proche du système des castes ne permettent pas à eux seuls d’expliquer la non
dissolution - en quelque sorte la résistance « passive » ou non violente à l’assimilation - de
ces communautés dans les sociétés majoritaires dans lesquelles elles sont insérées83 depuis de
longs siècles.
La « tsiganité » est l’héritage de toute cette Histoire, de toutes ces mémoires, ce sentiment
identitaire qui cimente les membres de ces divers groupes familiaux. Mais ce sentiment
d’appartenance - qui n’est lié de fait ni à une langue (perdue pour beaucoup d’entre eux), ni à
des coutumes communes - est sans cesse remis en question et menacé, ceci se manifestant
dans la crainte de la « gadjikanisation » c'est-à-dire la peur de perdre son identité en s’écartant
du groupe soit par contraction d’un mariage mixte, soit par l’abandon individuel84 ou même
collectif85 de la ou des activités économiques traditionnelles, soit par l’exclusion ou le
bannissement décrété par délibération d’un conseil des sages86.
83 Il ne faut pas confondre insertion (économique), intégration (citoyenne) et assimilation (culturelle). Il ne s’agit
pas non plus de marches à gravir, mais de modèles différents pour se faire une place dans un corps social
allogène.
84 Certains métiers « traditionnels » comme rempailleur ou affûteurs de couteaux ont été remplacés par d’autres
comme par exemple l’élagage ou le nettoyage des façades, et adoptés par toute une famille ou communauté.
85 “Recentemente, no dia de finados, quando visitava o jazigo do meu pai e aproveitava para ver e falar com os
meus tios e primos, dois destes, com sensivelmente trinta e poucos anos de idade, diziam, ou melhor, um dizia, e
o outro concordava, que «os ciganos vão acabar». Questionei a razão de ser de tal afirmação e eles justificavam
e argumentavam com o facto de as feiras e/ou mercados estarem a acabar. A acabar, não no sentido de não se
realizarem, mas por não serem rentáveis ou compensadoras como forma de subsistência da família e, no seu
raciocínio, acabando as feiras, acabando o negócio, acabam os ciganos”. (Récemment, le jour des défunts, alors
que je m’inclinais sur la tombe de mon père et que je profitais de l’occasion pour revoir et discuter avec mes
oncles et mes cousins, deux d’entre eux, d’environ une trentaine d’années disaient, ou plus exactement, l’un
disait et l’autre acquiesçait, que les « Ciganos allaient disparaître ». Je lui posais la question sur le pourquoi d’une
telle affirmation et ils la justifiaient et l’argumentaient par el fait que les foires et/ou les marchés étaient en train de
disparaître. C'est-à-dire non pas dans le sens qu’il n’y en ait plus, mais parce qu’elles n’étaient plus rentables ou
compensatrices comme forme de subsistance de la famille et, selon son raisonnement, plus de foires, plus de
23/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Cette forte insécurité identitaire87 et le discours récurrent sur l’authenticité rromani88 est
paradoxalement, à mon sens, une des clefs pour comprendre la perpétuation de cette
« tsiganité » basée sur des règles à la fois strictes et flexibles, sans cesse réinventées pour
s’adapter à l’évolution des sociétés majoritaires. Le formidable essor des conversions à
l’évangélisme et l’adoption d’une religion commune est peut-être la manifestation ultime de
cette tentative de sauvegarder cette « tsiganité » au risque de la perdre.
Nomades ou sédentaires ?
La question du nomadisme qui apparaît à certains observateurs, mais également en interne89
comme structurelle des Rroms, Sinté et Kalé, est dénoncée par d’autres comme une
construction stéréotypée et due au rejet et à la non intégration ces populations en Europe.
Il est difficile à ce stade de mes recherches d’avoir une réponse tranchée sur ce sujet. En effet,
dans la plupart des pays d’Europe, mais également dans le nouveau monde, des communautés
mobiles et d’autres, d’ailleurs majoritaires, sédentaires ont coexisté. Comment interpréter ce
phénomène ? Si nous admettons comme pertinente l’hypothèse de l’esclavage militaire, ces
populations ne constituaient pas un « peuple », et étaient relativement hétérogènes, à
l’intérieur toutefois de profils utiles aux armées turques. Il est très probable qu’une partie de
ces esclaves pouvait être composée de castes mobiles traditionnellement au service des
armées, alors que les autres provenaient d’une main d’oeuvre servile, quant à elle totalement
sédentaire.
La France ou la « Fabrique à Gens du Voyage »
Dans le contexte européen, la situation française avec ses environ 500 000 « Gens du
Voyage » - alors que les familles itinérantes des pays voisins, Grand Bretagne, Irlande,
Belgique et Suisse, par exemple, ne sont que quelques milliers - apparaît comme bien
singulière.
négoce, plus de Ciganos.) SOARES MIGUEL Carlos Manuel (2008). “Homens de respeito - Etnias tradicionais e
suas identidades” in Portugal, percursos de interculturalidade, Alto Comissariado para a Imigração e Diálogo
Intercultural, Lisboa, p. 180.
Lors de la Table ronde organisée pour la journée internationale rromani en 2008 à Montreuil, un Manouche
qualifiait de « génocide » la perte de certaines activités économiques traditionnellement occupées par les
Manouches du fait de la concurrence des Gadjé.
86 “Kriss rromani” ou “Lei cigana”.
87 A titre d’exemple, la Judéité d’un individu n’est pas fondamentalement remise en cause par des écarts à la
tradition, par un mariage mixte ou par l’abandon de la religion ou même une conversion dans une autre religion.
88 Je suis un “ćaćo Rrom”, un “verdadeiro Cigano”, un Manouche “pure laine”, etc
89 Le “nomadisme” est par exemple revendiqué par les évangélistes « Tsiganes » qui y voient un élément
essentiel de leur culture et de leur histoire.
24/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
De nombreuses populations locales ont depuis le Moyen-âge et l’accroissement des centres
urbains développé des stratégies économiques liées au travail itinérant : colporteurs,
charretiers, forains, saltimbanques, saisonniers, etc. Les grands conflits comme la guerre de
Cent ans puis celle de Trente ans ont vu le développement d’entreprises de guerre comme les
Grande Compagnies ou les Routiers90, mais aussi la fuite des populations villageoises
amenées à mendier ou à proposer leurs services à droite ou à gauche pour survivre91. Parmi
ces populations mobiles, on retrouve également les descendants des « Ducs et Comtes de
Petite Egypte » entrés pour beaucoup comme troupes armées au service des grand seigneurs
féodaux. Au XIXe siècle, des Rroms de Transylvanie et de Valachie, dit « Hongrois », puis
des Yéniches et Manouches d’Alsaces, optant pour la France en 1871, sont venus encore
gonfler les chiffres de toutes ces populations locales en situation de mobilité. La loi de 1912,
puis celle de 1969 les a enfermées dans un statut juridique les assignant de fait à une
itinérance structurelle, puisque s’il leur est accordé le droit de circuler, celui de s’arrêter
durablement ou de s’installer définitivement quelque part leur est retiré. Les médias, surtout
français, soit par manque d’information, soit par mauvaise foi, cultivent l’amalgame entre la
situation des Rroms migrants, villageois ou banlieusards des grandes villes Roumaines et
Bulgares, de fait assignés à l’errance et qui se voient poussés, contre leur gré et leur projet
initial (celui de trouver du travail en France), à rejoindre, au mieux, le statut de « Gens du
Voyage »92.
Conclusion
Il est souvent arrivé que les historiens, les commentateurs et les hommes les plus versés
dans la connaissance des traditions historiques, ont commis de graves méprises en
racontant les événements du passé ; et cela parce qu’ils se sont bornés à rapporter
indistinctement toute espèce de récits, sans les contrôler par les principes généraux qui
s’y appliquent, sans les comparer avec des récits analogues, ou leur faire subir
l’épreuve des règles que fournissent la philosophie et la connaissance de la nature des
êtres, sans enfin les soumettre à un examen attentif et à une critique intelligente ; aussi
se sont-ils écartés de la vérité pour s’égarer dans le champ de l’erreur et de
l’imagination.
Ibn Khaldoun – Les Prolégomènes
90 A leur tête, souvent un noblaillon, commandant divers corps de métiers nécessaires à la bonne marche et à
l’approvisionnement des combattants. Elles sont mobiles, se faisant et se défaisant au gré des batailles et des
guerres, en servant le plus offrant. Elles se composent d’un nombre important de logisticiens, de marchands,
mais aussi de serviteurs assurant les tâches subalternes. En temps de guerre, leur « salaire » provient
essentiellement du partage des butins, et en période de « chômage », ils se livrent au pillage des villageois.
91 Toutes ces familles très diverses désignées de façon générale dans le monde du Voyage par le terme de
« Pirdé » (Voyageurs).
92 L’expression « Gens du voyage » ne date pas des années 70, comme l’affirment certains spécialistes, mais est
bien antérieure comme l’atteste le titre du film de Jacques Feyder « Les Gens du voyage » en 1938.
25/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
A partir de l’arrivée remarquée en Europe occidentale au début du XVe siècle - et fort bien
décrite par les chroniqueurs de l’époque - de ces pénitents conduits par des Ducs et Comtes de
Petite Egypte, leur discours va paraître confus et douteux93. Les documents dont ils sont
porteurs seraient des faux, leurs titres de noblesse, usurpés, la Petite Egypte, une fiction, et
leur langue, un jargon inventé de toutes pièces destiné à tromper les braves gens. La méfiance
est de mise, et l’Histoire de cette migration, héritée des XVIIIe, XIXe et XXe siècles va se
construire sur un modèle de type paranoïaque, au sens psychiatrique du terme, à savoir, un
discours cohérent et convaincant basé sur des données erronées.
Si les doutes sur leur origine indo-aryenne et sur l’authenticité de leur langue ont désormais
été dissipés, les circonstances objectives de leur arrivée en Europe commencent seulement au
début du XXIe siècle, à trouver leur cohérence. J’espère que cette recherche, s’appuyant sur
un enchaînement d’événements historiques précis, permette d’apporter des éléments de
réponse et surtout une légitimité à l’importante présence de populations faisant partie
intégrante de l’histoire européenne depuis de longs siècles et qui apparaissent encore à
beaucoup comme tombées de la lune ou arrivées comme « poussées par les vents ».
Elisabeth Clanet dit Lamanit
Paris, novembre 2009
93 « Elles mesmos não sabem de que nação ou Reyno procedem porque sendo Gregos que se vierão fugindo
dos Turcos, se fazem Egipcios, ou Gitanos. » (Eux-mêmes ne savent pas de quelle nation ou de quel Royaume
ils viennent, parce qu’étant Grecs ils sont arrivés en fuyant les Turcs, ils se font passer pour Egyptiens ou
Gitans). In Miguel Leitão d’Andrada – Miscelânea, 1622.
26/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
Statistiques démographiques (tentative d’approximation)94
Nous nous sommes fondés sur quatre générations par siècles et sur un taux de natalité
d’environ huit enfants par femme dont seuls 2,28 atteindraient l’âge de procréer.
1018 : Départ de la Moyenne Vallée du Gange : 53 000 individus, jeunes, dont on peut
avancer une estimation de 20 % de femmes (chiffres courants dans diverses traites
d’esclaves), soit 10 600 de femmes parlant la même langue vernaculaire (ce qui
n’exclut pas un apport d’hommes d’autres régions).
1025 : 25 % de pertes avant de rejoindre l’armée seldjoukide, donc restent 39 750
individus dont 20 % de femmes, soit 7 950 femmes.
1075 : Installation en Asie Mineure (Sultanat de Roum). On peut supposer qu’il y a eu
encore 30 % de pertes. En revanche, en cinquante ans, le nombre de femmes et
d’hommes est déjà équilibré, soit sur trois générations vivant simultanément :
39 654 personnes dont 6 261 femmes en âge de procréer.
La bataille de Manzikert en 1071 avait mobilisé environ 50 000 combattants du
côté seldjoukide. On peut estimer les colons turcs, turkmènes et indiens à environ
cinq à six fois le chiffre des combattants, soit 250 000 à 300 000 personnes dont
environ 10 % à 15 % d’Indiens.
1300 : Population globale (trois générations vivant simultanément) de 122 876 individus
en Anatolie + environ 10 % d’émigrés vers les comptoirs vénitiens +
Constantinople + Thrace, soit 12 000 personnes.
1450 Population globale (trois générations vivant simultanément) de 269 711 individus
dont environ 10 % d’exilés des comptoirs vénitiens et de l’Empire Byzantin soit
25 000 personnes : dont environ 8 000 vers le nord (Hongrie, Allemagne, France,
…) et 17 000 vers le sud (Italie, Péninsule ibérique).
1950 : 20 % de pertes pour cause de génocide perpétré par les Nazis. Population globale
estimée (trois générations vivant simultanément) à 3 202 574, dont 491 419
femmes en âge de procréer.
2000 : Population globale estimée (trois générations vivant simultanément) à 3 853 855
individus. Chiffre plausible d’environ 4 millions de personnes. En comptant les
mariages mixtes au cours des siècles, nous arrivons à une population globale (trois
générations vivant simultanément) d’environ 8 à 10 millions de personnes.
94 Mes remerciements à Christophe Givord, mathématicien, pour son aide précieuse dans l’élaboration de cette
ébauche de projection statistique et à Cécile Kovácsházy qui m’a aidée à mettre en forme cet article.
Je tiens à remercier tout particulièrement Marcel Courthiade - qui le premier a prêté attention à cette étude et m’a
invité à présenter mon travail lors du Colloque sur l’esclavage des Rroms qui s’est tenu à Paris en 2006 - ainsi
que le professeur Eric Meyer pour ses encouragements qui m’ont incités à persévérer dans cette recherche.
27/32 Elisabeth Clanet dit Lamanit
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