En procédant de sa seule autorité à l’évacuation musclée des caravanes de deux mères de familles roumaines, le directeur d’un super marché Leclerc a spectaculairement mit en lumière des problèmes juridiques et humains aggravés par les difficultés rencontrées par les victimes pour porter plaintes.
Les faits
Bulldozer contre enfants et vielles caravanes, absence des pouvoirs publics, refus de la police d’enregistrer une plainte, ces images chocs évoquées par plusieurs médias suscitent de profondes inquiétudes. Sur ordre de la direction de l’établissement, des employés d’un hyper marché Leclerc implanté à Nantes, et ceux d’une entreprise de travaux publics mandatée pour l’opération ont, au moyen d’un bulldozer poussé les caravanes appartenant à deux mères de familles roumaines hors du terrain appartenant à la société. Refusant d’enregistrer une plainte concernant les dégradations occasionnées aux habitations, les services de la police nationale ont néanmoins, sous la pression d’une association, consigné l’incident dans une main courante. « Le fonctionnaire a désigné les plaignantes comme étant des gens du voyage de type roumain, ce qui prouve une totale méconnaissance des lois de 1969 et de 2000 concernant les gens du voyage français qui ne peuvent en aucun cas s’appliquer à des ressortissants roumains ne pratiquant pas de métiers itinérants », remarque Christophe Sauvé vice président de l’ANGVC qui s’interroge toujours sur le sens de l’expression « de type Roumain ». De fait les familles concernées ne peuvent être considérées comme étant des Gens du voyage. Les adultes citoyens d’un Etat membre de l’UE, n’exercent pas de métiers itinérants, seule condition permettant à des étrangers d’obtenir des titres de circulation. Les vielles caravanes utilisées comme abris de fortune par les deux mères et leurs enfants scolarisés dans l’agglomération nantaises ne peuvent en aucun cas s’apparenter à des résidences mobiles au sens de la loi de 2000 sur l’habitat et le stationnement des Gens du voyage.
Des situations très diversifiées
« Quand bien même elles obtiendraient des dérogations pour rejoindre une aire d’accueil elles n’auraient pas les moyens de payer les droits de place. La crise économique touche aussi les voyageurs », précise Christophe Sauvé. Il constate que 150 familles de Gens du voyage français ont du quitter les aires d’accueil de l’agglomération Nantaises faute de moyens pour s’acquitter des tarifs. Il évoque des stationnements plus ou moins négociés avec des propriétaires de parking. « Mais ces situations n’ont rien à voir avec celles des Roms et des autres personnes sans logement », insiste le responsable associatif.
Pour leur part, les deux familles roumaines concernées par l’affaire du super marché n’étant ni gens du voyage, ni bénéficiaire du dispositif de maitrise d’œuvre urbaine et social (MOUS), qui, à Nantes ne concerne qu’une soixantaine de familles, s’efforcent de trouver des lieux de stationnements a proximité des écoles où sont scolarisés les enfants.
Le contexte juridique
Ayant été expulsées d’un précédent site de stationnement selon la procédure classique : le propriétaire porte plainte et le juge constatant l’installation illicite ordonne aux contrevenant de quitter les lieux, les familles se sont installées sans autorisation à proximité du centre Leclerc, le lundi 21 mars. Les jours suivants les enfants reçoivent des menaces de la part de cadres de l’établissement. Le 24, une douzaine de salariés procèdent de manière musclée au déplacement de quelques mètres des caravanes et de la voiture. En aucun cas un particulier, fusse-t-il propriétaire du lieu, n’est en droit de proférer des menaces ni de se faire justice lui-même ou en transformant ses employés en milice. « La responsabilité pénale du directeur et de chacun des salariés qui participent à ce genre d’action peut être engagée », prévient Michel Benesteau secrétaire de l’Union locale CGT de Loire Atlantique, en insistant sur le caractère manifestement illégal. Interpellé par les médias, le directeur de l’établissement a reconnu le caractère irréfléchi de son action. L’article L 1321-3 stipule que le règlement intérieur d’une entreprise ne peut contenir de dispositions « contraires aux lois règlement, ainsi qu'aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ».
« Aucun des métiers du commerce ne prévoit de tâches impliquant l’expulsion de caravanes. Même les agents de sécurité ne disposent pas de ce genre de prérogatives qui n’appartient qu’aux forces de police de l’Etat dans la stricte application des procédures », précise le syndicaliste. « Malheureusement, il est très difficile aux salariés de refuser de tels ordres. S’ils étaient sanctionnés, ils gagneraient au prud’homme. Mais les pratiques du management surtout dans le secteur de la grande distribution leur rendrait la vie impossible et aboutiraient à des licenciements sous d’autres prétextes », ajoute t-il en évoquant le cas de syndicalistes de ce secteur vivant dans la hantise d’être accusés de vol.
Les agents publics ne doivent pas obéir à des ordres illégaux
Policiers municipaux et agents des services techniques de collectivités se trouvent parfois dans des situations où les consignes données par les élus les mettent en porte à faux avec la loi. « Les directives que nous donnent le maire ne peuvent être contraire à la loi à laquelle nous sommes soumis en priorité. Nous pouvons constater d’éventuelles infractions et effectuer des investigations en l’absence d’officiers de polices judiciaires, mais il faut que celles-ci soient avérées », explique Jacques Armesto, président de la fédération nationale des gardes champêtres. En vertu des particularités de cette fonction, il dispose de plus de prérogatives que les policiers municipaux mais même avec des pouvoirs élargis, il ne peut déroger aux principes fondamentaux. « Le problème est de déterminer ce qu’est un ordre manifestement illégal. Les agents publics sont plus encore que les salariés du privé confrontés à des situations où il n’est pas facile de trancher et leur culture professionnelle les pousse à faire confiance à leur hiérarchie et aux élus », précise Michel Benestau à la CGT. Surtout lorsque les situations ne sont pas clairement tranchées par des décisions de justice préalables, la notion d’ordre manifestement illégal reste sujette à débat. Se trouvant en première ligne les agents peinent parfois a déterminer si ils sont dans le droit où s’ils commettent des voix de faits.
Olivier Berthelin
Référence :
Art L.1321-3 du code du travail
Le règlement intérieur ne peut contenir :
1° de clause contraire aux lois et règlement, ainsi qu'aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
3° Il ne peut comporter de dispositions discriminatoires (voir protection des libertés et contrôle de l'activité des salariés).
Art L. 1331-1: "Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction sa carrière ou sa rémunération."
Lorsque l'agissement du salarié a rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive, relative à cet agissement ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'alinéa précédent ait été observé »
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