dimanche 13 mars 2011

Mémoires partagées




Sous l’égide du ministère de la défense, l’Union des étudiants Juifs de France, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, la FNASAT, l’UFAT, L’ANGVC, l’ASNIT collaborent à la commémoration commune de la déportation. Du 16 au 20 mars des représentants de ces organisations vont se recueillir dans les camps situés en Pologne. Symboliquement cette démarche marque la reconnaissance officielle du génocide des tsiganes. Au-delà d’un travail de mémoire dépassant la concurrence entre les victimes, elle prend acte de la participation active des tsiganes à l’histoire et affirme ainsi leur citoyenneté de fait.
Olivier Berthelin

Objectifs du voyage
Renouveler les méthodes de transmission des génocides
L’Union des Etudiants Juifs de France est une association fondée en 1944 par un
groupe de résistants. Depuis sa création, elle milite pour la transmission de la
mémoire de la Shoah, et tire les leçons de cette histoire en participant à la lutte
contre le racisme et l’antisémitisme. La transmission de la mémoire de la Shoah ne
peut toutefois se faire sans connaissance et apprentissage, et se fait surtout par des
voyages sur les lieux de l’extermination et la rencontre avec des rescapés.
A l’heure où les derniers rescapés de la Shoah disparaissent, la transmission de la
mémoire par des témoignages directs ne sera bientôt plus possible. Consciente de
ces nouveaux enjeux pour la transmission de la mémoire des génocides, l’UEJF
entend relever le défi d’une transmission renouvelée : l’élan des célébrations du
soixante-cinquième anniversaire de la libération des camps de concentration et
d’extermination nazis ne doit en aucun cas rester sans lendemain, mais au
contraire permettre une réflexion approfondie sur les génocides et un travail quant
à leur prévention.
Dans ce contexte, la rencontre entre étudiants juifs et associations tsiganes peut
être particulièrement fructueuse.
Participer à la construction de la mémoire du génocide des Tsiganes
La question de la mémoire est délicate dans les communautés tsiganes parce que le
rapport à la mort y est particulier : la coutume veut que l'on n'évoque plus la
mémoire des disparus. Les questions de mémoire sont aussi complexes parce que
le mode de vie nomade et la tradition orale compliquent la généalogie, tandis que
les difficultés de scolarisation, d'alphabétisation et de structuration des
communautés compliquent la transmission nécessaire au travail de mémoire.
On chiffre généralement entre 200.000 et 500.000 le nombre de Tsiganes ayant
péri durant le seconde guerre mondiale. C'est en Allemagne, en Roumanie, en
Croatie et en URSS que le nombre du victime a été le plus important. En Union
Soviétique et dans les Etats baltes, les Tsiganes furent principalement victimes des
Einsatzgruppen, commandos de la mort nazis, tandis que les Tsiganes d'Europe
centrale et occidentale connurent le sort de la déportation, en grande partie au
camp d'Auschwitz-Birkenau, où ils étaient internés séparément des autres
déportés. Le génocide des Tsiganes en Europe est désigné alternativement sous le
nom de "Porajmos" ou "Samudaripen" chez les Tsiganes.
Le destin des Tsiganes en France durant la seconde guerre mondiale est singulier :
avant même l'invasion allemande, la France avait en réalité décidé d'assigner à
résidence les "nomades", par un décret du 6 avril 1940, au prétexte de la méfiance
que suscitait ce mode de vide dans un contexte de guerre. Au début de
l'Occupation, de nouvelles réglementations anti-tsiganes furent instaurées par les
Nazis, ordonnant l'internement des Tsiganes dans des camps. Plus de 6000
Tsiganes furent donc dépossédés de leurs biens et enfermés durant la guerre dans
des camps d'internement, dans des conditions très dures. Un grand nombre de
Tsiganes échappèrent heureusement à cet internement, soit en échappant aux
contrôles, soit parce que le fichage des populations tsiganes d'avant l'Occupation
était incomplet. C'est ce qui explique notamment pourquoi les autorités nazies
reportèrent la déportation des Tsiganes de France, préférant attendre que
l'ensemble des Tsiganes fussent préalablement arrêtés, et déployant leur énergie en
priorité sur la traque et la déportation des Juifs de France. Il faut savoir que
beaucoup de Tsiganes ne furent libérés des camps d'internement qu'en mai 1946,
lors du décret d'annulation de l'assignation à résidence, soit presque plus de deux
ans après la Libération.
Aucune réparation n'eut lieu après-guerre pour les personnes victimes des mesures
d'internement, et les Tsiganes gardent le sentiment d'avoir été trahis par la France
pendant cette période. Longtemps l’absence d'excuses formulées par le
gouvernement a alimenté ce ressentiment, jusqu’à ce que le discours d’Hubert
Falco, alors secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, prononcé le
18 juillet 2010 lors de la Journée Nationale de la mémoire des crimes racistes et
antisémites de l'Etat français, réponde à une partie des attentes de la communauté
tsiganes en revenant sur l'histoire de l'internement. Aujourd'hui, les représentants
des associations tsiganes, notamment ceux de la FNASAT, de l'UFAT, et de
l’ANGVC, ont sollicité l'UEJF pour entamer un travail de mémoire en commun
qui se concrétiserait par un voyage de la mémoire en Pologne.
Ce projet associant deux mémoires spécifiques, la mémoire de la Shoah et la
mémoire du génocide des Tsiganes, permettra de mettre l’accent sur la prévention
universelle de tous les génocides tout en affirmant la spécificité de chacun.
Mettre fin à la « concurrence des mémoires » dans un contexte
français tendu
La société française est traversée par des tensions entre différentes mémoires :
mémoire de la guerre d’Algérie, mémoire des colonies d’Afrique noire et de
l’esclavage, mémoire de la Shoah, mémoire du génocide rwandais. Ces tensions
sont exploitées à des fins de revendications communautaristes. L’UEJF entend
mettre fin à cette « concurrence des mémoires » en dépolitisant la question :
chaque mémoire doit avoir sa place, à condition qu’elle respecte les principes
républicains, parmi lesquels la laïcité.
Ce projet s’ouvrant à l’histoire de l’autre permettra, en France, de favoriser le
dialogue intercommunautaire et de retisser le lien entre les communautés et la
République.
Un voyage d’étude sur les traces de la déportation
Déroulement du voyage
Ce projet prévoit le voyage en Pologne d’une délégation de 30 personnes (cadres
de l’UEJF, représentants d’associations tsiganes, représentants d’associations
juives, spécialistes de la transmission de la mémoire de la Shoah, psychologues,
historiens) durant cinq jours.
Ce voyage sera axé sur l’histoire des victimes du génocide et permettra
d’approfondir nos connaissances sur les génocides et les traumatismes collectifs. Il
s’agira de comprendre la spécificité des génocides, et la complexité du travail de
mémoire sur des lieux complètement détruits jusqu’aux survivants, très peu
nombreux.
La délégation visitera les villes de Varsovie et de Cracovie, ira au camp
d’Auscwhitz-Birkenau, ainsi qu’au musée rom de Tarnow. Les visites seront
encadrées par des spécialistes de l’histoire de la Shoah et du génocide des
Tsiganes. Une commémoration sera organisée pendant le voyage.
Ce voyage sera aussi l’occasion de montrer l’importance de la culture qui prévalait
avant la guerre et sa destruction en visitant les lieux de vie, les villes, villages et
lieux de mort. Nous partirons pendant le voyage à la rencontre de la communauté
juives et roms vivant aujourd’hui en Pologne. Ces rencontres seront encadrées par
des spécialistes (historiens, psychologues, etc.) du génocide.

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