« Garches (92) n’est pas un commune du Val de Marne », en apportant cette précision géographique (13 kilomètres séparent Garches d’Ivry, lieu du litige), le juge révèle sans doute qu’un certain malaise a plané autour de l’affaire qui lui été soumise. Théoriquement propriétaire du site où se sont réfugiée en février dernier des familles Roumaines, l’Assistance publique hôpitaux de Paris (APHP) a porté plainte avec une étonnante célérité. Mais au grand étonnement des observateurs et des habitants d’Ivry, le juge a rejeté la demande d’expulsion en estimant que les documents de mauvaises qualité et comportant des erreurs d’adresse confondant Ivry et Garches ne prouvait pas la propriété de l’APHP. La rapidité de la plainte, l’accord de l’aide juridictionnelle en 48 heures au lieu de plusieurs mois et la rapidité du délibéré en 3 jours alors que toutes les autres affaires entendues lors de la même audience avait été repoussée au mois de mai, intriguent les observateurs. Les agents de la commune qui attendent toujours que le maire reçoive des réponses aux courriers adressés au préfet soupçonnent une application de la circulaire de septembre. Celle-ci demande aux préfets d’insister auprès des propriétaires pour qu’ils portent rapidement plainte et d’accélérer les procédures. Si la précipitation peut expliquer l’inefficacité de la démarche du propriétaire, il convient de remarquer que celui-ci n’a pas utilisé des arguments classiques de préjudices ou de troubles. En demandant seulement et de manière peut convaincante, l’administration hospitalière laissait une porte de sortie au juge. Pour l’avocat Henri Braun, le contexte d’un campement organisé avec l’aide d’associations, de la municipalité, des techniciens de l’hôpital et des voisins déterminés à ne pas abandonner enfant et malades en cas d’expulsion a certainement pesé dans la balance. « La qualité des arguments avancés par ma consoeur Fabienne Rochon ont obtenu cette belle décision », précise l’avocat engagé.
Pour les justiciables, les communes et les préfets ces décisions contradictoires démontrent l’indépendance des juges, mais aussi le caractère très aléatoires de l’issue des procédures. A Bobigny, le tribunal administratif n’a pas statué sur la réalité des risques pour la sécurité invoqué par le préfet et contesté par les défendeurs. A Ivry, il s’est préoccupé de la qualité des photocopies et des fautes de frappes. Les véritables enjeux politiques et humains de ces situations n’ont guère eût de place dans ces jugements
Olivier Berthelin
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRETEIL
ORDONNANCE DE REFERE
LE JUGE DES REFERES : Madame CAVAILLES, Juge
GREFFIER : Madame GEULIN, Greffier
PARTIES :
DEMANDERESSE
ASSISTANCE PUBLIQUE - HOPITAUX DE PARIS, dont le siège social
est sis 3, avenue Victoria - 75004 PARIS
représentée par Me Georges HOLLEAUX, avocat au barreau de PARIS,
DEFENDEURS
Débats tenus à l’audience du : 04 Avril 2011
Date de délibéré indiquée par le Président : 07 Avril 2011.
Le Président a indiqué que l’ordonnance serait prononcée
par mise à disposition au Greffe.
*****
Sur autorisation présidentielle, l’E.P. Assistance Publique - Hôpitaux de Paris a
fait assigner les défendeurs devant le Président du Tribunal de Grande Instance
de CRETEIL statuant en référé par acte d’huissier du 23 mars 2011afin
d’obtenir au visa des articles 808 et 809 du Code de Procédure Civile et 61 de
la loi du 09 juillet 1991 :
- leur expulsion et celle de tous occupants de leur fait de la parcelle
cadastrée AK 78 située 14 rue TRUILLOT à IVRY SUR SEINE avec,
au besoin le concours de la force publique, et sans délai, l’ordonnance
valant commandement de quitter les lieux,
- leur condamnation à supporter les dépens de l’instance.
A l’appui de ses demandes, l’A.P.-H.P. expose qu’elle est propriétaire de la
parcelle cadastrée AK 78 située 14 rue TRUILLOT à IVRY SUR SEINE qui
est une annexe de l’hôpital Charles FOIX.
Elle indique que le 15 février 2011, des tiers se sont introduits sur cette
parcelle, qu’ils ont débité des arbres pour faire du feu, qu’ils ont une attitude
menaçante, qu’ils ont eu une altercation avec le responsable de la sécurité de
l’hôpital.
Elle déclare que le camp est installé à 15 mètres des locaux de l’hôpital et à 50
mètres des logements de fonction du personnel.
Elle explique qu’elle a sollicité et obtenu sur requête, une ordonnance
autorisant un huissier à se rendre sur place et, notamment, relever l’identité des
personnes présentes.
Elle estime que les défendeurs se sont introduit sur cette parcelle sans avoir ni
titre ni droit d’occupation, et qu’il y a urgence à les faire expulser.
A l’audience du 04 avril 2011, le conseil des défendeurs sollicite la présence
d’un interprète en langue rom, lequel prête serment et traduit les débats.
L’A.P.-H.P. comparaît par son avocat et maintient ses demandes et moyens.
Oralement, elle fait valoir que la parcelle a longtemps été affectée à l’usage de
serres mais qu’elle est en cours de reconversion et que les défendeurs y ont
pénétré par effraction, la clôture ayant été brisée et depuis lors remplacée.
Elle souligne qu’elle a laissé, sans reconnaissance d’un quelconque droit
d’occupation, les services municipaux brancher des installations sanitaires,
qu’elle a fait dresser ses constat sans avoir recours à la force publique, qu’elle
ne souhaite que le plein exercice de son droit constitutionnel de propriété,
qu’elle conçoit que la situation matérielle et morale des défendeurs soit
difficile et digne d’intérêt, mais qu’elle ne peut assumer leur relogement.
5
Elle estime que l’état de santé de certains des occupants, les démarches
entreprises -au demeurant très récemment- pour la scolarisation des enfants,
tout comme le débat sur les obligations respectives de l’Etat et des collectivités
territoriales ne sauraient justifier l’occupation de sa parcelle car elle n’est pas
débiteur de l’obligation d’assurer le droit au logement de la loi du 05 juillet
2000.
Elle déclare avoir reçu des pétitions du voisinage auxquelles elle n’accorde
guère d’importance et qu’elle refuse de verser au débat, ne souhaitant, en
agissant en référé, que recouvrer la plénitude de son droit de propriété.
Répliquant à ses contradicteurs, elle fait valoir qu’elle justifie d’une attestation
de propriété et que son statut résulte du Code de la Santé Publique et
singulièrement de ses articles L6147-1 et suivants, outre les articles à nature
réglementaire correspondant, en sorte qu’elle est valablement représentée par
son directeur général qui n’a besoin d’aucune délibération ni d’aucun mandat
pour agir en justice en son nom.
Les défendeurs comparaissent par leur avocat et estiment oralement n’y avoir
lieu à référé.
En premier lieu, ils soutiennent que l’A.P.-H.P. ne présente aucun justificatif
de la qualité invoquée de propriétaire de la parcelle litigieuse et ne verse pas au
débat les statuts de l’hôpital et la délégation de pouvoir pour agir en justice
alors que l’A.P.-H.P. alléguant posséder des parcelles relevant de son domaine
privé ou public, la question de la qualité pour la représenter est pertinente.
Ils invoquent ensuite l’absence de trouble à l’ordre public. Ils expliquent qu’ils
occupent un terrain en friche qui n’est pas utilisé depuis plus de dix ans en
sorte qu’ils n’apportent aucune gène. Ils ajoutent qu’ils ont de nombreux
soutiens notamment des élus locaux, des associations de parents d’élèves et de
l’église catholique.
Ils arguent de l’absence de preuve d’effraction, du défaut d’urgence compte
tenu de l’absence de projet particulier pour cette parcelle, de l’installation par
les services municipaux de deux blocs sanitaires ainsi que de
l’approvisionnement en eau autorisé par l’hôpital, outre le positionnement
d’extincteurs.
Ils avancent qu’ils n’ont aucune alternative et que l’expulsion aurait des
conséquences excessives à leur égard, compte tenu des éléments médicaux
versés au débat. Ils ajoutent que des impératifs de santé publique commandent
également qu’ils demeurent stables et ensemble.
Ils invoquent leur droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que la
protection des droits de l’enfant par la Convention de NEW YORK.
MOTIFS DE LA DÉCISION
6
Sur l’expulsion :
En application de l’article 809 du Code de Procédure Civile, le président peut
toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les
mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir
un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l’espèce, l’A.P.-H.P. fonde sa demande sur sa qualité de propriétaire de la
parcelle occupée alors que celle-ci est contestée.
Pour l’établir, l’A.P.-H.P. verse au débat une attestation datée du 15 février
2011 émanant du Directeur du patrimoine Foncier et de la Logistique et du
Logement, agissant au nom et pour le compte de l’Assistance Publique -
Hôpitaux de Paris qui atteste que l’A.P.-H.P. est propriétaire à IVRY sur
SEINE des terrains “ancien centre de Floriculture de l’A.P.-H.P. cadastré
section AK n°78, 14 rue FOUILLOUX 94200 GARCHES, conformément au
plan et tableau ci-joint (pièce 9).
Ce document est donc une attestation que l’A.P.-H.P. se délivre à elle-même.
Partant, elle n’a guère de valeur probante en justice.
Si l’on passe sur l’erreur manifestement matérielle consistant à viser la
commune de GARCHES qui n’est pas dans le 94, il est question d’une
propriété à IVRY mais sur un bien situé 14 rue FOUILLOUX et non 14 rue
TRUILLOT comme mentionné dans l’assignation et dans les constats.
A cette attestation est jointe la copie d’un plan sur une feuille de format
standard A4. Ce plan est peu lisible. En premier lieu, il est impossible de
déterminer si ce plan est authentifié par les services du cadastre, le seul cachet
lisible étant celui de l’A.P.-H.P. en bas à gauche.
La parcelle AK 78 est impossible à identifier malgré une lecture attentive.
Le nom des rues n’est pas lisible.
Il en résulte que l’A.P.-H.P. ne rapporte pas la preuve de sa qualité de
propriétaire de la parcelle litigieuse ou, à tout le moins, d’un titre lui conférant
la jouissance exclusive de la parcelle et ainsi la qualité pour se plaindre de
l’installation des défendeurs.
Dès lors, il n’y a pas lieu à référé.
Sur les dépens et les frais de l’article 700 du Code de Procédure Civile :
En application des articles 696 et 700 du Code de Procédure Civile, la partie
perdante est condamnée aux dépens, et à payer à l’autre partie une somme que
le juge détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en
tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie
condamnée
En conséquence, l’A.P.-H.P., qui succombe, supportera les dépens de
l’instance.
7
PAR CES MOTIFS
Nous, juge des référés, statuant après débat en audience publique, par
ordonnance contradictoire susceptible d’appel assortie de l’exécution
provisoire de droit,
DISONS n'y avoir lieu à référé sur les demandes ;
CONDAMNONS l’A.P.-H.P. à supporter les dépens de l’instance de
référé ;
LE GREFFIER LE JUGE DES RÉFÉRÉS
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