CE, 7 avril 2011, Association SOS Racisme- Touche pas à mon pote
N° 343387
> Lire le communiqué de presseLe Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies), sur le rapport de la 5ème sous-section
No 343387, Association SOS Racisme- Touche pas à mon pote
Séance du 30 mars 2011 - Lecture du 7 avril 2011
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre et 22 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE, dont le siège est 51 avenue de Flandre à Paris (75019) ; l’association requérante demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir les circulaires du 5 août 2010 et du 13 septembre 2010 prises par le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et relatives à l’évacuation des campements illicites ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 mars 2011, présentée pour l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;
Vu le protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de l’ASSOCIATION SOS RACISME- TOUCHE PAS A MON POTE,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de l’ASSOCIATION SOS RACISME- TOUCHE PAS A MON POTE ;
Considérant que l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE demande l’annulation des circulaires du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales en date du 5 août et du 13 septembre 2010, adressées aux préfets, au préfet de police, au directeur général de la police nationale et à celui de la gendarmerie nationale, ayant pour objet l’évacuation des campements illicites ; que la circulaire du 5 août 2010, après avoir rappelé que « le président de la République a fixé l’objectif précis, le 28 juillet dernier, pour l’évacuation de 300 campements ou implantations illicites d’ici 3 mois, en priorité ceux des Roms », prescrit aux préfets « d’engager, sur la base de l’état de situation des 21 et 23 juillet, une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms » et de « déterminer sans délai les mesures juridiques et opérationnelles pour parvenir à l’objectif recherché site par site » ; que la circulaire, qui sollicite « une mobilisation de tous les services, en priorité à l’encontre des campements illicites de Roms », enjoint à ses destinataires d’entreprendre une démarche opérationnelle comprenant notamment « une préparation approfondie associant l’ensemble des services concernés, notamment ceux de la police aux frontières et de l’office français de l’immigration et de l’intégration pour les campements de roms, les évacuations des campements illicites et la reconduite immédiate des étrangers en situation irrégulière » ; qu’elle fixe l’objectif de réaliser au minimum une opération importante par semaine « concernant prioritairement les Roms » ; que la circulaire du 13 septembre 2010 « remplace les instructions et circulaires antérieures sur le même sujet, confirme la circulaire du 24 juin 2010 Intérieur – Immigration, et rappelle l’obligation d’évacuer les campements illicites » ; qu’après avoir relevé que 441 campements illicites ont été évacués depuis le 28 juillet, elle indique notamment que « Cette action doit se poursuivre » ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant, en premier lieu, qu’en vertu des articles R. 432-1 et R. 432-2 du code de justice administrative, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ont qualité, devant le Conseil d’Etat statuant en premier ressort, pour représenter les parties et signer en leur nom les requêtes et les mémoires, sans avoir à justifier du mandat par lequel ils ont été saisis par leur client ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que le signataire de la requête ne serait pas régulièrement mandaté doit être écartée ;
Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que la circulaire du 5 août 2010, alors même qu’elle a été remplacée par celle du 13 septembre 2010, a reçu application avant son abrogation ; que, par suite, le ministre n’est pas fondé à soutenir que les conclusions de la requête dirigées contre la circulaire du 5 août 2010, enregistrées le 20 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, seraient irrecevables faute d’objet ;
Sur la légalité des circulaires attaquées :
En ce qui concerne la circulaire du 5 août 2010 :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion (…) » ;
Considérant qu’il résulte de ses termes mêmes que la circulaire du 5 août 2010 vise, par des dispositions impératives à caractère général, à faire évacuer de manière prioritaire les campements illicites de Roms ; que si le ministre soutient qu’elle a été édictée dans le but d’assurer le respect du droit de propriété et de prévenir les atteintes à la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques, cette circonstance ne l’autorisait pas à mettre en œuvre, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, une politique d’évacuation des campements illicites désignant spécialement certains de leurs occupants en raison de leur l’origine ethnique ; que la circulaire du 5 août 2010 doit, par suite, et sans qu’il soit besoin de procéder aux mesures d’instruction demandées par l’association requérante, être annulée ;
En ce qui concerne la circulaire du 13 septembre 2010 :
Considérant que si la circulaire du 13 septembre 2010 indique que la politique d’évacuation des campements illicites doit se poursuivre, elle rappelle le cadre légal dans lequel de telles opérations doivent être conduites et indique que celles-ci doivent concerner, « toute installation illégale, quels qu’en soient les occupants » ; que cette circulaire ne peut ainsi être regardée comme réitérant les dispositions illégales de la circulaire du 5 août 2010 ; qu’elle n’édicte aucune règle et ne comporte par elle-même aucune disposition qui serait entachée d’une méconnaissance de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de l’article 1er de la Constitution, des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des principes généraux du droit relatifs à la non discrimination et au principe d’égalité ni, en tout état de cause, des articles 1er et 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ;
Considérant que cette circulaire n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de permettre l’éloignement d’étrangers sans qu’il soit procédé à un examen de la situation individuelle de chacun d’entre eux ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’elle comporterait des dispositions qui méconnaissent l’article 4 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers, ne peut qu’être écarté ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de son défaut d’intérêt à agir, l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de la circulaire du 13 septembre 2010 ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE de la somme de 3 000 euros en application de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La circulaire du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales en date du 5 août 2010 est annulée.Article 2 : L’Etat versera à l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION SOS RACISME - TOUCHE PAS A MON POTE et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire