jeudi 26 mai 2011

Un volume d'ethnologie souligne le "message humaniste" des Tsiganes




Par Isabelle Ligner

          L'ouvrage "Des Tsiganes en Europe", sous la direction des ethnologues Patrick Williams (CNRS) et Michaël Stewart (University College, Londres et Central European University, Budapest) est une excellente arme contre l'ignorance, les clichés, préjugés, rumeurs et autres amalgames qui pullulent à propos de ceux que les sociétés européennes considèrent depuis des siècles comme des "intrus".
   A travers des contributions de Williams et Stewart mais aussi de Ruy Llera Blanes, Catarina Pasqualino, Alain Reyniers et Elisabeth Tauber, le livre dessine un portrait tout en finesse et en nuances de ces populations aussi diverses que méconnues.
          Cette somme de connaissances ethnologiques aborde le rapport des Tsiganes à l'écriture, à l'argent, à la mendicité et à la transmission, aux hérissons nourriture et symbole, au regard, aux morts, à la musique, aux liens familiaux, aux gadjé (non-tsiganes) et à la "catastrophe invisible" que constitue "la Shoah des Tsiganes".
          Face aux simplifications grossières et aux tentatives "d'ethnicisation" de la question tsigane, Patrick Williams répond calmement dans son article introductif que l'ethnologue des Tsiganes n'est pas là pour "composer une typologie et mettre chacun dans des cases".
          Dans cet ouvrage, ces ethnologues nous présentent des travaux qui "rendent compte de la persistance tsigane: de la capacité qu'ont montrée et que montrent encore ces groupes de traverser les époques, régimes politiques et types de société" et "donnent à comprendre l'attachement des individus à ces communautés dont ils se reconnaissent membres".
          Le livre souligne la très grande diversité de communautés à travers l'Europe et, singulièrement, à travers la France.
          Patrick Williams ne s'attarde pas sur la question des origines historiques des Tsiganes, estimant qu'"instaurer un critère de discrimination entre +vrais tsiganes+" (ceux qui seraient d'origine indienne) et les autres qui seraient issus de la désintégration de sociétés locales lors du processus d'entrée dans l'âge moderne n'est "pas pertinent" au regard "des pratiques des individus ainsi désignés".
          Ces multiples communautés tsiganes, résume-t-il, ont en commun le fait d'avoir à "affronter la même épreuve: comment assurer une (relative) autonomie, une (relative) cohésion et une capacité de perpétuation dans une situation définie par l'immersion, la dispersion et le caractère illégitime de leur présence ?".
          Fidélité à soi-même, importance paradoxale de l'appartenance à une région ou un terroir, et capacité d'adaptation sont au coeur des réponses que mettent en place ces communautés depuis des siècles face à des Etats et des citoyens de ces Etats qui les rejettent de manière plus ou moins violente.
          Loin de tout misérabilisme, Patrick Williams souligne que la persistance des Tsiganes face à ces mécanismes d'exclusion et de destruction qui sont allés jusqu'au génocide pourrait être considérée comme une "victoire". Malgré cette Shoah occultée, les Tsiganes "sont en vie et capables de gouverner leur vie. Et la conception qu'avaient d'eux les bourreaux, celle d'un peuple unique voué à l'élimination, ils l'abandonnent aux poubelles de l'histoire: ils imposent leur diversité, leur inventivité", écrit-il. 
          C'est pourquoi l'ouvrage vise à "montrer que l'expérience tsigane de l'histoire est porteuse d'une dimension universelle" et d'un "message humaniste", poursuit l'ethnologue.
          Car chacune de ces communautés tsiganes n'est pas "étrangère à la société où elle vit" mais elle parvient à s'y "insérer…sans y disparaître". "Leur authenticité n'est pas à chercher dans un ailleurs spatial ou temporel; elle s'invente ici, maintenant, parmi nous", assure Patrick Williams.
          Or, la mondialisation oblige chacun à "affirmer son être propre au milieu des autres, là, maintenant et non plus en référence à une histoire, une appartenance, un terroir", ajoute-t-il. Et de conclure avec ironie: "voilà que tous les hommes se retrouvent dans la situation des tsiganes !"

"Des Tsiganes en Europe", sous la direction de Patrick Williams et Michaël Stewart est publié aux éditions de la Maison des sciences de l'homme dans la collection Ethnologie de la France, 284 p, 19.50 euros.

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