TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE GRENOBLE
N°1103072
M. Michel BOTTIER et autres RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. Durand Magistrat désigné
M. Morel Rapporteur public AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Grenoble
(Juge unique)
Audience du 10 juin 2011
Lecture du 10 juin 2011
49-04-01-02-01
49-05-03
C
Vu la requête, enregistrée le 8 juin 2011, présentée pour M. Michel BOTTIER, pour M. Christophe ROBIN et pour M. David MEUCHE occupant l'aire de grand passage située à Perrignier (74550) par Me Candon ; ils demandent au tribunal :
- d'annuler l'arrêté en date du 7 juin 2011 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter, dans le délai de vingt-quatre heures, l’aire de passage qu'ils occupent sur la commune de Perrignier ;
- de mettre à la charge de l'Etat (préfet de la Haute-Savoie) une somme de 1196 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent :
- que l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 dès lors qu'il ne précise pas l'article applicable de la loi du 5 juillet 2000 sur laquelle il se fonde ; qu'en outre, la motivation en droit de la décision attaquée est insuffisante et confuse ;
- que ni la commune de Perrignier ni le SYMAGEV n'ont encore réalisé les aires mises à leur charge ; qu'en conséquence, le maire de Perrignier ne pouvait légalement interdire le stationnement des gens du voyage sur sa commune en dehors des aires aménagées à cet effet par le SYMAGEV ; que l’arrêté du 1er avril 2011 par lequel le maire de la commune a interdit le stationnement des gens du voyage en dehors des aires aménagées méconnaît les articles 9-1 et 2 de la loi du 5 juillet 2000 ; que l'illégalité de cet arrêté municipal entraîne nécessairement celle de l'arrêté préfectoral attaqué ; qu'en outre, la circonstance que le SYMAGEV ait prévu un calendrier d'accueil des gens du voyage dans différentes communes est sans influence sur le non-respect du schéma départemental ;
- que l'arrêté municipal interdisant le stationnement n'a pas été publié au recueil des actes administratifs ni affiché eu mairie et à l'entrée de la commune ; que cet arrêté est donc inopposable ;
- que la circonstance que l'occupation soit illicite n'est pas de nature à justifier la mise en demeure litigieuse dès lors qu'une atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques est nécessaire ;
- que si un autre groupe de gens du voyage a vocation à occuper l'aire de grand passage, cette arrivée n'est pas précisée dans le temps alors qu'ils comptent partir le lundi 20 juin ; que l'aire de grand passage comporte environ 4 hectares et peut accueillir environ 200 caravanes alors que leurs caravanes sont au nombre de 32 seulement; que la place est donc largement suffisante; qu'ils peuvent parfaitement coexister avec d'autres voyageurs dès lors qu'ils n'appartiennent à aucune obédience et qu'ils cultivent la tolérance à l'égard d'autrui ; que la loi du 5 juillet 2000 suppose qu'une aire puisse être occupée tant qu'il existe des places libres ; que le seul critère légal permettant de refuser des occupants est la saturation des lieux en terme de places ; qu'en l'espère, il existe suffisamment de place pour les accueillir ainsi que les nouveaux arrivants ;
- que si le préfet soutient qu'il existe une atteinte à la salubrité publique par défaut de sanitaires et du fait de l'existence de branchements sauvages et anarchiques, l'absence de sanitaires n'est pas constitutive d'une telle atteinte dès tors qu'ils sont pourvues de caravanes dotées de sani-broyeurs (toilettes chimiques) ; que le préfet n'établit l'existence d'aucune pollution ; qu'en tout état de cause, on comprend mal comment une aire de grand passage pourrait être organisée sans sanitaires ; que s'agissant de l'installation électrique, le raccordement leur a été refusé par le maire ; qu'ils ont toutefois été obligés de se raccorder grâce à un boîtier professionnel parfaitement sécurisé ; que le refus de raccordement opposé par le maire est illégal ; que le raccordement réalisé ne comporte aucune dégradation ; qu'en outre, l'aire possède des bennes à ordures et un accès à l'eau potable ;
- que l'article 9-1 de la loi du 5 juillet 2000 a été méconnu par erreur d'appréciation sur le délai adapté ; qu'un délai de 24 heures est inadapté aux circonstances ; que ce délai, qui a été donné afin de permettre la remise en état des lieux avant l’arrivée du prochain groupe est insuffisant dès lors que ce groupe arrivera après leur départ, : le 20 juin ; qu'en outre, la brièveté de ce délai porte atteinte à la liberté d'aller et venir ainsi qu'à leur droit de mener une vie privée, familiale et domiciliaire normale protégé par l'article $ de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu, enregistré le 10 juin 2010, le mémoire en défense présenté par le préfet de la Haute-Savoie concluant au rejet de la requête,
Il soutient :
- qu'aucun vice d'incompétence ne saurait entaché d'illégalité l'arrêté attaqué ;
- que celui-ci comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le
fondement ;
- que l'arrêté du maire de la commune de Perrignier en date du 1er avril 2011 a fait
l'objet d'un affichage en mairie ;
- que la commune respectant ses obligations au regard du schéma départemental
d'accueil des gens du voyage, son maire était bien fondé à prendre un arrêté sur le
fondement de l'article 9-1 de la loi du 5 juillet 2000 ;
- que l'installation cause effectivement des troubles à la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques eu égard aux risques de court-circuit du coffret électrique sur lequel les requérants se sont raccordés sans autorisation ; qu'ils n'ont rien demandé au maire ; que, contrairement à leurs allégations, ils sont branchés illicitement sur un robinet situé à proximité du réservoir d'eau su syndicat intercommunal des eaux des Moïses ; que le trouble à la tranquillité publique est manifeste dès lors qu'un groupe de 200 caravanes a été régulièrement annoncé pour la semaine prochaine pour la période du 19 juin au 3 juillet 2011 ; qu'il faut bien une semaine de battement entre deux groupes pour remettre les terrains en l'état ; que les aires de grand passage, de quatre hectares, ne peuvent accueillir plus de deux cents caravanes ; que le groupe cause un trouble manifeste à la tranquillité publique dès lors qu'il occupe une aire prévue pour un grand passage alors qu'il ne constitue pas un grand passage et qu'il compromet l'installation du groupe annoncé pour le 19 juin, qui devra donc s'installer illégalement ailleurs sur le département ; que ce groupe compromet tout le dispositif mis en œuvre en Haute-Savoie pour concilier l'accueil des grands passages et le maintien de l'ordre public ;
- que le délai de 24 heures laissé aux intéressés pour quitter les lieux est plus que justifié au regard du comportement de ce groupe qui s'est installé sans autorisation, ne contribue pas financièrement aux frais de stationnement et qui déclare vouloir rester jusqu'au 20 juin alors qu'un véritable grand passage est annoncé et attendu le 19 juin 2011;
- e ce délai, alors que les intéressé étaient déjà présents sur l'aire cinq jours avant son expiration, ne compromet aucune des libertés fondamentales garanties par la Constitution ou au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu, enregistré le 10 juin 2011, le mémoire présenté pour M. Michel BOTTIER, pour M. Christophe ROBIN et pour M. David MEUCHE par Me Candon concluant aux mêmes fins que la requête ;
Ils soutiennent en outre :
- que de façon paradoxale, le préfet de la Hante-Savoie leur reproche de s'installer sur l’aire qu'il a lui-même prévue à cet effet ;
- que la commune de Perrignier comme le SYMAGEV auquel elle appartient n'ont pas exécuté leurs obligations au titre de l’article 2 de la loi du 5 juillet 2000 ;
- que les photos qu'ils produisent montrent bien qu'il existe beaucoup de places libres sur l’aire litigieuse ; que la campement est propre et organisé ; qu'il existe des bennes à ordures ; que les raccordements électriques sont sécurisés ; que les caravanes disposent de toilettes ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier et notamment les pièces complémentaires produites par les deux parties le 10 juin 2011 ;
Vu la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l’habitat des gens du voyage modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 2011 ;
- le rapport de M. Durand ;
- les conclusions de M. Morel, rapporteur public ;
- les observations de Me Candon, représentant le groupe de gens du voyage ;
- les observations de M. Labourey, représentant le préfet de la Haute-Savoie ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Considérant qu'aux termes de l'article 1 de la loi du 5 juillet 2000 susvisée : « I.- Les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. II. - Dans chaque département, (...) un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d'implantation des aires permanentes d'accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées. Les communes de plus de 5000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental, Il précise la destination des aires permanentes d'accueil et leur capacité. Il définit la nature des actions à caractère social destinés aux gens du voyage qui les fréquentent Le schéma départemental détermine les emplacements susceptibles d'être occupés temporairement à l'occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels et définit les conditions dans lesquelles l'Etat intervient pour assurer le bon déroulement de ces rassemblements. (...)»; qu'aux termes de l'article 9 de la loi : « I.- Dès lors qu'une commune remplit les obligations qui lui incombent (...) son maire (...) peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d’accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées à l'article 1er. (...)II.- En cas de stationnement effectué en violation de î'arrêté prévu au I, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. (...).»;
Considérant qu'en disposant que « la mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques », le législateur a entendu limiter les recours à cette procédure à ces seuls cas et non à toute occupation illégale du domaine public ou à tout type de trouble à l’ordre public ; que, par suite, ni le caractère illicite du stationnement en cause ni même les conditions dans lesquelles s'est faite l'intrusion de la communauté de gens du voyage ne peuvent fonder à eux seuls une mise en demeure de quitter les lieux ;
Considérant que, par l'arrêté attaqué du 7 juin 2011, notifié après 17 heures, le préfet de la Haute-Savoie a mis en demeure un groupe de gens du voyage, composé de 32 caravanes, de quitter, dans le délai de 24 heures, l'aire de grand passage située sur la commune de Perrignier ;
Considérant, en premier lieu, que si le préfet de la Haute-Savoie indique, dans l'arrêté attaqué, que l’aire de passage en cause doit prochainement accueillir un «véritable grand passage régulièrement annoncé et programmé » et, que « dès lors, des troubles à la tranquillité publique sont à prévoir dans la mesure où, d'une part, les groupes de gens du voyage d'obédiences différentes, ce qui est le cas en l'espèce, ne se mélangent traditionnellement pas, d'autre part, l'installation actuelle compromet l'installation, dans de bonnes conditions d'accueil du grand passage régulièrement annoncé et programmé », il n'apporte aucun élément permettant d'établir que le stationnement du groupe de gens du voyage, composé de 32 caravanes, sur l’aire de grand passage située sur la commune de Perrignier, d'environ 4 hectares et pouvant accueillir environ 200 caravanes, est de nature à porter atteinte à la sécurité ou la tranquillité publiques ; qu'au surplus, le conseil des requérants a pris l'engagement qu'ils quitteraient les lieux au plus tard le samedi 18 juin 2011, veille de l’arrivée du groupe de caravanes régulièrement annoncé ;
Considérant, en deuxième lieu, que le préfet soutient qu'il existe une atteinte à la salubrité publique par défaut de sanitaires et du fait de l'existence de branchements sauvages et anarchiques ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que les caravanes sont dotées de toilettes chimiques ; que, d'ailleurs, le représentant du préfet précise à l'audience que l'aire de grand passage ne dispose pas d'installations sanitaires ; qu'alors que sont produites par les requérants des photos montrant que le campement est propre et organisé, qu'il existe des bennes à ordures et que les raccordements électriques sont sécurisés, le préfet n'apporte aucun élément permettant d'établir que le stationnement du groupe de gens du voyage dont s'agit est de nature à porter atteinte à la salubrité publique ;
Considérant, qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que l'arrêté du 7 juin 2011 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter, dans le délai de vingt-quatre heures, l'aire de passage qu'ils occupent sur la commune de Perrignier, est illégal et, par suite, à en demander l'annulation ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de Justice
administrative :
Considérait qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les requérants sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE:
Article 1er : L'arrêté du 7 juin 2011 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a mis en demeure les gens du voyage « visés par la demande de M. le maire de Perrignier » de quitter, dans le délai de vingt-quatre heures, l'aire de passage qu'ils occupent sur la commune de Perrignier est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Michel BOTTIER, à M. Christophe ROBIN, à M. David MEUCHE, au préfet de la Haute-Savoie et au maire de la commune de Perrignier. Lu en audience publique le 10 juin 2011.
Le magistrat désigné, R.DURAND
Le greffier, O.NOWAK
La république mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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