Logement social DALO
Les enjeux du relogement des ménages DALO
Où sont relogés les ménages qui se voient attribuer un logement dans le cadre du Droit au logement opposable ?
Comment les élus locaux, les bailleurs sociaux, l’ANRU et les associations abordent les questions du manque de logement, de la mixité sociale, du peuplement de la ville ? Pourquoi une partie non négligeable des bénéficiaires refusent-ils les logements qui leurs sont attribués ?
Dans une enquête publiée le 8 novembre dans la Gazette des communes Agnès Thouvenot dresse un état des lieux de ces questions.
Pour en savoir plus : lisez l’étude sur les motifs des refus de logement dans l’Isère réalisée par l’association Un toit pour tous : /www.untoitpourtous.org/content/refus-logement
Lutte contre l'exclusion
Le difficile relogement des ménages « Dalo »
Par Agnès Thouvenot
La localisation du relogement fait craindre une concentration accrue de ménages fragiles dans des quartiers déjà en difficulté.
Certains demandeurs refusent des solutions par manque d'accompagnement social.
Selon les derniers chiffres du secrétariat d'Etat au Logement, seuls 10 % des ménages ayant déposé un recours pour le droit au logement opposable (Dalo) avaient été relogés fin juin. Si la pénurie d'habitat social explique en grande partie l'absence d'offre, notamment à Paris et dans les Bouches-du-Rhône, la localisation des résidences disponibles est un autre facteur essentiel. Celle-ci impacte non seulement l'attitude des bailleurs et des élus, mais aussi celle des requérants.Certains demandeurs refusent des solutions par manque d'accompagnement social.
Selon la loi, les logements attribués aux ménages désignés pour être prioritaires par les commissions de médiation sont pris sur le contingent préfectoral, dont une grande partie se trouve dans les zones urbaines sensibles (ZUS). D'où l'inquiétude des élus face à l'arrivée massive de ménages très précarisés dans des quartiers déjà en difficulté. Si les données consolidées manquent encore à ce jour - très peu de préfectures renseignent l'item « ZUS » dans les statistiques de suivi du relogement -, sur le terrain, les craintes sont réelles.
Injonctions contradictoires.
A Evry (Essonne), par exemple, une centaine de ménages « Dalo » ont été relogés en 2009 sur environ 750 attributions. « Ces ménages ressemblent pour beaucoup aux autres demandeurs d'habitat social et ne connaissent pas forcément plus de difficultés. Mais ce sont des personnes en situation de grande précarité qu'on installe dans des quartiers déjà fragiles », reconnaît Valérie Bordes, responsable du service logement de la ville.Toutefois, les pratiques territoriales ne sont pas uniformes : si la Côte-d'Or loge 40 % des ménages Dalo en ZUS (où sont situés 25 % des logements sociaux), la préfecture du Rhône en oriente seulement 28 % vers ces quartiers alors qu'ils représentent 63 % du parc (1).
Sur le fond, les villes reprochent aux services de l'Etat leurs injonctions contradictoires : « Quand il s'agit de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le relogement des ménages se fait selon une analyse fine de l'offre mobilisable : chaque résidence est étudiée en fonction de son degré de fragilité. En revanche, pour les ménages Dalo, il n'y a pas d'espace pour un tel travail », souligne Zahra Sayouri, responsable du service logement de Roubaix (Nord).
Dans ce contexte, au nom de la mixité sociale, certains élus et bailleurs sociaux refusent les bénéficiaires du Dalo, malgré l'injonction préfectorale. Ce phénomène que les réseaux associatifs dénoncent est pourtant difficile à confirmer : « Une chose est sûre, les personnes ayant une attache dans la commune ont plus de chance d'obtenir un avis favorable des élus », observe Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre.
L'avis de ces derniers n'est pourtant que consultatif, mais les bailleurs ont tendance à le respecter, car ce sont les mêmes élus qui accordent les permis de construire, du foncier, voire des subventions, pour les prochaines opérations, etc. Cependant, l'annonce de Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au Logement, de ne plus loger, en Ile-de-France, les requérants du Dalo dans les zones Anru constitue un signe positif pour les élus et bailleurs sociaux, même si ceux-ci souhaitent que tous les quartiers comptant plus de 50 % de logements sociaux soient exclus du dispositif. De même, la mise à disposition par Action logement (ex-1 % Logement) de 450 habitations par mois pour les ménages Dalo franciliens doit permettre de diversifier l'offre.
Le refus des ménages.
Selon Jean-Claude Driant, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, « la contradiction entre droit au logement et mixité sociale n'est qu'apparente ; en la dénonçant, on feint d'ignorer qu'il s'agit en fait de temporalités distinctes : le premier relevant de l'urgence, alors que la seconde est une affaire de long terme » (2). Et c'est bien la preuve que l'on ne peut plus éviter la question du peuplement. Longtemps contournée, l'expression revient au centre des préoccupations politiques, comme à Lille (Nord), où une conférence intercommunale du peuplement doit rendre ses conclusions dans les prochaines semaines.Le deuxième enjeu concerne le refus par les ménages des logements qui leur ont été attribués. Loin d'être anecdotique, le phénomène agace les acteurs de la filière - en particulier les bailleurs sociaux - et, à terme, pourrait discréditer le dispositif. Au 30 juin, sur les 23 602 ménages ayant reçu une offre de bailleur, près de 4 000 ont refusé la solution proposée, soit 16 %. Des rejets d'autant plus étonnants que le Dalo constitue, en principe, le dernier recours possible au logement social et que ces personnes perdent alors leur statut de public prioritaire. « Inévitablement, cela conduit à les maintenir de manière durable dans leur situation de précarité », souligne Aicha Mouhaddab, directrice de l'Association régionale des organismes HLM en Rhône-Alpes. « Si nous considérons que le refus n'est pas justifié, la personne perd toute possibilité de recours pendant deux ans », explique Pierrette Mienville, présidente de la commission de médiation du département de l'Hérault.
Offre adaptée.
La loi précise que le préfet doit faire au ménage une offre « adaptée » aux revenus et à la taille de la famille, mais rien n'est précisé en termes de localisation, de services, de transport. « D'où des divergences dans les représentations du logement adapté », comme le souligne une étude menée par l'Observatoire de l'hébergement et du logement en Isère. La localisation motive 42 % des refus. Une réalité corroborée à Evry : « D'autant qu'il n'y a quasiment jamais d'enquête sociale dans les dossiers Dalo. Du coup, les bailleurs sont face à une demande administrative peu qualifiée, qui empêche de vérifier si l'offre est en adéquation avec les besoins de la famille », observe Valérie Bordes.Assister les ménages.
Sur ce sujet, bailleurs, responsables associatifs, service des collectivités sont unanimes : les ménages Dalo refusent les logements attribués pour les mêmes raisons que ceux qui demandent un logement social dans la filière classique. Sans doute le fruit d'une vision idéalisée de l'habitat, mais aussi du « caractère captif du logement social », selon les termes de l'étude iséroise, dans un contexte où une mutation au sein du parc HLM est très difficile à obtenir.Le défaut d'accompagnement social est également en cause. « Il faut assister les ménages pour qu'ils soient plus réalistes dans leur perception du logement proposé », insistait Michel Roux, président de la Fapil (3), lors du congrès de l'Union sociale pour l'habitat, à Strasbourg, fin septembre. Et l'articulation avec les procédures de droit commun est à remettre en question, notamment dans le cadre des plans départementaux d'accès au logement pour les personnes défavorisées et des mesures d'accompagnement social lié au logement financées par le Fonds de solidarité pour le logement.
Enfin, le nombre de relogements issus du Dalo est faible, compte tenu de la quantité de dossiers rejetés. « Certaines commissions de médiation sont très restrictives, reconnaît Jean-Philippe Brouant, chercheur au Gridauh (4). Si, officiellement, ces instances ne doivent pas prendre en compte le contexte local pour juger du caractère urgent et prioritaire de la demande, les membres de la commission ne sont pas étanches aux réalités. En Seine-Saint-Denis, près de 30 % des dossiers sont déclarés irrecevables. »
Jean Coetmeur, président de la commission de médiation des Bouches-du-Rhône, note pour sa part que le nouveau formulaire de demande, introduit par un arrêté de novembre 2009, est plus précis, mais nécessite un meilleur accompagnement qui fait, là encore, trop souvent défaut. Dans les Hauts-de-Seine, selon le Gridauh, les travailleurs sociaux ont pour consigne de ne pas aider à constituer les dossiers Dalo...
La responsabilité de l'Etat engagée
Les ménages n'ayant pas reçu de propositions par le préfet dans un délai de six mois après la décision de la commission de médiation peuvent saisir le tribunal administratif pour ordonner leur relogement. A défaut, l'Etat est condamné au paiement d'une astreinte d'environ 600 euros par mois, versée à un fonds destiné à financer la construction de logements sociaux. Peu de juges effectuent les démarches pour la liquidation de ces sommes. Mais ce sont surtout les recours en responsabilité contre l'Etat pour « non-exécution d'une décision administrative » qui pourraient inquiéter, compte tenu des sommes en jeu. En effet, les requérants demandent réparation du préjudice. Aucun jugement n'a été rendu mais, selon l'association Droit au logement, 30 % de ces ménages ont obtenu une offre de logement. LES chiffres CLÉS
47 873 décisions favorables des commissions de médiation pour un logement.2 767 réorientations en vue d'un hébergement ou d'un logement de transition.
58 401 rejets du recours par les commissions de médiation.
23 602 offres de logement faites aux ménages « Dalo » par les bailleurs sociaux à la suite de la désignation par le préfet, pour 17 033 ménages relogés.
TÉMOIGNAGE - Annie Guillemot, maire de Bron (38 833 habitants, Rhône) - « Il faut parler de peuplement »
« Les villes de banlieue ne peuvent recevoir tous les ménages les plus en difficulté d'une agglomération alors que leurs quartiers sont déjà en grande difficulté. Il faut avoir le courage de parler de peuplement et de définir les publics prioritaires pour tel ou tel quartier. J'assume le fait de refuser un logement à une jeune femme seule avec enfant dans un bâtiment difficile. Au contraire, accepter reviendrait à la mettre encore plus en difficulté. Pour la commune, les familles prioritaires ne sont pas forcément celles que la préfecture m'envoie. Selon moi, la décohabitation des jeunes doit constituer une priorité. Attribuer des logements à ce public relève donc d'une politique de peuplement assumée. Ce n'est pas de la discrimination, c'est un droit. »Expulsions : moins de recours à la force publique
La mise en œuvre du droit au logement opposable n'a pas changé fondamentalement la donne en matière d'expulsions locatives. Au contraire, le contexte économique dégradé a aggravé la précarité de nombre de locataires : ainsi, en 2009, selon la Fondation Abbé-Pierre, les contentieux locatifs ont augmenté de 3,9 % par rapport à 2008 et 106 938 jugements d'expulsion ont été prononcés. Dans les Bouches-du-Rhône, celle-ci représente, en septembre 2010, 16 % des motifs des recours (contre 11,5 % un an plus tôt) devant la commission de médiation. Toutefois, les réseaux associatifs observent une évolution positive du lien entre recours à la force publique et Dalo : « Dans le département du Nord, les dossiers relatifs à l'un et à l'autre sont traités au sein du même service préfectoral », observe Jean-Yves Guéranger, chargé des questions d'habitat chez ATD quart-monde. « Cela permet d'éviter de faire appel à la force publique quand le ménage a déposé un recours devant la commission de médiation », confirme Marie Rothhahn, de la Fondation Abbé-Pierre. A Paris, un rapprochement entre la préfecture de police et les services instructeurs du Dalo a ainsi réduit le nombre de mises à la rue de familles sans solution de relogement. Des pratiques qui se vérifient pour partie dans les données relatives au recours à la force publique. Selon la Fondation Abbé-Pierre, on observe « une légère amélioration dans les décisions d'octroi du concours » de celle-ci (-7 % en 2009) ou de ses interventions (-6,5 %).
(1) Rapport du comité de suivi du Dalo. Octobre 2009. (2) Cité dans le rapport du Conseil économique, social et environnemental, p.83, 15 septembre 2010. (3) Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l'insertion par le logement. (4) Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l'aménagement, de l'urbanisme et de l'habitat.
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